vendredi 2 avril 2021

Déconfiture.

Les questionnements d’aujourd’hui rencontrent souvent la rhétorique de la décadence des civilisations avec surgissement des barbares à la fin de l’empire, les hirsutes remplaçant les glabres. Nous y sommes : barbe au menton chez tous les mâles et poils sous les bras chez leurs compagnes.
Mais les transitions ne se sont pas faites en un jour, bien des Goths et Francs avaient servi dans l’armée romaine. Dans les empilements d’images d’Epinal, tel Napoléon perçant sous Bonaparte, comment ne pas voir des signes avant coureurs d’un populisme qui enfle.
Des habitudes s’installent avec une banalisation des violences et une multiplication des boucs émissaires : Big pharma et Bill Gates se substituent au chef d’orchestre clandestin du temps de Marcellin. Des augures qui n’ont pas vu passer le FN de 3 à 30% envisagent la possibilité de l’arrivée du RN au pouvoir pour lequel les simplifications, le soupçon permanent et la brutalisation des débats déroulent le tapis.
L’histoire des batailles ne s’enseigne plus mais l’histoire est devenue aussi un champ de bataille. Les leçons à postériori abondent, les « faut qu’on » déboulonnent : Colbert a perdu des points pour son code et Victor H. aurait été vu avec sa maîtresse, une blanche !
Des formules aussi fécondes que « La guerre du Golfe n’a pas eu lieu » peuvent se décalquer pour s’excuser de ne pas voir l’extrême droite en maraude. Elle gagne du terrain quand est délivrée abondement l’étiquette infamante à toute évocation de la laïcité, du droit au blasphème, de la sécurité… Qu’ont dit du sort de Samuel Paty, les universitaires qui trouvent que la remise en cause des islamo-gauchistes est brutale ? Quand le nazisme pour certains commence avec l’exigence orthographique, il devient invisible, indicible, impensé. Les monte-en-l’air ont multiplié les portes blindées et les racisés régalent les racistes de toujours. 
« Quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt » : l’adage ne dispense pas les faiseurs d’opinion de toute critique. Alors que dans le reste du  monde la pandémie a rendu encore plus pénible la condition des femmes ne pouvant plus exercer leurs « petits » boulots, les féministes de chez nous s’occupent prioritairement de PPDA et de Pierre Ménès.
Chacun a son mot à dire sur tout, mais dans la vie réelle le dépassement de fonction est rare, il est remarqué en sport où tout devient si prévisible. Après avoir regretté les raideurs administratives et les blocages corporatistes, les vétérinaires participant à la vaccination inspirent les humoristes. Mon grand-père maréchal ferrant soignait les chevaux et le vétérinaire apportait des médicaments aux grands-mères dans les hameaux isolés. Maintenant dans la formation des magistrats, j’ai entendu la suggestion d’une cession pour leur apprendre à écouter les enfants : quelque part il y a un boulot qui n’a pas été fait ou serions nous devenus si sourds ! Et mieux vaut en rire, quand il faut un stage aux producteurs de cinéma pour les sensibiliser au sexisme voire les rééduquer. 
Des tutoriels pour cuire un œuf à la coque ont sûrement été mis en ligne, est ce que le bon sens a droit au chapitre dans les ouvrages de développement personnel ? 
« Le bon sens est la chose au monde la mieux partagée : car chacun pense en être bien pourvu. » Descartes.

jeudi 1 avril 2021

Nouvelles complètes. Ernest Hemingway.

