mardi 19 octobre 2021

Camus. José Lenzini. Laurent Gnoni.

Cette biographie dessinée parue en 2013 pour le centenaire de la naissance du philosophe, toujours présent, a été pour moi l’occasion de lire un bel article de Philippe Lançon mis en lien sur Babelio, il cite Georges Bataille: 
«Camus se révolte contre l'histoire : je le répète, cette position est intenable. Il se condamne à la louange de ceux qui ne l'entendent pas, à la haine de ceux qu'il voudrait convaincre. Il ne peut trouver ni assise ni réponse. L'inévitable vide où il se débattra le voue au mépris de lui-même. Il devra cependant s'obstiner parce qu'il n'est rien aujourd'hui de plus révoltant que la démesure de l'histoire. »
Cette bande dessinée m’a paru pâlichonne comme les dessins en arrière plan d’un texte forcément un peu envahissant paraphrasant « Le premier homme ». Pourtant l’idée d’une lettre d’un ami d’enfance comme fil conducteur m’avait paru une bonne idée pour évoquer la modestie du prix Nobel dont des extraits du discours de Stockholm ouvrent chaque chapitre avant l’épilogue plus précis que ce que nous avons retenu « Entre la justice et mère » sous titre de ce volume de 125 pages. 
«En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d'Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c'est cela la justice, je préfère ma mère.»
Les citations sont nombreuses et à l’occasion d’un commentaire, je retrouve celle là, de 1957 dont je ne me lasse pas : 
«Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui nous détruire mais ne savent plus convaincre… »

lundi 18 octobre 2021

Julie(en 12 chapitres). Joachim Trier.

Je craignais que l’histoire, d’une trentenaire indécise ne ressemble à « Les amours d’Anaïs » 
mais ces deux heures norvégiennes sont bien plus riches, justifiant pleinement la qualification "comédie dramatique". 
Ce côté « en même temps » coïncide avec le caractère fort, tout en étant fragile, du personnage principal. Bonne élève devenue vendeuse après avoir fait médecine et photographe, elle quitte l’homme qu’elle aime lors d’une séquence magnifique justifiant son prix d’interprétation à Cannes. 
D’autres scènes poétiques, drôles ou mélancoliques se succèdent en douze chapitres auxquels s’ajoutent prologue et épilogue. Une voix off judicieuse permet un récit distancié évitant les effets appuyés. 
Tout est bien dosé et l’évocation de l’écoulement du temps à travers la différence d’âge des protagonistes entre 30 et 40 ans peut même passionner quelque septuagénaire qui préfèrera gloser sur ces dilemmes là que se reconnaître parmi quelque vieux « j’ai mal partout » entrevu à l’arrière plan. 
Au-delà des histoires d’amour où s’inventent des jeux de séduction originaux, le questionnement «  avoir un enfant ou pas » emmène vers des dilemmes sociétaux traités avec nuance. La lucidité des milléniaux n’empêche pas la solitude. 
Léger et profond, ce cinéma nous emmène ailleurs tout en aiguisant nos obsessions : comment des êtres beaux, intelligents, vivant dans un environnement confortable, se tricotent du malheur … et des bonheurs?

dimanche 17 octobre 2021

Moi aussi je suis Catherine Deneuve. Pierre Notte Elodie Chanut.

Une mère ancienne chanteuse a du mal à parler à une de ses filles qui se déguise en Catherine Deneuve, l’autre se taillade le corps depuis sa douche, le fils joue du piano et se tait.
L’approche des relations dans une famille, où comme souvent le père n’est pas là, est originale.
Des chansons s’insèrent bien dans une série de monologues gueulards servis par de bonnes comédiennes, loin des teintes pastel de comédies musicales tournées sous des parapluies à Cherbourg.
Et si des rires fusent, je n’ai pas trouvé d’humour dans cette heure et quart.
L’amour présent dans chaque strophe des belles chansons m’a paru cruellement absent.
La poésie est un leurre, l’incommunicabilité la règle.
La recherche d’un peu de compréhension emprunte les chemins de la loufoquerie ou des épreuves avec le corps. Mais se sont des impasses comme l’injonction à vivre représentée par l’obligation de finir la nourriture proposée par la mère, y compris quand elle est immangeable. 
Belmondo est cité dans la pièce lorsqu’il n’est pas entendu par Jean Seberg à la fin d’ « A bout de souffle » : 
«C’est vraiment dégueulasse».  
Dans « Le Mépris »Piccoli, était à côté de la plaque lui aussi en disant à Bardot :
« Je t’aime tendrement, passionnément, tragiquement. » 
Pathétiquement.

samedi 16 octobre 2021

Ni fleurs ni couronnes. Maylis de Kerangal.

