vendredi 25 avril 2025

L’heure des prédateurs. Guiliano Da Empoli.

J’ai lu comme un roman cet essai limpide de 150 pages qui vient à point nommé dans notre époque bouleversée.  
« Le grand dilemme qui a structuré la politique au XX° siècle est le rapport entre l’Etat et le marché : quelle part  de notre vie et du fonctionnement de notre société doit être sous le contrôle de l’état et quelle part doit être laissée au marché et à la société civile ?
Au XXI° siècle, le clivage décisif devient celui entre l’humain et la machine. »
Il est bien sûr question de Trump, 
«  un analphabète fonctionnel comme Trump peut atteindre une forme de génie dans sa capacité à résonner avec l'esprit du temps»
mais aussi de MBS, Mohammed Ben Salman le prince-héritier d'Arabie Saoudite, de Bukele, président du Salvador dans sa lutte contre les gangs :   
« Certains disent que nous avons emprisonné des milliers de personnes, 
la vérité est que nous en avons libéré des millions ».
Celui qui fut conseiller politique de Prodi n’ignore pas le pouvoir de séduction de ces dirigeants sans limites, ni les erreurs de leurs concurrents. Le compte-rendu d’une réunion de partisans d’Obama hors sol à propos du potager de la première dame inciterait au rire, il est tragique. La catastrophe démocratique largement engagée n’en est que plus effrayante. 
« Si, au milieu des années 2010, les Brexiters, Trump et Bolsonaro pouvaient apparaître comme un groupe d’outsiders, défiant l’ordre établi et adoptant une stratégie du chaos, comme le font les insurgés en guerre contre une puissance supérieure, 
aujourd'hui la situation s’ est inversée : le chaos n'est plus l’arme des rebelles, 
mais le sceau des dominants. » 
Au-delà de ces personnages caricaturaux, l’auteur du « Mage du Kremlin » met en garde contre l’Intelligence Artificielle et ses adorateurs Asperger de la même espèce prédatrice.  « MBS construit des enclaves où ne s'appliqueront que les lois de la tech, Bukele a adopté le bitcoin comme monnaie officielle de son pays, Milei envisage de bâtir des centrales nucléaires pour alimenter les serveurs de l'IA. De son côté, Trump a confié des pans entiers de son administration aux accélérationnistes les plus déchaînés de la Valley. »« Les ingénieurs de la Silicon Valley ont cessé depuis longtemps de programmer des ordinateurs, pour se transformer en programmateurs de comportements humains. »  
Pour un bon mot, Da Empoli, sans être un luddiste comme ceux qui s’opposèrent aux premières machine à tisser,  joue au modeste: 
« Il est vrai que je suis profondément incompétent en matière d’intelligence artificielle.
En revanche, fréquentant la politique, j’ai développé une certaine compétence en matière de stupidité naturelle. »
Ses références à Borgia modèle du « Prince » de Machiavel, à Shakespeare, à Kafka donnent de la profondeur à des informations qui habituellement nous noient sous leur profusion.   
« L'IA surgit comme une technologie borgienne, dont le pouvoir repose sur sa capacité à produire de la sidération »
« Il y a des phases dans l’histoire où les techniques défensives progressent plus vite que les techniques offensives. Ce sont des périodes où les guerres deviennent plus rares parce que le coût de l’attaque est plus élevé que celui de la défense. A d’autres moments, ce sont surtout les technologies offensives qui se développent. Ce sont des époques sanglantes où les guerres se multiplient, car attaquer coûte beaucoup moins cher que se défendre. »
Lecteur, parfois commentateur, je me sens si petit que je ne sais que picorer des formules, quelques remarques originales lorsqu’il note qu’en quarante ans chez les démocrates les vingt candidats à la présidence et à la vice-présidence étaient tous des avocats, sauf le dernier colistier de Kamala Harris. 
Le seul mot d’espoir serait dans le verbe « prétendre » de cette dernière citation :
« Si, en Occident, la première moitié du XX° siècle avait enseigné aux hommes politiques les vertus de la retenue, la disparition de la dernière génération issue de la guerre a permis le retour des démiurges qui réinventent la réalité et prétendent la façonner selon leurs désirs. »

1 commentaire:

  1. Des fois je me dis que la tentation de la formule, le "bon mot" finit par avoir raison de l'exigence de penser. Ici je remarque, comme ailleurs, la tentation d'employer le mot "prédateur" quand un autre mot me semble bien plus juste et approprié : le mot "pillage", car il s'agit de piller les ressources, les acquis. La prédation... c'est pour manger, et on doit du respect au prédateur dans l'exercice difficile de son quotidien, dans la mesure où il n'attrape pas facilement, souvent, contrairement à ce qu'on s'imagine. Le pillage, par contre, c'est une autre affaire... pendant longtemps, à des époques où les soldats partant en guerre n'avaient pas de salaire (un mot qui est en rapport avec la nécessité de nourrir et rémunérer les soldats, d'ailleurs), le pillage permettait de... SOLDER (autre mot en rapport avec l'exercice de l'activité du.. SOLDat) ce qui était dû à ceux qui partaient risquer leurs vies en renonçant provisoirement à leur liberté souveraine de citoyen (je pense à Rome, en tout cas) pour obéir aux ordres d'un général, d'un commandant, avec le risque d'une peine de mort pour désobéissance.
    Donc, non à "prédation", oui à "pillage".
    Pour l'Homme et la machine : cela fait très longtemps que je constate que mon prochain parle de lui-même en recourant à la métaphore de la machine. Mon prochain pense qu'il est (son corps, en tout cas) une machine. Qu'en dire ? Qu'on récolte ce qu'on sème ? Pendant longtemps j'essayais de relever auprès de mes prochains leur emploi du mot "machine" pour parler d'eux-mêmes, et la plupart du temps, ils me regardaient avec étonnement, tellement cela leur semblait acquis ? normal ?
    Pas pour moi, en tout cas. Je ne suis pas une machine. Il m'arrive de me tromper, mais j'ai constaté, au grand étonnement de mes prochains, que les machines se trompent aussi... si, si. Un tel constat devrait provoquer un peu d'inquiétude, d'interrogation, mais je vois qu'il n'en est rien, tellement nous avons affaire à une forme de croyance religieuse en la Machine, partout, en nous, etc.
    Pour la réalité, comme toujours, je suis très circonspecte, car j'estime ne pas savoir ce que c'est, tout en estimant aussi que mes prochains n'en savent pas plus, à mon avis.
    Quand on a fait ces observations, il devient possible de commencer à avoir un dialogue, une discussion, si tant est que c'est voulu en face.

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