Des lettres ponctuent 78 nouvelle  en 1252 pages. Ce volume est impossible à lire sans faire des pauses entre chaque histoire intense mise en place dès les premières lignes, de Venise à Paris, des rivières du Wyoming aux neiges du Kilimandjaro, des défenses immenses d’éléphants aux cornes des taureaux, de guerre civile espagnole en pièges sanglants après le débarquement, de bars sombres en infinis océaniques …
Limpide et informé :  
« Le pré était humide de rosée et Nick voulait attraper des sauterelles comme appât avant que le soleil n'eût séché l'herbe. Il trouva beaucoup de belles sauterelles; elles se tenaient au pied des pousses d'herbe. Parfois elles étaient suspendues aux lames d'herbe. Elles étaient froides et mouillées par la rosée et étaient incapables de sauter avant que le soleil ne les eût séchées... »  
Corsé : 
« Quand vous avez eu la langue bien brûlée par de la lessive, le vin fait dans votre bouche le même effet que l’eau croupie, la moutarde a pour vous le même goût que de la graisse d’essieu » 
 Objectif :  
« Le grondement crépitant de l’artillerie dont les batteries étaient installées derrière nous et les coups sourds des explosions que suivait l’apparition de nuages de poussière jaune se gonflant en volutes. Mais nous étions juste un peu trop loin pour prendre un bon film. »
 Ses correspondances marquent sa confiance et sa rectitude : 
« Pour votre information dans les histoires concernant la guerre j’essaie d’en montrer tous les différents aspects, l’abordant lentement et honnêtement et l’examinant de plusieurs manières. Ne pensez donc jamais qu’une histoire représente mon point de vue car les choses sont plus compliquées que ça. » 
«  Trois de ces histoires sont trop terribles pour les écrire mais je m’efforce de les écrire très simplement et délicatement mais avec les vrais mots »  
De belles leçons d’apprentissage : 
« Nous pourrions aller au marché ensemble ou à un combat de coqs et ensuite chacun de nous écrirait ce qu'il a vu. Ce qui se passait et que tu as vu et qui est resté. Des choses comme les éleveurs qui ouvrent le bec de leur coq et leur soufflent dans la gorge quand l'arbitre les laisse les prendre et les manipuler, avant que le combat reprenne. Les petites choses. Pour voir ce que chacun de nous a vu. »

mercredi 31 mars 2021

Saint Quentin

N
ous retrouvons notre route vers Laon,
passons au pied de la montagne couronnée sans faire de halte et atteignons SAINT QUENTIN ( Aisne) vers 11h.
Nous laissons la voiture dans un parking souterrain sous la place de l’hôtel de ville,  avec des impressions déjà favorables sur la cité de Quentin de la Tour malgré une statue colorée et  peu raffinée dédiée à l’enfant du pays et plantée près de la Mairie.
Selon notre habitude, nous commençons par fréquenter l’Office du tourisme afin d’obtenir un plan et un circuit de l’art déco sur papier avec commentaires. Nous étudions tous ces documents  devant un café. Nous pouvons alors attaquer la visite, guidés par le petit fascicule :
Le premier bâtiment signalé est  la Criée municipale, investie actuellement par un traiteur.  De forme arrondie avec une marquise en béton armé, de couleur blanc et bleu,  elle a conservé son appellation sous fond jaune fané. 
Pour la dénicher, nous avons traversé une petite brocante et le marché où nous avons acheté  50 masques chirurgicaux pour 10 € (les mêmes qu’en parapharmacie).
Le circuit propose ensuite de passer par des rues dont l’intérêt provient  des bow-windows qui donnent du relief aux façades fraichement repeintes.
Nous arrivons ainsi à la basilique Sainte Thérèse de style gothique (ogival) toujours aussi impressionnant  par ses dimensions. 
Deux vitraux  art déco s’y font face,
au sol un labyrinthe de prières est prévu pour les pèlerins.
Puis nous découvrons le carrefour « les quatre vents » avec ses grands magasins. Le Seret est composé de vitres maintenues par une armature métallique, il est orné de mosaïques et est affublé d’une tour d’angle surmontée d’un dôme.  Une quincaillerie en briques et béton de 1935,  les magasins Devred en béton, pas loin, les anciennes  galeries Lafayette à l’abandon se disputent le reste du carrefour et  attirent eux aussi l’attention.
Les façades du bar de Lyon, de la poste, du Carillon (salle de spectacle) portent toutes les marques de l’art déco, sans tapage.
Nous passons par la  rue de la sellerie devant le conservatoire  reconstruit en 1929, associant briques, pignons du Nord, béton et bow-windows, il surpasse toute autre construction de la même époque présents dans cette rue.
Nous continuons  la rue de la sellerie qui devient rue d’Isle pour arriver à la gare.
Malheureusement, les salles signalées comme remarquables sont inaccessibles pour cause de Covid. 
Cependant grâce à la commerçante du kiosque à journaux qui nous file le tuyau, nous passons sur le quai et par un interstice de la porte tambour condamnée, nous avons un aperçu partiel de la magnifique décoration murale du buffet.
Ça a l’air somptueux !
Et nous repartons frustrés : les deux plus beaux intérieurs art déco de la ville, le buffet de la gare et l’intérieur des galeries Lafayette dorment à l’ombre loin des regards en attendant des jours plus fastes….
Sur le chemin du retour nous bifurquons  rue Voltaire, jetons un œil aux ex bains douches municipaux disparaissant sous la végétation du jardin.
Nous avons  interrompu le circuit pour déjeuner à L’Edito place de l’hôtel de ville, d’un filet de julienne sauce champagne/ riz ou fagotti au jambon cru et origan suivi d’un café.

mardi 30 mars 2021

Garder le cap. Sempé.

