mardi 1 janvier 2019

L’almanach dauphinois 2019.

A côté de cette publication annuelle destinée aux vieux, autrefois nommée « Almanach du vieux dauphinois » dans son numéro 53, j’ai trouvé, en bonne place chez mon marchand de journaux, ce qui me semblait un plagiaire : « L’almanach du Dauphiné » mais ils sont tous deux édités par les éditions Arthéma sises à Annecy-le-Vieux.
Je garde ma préférence aux impressions en noir et blanc, de celui auquel je consacre ma chronique annuelle
alors que les couleurs années 60 du second me paraissent plus démodées en mettant les bulles du téléphérique en arrière plan d’un colporteur de pacotille au sourire commercial.
Je  vais « dépioter » plutôt la livraison 2019 de l’ancêtre pour qui «  ça va rien mal »,
c'est-à-dire bien.
Il y a toujours à apprendre:
- La Tronche anciennement Saint Fergus doit son nom  à une clairière créée par défrichement, elle avait été une des rares communes à avoir gardé son appellation  datant de la Convention.
- Et en avril, il est utile éventuellement, poétique aussi, de savoir que « la chaleur peut faire apparaître l’excellent pholiote du peuplier et sous les conifères, le dangereux cousin et sosie de la morille, le gyromitre. »
- Par contre, entre prévisions météorologiques et mouvements des astres, la maxime : «  Celui qui affirme ne rien savoir, en réalité en sait beaucoup » semble d’une grande évidence.
- Se souvenir du temps qu’il faisait l’an dernier n’alimentera pas seulement les conversations de moins en moins futiles concernant la pluie ou le beau temps.
- Dans les nouvelles de l’Isère, de la Drôme et  des Hautes-Alpes, entre le 1er juillet 2017 et le 30 juin 2018, le cachalot échoué sur les berges du lac de Savines se révéla être une installation artistique et pédagogique concernant les questions environnementales.
- Le reportage à L’Argentière-La Bessée dépasse la nostalgie, après que Pechiney se fut installé pour 80 ans dans ces deux villages traversés par la Durance dont l’énergie était nécessaire pour fabriquer de l’aluminium. Un certain monsieur Planche avait repéré le potentiel hydraulique de la Bessée  qui accueillait jusque là des relais de poste sur la route de l’Italie. A l'Argentière, des mines de plomb argentifère avaient été exploités depuis le X° siècle au dessus de la vallée du Fournel. Les deux communes sont unies depuis 1791. Une maison des compagnons du devoir accueille aujourd’hui des apprentis en menuiserie, charpente et plomberie chauffage. La porte d’entrée du parc national des Ecrins, voit passer les amateurs d’escalade, spécialement ceux qui aiment les cascades de glace. Le centre régional de formation canoë-kayak s’est installé dans la bourgade de 2500 habitants.
- En 2018, un dauphinois se rappelle du premier concert de Johnny à Grenoble.
- En 2019, ce sera la 800 ème Foire de Beaucroissant ; le chiffre des 800 000 visiteurs habituels sera peut être dépassé.
- Si des traditions ont gagné en vigueur comme les cousinades et en ampleur comme la célébration des centenaires, les « Bœufs de Pâques » se font rares et si « l’arbre de Mai » est toujours érigé à Montségur-sur-Lauzon, c’est une exception. La loterie Pierrot a fermé boutique dans les foires et les batteries-fanfares doivent s’adapter pour ne pas disparaître. A Romans, est bien vivant le groupe folklorique « Empi et Riaume » ainsi que disaient les bateliers sur le Rhône, dont la rive gauche appartenait à l’empire romain germanique, alors que de l’autre côté était le royaume de France.
- Les frigos collectifs ont une allure folklorique en continuant à fonctionner à Châbons, et la distillerie historique des liqueurs de Chartreuse a déménagé.
- « Le docteur on l’appelait quand on allait mourir », à l’époque où les médecins de campagne, ne manquaient pourtant ni de travail ni d’abnégation.
- La Société Dauphinoise de Secours en montagne a rendu bien des services avant que l’état ne professionnalise leur activité ; elle accompagne désormais des handicapés en montagne.
Cette année le coucou, la raiponce, la pomme reinette de Brive sont à l’honneur, et les chansons sont toujours au rendez-vous :
« Bras dessus dessous, nous irons
Nous promener dans les prairies
Et dans le bois des environs.
Nous reviendrons par la venelle
Où neige la fleur des sureaux
Dont la sauvage odeur se mêle
Avec l’odeur des foins nouveaux »
- Le récit en patois est incontournable :
« Lou chien filave se cuchi dien la grange, no ne l’an pas revia on moment. To pa on ka, la Fine appelave : « L’é miezo, no va mieji, yé to preste. »
« Le chien a filé se coucher dans la grange, nous ne l’avons pas revu pendant un moment. Tout à coup, Joséphine appelle : « il est midi, nous allons manger, c’est tout prêt. »
- Il ne faut pas confondre la « nya » de Dolomieu et la « familli » de la Mathésine : la famille.
- Fafois, toujours là, parle en € et roule au diesel :
« - Mais pourquoi dis-tu que l’augmentation de l’essence ne te gène pas ?
- Parce que moi, j’en prends toujours pour trente euros »
- Le conte « La Truite » met en présence « un meunier de poil et d’esprit aussi, et pas seulement de parlure, de tournure et de manières »  et un garde-pêche « jamais à court de ressources pour débusquer le resquilleur sans permis ou la truite trop brève d’un quart de pouce », ils se régalent, nous aussi.

