jeudi 2 novembre 2023

Le verre & ses multiples facettes. Serge Bramly.

Par le prisme du verre au cours de l’histoire de l’art, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble, nous invite à « réfléchir » à l’histoire de notre civilisation.Tellement présent et transparent qu’on ne le voit plus. « Les oiseaux de nuit »Hopper. Pas de Vulcain, ni de mythe, de récit pour évoquer la source des transparences et des reflets, issue de la rencontre du sable et du feu.
Des orfèvres, 4000 ans avant notre ère, incrustaient sur le « Sarcophage de Toutankhamon » des lignes bleues qui n’étaient pas du lapis-lazuli.
Après avoir été moulé, soufflé, ses usages sont devenus innombrables à l’époque romaine, maintenant qu’il est transparent, 200 ans avant JC, « Coupe de Lycurgue».
A Pompéi, «  Nature morte aux Pêches et à la cruche en verre » trompe l’œil,
comme « Le vieillard regardant par la fenêtre » de Samuel van Hoogstraten en 1653.
A comparer un portrait du japonais Utamaro : « Fleurs d'Edo » de la même époque que
« 
Madame Juliette Récamier » de Jacques Louis David, il est clair que les autres continents n’ont travaillé ni le réalisme ni la perspective, préoccupation datant chez nous de la Renaissance.
« Tombe de Nebamon – Jardins »
égyptienne
et « Chasseurs dans la neige» flamands. 
En Chine, les arts étaient liés à la poésie, en Inde à la danse, en occident à la science.
Dürer
utilisait un « perspectographe » et Vermeer, une chambre noire,
le premier plan de « La dentelière » est flou. 
Les tesselles des mosaïques du sud, étymologiquement « consacrées aux muses », peuvent être en verre, accompagnées d’or au « Baptistère Saint-Jean-Baptiste », à Florence, la lumière devient divine.
Au nord de l’Europe ce sont les vitraux qui font des musées de verre, « La sainte chapelle ».
Comme la lumière traverse le verre sans le casser, l’esprit saint a laissé vierge Marie.
Dans l’ « Annonciation » de Memling, à la peinture à l’eau, la burette est bouchée,
comme chez Van der Weyden, à l’huile.
Dans la tentation de Saint Antoine « Triptyque » de Grunwald, un démon blasphème en cassant les carreaux, la lumière de l’extérieur n’étant plus transfigurée en ce lieu sacré.
Au moyen âge, dans le « Roman d’Alexandre » 
la science fiction amène le verre à devenir un instrument d’investigation.
Et bientôt il n'y a plus de limite à la lecture, grâce aux bésicles.  
« Saint Jérôme » un des patrons des opticiens, d’ Hendrik Bloemaert.
L’urinal a pu symboliser la médecine médiévale 
« Livre des propriétés des choses » de Barthélemy l'Anglais
Rogier van der Weyden a utilisé un miroir pour se peindre en « Saint Luc dessinant la Vierge » le patron des peintres, « miroirs intelligents », qui comme Dieu peuvent tout représenter.
« Auto portrait »
Parmigianino
. Le miroir est un luxe.

Le verre fragile figure en bonne place dans « Vanité » de Philippe de Champaigne.
Omniprésent dans « Le jardin des délices » 
où sont répertoriés les péchés qui conduisent à l’enfer,
il recouvre une terre (plate) lorsque le triptyque de Bosch est refermé.
Dans le « Triptyque de Merode » de
Robert Campin, les carreaux de la maison luxueuse sont dans la partie haute des fenêtres, mais l’artisan n’a pas de vitrage, le château de Chambord n’en avait pas non plus.
Le papier est huilé dans «  La vocation de Mathieu » du Caravage.
Avec le « show room » de la « Galerie des glaces » à Versailles, Colbert a ruiné Venise en employant des artisans de Murano, le verre devenant le grand ordonnateur de la symétrie et de  l’harmonie.
Dévoyé en verroteries destinées aux colonies, il triomphe lors de la première exposition universelle en 1852 au « Cristal palace ».
Alors que les fenêtres étaient en papier au Japon jusqu’en 1907, 
Asahi est devenue la plus grande entreprise verrière au monde.
Avec « Fresh Widow »
« veuve effrontée » jouant avec « French Window » fenêtre bouchée de cuir de Duchamp, encore lui, signe la fin du « Paragone » (comparaison) mettant en concurrence peinture et sculpture.
La querelle était déjà bien défraichie depuis qu’un miroir a permis  le recto/verso,
« La vieille coquette » Bernado Strozzi.
Magritte, explicite et énigmatique à la fois, explose la barrière du réel et de sa représentation dans « La clef des champs »
et la baie vitrée du « Western Motel » d’ Edward Hopper est invisible. 
« Dans la vie, rien n'est vrai rien n'est faux, chaque chose a la couleur du verre à travers lequel on la regarde. » anonyme

mercredi 1 novembre 2023

Dijon.

