Comment ne pas prendre un air sombre quand on constate que tant
d’agriculteurs quittent leur territoire, quand ce n’est pas le monde tout court,
en bout de corde ?
Pourtant il conviendrait d'esquisser un sourire quand des médias
s’extasient devant ceux qu‘ils croisent, partant de la ville pour aller à
l’herbe.
En déplorant semaine après semaine les pertes de
considération de bien des métiers, je persiste dans le registre passéiste où hier on aurait payé pour devenir instit’, alors qu’aujourd’hui le
discours dominant porte sur l’insuffisance des salaires des profs des écoles.
La perplexité à l’égard des scientifiques et la défiance
envers toute connaissance forment la partie bruyante d’une société dont les savoir-faire de ses ingénieurs sont en voie de disparition, avec
une relève pas très allante.
La sous-traitance a été la réponse aux corporations ne
voulant plus se salir les mains à nettoyer les fonds de cuves nucléaires. Les
employés de mairie de leur côté ne montant plus sur les escabeaux pour laver les vitres ont
été remplacés par quelques précaires tout heureux. Qui met encore la main à la
pâte quand des livreurs, pourvu qu’ils soient en vélo, font l’affaire ? Les
bobos, dont je suis un spécimen lessivé, jugent de tout pour chacun et se
rapprochent parfois de zozos inconséquents.
Les querelles dérisoires étouffent les grandes souffrances
et les insistances à propos d’affaires subalternes supplantent les questions de
fond. D'ailleurs pour échapper aux redites de l'actualité et aux angoisses qui les accompagnent, je m'intéresse parfois davantage à la destinée
d’Arkadiusz Milic qu’aux mérites de l’ARN.
Une main sur l’épaule d’une élève en pleurs de la part d’un
prof compatissant peut agiter une communauté éducative, lorsqu’une des
camarades de la collégienne y a vu un moyen de participer à une actualité
scandaleuse, minimisant par là d’autres graves agressions.
L’insignifiant tient toute la place alors que « Pas-de-vague »
submerge tous ceux se dispensant de lancer des alertes.
Mon antienne de la conscience professionnelle en voie de
perdition gagne une strophe avec l’envahissement dans les colonnes des journaux
du terme « déconstruction », aux airs plus ordonnés que
« destruction », alors qu’il s’agit de la même énergie fourvoyée. Les
rageux préfèrent salir les murs plutôt que les construire, s’adosser au lieu d’oser, s’opposer plutôt que
proposer. Les « toujours contre » vont participer à la remise en
cause des belles intentions de cultiver l’esprit critique, voire contraindre à imposer
des conditions à l’exercice de la liberté. Les délinquants ont beaucoup a œuvré
pour l’industrie de la sécurité.
Je date l’apparition du mot « déconstruction » du démontage du Macdo de Millau tout en ne sachant pas son étendue en philosophie. Mais à fréquenter
surtout des journalistes
promoteurs de la mode « intersectionnelle » et
autre « inclusive » manière, je ne sais voir qu’une humanité
qui après avoir exterminé des peuples à tire larigot, affectionne les lieux
dévastés, et préfère dégager les acteurs que promouvoir des bâtisseurs.
« Les châteaux en
Espagne qui ne coûtent rien à construire sont ruineux à démolir.» Mauriac
Je partage beaucoup de ce que tu écris là, Guy.
RépondreSupprimerJe crois que nous sommes devenus... collectivement trop riches pour vouloir nous salir les mains, et que le problème est grandement là.
Exemple : il y a un article de la modernité que je regarde avec soupçon : le lave vaisselle. Je pourrais presque dire que le lave vaisselle constitue un de ces engins qui séparent les brebis noirs des brebis blancs.
Quand j'étais petite, dans un autre pays, ma mère avait un lave vaisselle. Elle lavait la vaisselle avant de la mettre dans le lave vaisselle, parce qu'elle avait vu que si elle ne faisait pas ça, la vaisselle n'était pas propre. Mon père... se moquait gentiment d'elle. Ma mère ne mettait pas les casseroles dans le lave vaisselle. Elle n'était pas... décadente à ce point.
Bien sûr, quand je suis arrivée en France, pas beaucoup de personnes avaient un lave vaisselle, mais ils sont arrivés avec le reste du schmilblik américain : quatre quatre, air conditionné,... précarité de l'emploi, féminisme exacerbé, bête et bêtifiant.
Les constructeurs et fourvoyeurs du progrès avaient trouvé des arguments ingénieux pour nous les vendre, dans le style que ça permettait d'économiser l'eau, qui était une ressource précieuse. Ils oubliaient de dire que.. PEUT ETRE ça permettait d'économiser l'eau, mais cela consommait tout de même... de l'électricité, alors que nos deux mains, et nous deux bras faisaient très bien l'affaire.
Une bonne lecture de Freud permet de conclure que l'essentiel n'est ni d'économiser l'eau ou l'électricité, l'essentiel est de NE PAS SALIR NOS MAINS DANS L'EAU SALE ET/OU GRAISSEUSE. Caca. Pouah. Et nous sommes bien au-dessus de ça, parce que nous avons tous le droit d'être des aristos maintenant (mieux encore.. pourquoi pas des aristos artistes ? ce serait encore plus mieux).
Si on regarde de plus près, on a les racines pour comprendre notre.. sainte horreur de la paysannerie qui nous rappelle qu'il faut encore et toujours manger, que manger produit... les restes, dans notre premier produit, et que nous n'avons pas encore.. progressé sur le chemin saint de devenir de PURS ESPRITS...