J’aurai pu mettre une brassée de liens vers de multiples articles
à propos de Jean Jacques Sempé.
Mais en recevant ce cadeau annuel, si j’ai eu une certaine crainte d’être blasé, ce léger doute a rendu encore plus vif mon plaisir.
Il n’y a rien de meilleur !
J'aurais pu me laisser influencer par ceux qui le trouvaient un peu désuet mais outre que des silhouettes de jeunes femmes «  de la diversité » apparaissent, comme la barbe de quelque hipster, voire un psychanalyste avec des piercings, ces mémères se disant un peu « chipotées » devant des toiles immenses aux vagins monstrueux sont intemporelles, universelles. 
Nous sommes aussi un de ces propriétaires qui voient un noir voilier en détresse juste devant leur paisible terrasse, ou ce promeneur confiant à son collègue : 
«  J’avais trouvé, moi, un modèle de société vraiment idéale, mais j’ai abandonné l’idée : il n’y avait pas de place pour moi. » 
Depuis la préhistoire avec le père qui reproche un zéro en histoire à son fils alors qu’ « elle vient de commencer ! » jusqu’aux voisins d’un lotissement où tous les angles sont droits et propres s’extasiant devant une vieille brouette déglinguée, nous révisons toutes les époques avec de surcroit un groupe de comédiens en habits XVIII° sur une île déserte qui rassurent leurs sauveteurs : 
« Nous donnions une représentation quand le paquebot à échoué. » 
La tentation  est grande de tout raconter mais autour d’une table immense, dans une église solennelle, au bord d’une piscine, à un passage pour piétons, dans un entrepôt ou un bureau, une galerie, une bibliothèque, ou perdu dans un paysage grandiose, le nonagénaire réinvente le monde et nous console d’être si petits et si forts, si drôles
.……
Mon voisin Hubert réalise des mandalas en plastique, il recycle les « bouchons d’amour » après avoir commencé ses patientes et éphémères constructions avec du sable.  Il œuvre sans relâche pour l’association : Bouchons Solidarité Environnement.

lundi 29 mars 2021

Le samouraï. Jean Pierre Melville.

La forme peut envoyer par le fond : ce polar est tellement stylé qu’il en est figé, avec une accumulation de clichés qui le range parait-il dans la catégorie des films culte.
Le scénario cultive les invraisemblances avec Alain Delon en tueur à gages dont on ne voit que le chapeau soigneusement vissé et revissé et l’imperméable. Le mutique ne passe surtout pas inaperçu, il met les gants avant de prendre son révolver, alors que les gestes barrières ne s’imposaient pas dans le seul lieu où il ne devrait pas aller, s’il n'était pas suicidaire.
A quoi bon passer tout son temps à se forger un alibi et abuser ses poursuivants dans le métro pour revenir banalement sur les lieux du crime ?
Il faut que le charme des plans et de la lumière, la beauté des acteurs et des actrices soit forts pour que la nostalgie qui s’attache à ces années nous laisse regarder ces images en noir et blanc, finalement, sans déplaisir. 
A l’heure où le cinéma français célèbre Dupontel avec Masiero et compte ce film de 1967 parmi ses chefs d’œuvre, les borgnes au pays des aveuglements continuent à hanter les salles vides.

dimanche 28 mars 2021

Et toujours en été. Nino Ferrer.

