mercredi 21 mai 2025

Léviathan. Guillaume Poix, Lorraine de Sagazan.

 

Le titre déjà n’hésite pas sur la métaphore pompière. 
« Le Léviathan est un monstre colossal, dragon, serpent et crocodile, 
dont la forme n'est pas précisée ; 
il peut être considéré comme l'évocation d'un cataclysme terrifiant capable de modifier la planète, et d'en bousculer l'ordre et la géographie, sinon d'anéantir le monde. » 
Wikipédia
Au moment où l’extrême droite se déchaine contre les juges, un spectacle mettant en question la justice excite la curiosité.
Mais le mélange des genres, les affèteries de mise en scène brouillent le propos bien que le voile qui respire au plafond soit poétique.
Il est question de comparution immédiate dans le palais de Thémis tenant en son poing un glaive, une arme de catégorie D  pourtant interdite dans l’espace public.
« Le Canard enchainé », en se contentant de décrire les audiences expéditives, en a relevé pendant des années toute l’injustice.
Un ouvrier a conduit une moto sans permis et sans casque,
un SDF a insulté une policière, 
une mère a volé des vêtements pour sa petite fille dont le père violeur a la garde.
Dans un lieu qui a justement à voir du côté de la théâtralité, les situations des prévenus n’ayant blessé personne sont tellement caricaturées qu’elles perdent de leur force. Juge et avocats aux mouvements de pantins s’agitent et crient. Un cheval arrive sur scène comme un chien dans un jeu de quilles et mange quelques pages du code pénal.
La plaidoirie en faveur d’une justice réparatrice peut s'entendre, prononcée par le seul acteur à la belle voix, sans bas sur le visage, ni allure de marionnette. Une brève apparition d’un surveillant de prison filmé en vidéo, nous a  surpris par son naturel, son humanité.
Le jeu avec le silence final est bienvenu.
Autant le choix des marionnettes était judicieux dans une pièce d’Ibsen pour traiter de l’incommunicabilité, autant cette déshumanisation des travailleurs de la justice me parait contestable en s’invitant dans le grand carnaval où, Trump, le fou devenu roi, fait exploser  toutes les valeurs en s’attaquant en premier lieu à la justice.

mardi 20 mai 2025

Deux filles nues. Luz.

De la belle ouvrage ! L’ancien dessinateur de Charlie est à la hauteur voire au delà de ses  productions précédentes. 
Le beau livre aéré nous offre un point de vue original et fécond : nous suivons la vie d’un tableau d’Otto Mueller par… le tableau lui-même depuis le premier coup de pinceau en 1919 jusqu’à son accrochage en 2000 au musée Ludwig de Cologne.
Peu après avoir produit cette œuvre révélée seulement à la fin d’un récit mouvementé,l’artiste quitte Berlin sans Maschka, sa femme avec laquelle il reste cependant en contact :  
« Les Muses, on les invoque, on ne les convoque pas. » 
Au-delà des premiers plans qui voient se succéder divers acheteurs, on peut repérer par les fenêtres, les signes de la montée du nazisme, jusqu’à la confiscation de la toile présentée à l’exposition de « l’art dégénéré » organisée par les nazis sous les intitulés :
« Gaspillage des deniers allemands, 
Manifestation de l’âme juive, 
La folie comme méthode, 
Comment les esprits dérangés voient la nature, 
Insultes à la féminité allemande, 
Leur idéal : crétins et prostituées, 
L’insulte aux héros allemands de la grande guerre »
 en compagnie de Picasso, Kandinsky, Dix, Grosz, Chagall, Kirchner… 
« Qui l’aurait cru, Alice… 
Les nazis ont organisé la plus extraordinaire exposition d’art moderne de l’Histoire. » 
Quand on sait l’histoire du dessinateur, la réflexion sur la liberté d’expression acquiert encore  plus de force, alors que sous nos Windows crient à la liberté ceux qui la bafouent le plus grossièrement. L’art n’est pas anodin quand on voit l’acharnement des nazis à spolier les collectionneurs souvent juifs et les artistes. Cette approche sensible, parfaitement agencée et documentée donne matière à réflexion : bien sûr, avec nos yeux du XXI°, ces œuvres « dégénérées » ont acquis de la noblesse, mais si l’on évite d’employer des termes aussi lourds, est ce que tout tas de vêtement, charbon ou de fils de fer, à condition d’être entreposé dans un centre d’art contemporain peut se proclamer œuvre d’art ?

lundi 19 mai 2025

Moi, ma mère et les autres. Iair Said.

