Chacun reste chez soi et dans le même temps
nous ne cessons de nous occuper de ce qui ne nous regarde pas. Lorsqu’une société en est à atteindre 60 millions de
commentateurs, comment pouvons nous encore respirer, vivre, agir, rire, ensemble ?
Dans les décharges pleines de papiers gras que
constituent les commentaires sur Facebook, je renonce à la retenue quand je
lis :
« De quel droit Boris Cyrulnik se permet-il de
s’exprimer ? »
Une telle bêtise ne prête même plus à sourire quand l’ignorance se porte plus volontiers en bandoulière que
l’expertise. La reconnaissance du talent de ceux qui ont fait avancer notre
humanité devient rare, sous prétexte d’égalité. Celle-ci n’allant pas
jusqu’à mélanger Noirs et blancs selon la typographie du New York Times, je me
dispenserai de discuter de la blanche
traductrice batave indigne de traduire une noire. Elle ne traduira pas Amanda Gorman, la jeune poétesse qui s'était fait connaître lors de l’investiture de Joe Biden.
Et dire que j’avais horreur du terme « vulgarité »
qui pesait de tout son mépris de classe, je ne trouve pourtant pas mieux pour
caractériser certaines réflexions, bien que le recours à quelques gros mots signe mon impuissance !
Dans l’affaire de la dénonciation publique de profs de Sciences
Po Grenoble, le débat aurait du rester en interne. Mais il est
sorti.
Alors voilà encore de quoi être accablé de constater à quel
niveau est tombée l’UNEF.
Je voudrais croire que les afficheurs ne
sont que des individus qui tournent autour de Science Po sans avoir été admis
dans cet établissement où la distinction entre Islam et Islamisme devrait aller
de soi, où l’on apprendrait que le droit à la critique, au blasphème existent, mais
qu’il en va différemment pour le racisme et la connerie. Près du Bataclan, il n’y avait pas besoin d’afficher : « l’Islamisme
tue », les intégristes avaient fait leurs preuves, alors quel besoin
d’apposer à côté des dénonciations sur les murs de Sciences Po : « l’islamophobie
tue »?
Il fut un temps où se distribuaient à la pelle, des points
Godwin, « référence
au nazisme, pour disqualifier l'argumentation de son adversaire ».
Aujourd’hui toute personne qui ne se prosterne pas en direction de La Mecque
est accusée de se tourner carrément vers le fascisme. Ce manichéisme, qui nourrit les extrêmes, aggravé par
la perte de la notion du second degré, accentue notre avancée vers l’imbécillité. Il est un signe de notre épuisement
démocratique, loin de tout sens de la nuance et
de la tolérance. La tolérance ne peut s’exercer qu’avec des individus aux
opinions déclarées et non cachées sous de lâches pseudos. Il semble qu'il soit trop
tard pour échanger quand ceux qui s’expriment doivent bénéficier d’une protection policière.
Les matchs se jouent devant des gradins vides et dans les journaux les tribunes se juxtaposent sans se parler. II convient de ne pas oublier ses codes à la porte quand les séparatismes s'accumulent; l'abus du mot «proximité» aurait dû nous mettre la puce à l'oreille.
Les prairies sont vertes où affluent les
victimes venues de loin : les souffrances des Rohingyas et Ouïghours ont été plus
décrites que celles des chrétiens d’Orient en dehors du «Pape tour».
Il est aussi des zones pas loin de nos balcons où poussent d'autres herbes, mais nous n'entendons pas les kalachnikovs en fond sonore de quelques rappeurs. Pendant ce temps, la maire de Paris se dit
choquée qu’il faille faire respecter la loi : « zéro Covid »
mais démagogie virulente sur les quais de Seine.
Pour décrire ce qui devrait nous grouper mais qui nous sépare, le mot « territoire » est devenu banal, que ce soit ceux qui
sont perdus pour la République ou déclinés en « collectivités
territoriales » qui n’en finissent pas de s’empiler et compliquer la vie. Alors que
« champ » dopé aux glyphosates devient moins couru, « lopin »
suffirait à tous les voltairiens admis par les néo-terreux pour cultiver leur
jardin.
« Ce n'est pas le
champ qui nourrit, c'est la culture. » Proverbe russe
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