L’auteur de « Réparer les vivants » associée souvent à son chef d’œuvre 
nous offre deux nouvelles en un concentré capiteux.
L’écriture déjà efficace, c’est un de ses premiers livres, convient bien aux deux histoires puissantes se déroulant en des lieux de caractère à « fort potentiel » dramatique. 
« La nuit est haute, le ciel à l’encre, des étoiles y tressaillent » 
1. Le Lusitania a été coulé en 1915 pas loin des côtes irlandaises, un pauvre gars et une inconnue vont repêcher un riche héritier. 
« Une brume de chaleur est montée des eaux, a pastellisé les taches de couleurs sur les embarcations, caviardé les silhouettes égarées et les anecdotes les plus fragiles du paysage… » 
2. Sur les flancs du Stromboli, deux amis rencontrent une jeune femme. La violence ne sévit pas qu’au fond des cratères.
« Quand il ressort des bois, le ciel est clair, l’air sablé de gouttes lumineuses, et le ciel bien haut. On le dirait tendu d’un bleu de mousseline si légère, si fluide, qu’il pourrait faire croire au manteau de la vierge, ce grand manteau prodigue et consolateur sur lequel le garçon pisse et dégueule sa révolte. » 
Quel pied, d’avoir encore à se laisser surprendre par un éclair de 123 pages !

vendredi 15 octobre 2021

Simple.

Je dépose ce titre en tête d’article pour exorciser mes habituelles circonvolutions au moment où je voudrais aller au-delà du ressassement de mes chers paradoxes.
On a beau remarquer le nombre déclinant des « antivax » défilants, ils prennent une place disproportionnée dans les conversations et soulignent une idée toujours plus péjorative des mentalités de nos semblables.
Les salles de théâtre ont du mal à retrouver leur public, mais les boulevards offrent quelques trams à retarder chaque samedi et quelques murs à salir pour ceux qui aiment les dramaturgies où ils jouent, volubiles, le rôle du traqué, du mutilé, du malheureux. 
Il est bien difficile de trier entre l’essentiel et l’accessoire, mais passionnant de jouer avec la taille des détails. Les indulgences envers Tapie rejoignent celles que nous nous devons à nous-mêmes pour vivre : allez l’OM !
Alentour, il est davantage fait cas des appellations contrôlées concernant les prénoms que de la baisse du chômage. Quand apparaissent autant de panneaux «  on recrute » que de mendiants, nous pouvons nous interroger.
Pourtant les réponses ne se trouvent pas exclusivement dans les prospectus des Centres d’Information et d’Orientation. Est-ce que des perspectives se dessinent pour les jeunes, objets de toutes les bienveillances quand il était question de teufs, mais peu coachés quand il s’agit de travailler à l’école pour envisager un job futur ?
Chez les « milléniaux »comme chez les « boomers », la posture de victime est tellement gratifiante qu’elle remplace la réalité : les suédois sont sûrement plus stressés que les burkinabés.
Les passions nationalistes s’exacerbent alors que chaque habitant de la planète dépend surtout d’entreprises transfrontalières : les Polonais de Pologne twittent. 
« Le rideau de velours de la culture a remplacé le rideau de fer de l'idéologie »S. Huntington
Les ardeurs religieuses sont impulsées par les plus intégristes, alors que l’incroyance progresse : en des temps de querelles byzantines, les mouches se faisaient sodomiser mais depuis les enfants de chœur n’ont plus le cœur à rire.  
Quand un mouvement apparaît, les commentateurs peuvent se montrer zélés surtout lorsqu'ils ont été longs à la détente; ils en deviennent complètement verts et mono maniaques. Mais aucune leçon n'a été tirée sur l’extinction des « Nuits Debouts », ni sur la décoloration des gilets jaunes, quant à la nécessité d’une réanimation pour les opposants au pass sanitaire, nous attendrons.
Récemment, je ne me suis pas senti à la hauteur pour rédiger un compte-rendu d’une conférence concernant les algorithmes, submergé par les « paradigmes » et autres « socialités » qui surnagent dans les soupes de l'enseignement supérieur. A l'image des commentaires autour de l’art contemporain uniquement descriptifs pour combler un vide créatif, je n’en suis ressorti qu’avec des réflexions dignes des cafés du commerce désormais désertés. 
Même si lors des étapes d’une « gouvernabilité algorithmique » entre la récolte des données, leur traitement et le passage à l’action, nos possibilités de devenir « sujet du processus » s’appauvrissent. 
La formule est heureuse quand on peut dire que « nous nous sommes abandonnés aux données ». Mais il y a d’autres issues que la tricherie pour faire valoir nos subjectivités, et d’autres modèles que celui de la ZAD suggéré par un fonctionnaire de l’Université pour aller vers un public plus large que celui déjà assez clairsemé d’une salle de spectacles. 
Il faudrait réhabiliter l’enseignement scientifique, réenchanter une culture technique après avoir tapé « Y a qu’à » sur mon moteur de recherche. 
Tout le monde n’est pas Turing, casseur de codes, ni Edward Manning devenu Chelsea Manning qui a révélé des documents secrets de l’armée américaine, héros évoqués par un metteur en scène pour réintroduire quelque peu de « corporalité » parmi tous ces chiffrages. 
Etranges et fascinants espaces où « on ne sait pas toujours où l’on va ». Dans la boite déjà bien garnie avec des idées on ne peut plus banales, m’a paru dérisoire un plaidoyer pour tendre vers plus de «sobriété numérique » alors que sur la scène, par écran interposé, apparaissait un prof depuis Bruxelles. Son train avait été arrêté par un sanglier.