Un jeune juif revient dans sa famille en Argentine à l’occasion de la mort de son oncle,
il repart de chez sa mère après la mort de son père.
Pour lutter contre sa peur de l’avion, il cherche des somnifères, mais pour endormir le spectateur cette triste comédie suffira. 
Il serait, de surcroit, trop facile de jouer avec les mots pour un film présenté à Cannes dans la sélection de l’ACID (Cinéma indépendant pour sa Diffusion) sous le titre « Most people die on Sunday ».
Le sentiment dominant est l’indifférence envers ce fils immature joué par le réalisateur dans des séquences embarrassantes, hormis la connaissance que nous pouvons acquérir de rites religieux. 
Pour traiter du thème de l’euthanasie, de l’homosexualité, un ton burlesque peu approprié tourne à la maladresse parfois glauque.

dimanche 18 mai 2025

Baie de Somme # 2

La visite programmée dans la baie nous contraint à un lever matinal.
Nous avons rendez-vous à 9h au phare le Hourdel avec nos accompagnateurs Margaux et Guillaume qui se répartissent le groupe de touristes.
Pour notre part, nous profiterons des explications de Margaux.

* elle commence par une présentation de l’écosystème et de sa protection :

interdiction de ramasser des galets, technique pour se dégager des sables mouvants, et interdiction d’approcher les phoques à moins de 300 m sous peine d’une amende de 135 € dressée par le personnel avec gilet « phoque » dans le dos patrouillant sur le site.

* Elle poursuit avec la présentation de l’estuaire et distingue estuaire de baie. Effectivement, le fleuve la Somme et les autres rivières déversent leurs eaux dans la mer.

* Pendant l’exposé, des détonations de chasseurs retentissent et perturbent les phoques, les poussant à déménager en se servant des courants.

Lorsqu’ils ne sont pas dérangés, nous les repérons, et les percevons mieux grâce à la puissante lunette de Margaux ; ils se prélassent sur des plages sablées, ressemblent à de nobles romains allongés sur le flanc.
De couleur noir blanc ou brun, il en existe 2 variétés : Le phoque gris, au museau allongé, sans front, plus balaize que l’autre, et le phoque veau de mer avec des narines en V, une tête ronde munie de gros yeux ronds.
Ils passent leur temps à buller au soleil, à emmagasiner la chaleur sous toutes les faces car ils se refroidissent vite dans l’eau, malgré 10 cm de graisse. Leur reproduction nécessite 11 mois de gestation dont 2 mois de pause pour atteindre le bon moment et sortir leur petit dans de bonnes conditions. Quant à leur alimentation, elle requiert 3 à 6 kg de poissons par jour (6kg pour le gris)

* Nous surplombons un magnifique panorama du haut de la digue donnant sur les vasières (bans de sables inégaux et trous d’eau) et les mollières (prés salés).

Au loin se détachent Saint Val’ry et en face le Crotoy ; d’un autre côté, un bunker allemand penche, chahuté par une tempête et l’érosion. Il n’est pas étonnant que ce site attire plus d’un million de personnes chaque année.

Les curieux se déversent de plus en plus nombreux  au fur et à mesure que l’heure avance et au moment où nous quittons les lieux, nous nous félicitons d’avoir été un peu matinaux.

Nous retrouvons la voiture garée au parking payant, maintenant bien rempli, pour aller à Noyelles sur Mer.

Plus précisément, nous cherchons un petit village de cette commune du nom de Nolette caractérisé par son cimetière chinois.
Durant la 1ère guerre mondiale, la Chine en conflit contre l’Allemagne envoie en 1917 cent quarante mille ouvriers sous contrôle britannique afin de les employer dans les usines et remplacer les hommes partis au front : ils déchargent des munitions, travaillent dans les fermes mais ne devaient pas participer directement aux combats. Cependant, ils finirent quand même par ramasser les morts sur les champs de bataille et déminer les terrains. Certains furent rapatriés en Chine à la fin de la guerre, d’autres choisirent de rester mais succombèrent à la grippe espagnole. 842 ouvriers chinois, « Chinese Labour corps », laissèrent leur peau sur le territoire français. Pendant leur présence, sous contrôle britannique donc, ils  menèrent une vie difficile, contraints dans leur liberté, cantonnés au même endroit. Ils ne pouvaient se rendre « en ville » sinon accompagnés par des soldats, ce qui laissait supposer à la population qu’ils étaient prisonniers.

Le cimetière bien fléché heureusement s’étend au bout d’un chemin non bitumé en pleine campagne. Une enceinte le délimite, nous la franchissons par une porte d’entrée constituée d’un portique  sinisant au-dessus d’un portillon au loquet métallique intéressant. Une série de stèles blanches identiques s’élèvent dans des allées rectilignes, à l’image  des cimetières militaires de Normandie, mais plus petit et ombragé par quelques pins dont le plus gros marque le centre. Seuls les idéogrammes gravés pour les noms indiquent l’origine des défunts, avec en plus une phrase en anglais pour leur rendre hommage. 