dimanche 30 décembre 2018

Causerie musicale. Michel Fugain.

De cinq à sept, à l’heure du thé (dansant), je suis venu retrouver quelque « ver d’oreille » comme disent les Québécois, pour désigner une mélodie obsédante. C’est d‘ailleurs Fugain entouré de sa petite bande de trois musiciens et de sa femme chanteuse, qui  nous a appris l’expression en reprenant au rappel : «  C’est comme l’oiseau ».
Le mélodiste retrace sa carrière avec un humour qui éloigne la nostalgie, bien que :
« Finies les années guitares
Les années couleur d'espoir
Fini l'âge où tout est permis »
Alors que je craignais une pathétique étape d’une tournée de trop, je suis sorti de ces deux heures, ravi par ce spectacle chaleureux valorisant la chanson populaire.
« Un grand poème est l'âme d’un homme,  une grande chanson est l'âme d'un pays. »
Ce n’est pas le genre qu’aimait un journaliste du « Monde » quand il a reproduit l’extrait ci-dessous dans un article féroce pour illustrer sa détestation. Il ne sera pas condamné pour sa critique, mais pour avoir cité sans autorisation l’auteur qui avait été très affecté de tant de mépris.
« Par des chemins difficiles,
De la naissance au trou noir de l'oubli,
Ainsi va la vie
Attention tu n'as pas le droit
De manquer un instant de joie
Sois heureux jusqu'à en crever
Et pour l'âme immortelle, on verra si c'est vrai »
Celui qui a passé son enfance à Voreppe, nous raconte les aléas du métier : « Je n’aurai pas le temps » a du attendre sa reprise par un australien pour connaître le succès, et les intuitions, les fulgurances de ses auteurs qu’il met en valeur : Pierre Delanoë, Maurice Vidalin, Claude Lemesle et Brice Homs.
« Il rentrait chez lui, là-haut vers le brouillard
Elle descendait dans le midi, le midi »
A partir d’une idée autour de la route 66 américaine, cette romance avait trouvé son french public : l’autoroute avait remplacé « Nationale 7 ».
Bercé par « Le temps de cerises », et autre « Bandiera rossa »,  il avait créé « Le chiffon rouge » qui sonorisa les manifs, mais je ne connaissais pas sa chanson de colère contre les fanatismes religieux :
« Oh! les Très-hauts, là-haut, ça déconne !
C'est quoi tous ces chiens enragés-là ?
Oh! S'ils sont à l'image des hommes
Les Très-hauts, là-haut, sont tombés très bas
Les Très-hauts sont tombés très bas ! »  
Le chanteur solaire dont l’hommage au monde avait servi pour les jeux de Nagano
« Bravo, le vent
Qui fait danser les blés
Qui fait trembler les océans
Bravo pour le soleil
Et la colère du volcan
Bravo pour l'arc-en-ciel
Qui met de la joie dans le cœur d'un enfant »
Il a aussi des accents graves :
« Depuis le temps qu'elle fait le trou
De sa tanière grise
Là-bas, ici, partout
Au cœur de chacun de nous
Elle est l'enfant que la bêtise
A conçu avec l'ombre
La bête immonde »
Mais de toute façon :
« Pour oublier qu'il pleut sur tes vacances
Chante oui chante »