Retour dans la ville qui fut au XV° siècle  capitale d’un duché qui allait jusqu’aux Pays -Bas
Au pays de la moutarde et du pain d’épices, 
les restaurants abondent qui ne proposent pas que des hamburgers.
Une Cité internationale de la gastronomie et du vin y est installée.
Nous sommes d’emblée dans le sujet en nous garant à côté d’une des cent églises de la cité : Saint Philibert, désormais désaffectée.
Le maire et les échevins étaient investis au Moyen Âge, devant le porche, où embauchaient aussi les vignerons qui représentaient alors le quart de la population.
Les halles du XIX° sont métalliques comme nombre d’entre elles dans beaucoup de villes de France, mais pas toujours aussi pourvues en pâtés croutes à faire collapser quelques malheureux végans qui s’y aventureraient. 
Dans l'ancien palais ducal, le musée des Beaux-Arts , un des plus anciens de France,
présente de magnifiques « portraits du Fayoun »
chefs d’œuvres de l’art copte du  troisième siècle.
Nous ne nous attardons pas devant tant d’autres sculptures et tableaux remarquables
pour admirer les cénotaphes de Philippe le Hardi, 
ceux de son épouse Marguerite de Bavière et de son fils Jean sans peur
et surtout les 47 « pleurants » aux expressions variées.
Les maisons à colombages ne manquent pas,
la plus remarquable  est  « La maison aux trois visages » rue de la Liberté.
Le grand théâtre date du XIX° siècle,
alors que le théâtre Dijon-Bourgogne place Bossuet est installé en l’église saint Jean dite « parvis Saint-Jean ».
Les alentours du palais de justice sont proprets 
et dignes du classement à l’UNESCO de tout le centre ville exempt de tags.
Une pause s’imposait au jardin botanique de l’Arquebuse à côté du muséum.
Nous reviendrons faire un tour dans la capitale de la Bourgogne où nous avons appris un nouveau sens donné à « climat »:
« Terroir viticole: chaque climat est une parcelle de vigne qui possède son nom, son histoire, son goût et sa place dans la hiérarchie des crus. Ils sont plus de 1000 climats à se succéder sur un mince ruban courant de Dijon à Santenay, au sud de Beaune; certains répondant à des noms illustres comme Chambertin, Romanée-Conti, Clos de Vougeot, Montrachet, Corton, Musigny… »

mardi 31 octobre 2023

L’iris blanc. Fabcaro Didier Conrad.

Vicévertus, le médecin chef de l’armée de César est appelé pour soumettre un village qui toujours résiste aux romains. 
Inspiré de Granbienvoufas le philosophe grec, le beau parleur, va séduire le poissonnier en vantant « les senteurs apaisantes de ses poissons frais gorgés d’éléments essentiels » 
et le forgeron dont le son de l’enclume « facilite la circulation des énergies ».
Son verbiage compassionnel et manipulateur embobine également Bonemine
Avec lui, elle va rejoindre Paris en CGV (Char à grande vitesse) de la Société Nouvelle des Chars et du Foin. 
« Nous vous informons que nous circulons avec un retard de quinze sabliers suite à l’accident de sanglier d’hier sur la voie ». 
Lutèce, ses embouteillages, ses trottinettes et ses expositions d’art contemporain, ses bobos,
nous régalent. Astérix et Obélix vont à la recherche de la femme du chef Abraracourcix 
fort marri de ce départ. 
Elle reviendra au village avec ses bagarres salutaires un moment oubliées et son banquet pendant lequel Assurancetourix, le barde, retrouve sa place, entravé, après avoir bénéficié provisoirement de l’indulgence du village : 
« On s’était dit rendez vous dans Bysance ».
Le scénariste conserve les fondamentaux dont les allusions à l’actualité étaient une des composantes. 
Les enfants qui ont lu le premier album en 1964 ont vieilli et ont plaisir à retrouver un univers où les nombreux clins d’œil ont pris la place des découvertes, des surprises.  
C’est le quarantième album, je ne m’en lasse pas. 

