jeudi 4 mars 2021

Ici pour aller ailleurs. Geoff Dyer.

« Humour anglais » : l’auteur contesterait ce lieu commun, lui qui s’applique à démentir les clichés depuis la Norvège et ses aurores boréales pas forcément au rendez-vous, jusqu’à la tombe de « Naopua A Puufaifiau, soldat : mort pour la France 1914-1918 » se révélant bien plus riche de sens que celle de Gauguin qu’il était venu voir à Tahiti.
Depuis qu’une de ses tantes lui avait envoyé des cartes postales de lieux prestigieux,  « l’escogriffe ­anglais », comme le surnomme Emmanuel Carrère, était partant pour voyager : 
« Tous ces paysages, je les avais entraperçus dans des westerns, mais le fait que quelqu’un que je connaissais y soit allé - ait prouvé qu’ils étaient réels - me fit prendre conscience pour la première fois qu’il existait un ailleurs : un ailleurs qui semblait le contraire de partout et de tout ce que je connaissais » 
La Cité Interdite est plus décevante pour lui que l’amie de sa guide, mais d’autres sites décrits d’une façon souvent primesautière comme « Le champ des orages » au Nouveau Mexique, ou « La jetée en spirale » dans l’Utah, lieux de land art, peuvent lui permettre de glisser des citations plus solennelles : 
«  Quand le grand empire romain n’a  plus été que ruines fumantes […] ceux dont l’âme était encore vivante se retirèrent et peu à peu construisirent des monastères, et ces monastères et ces couvents, ces petites communautés du courage et du travail paisible, isolées, dénuées de tout mais pour autant jamais défaites en un monde soumis à la dévastation, ces communautés furent seules à préserver l’esprit humain de la désagrégation, de la noirceur de ces temps obscurs. D.H. Lawrence » 
Son regard décalé est révélateur, et original comme celui du « photographe retardataire », Antoine Wilson « prenant en photo divers endroits où les stars de cinéma se sont assises, sont restées un moment ou sont passées quelques minutes après qu’elles aient quitté les lieux. » 
Ce recueil d’articles de 200 pages est agréable à lire : que ce soit le récit de ses déboires de santé, sa vie à Los Angeles bien que ses pèlerinages soient souvent décevants, et même la rencontre avec un auto-stoppeur où il ne se montre pas à son avantage. Sa sincérité permettra le pardon.
 Les photographies sont de Martin Parr.

3 commentaires:

  1. Cite-t-il l'endroit où D.H. Lawrence a dit cette phrase, stp ?
    Pourrais-tu le trouver pour moi ; ça m'intéresse.
    D.H. Lawrence a beaucoup aimé le Mexique, et le Nouveau Mexique...
    Merci d'avance.

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    1. Je ne sais, j'ai googelisé mais n'ai pas trouvé la référence et j'ai prêté ce livre mais je ne crois pas que c'était précisé.

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  2. Encore une fois, D.H. Lawrence fut visionnaire...
    Parler de la civilisation qui se désagrège me semble à propos pour ce que nous vivons à l'heure actuelle à très grande échelle. (Mais c'est peut-être que mon âge qui me fait dire ça, qui sait ?)
    Je vais me souvenir de la citation. Elle est très belle, et donne de l'espoir.
    Si on ouvre l'Ancien Testament à la Genèse, un livre qu'il est bon d'étudier, et de connaître, on peut consulter le chapitre de la tour de Babel, où on voit que déjà les lointains ancêtres connaissaient le phénomène que Lawrence décrit. On se souviendra que l'épisode de la tour de Babel ne finit pas dans la destruction de la tour (vision assez hugolienne, je le crains), mais dans la dispersion de l'Homme. Comme quoi les entreprises universelles, totalisantes, conduisent inévitablement à notre dispersion. Douloureuse dispersion, accompagnée d'une attaque vertigineuse du sens qui ne nous fait pas de bien.

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