samedi 29 décembre 2018

Chéri tu m’écoutes ? Nicole De Buron.

Il y avait comme un plaisir régressif à ouvrir ce livre dont le titre se complète par la demande « et  …alors répète ce que je viens de dire… » lancée par une dame, sortie de la douche sous sa serviette rose roulée sur la tête, devant monsieur interloqué derrière son journal, comme du temps des pièces de boulevard.  
Une autre référence plus contemporaine aurait pu avoir l’allure svelte de dessinatrices de magazines féminins, Margaux  Motin
ou Pénélope Bagieux
mais c’est vers un plus vieux monde que nous sommes renvoyés ; le livre date de 98.
Des pièces de boulevard, je n’en ai pas vu depuis fort longtemps, il m’en reste cependant un tendre souvenir, réactivé par ce catalogue des situations amoureuses en milieu bourgeois, avec « Jour de France » du temps de Giscard : léger, factice, aimable et décati.
« Brigitte Bardot : avec quelle viande nourrit-elle ses chiens, ou sont-ils au régime végétarien? »
La grande famille avec bonne est élargie, cependant familière avec mamie coquette qui se remarie à Las Vegas et une narratrice qui consacre un chapitre entier aux défauts majeurs de son Homme dont un seul trait aurait pu être rédhibitoire, avant une conclusion aussi caricaturale que les scènes qui ont précédé, mais romantique.
La fille ainée se remarie avec grands tralalas, sans s’occuper de rien et le petit fils Attila est amoureux de sa maîtresse : le coup d’œil sur les amours dans ces années enfuies est panoramique et ne manque pas de pittoresque.
Une des relations d’une de ses filles : « expliqua un jour, en riant, qu'il gagnait sa vie, dans les moments difficiles, en écrivant.
- Vous écrivez quoi? avez-vous demandé, intéressée.
- Une lettre à mon père. »
Cette comédie m’a lassé parfois tout au long de ses 230 pages, mais elle révèle peut être plus de vérités que bien d’autres tentatives plus tortueuses de descriptions des relations sociales. «  Qui veut un cheval sans défaut doit aller à pied »
Sous le burlesque, les arrangements avec la réalité sont nécessaires, le ridicule masquant des solitudes tragiques.
« - Nos gamins ne nous écoutent pas.
- Remarque, on n’écoutait pas non plus nos parents.
- Oui, mais ils étaient cons !
- Peut être que nos enfants nous trouvent connes.
- Tu crois ? »
 «  Qui veut un cheval sans défaut doit aller à pied »

vendredi 28 décembre 2018

Etre ouvrier en Isère. XVIII°- XXI° siècle.

