samedi 1 avril 2023

Les sources. Marie-Hélène Lafon.

Retour dans le Cantal pour ma puissante et subtile Nobel à moi :
« le feulement de la Santoire qui monte jusqu'à elle dans l'air chaud et bleu » 
Le panorama des âpres collines, s’efface cette fois derrière l’intimité pudiquement et profondément décrite d’une femme humiliée, battue.
Une fois entré dans cet univers oppressant, je redoutais de reprendre la lecture de ces 118 pages intenses tant j'ai été bouleversé tout en étant irradié par la façon de raconter.
La maumariée rumine, et même les gestes du quotidien ne peuvent recouvrir un destin désespérant. 
« Les deux combinaisons, le chemisier, la jupe ; elle les dépose sur le dessus de la corbeille ; elle ne reconnait pas son corps que les trois enfants ont traversé ; elle ne sait pas ce qu'elle est devenue, elle est perdue dans les replis de son ventre couturé, haché par les cicatrices des trois césariennes. Ses bras, ses cuisses, ses mollets, et le reste. Saccagé ; son premier corps, le vrai, celui d'avant, est caché là-dedans, terré, tapi. Il dit, tu ressembles plus à rien. Il dit, tu pues, ça pue. Et il s'enfonce ».
Peut-on remercier l’auteure de nous faire partager si justement la pesante résignation de cette femme et son ressentiment ? 
Dès les premières pages, dont j'attends déjà les prochaines, nous sommes dans la cour : 
« Il dort sur le banc. Elle ne bouge pas, son corps est vissé sur la chaise, les filles et Gilles sont dans la cour. Ils sont sortis aussitôt après avoir mangé, ils savent qu’il ne faut pas faire de bruit quand il dort sur le banc. Claire a refermé derrière elle les deux portes, celle de la cuisine et celle du couloir. La table n’est pas débarrassée, elle s’en occupera plus tard, quand il aura fini la sieste. »
Une citation de Giono ouvre un récit où pas un mot n’est de trop ni pas assez.  
«  Le sanglier solitaire hume vers les fermes. Il connaît l’heure de la sieste. Il trotte un grand détour sous les frondaisons, puis de la corne la plus rapprochée, il s’élance.Le voilà. Il se vautre sur l’eau. La boue est sur son ventre. La fraîcheur le traverse d’outre en outre, de son ventre à son échine. Il mord la source. »
L’exercice de citation que je me contrains d’interrompre est pourtant utile pour s’imprégner de son style limpide qui permet de comprendre cette femme avec tous ses dilemmes. Il vaut mieux acheter (16, 50€) le livre pour prendre le temps de la lecture qui nous emmène encore plus loin dans la compréhension de notre humaine nature.

1 commentaire:

  1. Je lirai. Tu m'as donné envie, là, et ça touche à des sujets qui sont vitales. En vieillissant, le corps prend de plus en plus d'odeurs, et pas des plus ragoûtantes. Mais il vaut mieux qu'on se rappelle, qu'on puisse se rappeler sans trop de chichis que nous sommes promis à la mort avec... ses odeurs, et elle en a.
    Pour la boue... c'est un énorme plaisir civilisé d'aller au hammam et d'étaler de l'argile sur tout le corps comme un sanglier ? Un plaisir de passer ses doigts dans cette matière glissante et visqueuse. Peut-être un plaisir inavouable, mais un plaisir quand même.

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