Ce lieu parfaitement entretenu, nous ouvre une page d’histoire que nous ignorions, et force la reconnaissance envers ces hommes venus de si loin, si mal traités.

samedi 17 mai 2025

Vers les îles Eparses. Olivier Rolin.

Nous partageons la vie de l’écrivain embarqué sur un bateau militaire qui ravitaille quelques garnisons françaises sur des îles minuscules du Canal du Mozambique.
Cet exotique séjour, au-delà de la description de terres inconnues dans l’Océan Indien, revient sur la prise de conscience de l'auteur à propos de son vieillissement, déjà finement exploré, avec le détachement qui convient.
Les mots des marins font voyager : 
« Le bateau se rapproche lentement du quai, chassant une masse de cannettes, de bouteilles en plastique, d’épaves diverses, on lance des pommes de touline, que récupèrent des lamaneurs en combinaison orange, on capelle les aussières sur les bollards, on les raidit… » 
Parfois ses hésitations dans la description ajoutent à l’étrangeté, à la richesse du spectacle de la nature qu’il rend avec sobriété sans en effacer la couleur.
« … ces oiseux, frégates, fous, hérons cendrés, d’autres dont j’ignore le nom (un cardinal ?), rouge et noir jacassant au milieu d’un bosquet de lantaniers aux fleurs jaunes et rouges, à l’odeur poivrée, et surtout les sternes fuligineuses qui tournoient par centaine de milliers au-dessus de l’île, du côté du phare. »
Pour tromper l’ennui, rien de tel que quelques livres bien mis en valeur, quelques notes spontanées, sans apprêt dans son écriture, la recherche du mot juste dans ces îles à dix mètres au dessus du niveau de la mer où le bleu est plus que bleu. 
«  dans d’autres langues, blue, azul, c’est peut être mieux, parce qu’il y a quelque chose de fluide, de longuement alangui dans le blue anglais, qui va avec le glissement de l’eau (et la couleur bouge respire), quelque chose d’ailé et de salé dans l’azul espagnol ou portugais. » Avec la même honnêteté, il décrit le jeune équipage qui le conduit, sans forcer leur intimité, respectueux de leurs personnalités, affronté, sans dramatiser, à son âge.
« Habitué qu'on est à soi-même et à son apparence, on ne s'est pas vu se transformer en cet être de papier mâché en qui les autres, qui ne vous connaissent pas, identifient immédiatement un semi-vivant. […] Parfois je m'en amuse, mais pas toujours. »

vendredi 16 mai 2025

Effets pervers.

« Sans porter de jugement de valeur ».: l’hypocrite expression qui venait inévitablement avant un jugement de valeur a disparu comme la recension des « effets pervers » après une mesure prétendument positive. Pourtant les 35 heures passées à la moulinette théorique se sont
inscrites dans la pratique.   
Aujourd’hui toute décision est précédée de critiques, les opposants passent devant les décideurs.
Une opinion à propos des ZFE (Zones à Faibles Émissions) mettant en évidence la coupure entre métropoles en vélo et périphéries au Diesel me semblait pertinente. Voilà encore des analyses justes de ceux qui ont les mains propres, mais pas de mains. Quelle proposition avancer pour améliorer la qualité de l’air sans contrainte?
De toutes les nouvelles négatives qui tombent pour nos scripteurs, il se pourrait que naissent des effets positifs comme le réveil de l’Europe face aux abandons américains.
Les populistes nous affolent, ils nous raniment.
La brutalité de Trump révèle l’opportunisme des possédants, le cynisme des puissants, la faiblesse des hommes, elle nous ouvre les yeux.
Mais ses attaques tellement sommaires contre le wokisme renforcent les wokistes qui avaient hâté son avènement. De même que les accusations d’antisémitisme contre des Universités confortent les antisémites.
Au cours de ces hystériques batailles, la fatigue peut redonner de la place à des propos plus nuancés, des mesures plus mesurées.
Pour avoir glorifié la justice quand elle était attaquée,
 j’en suis à regretter la judiciarisation de notre société aux manières amerloques.
Alors que des médias se plaignent de l’inertie du pouvoir, ils ne cessent de flatter ceux qui entravent l’efficacité de l’exécutif. Sont convoqués, à tous coups, les avocats qui sont aux divergences publiques ce que sont les cellules psychologiques à la moindre contrariété et la fleur blanche à chaque drame. 
Ces professionnels comblent nos renoncements face à nos responsabilités. Nous sous-traitons notre popote aux livreurs ubérisés, nos enfants aux nounous. Nous prétendons être épidémiologiste, professeur à la place du prof, avoir droit à un avis sur tout mais pas sur nous. Taxes US, réchauffement et faillites pédagogiques, mais tais-toi tonton ! 
« Mon souci principal : essayer d'oublier mes soucis secondaires. » 

jeudi 15 mai 2025

La peinture allemande au XVI° siècle. Catherine de Buzon.