Récemment l’occasion m’a été donnée de lire la publication du musée dauphinois qui accompagnait une exposition présentée il y a déjà dix ans.
L’ouvrage collectif présente chronologiquement l’évolution de la condition ouvrière à partir d’études depuis des lieux très divers comme il se doit dans un département qui va du Rhône aux Alpes.
Ainsi les tailleurs de pierres à Montalieu dans le Nord Isère illustrent le passage du statut d’artisan à ouvrier au XVIII° siècle alors que la pluriactivité était la règle dans les montagnes de l' Oisans :
paysan l’été, colporteur ou mineur l’hiver.
La fabrication des toiles du côté de Voiron occupait les familles paysannes, pendant que les peigneurs de chanvre au début du XIX° siècle en milieu urbain se devaient d’être mobiles.
Au XIX° siècle, Vienne, où se tissaient les draps Renaissance fabriqués à partir de chiffons mélangés à de la laine, était « un centre révolutionnaire redoutable ».
Le tissage de la soie débordait « à partir de la matrice lyonnaise » dans le bas Dauphiné et les activités papetières du Grésivaudan à Rives se développaient depuis 57 établissements.
Les vagabonds, venant en particulier de la région parisienne avec la fin des travaux haussmanniens furent attirés dans la région. La France traversait une crise importante,  mais la «  houille blanche » a permis le renouvellement de l’industrie dans la chimie ou les cimenteries.
Tandis que 55 grèves de 1870 à 1914 ont agité Voiron, les syndicats regroupant en particulier les femmes se sont multipliés. Elles travaillaient jusqu’à 60 heures par semaine, pour 1,60 Franc par jour contre 2 Francs pour les hommes et 0,90 Franc pour les jeunes filles. Certaines logeaient dans les « usines pensionnats » où s’exerçait fortement l’influence de l’église.
Les conditions de vie et de travail des ouvriers de la Viscose pendant la seconde guerre mondiale étaient dantesques : tuberculose,  saturnisme, dénutrition. Sur 288 accidents du travail en 1944, 78 ont été dus à des glissade sur le sol détrempé des ateliers. Le manque de gants en caoutchouc provoquait des lésions cutanées.
Chez Neyrpic, les braseros sont remplacés en 1948 par des équipements plus efficaces. Dans ces années là l’entreprise déclarait une trentaine d’accidents du travail par mois.
Les témoignages sont trop rares à mon goût, comme celui de cet ouvrier  de la rive gauche de l’Isère :
« Je regrette l’ambiance des petits bals parce que ça permettait aux gens qui ne dansaient pas de sortir, de s’asseoir »  
ou ce souvenir ambiguë des cantonnements d’étrangers à Salaise-sur-Sanne :
« Moi les cantonnements, je suis fier d’y avoir vécu, ça m’a construit. Mais certains ne veulent pas en parler, ils considèrent qu’ils ont réussi. »
La classe ouvrière n’est pas uniforme et les travailleurs algériens sur les chantiers étaient relégués. Pourtant des acquis sont arrachés en 36 par l’action des syndicats et les compétences sont mieux reconnues, favorisées par les écoles professionnelles ou d’entreprises, les cours du soir.
La mise en place des comités d’entreprise institutionnalise une citoyenneté ouvrière qui dépasse le paternalisme à l’œuvre par exemple dans « Le trait d’union », journal d’entreprise  édité dans l’entre deux guerres.
Dans cet ouvrage à l’initiative d’un musée, il n’est pas étonnant que soient évoqués les mouchoirs commémoratifs de Bourgoin qui servaient en particulier à essuyer les boules lors des tournois. Une dernière création représente un pompier qui embrasse la « Fanny » dont un baiser sur ses fesses nues était réservé aux perdants. Le responsable du musée matheysin met en valeur les oeuvres des mineurs qui se sont multipliées depuis qu’ils sont à la retraite.
Vers la fin de ces 168 pages, la synthèse est efficace qui relie tous les articles aux tonalités universitaires scrupuleuses qui alourdissent parfois le propos. Cependant la reprise d’une citation de Jean Paul Molinari, sociologue, peut dispenser d’un résumé.
« La classe ouvrière n’est plus ce qu’elle était à l’apogée de son nombre (1975) comme de sa puissance sociale, de même qu’elle n’est plus ce qu’elle avait été, dans le temps où l’illusion de son essence valait science de sa réalité et foi en son avenir. »