lundi 30 octobre 2023

Linda veut du poulet par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach

C’est l’histoire d’une petite fille. Son père est mort quand Linda était bébé, quant à sa mère elle doit se débrouiller seule dans une maison mal entretenue depuis la mort de son père.
Linda aime beaucoup la bague de sa mère offerte pour son mariage.
Un jour, elle demande à sa maman si elle peut emmener la bague à l’école, celle-ci bien évidemment dit : non. À la fin de l’école Linda rentre et sa mère ne trouve pas la bague. 
Elle lui demande si c’est elle qui l’a volée, elle dit « non ». Sa mère ne la croit pas donc elle emmène Linda chez sa tante Astrid (le préjugé de la tante méchante).
Sa mère rentre chez elle et découvre sa bague dans le vomi de son chat. Elle accourt chez sa sœur et elle dit à Linda : « dit moi ce que tu veux pour me faire pardonner »
Linda répond : « JE VEUX DU POULET AU POIVRON ! » 
J’ai beaucoup aimé ce film de mémoire et d’amitié car il y a beaucoup de retournements de situation.Nino Chassigneux 10 ans …………………………………………………………………………………
Film à la fois réaliste et poétique, abordant les sujets du deuil et de la mémoire, et traitant le monde de l’enfance avec une justesse rare.
Une petite fille a fait promettre à sa mère un poulet aux poivrons, mais tous les magasins sont fermés et une fois le promis à la casserole bien vivant trouvé, il va falloir le sacrifier d’où poursuites, dans un environnement peuplé de personnages drôles, sensibles, solidaires. 
Des blessés de la vie se débrouillent au pied des grands ensembles, dans un contexte de grèves. 
De petites filles joyeuses, insufflent une belle énergie à cette heure et quart dont il ne faut pas manquer le début pudique, subtil qui donne le ton avec profusion d’inventions graphiques, étonnantes, touchantes, lyriques dans les moments chantés.
Comme le titre énigmatique le laisse entendre, la fantaisie, l’originalité sont au rendez-vous.
Le prix du festival d’Annecy vaut bien certaines palmes cannoises.

dimanche 29 octobre 2023

Hors-piste. Martin Fourcade.

Je connaissais le nom de l’athlète le plus médaillé aux jeux olympiques et entre hepta, déca, tri…  je savais que le biathlon c’était ski de fond et tir, mais pas plus.
Curieux de voir la prestation sur scène du catalan de Villard de Lans, monté sur d’autres planches, je suis sorti content  de la salle Lavaudan qui a déjà connu Brecht, Tchekhov…
Loin des one man shows agressifs, pousse aux rires, ce récit d’une carrière exigeante entre Vancouver, Pyeongchang, Sotchi, et Kontiolahti en Finlande ne concerne pas que les habitants du plateau du Vercors. 
Le gagneur jovial loin des vaincus vindicatifs connaitra d’autres plateaux, au théâtre du Rond Point à Paris par exemple.
Sincère, nous comprenons sa volonté d'être premier qui l’a conduit à des sacrifices, à des frictions avec son frère, modèle qu’il a dépassé. 
Quelques maladresses, des précipitations en rajoutent à la probité.
Une de ses petites filles lorsqu’il vient de prendre sa retraite au moment du confinement interrompt son repas : «  maintenant j’ai une maman et un papa ».
Il nous fait part sans insister du poids de médias quand la une de l’Equipe tellement espérée titre «  Samedi, Martin » il est tétanisé.
Il parsème de notations teintées d’auto-dérision des informations sur une discipline bien nommée et suscite l’admiration devant tant d’exigence de travail. 
Le méticuleux avait oublié ses munitions un jour et l’individualiste forcené a bien aimé les victoires en relais.  
Son énergie, son aptitude à la joie sont tellement communicatifs que la salle est debout au bout d’une heure et quart.

samedi 28 octobre 2023

Crépuscule. Philippe Claudel.