jeudi 14 octobre 2021

Autour de Jan Van Eyck. Gilbert Croué.

Un gros plan d’une agrafe sur le manteau de Dieu du « Retable de l'Agneau mystique » ouvrant la séance de la conférence des amis du musée de Grenoble a allumé d’emblée notre admiration envers le premier des premiers autrement dits primitifs flamands du XV ° siècle. Les points de brillance d’une minutie incroyable suivent la logique de l’éclairement et le cristal du sceptre stimule nos références perceptives.
Les Flandres allaient alors au-delà des frontières de la Belgique actuelle et entre 1400 et 1480 le Sud sous administration Bourguignonne est le plus prospère.
«Marché au vin» de Simon Bening. Les villes de Bruges, Gand, Bruxelles, Louvain, Tournai deviennent des places fortes artistiques à la suite d’un commerce florissant de tissus, céréales et harengs fumés.
Certaines villes se spécialisent au point que le mot italien « arrazzi » signifie tapisseries, depuis qu’elles provenaient d'Arras.
Le visage de l’ecclésiastique du tableau « La Vierge au chanoine Van der Paele » porte les traces de son âge et ses lunettes grossissent avec précision les caractères du livre qu’il tient. 
Il est présenté à la vierge par son patron saint Georges face à saint Donatien portant une roue avec cinq bougies lui ayant permis d’être sauvé d’une noyade dans le Tibre. Le petit Jésus tient un perroquet seul animal capable de dire : « Ave Maria !»
Le clergé n’est pas le seul client : « Les époux Arnolfini » a été commandé par le mari banquier passé par Lyon. Une seule bougie sur le lustre et un collier au mur offert lors d’une nouvelle naissance laissent deviner qu’un second enfant  s’apprête à venir au monde.
Le miroir sans tache est de la même pureté que Marie,
une sculpture au coin du lit représente sainte Marguerite la protectrice des accouchées s’extirpant d’un dragon
et les socques rappellent le geste de Moïse se déchaussant avant de pénétrer dans un espace sacré … le chien est fidèle.
« La Vierge du chancelier Rolin »
est pour le chancelier de Philippe Le Bon. Le riche politique n’est pas plus petit que Marie.
Les trois arcades (trinité) dominent le paysage d’une ville imaginaire où une croix rappellerait la fin tragique de « Jean sans peur » jadis assassiné sur le pont de Montereau.
Une époque nouvelle s’ouvre « Le reliquaire de sainte Odile » date de 1292. Si le climat n’incite pas à la fresque, les peintures sont réservées aux retables portables à la mode italienne et aux livres à enluminer par les « ymagiers ». Les tapisseries sont prisées et les sculptures durables prestigieuses.
« Le tombeau de Philippe le Hardi » est taillé dans l’albâtre de Vizille.
Le diptyque de « l’Annonciation » de Van Eyck tout en grisaille, trompe l’œil et ses statues, dont les reliefs ont pris moins de temps au pinceau qu’au burin, font leur effet.
Le retable remarquable de « L’agneau mystique » est composé d'un total de 24 panneaux où figurent 110 portraits ainsi que 42 espèces de plantes ( 75 selon d’autres sources).
Au sommet, apparaît Dieu sous une tiare, attribut religieux d’origine persane. Elle lui permet de porter trois couronnes, l’une représentant terre, ciel et l’enfer, l’autre les continents alors connus et enfin l’église souffrante, combattante, triomphante. Derrière lui, sur une tapisserie, des pélicans se sacrifient eux aussi en se rongeant les flancs. La luminosité du manteau provient d’une superposition de glacis commençant dans les jaunes et révélant les rouges d’une peinture à l’huile en ses brillants débuts.

