samedi 11 mars 2023

Regain. Giono.

Comme une pierre qui délimite un champ, ce livre témoigne pour moi des étapes d’une vie qui se superposerait volontiers à l’histoire d’une époque voire à celle de notre condition humaine. 
« On est peu à peu arrivé à ce temps où l’hiver s’amollit comme un fruit malade. Jusqu’à présent, il était dur et vert et bien acide, et puis d’un coup le voilà tendre. » 
Adolescent, je fus emporté par le style foisonnant du résident de Manosque, puis gavé de trop d’adjectifs, je pris mes distances avec « la terre qui ne ment pas ». 
Je retrouve sur le tard cet ouvrage fort, autant par la manière que par le fond : un chasseur-cueilleur redevient agriculteur prenant le chemin inverse de ceux qui prônent en ce siècle 2.0, un retour au paléolithique d’avant la propriété capitaliste. 
« Ça a changé depuis la tombée du jour : une force souple et parfumée court dans la nuit. On dirait une jeune bête bien reposée. C’est tiède comme la vie sous le poil des bêtes, ça sent amer. Il renifle. Un peu comme l’aubépine. Ça vient du sud par bonds et on entend toute la terre qui en parle.Le vent du printemps ! » 
Un hymne à la nature et à l’homme tellement évident qu’il n’est pas besoin de surcharger de précautions oratoires ou d’allusions à d’anecdotiques verts vaseux.
Il suffit de reprendre des bribes pour dire le bonheur de la lecture à chaque phrase : 
« Les bords transparents du ciel s’appuient de tous les côtés dans l’herbe » 
« Un grand silence craquant comme une pastèque »… 
Les parfums de la Provence, les rudesses d’un temps passé, la confiance en la vie, jaillissent de chacune des 177 pages que l’on aurait envie de lancer comme grains de blé en bout de « geste auguste du semeur ». 
« Il a des chansons qui sont là, entassées dans sa gorge à presser ses dents. Et il serre les lèvres. C'est une joie dont il veut mâcher toute l'odeur et saliver longtemps le jus comme un mouton qui mange la saladelle du soir sur les collines. Il va, comme ça, jusqu'au moment où le beau silence s'est épaissi en lui, et autour de lui comme un pré. »

1 commentaire:

  1. Magnifique écriture, celle de Giono, et tu lui rends justice dans cette prose qui nous présente "Regain", et qui donne envie de croquer cette lecture. Merci.

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