Conte glauque au temps des chevaux (harassés) aux confins Est de l’Europe où l’écriture nous accroche, avant que trop de noirceur des âmes accordée à la saison glaciale et aux paysages désolés, ne nous lasse.
La tempête : « … elle venait désormais buter et tournoyer dans le cul-de-sac du plateau dominé par de faibles crêtes sous lesquelles la ville s’était construite depuis longtemps. On aurait cru un fauve piégé, tournant en rond dans le treillis de fer au point de se mordre la queue. »
Un curé vient d’être tué, dans une bourgade perdue « au rectum de l’Univers », alors les dirigeants de « l’Empire » vont manipuler la populace pour exterminer la paisible minorité musulmane.
Un des romans de ce président du Jury Goncourt traduit en bande dessinée convenait bien au genre avec gueules effrayantes et contrastes appuyés. 
Mais trop de caricatures éloignent des nuances qui auraient rendu plus crédibles quelques lourdes correspondances avec des situations contemporaines, bien qu’une fine allusion aux réseaux sociaux d’avant les portables soit bienvenue.
Le méchant :  
« … cet avorton d’Evêque qu’on avait envoyé ici, à son corps blet sous l’habit, à son pauvre regard aux yeux dilués, à sa bouche décousue et baveuse. Son Dieu était-il à son image, cacochyme et impotent ? » 
Le bon :« Vous êtes un homme de religion, monsieur l’Iman, c’est à dire d’espérance et de foi. La vision que vous avez de l’homme est faussée par cela, et vous ne parvenez pas à croire que les brebis que vous avez en face de vous puissent se révéler, selon les heures et les circonstances, des hyènes sanguinaires. » 
Les richesses du style aux senteurs vigoureuses s’épanouissent sur le versant malpropre de la force, se dilapident dans des énumérations interminables qui faisaient sourire avec  San Antonio, mais tournent au procédé pour garnir les 507 pages.
L’odieux personnage principal invité à une chasse à l’ours, va se fournir au bazar qui vend 
« … des bassines en zinc […]… des pièges à fouine, à taupe, à vipère… » (20 lignes)
Il achète une pétoire ridicule et un costume risible : 
«…  un feutre noir, orné d’une plume d’émeu et d’un galon doré ayant appartenu à un officier de l’armée napoléonienne, disciple de Diane et grand coureur de femmes… »
Il devra se poster dans un lieu sinistre, le lac mort: 
«Ici la forêt avait abandonné la partie et ne laissait pousser au creux de l’immense cuve rocailleuse, où jadis les eaux d’un lac avaient dû mourir d’ennui et fini par s’évaporer, qu’une végétation basse, hirsute, broussailleuse, sale, qui mêlait les ronces, les aulnes courts et les charbonnettes. Des fougères brûlées par les gels aplatissaient leurs squelettes roux dans des brouets de neige ».
Des mots poétiques dans la bouche d’une petite fille misérable paraissent artificiels en milieu si fangeux :
«  Nous tournons le dos aux heures, aux hommes, à leur règles, à leur temps »
Finalement, en se dispensant d’être bon, le regard désabusé de l’auteur des « Ames grises », peut ne pas être émoussé: 
«  C’est sans doute là ce que certains hommes appellent le destin, terme pompeux qui sert à les grandir, ou la fatalité, autre vocable plus à même de les excuser. »

vendredi 27 octobre 2023

Où de vivants piliers. Régis Debray.

L’ancien guévariste désormais davantage mis en valeur par « Causeur » que par « Le Monde » est l’un des piliers d’une génération qui lisait. 
« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers. » 
Baudelaire
Mais plutôt que l’image imposante religieuse et statique de la colonne ou du poteau, les mots du vieux monsieur paraissent préférables pour présenter ce livre d’hommages :
« Fût-il en fin de carrière ou de vie, un cadet de l’art d’écrire ne saurait déménager à la cloche de bois sans régler ce qu’il doit aux grands aînés qui l’ont, à leur insu, incité à poursuivre ou à tenter de rebondir. Tous les écrivains abritent au fond de leur cœur des passagers plus ou moins clandestins, souvent de la génération précédente, qui font pour eux office d’incitateurs ou d’excitants.» 
Les 186 pages d’un auteur familier, dont j’attends toujours avec gourmandise la prochaine production, renouvellent le genre respectueux avec subtilité et humour.
De Julien Gracq,  
« quand l’époque est à l’hirsute, le rebelle est boutonné» 
à Céline : 
« D’être adoré de tous, il serait aujourd’hui bien embêté, notre béni-non-non, lui qui aimait tant être détesté de tous. Il nous cracherait son mépris à la gueule mais son glaviot serait encore, pour vous et moi, comme une décoration.»
 A propos de Mauriac : 
« Avec le fil à plomb d’une foi, le démon politique n’abime pas trop ceux qui peuvent 
« rompre avec ce monde tout en y combattant » quitte à courir du scoop à l’évangile aller-retour. »  
Entre Aragon, Cordier, Gary, Genevoix, Giono, Sartre ou Yourcenar, des digressions en de courts chapitres concernant le protocole, les voyages… sont délicieuses.
Je pioche au hasard tant chaque phrase allie le style, en principe de droite et les idées en principe de gauche: 
« Les gens de mon bord me rasent dès qu’ils prennent la parole, tant ils aiment faire la morale ; l’autre bord, plus déluré, me fait bicher malgré moi, tant qu’on ne parle pas des prochaines élections. »
« C’est Stendhal, l’homme France et non l’auteur de La Légende des siècles. 
Nos prétentions à l’épique, au lyrique, au légendaire ne sont plus de mise-sauf enflure et grandiloquence. »