En continuité avec la conférence précédente devant les amis du musée de Grenoble concernant la ligue hanséatique et son commerce, la conférencière a présenté « Jacob Fugger et son comptable » devant le nom des succursales de l’établissement allant de Lisbonne à Nuremberg depuis Londres.
En ce XVI° siècle, dans le Saint Empire Romain Germanique morcelé, les princes électeurs ont le pouvoir.
Luther est excommunié au moment de l'invention fondamentale de l'imprimerie après avoir exposé ses 95 thèses alors que l’Italie inspire les lettrés qui rêvent d’une société harmonieuse où les avancées de l’antiquité s’enrichiraient de théologie.
Dürer
devient le maître de tous les peintres de l’époque pour lesquels sont choisis ci-dessous des détails de leurs œuvres tant leur minutie est spectaculaire.
Grunwald Mathias
, mort la même année (1480) que son guide, développe son écriture picturale tandis que des révoltes paysannes sont durement réprimées.
La bêtise et la compassion se rencontrent dans « La dérision du Christ ».
La peinture ardente de son « Retable d’Issenheim » destinée aux malades met en son centre, la crucifixion la plus terrible, la désespérance la plus glauque,
en opposition aux autres volets ouverts lors de fêtes carillonnées présentant 
les mystères glorieux de l’Annonciation, de la Résurrection. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2021/09/musee-unterlinden-colmar.html
« Le Concert des Anges »
aux couleurs de pastel velouté dévoile
quelques anges inhabituels.
Lors de
« La tentation de Saint Antoine » 
des créatures aux tonalités démoniaques caracolent autour de lui.
Lucas Cranach
l'ancien avait fréquenté les humanistes à Vienne.
Ami intime du sobre « Martin Luther», il nous apparait comme le peintre de la sensualité.
« Vénus avec Cupidon volant du miel » 
Dans le tableau « La Vierge à l'Enfant Jésus sous le pommier », le petit aux dents naissantes apaisées par un morceau de pain, rachètera le pêché originel des mangeurs de pommes.
« 
Adam et Ève au paradis ».
« La Bataille d'Alexandre »
d’Albrecht Altdorfer raconte la bataille d’Issos où Darius fut vaincu en 333 avant JC. Le tableau servit de décor dans la salle de bains de Napoléon à Saint Cloud.
Les personnages de l’architecte se fondent dans des paysages luxuriants. 
« Saint Georges et le dragon » dont certains aux ambiances fantastiques.
Dans « Paysage avec un bucheron » l’épicéa au feuillage tombant a des allures romantiques.
Personne ne figure dans «  Paysage avec une passerelle » : 
cette nouveauté s’épanouira au siècle suivant.
Il fait preuve d'originalité avec sa « Nativité » 
 l’ « Adoration des bergers »
et la « Naissance de la Vierge », inédite.
Hans Baldung
 passant du merveilleux au fantastique,
est également imaginatif avec sa « Nativité » baignée de lumière miraculeuse,
exalté dans le « Déluge » où s’engloutissent les malheureux.
Ses variations autour de « La Mort et la Jeune fille »  ou « Les trois âges »,
 ses « Vœux du Nouvel An avec trois sorcières »
contrastent avec le doux « Portrait de la princesse Baden-Durlach ».
 
Hans Holbein grand portraitiste réalisa celui de son collectionneur « Bonifacius Amerbach »
ami de l’humaniste « Erasme » 
lui-même très lié à « Thomas More »  auteur de « La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d'Utopie », canonisé après avoir été décapité pour trahison
par « Henri VIII » dont il était chancelier car il avait désavoué le divorce du roi et le schisme avec Rome.   
« Je vous en prie, je vous en prie, Monsieur le lieutenant, aidez-moi à monter ; 
pour la descente, je me débrouillerai… »
« Les Ambassadeurs »
  français et représentant du Vatican célèbrent les valeurs de l'humanisme par les objets présentés au centre
mais aussi la brièveté de la vie avec le crâne caché dans l’anamorphose au premier plan .
«
Le corps du Christ mort dans sa tombe
» exposé à Bâle bouleversa Dostoïevski. 
« Devant un tel tableau, on ne peut que perdre la foi » dit l’un des personnages de L’Idiot.