Huit groupes, comme le nombre de jours avant la résurrection et comme les huit côtés des fonds baptismaux, convergent vers l’agneau innocent au pied duquel coule une fontaine octogonale.
Tout bruisse de symboles et les sites Internet ne manquent pas pour détailler ce sommet de l’art de la Renaissance en arrivant pour certains à solliciter quatre niveaux d’interprétation. Sur ce blog avait déjà été évoqué le trésor de la cathédrale Saint Bavon à Gand 
Ce chef d’œuvre admirable, d’une richesse et d’une fraicheur époustouflantes a été commencé par Hubert van Eyck, qui avait inscrit « maior quo nemo repertus » (meilleur que quiconque), et terminé par son frère Jan, l’un des premiers à signer ses tableaux.
Le portrait de sa femme « Margarete » nous évitera des jugements sans nuances sur la mode d’aujourd’hui.
S
on autoportrait, «  L’Homme au turban rouge », nous renseigne sur sa physionomie, bien qu’assez peu d’éléments de sa vie nous soient parvenus.Philippe le Bon, duc de Bourgogne lui offrit une rente.« Nous ne trouverions point son pareil à notre gré, ni si excellent en son art et science ».

mercredi 13 octobre 2021

Chalons sur Saône #1

Départ de notre voyage de juillet 2021. Comme rien ne nous presse, sur de petites routes tranquilles, nous pouvons nous arrêter lorsque se présente un village pittoresque :
c’est le cas de SAINT-TRIVIERS-DE-COURTES composé de vieilles maisons à colombages mêlant bois et briques aux cheminées sarrasines; l'adjectif s'appliquant aussi à une belle tour octogonale au centre du village.
Dans la campagne bressane environnante, des habitations de même style apparaissent au milieu de terres agricoles.
Les traces des crues récentes ne manquent pas : plus nous nous rapprochons de TOURNUS, plus nous voyons des rivières sorties de leur lit noyant champs de maïs ou peupleraie, peinant à évacuer une terre trop gorgée d’eau malgré des conditions climatiques plus favorables.
En effet le beau temps attendu depuis plusieurs jours semble s’installer malgré un léger vent frisquet en matinée. Il nous incite à une petite déambulation dans la ville déserte.
Vacances, lundi jour férié ou fermetures définitives ?
En tout cas, la majorité des  commerces ont leur porte close et les restaurants ouverts ne sont pas nombreux. Nous trouvons une table près de la mairie dans une brasserie où nous commandons des tagliatelles au saumon  arrosées d’une bière et suivies d’un café.
25 km nous séparent de CHALONS-sur- SAONE, nous les parcourons toujours par des routes secondaires. A 15h nous prenons possession d’un studio tranquille équipé d’une clim. Bien situé près du centre-ville, il nous offre l’avantage de pouvoir circuler à pied. Nous commençons par une visite à l’Office du tourisme près de la Saône.
La rivière submerge les quais, les marches, les bancs et pontons,
elle s’écoule avec un débit important devant une statue dédiée à Nicéphore Niepce suffisamment en hauteur pour être épargnée par les eaux.
Au départ du circuit proposé, nous trouvons  le musée Niepce (entrée gratuite) qui a en partie motivé notre venue à Chalon
A l’entrée, une chambre noire est installée et à disposition du public, elle permet de voir la personne présente derrière l’objectif la tête en bas.
Dans la même pièce, une machine interactive numérique donne accès aux collections du musée constituant une riche et une intéressante rétrospective de photos.
Nous pouvons ainsi balayer différentes époques et pays (colonies), visionner de vieux portraits datés et signés, retrouver des clichés célèbres, des témoignages du temps qui passe…
Dans d’autres salles sont entreposés quelques appareils anciens, des plaques de cuivres, des tirages plus ou moins visibles.
Des explications sont fournies à travers une vidéo pédagogique.
Une exposition temporaire regroupe le travail d’un collectif du nom de  « tendance floue ». 
Le choix du titre  « Azimut », une marche photographique, renvoie à la traduction du mot d’origine arabe qui signifie le chemin. Des textes sans intérêt accompagnent des images banales et forment un ensemble
nombriliste peu passionnant à notre goût.  
Quant au musée il se découvre sous une lumière assez faible et artificielle nécessaire pour protéger des héliogravures et des daguerréotypes si fragiles que certains sont menacés de l’effacement total. Des planchers qui craquent et des lourdes poutres apparentes participent au charme du lieu pas forcément incontournable.