Un coffret jaune pétant avec l’artiste en chemise cintrée et mèche à la Dutronc s’appuyant avec élégance sur le mot « best of » contient 3 CD.
24 chansons, 13 plages instrumentales, 23 reprises.
Les années 70 sont éternelles tels les diamants de chez ce Bond Fleming Ian.
En ces temps de portable, mon petit fils Nino, il était tout petit, épatait un passant en chantant à tue tête «  Gaston y a le téléfon qui son ».
Il n’y a pas qu’Aldebert comme "idole des jeunes" comme disaient ceux qui savaient ce que SLC voulait dire 
Sous de telles couleurs vives, les souvenirs de drôles de paroles aux musiques enjouées viennent se superposer à l’annonce de sa dépression fatale de 98. 
« Les Cornichons », « Oh ! Hé ! Hein ! Bon ! », « Mirza » appartiennent au patrimoine qui relie les nostalgies des papous aux fantaisies pour minos.  
« On est parti, samedi, dans une grosse voiture,
Faire tous ensemble un grand pique-nique dans la nature,
En emportant des paniers, des bouteilles, des paquets,
Et la radio ! »
 La quête éternelle de l’amour : 
« Je cherche une petite fille » qui voudrait bien
Rester près de moi toute ma vie
Je l’ai cherchée longtemps, j’ai cru la voir souvent
 Mais ça ne se trouve pas facilement oh non ».
Se mettre dans une autre peau : « Je veux être noir » :
« S'il vous plait dit's moi comment vous faites,
Monsieur Charles, Monsieur King, Monsieur Brown 
Moi je fais de mon mieux pour chanter comme vous »
 Et même si un super marché s’installe pas loin de « La maison près de la fontaine » : 
«  C'n'est pas si mal 
Et c'est normal
C'est le progrès » 
« On dirait le Sud »: 
« Le temps dure longtemps 
Et la vie sûrement 
Plus d'un million d'années 
Et toujours en été. » 
C’est difficile pour les reprises de tenir la comparaison avec l’original à proximité, fussent elles interprétées par Arthur H ou Nilda Fernandez, ou vraiment revues comme avec Arno à la recherche déchirante de « Mirza ». Par exemple, entre original et copie même si Reggiani a la voix plus belle que celle de Boris Vian, je me suis mis à apprécier « Le déserteur » dans son jus initial. 
Manu Dibango, nous manque : «  Je veux être un noir »,
« Quand tu as compris que tu n’étais pas chargé de mission musicale parce que tu es africain, ça te libère. J’écoute aussi bien Rachmaninov que Duke Ellington. » 
Nous ne sommes pas dépaysés dans le CD sans paroles par des morceaux de « musique progressive » matinée de « rythm and blues », de « musiques noires », par le plus blond des italiens. 
L’auteur, compositeur s’appelait Agostino Ferrari.

samedi 27 mars 2021

Le royaume. Emmanuel Carrère.

L’opposition entre la pluralité des opinions permises par la diversité des livres contre l’étroitesse de La Vérité d’un seul Livre est toujours bienvenue. 
Et là au bout de 600 pages essentielles, l’écrivain érudit en recopiant les derniers mots de l’évangile de Jean permet d’entrevoir avec brio la richesse d’un seul Livre : 
« Jésus a fait encore beaucoup d’autres choses. Si on les écrivait toutes, il faudrait tellement de livres que le monde ne pourrait les contenir ».
D’une pratique de la messe quotidienne à la position d’agnostique, le cheminement intérieur de l’écrivain, ses rencontres, ses amitiés, rendent plus intense le récit de Paul et celui de Luc, de Jacques, entre Jérusalem et Rome, en Asie et en Grèce.
L’histoire des premières années du christianisme est passionnante, les interrogations sur notre condition humaine bien mises en perspective, peuvent émouvoir athée et chrétien : 
« Le christianisme était un organisme vivant. Sa croissance en a fait quelque chose d'absolument imprévisible, et c'est normal : qui voudrait qu'un enfant, si merveilleux soit-il, ne change pas ? Un enfant qui reste un enfant, c'est un enfant mort, ou au mieux retardé. Jésus était la petite enfance de cet organisme, Paul et l'Eglise des premiers siècles son adolescence rebelle et passionnée. Avec la conversion de Constantin commence la longue histoire de la chrétienté en Occident, soit une vie adulte et une carrière professionnelle faite de lourdes responsabilités, de grandes réussites, de pouvoirs immenses, de compromissions et de fautes qui font honte. Les Lumières et la modernité sonnent l'heure de la retraite. L'Eglise n'est plus aux affaires, elle a de toute évidence fait son temps et il est difficile de dire si son grand âge, dont nous sommes les témoins assez indifférents, tend plutôt au gâtisme hargneux ou à la sagesse lumineuse qu'on se souhaite, moi en tout cas, quand on pense à sa propre vieillesse. »
 La documentation très complète est rendue vivante par l’interrogation qui ne se relâche jamais de l’écrivain en train d’écrire et du croyant qui s’est défait de ses croyances.  
« La foi, c’est croire quelque chose dont on sait que ce n’est pas vrai. » Mark Twain