Un jeune guide charmant nous prend en charge quelques heures pour nous conduire à l’aéroport et enregistrer nos bagages pour un vol sur les lignes intérieures. L’une d’entre nous a gardé son Opinel dans son bagage de cabine, elle est accompagnée au bureau d’enregistrement où on range l’arme dans une boite volumineuse qui voyagera dans la soute.
L’avion à hélice se pose au bout d’une heure sur le petit aéroport de Pleiku que nous avons atteint en crevant l’édredon des nuages. Une bruine insignifiante n’appelle pas la protection du parapluie à la descente de l’avion.
Notre nouvelle guide, madame Thien, parle un français très correct, son fils vit en France… elle connaît l’Ardèche. Nous pouvons vite embarquer dans notre voiture en direction de Kontum, à une trentaine de kilomètres de Pleiku. Nous sommes à 500 m d’altitude, l’air est frais. Nous arrivons chez les montagnards. Les rizières à perte de vue ont cédé la place aux caféiers, au manioc et au maïs. La route parfaitement rectiligne connait des travaux d’élargissement et un tronçon est à l’état de piste.
Le véhicule stoppe devant l’hôtel « Indochine » qui correspond à notre image d’un tel bâtiment dans un état socialiste : démesuré avec une décoration minimaliste et des finitions bâclées. Nous nous installons dans nos chambres de taille imposante, sans ibiscus ni pétale de rose. Nous déjeunons dans un restaurant modeste, en soulevant le couvercle des marmites qui cuisent sur le trottoir : porc aux vermicelles avec ce qu’il faut de piments. Pour la communication, le père s’efface devant son adolescente scolarisée.
Thien s’impatiente car le guide local obligatoire a une minute de retard. Elle nous fait part de sa conception assez rigide du correct et de l’incorrect. « Madame le colonel », c’est ainsi que l’appelait son ex mari, quand on lui a posé la question ce matin sur le service militaire, nous a répondu : trois ans pour les garçons et pour les filles : « ce sont des juments qui veulent devenir cheval ! »
Le guide local a des airs d’un professeur de notre connaissance et se débrouille très bien en français. Il commence son tour par l’église en bois de Kontum construite sur pilotis dans le style des maisons banhars: basse, en bois de fer avec nef et transept, elle est éclairée de nombreuses fenêtres de style gothique dont les vitres sont recouvertes de faux vitraux collés représentant des scènes bibliques naïves.
En voiture nous poussons un peu plus loin vers un premier village banhar. Nous découvrons d’abord une maison communale avec son élégant toit pentu en paille. On y accède par une « échelle Dogon ». A l’intérieur on peut voir le nouveau « génie » Ho Chi Minh, des photos de la rénovation du toit nécessaire tous les dix ans. C’est le lieu de tradition orale : il n’y a pas d’écrit chez les Banhars. Les vieux initient et conseillent les jeunes avant qu’ils fondent une famille de même quand on chuchote une formule magique dans l’oreille d’un bébé, c’est la vie qu’on lui insuffle. Nous traversons ce premier village très dispersé au milieu de la végétation envahissante sur des chemins voire des sentiers d’une terre rouge ravinée par la pluie. Des maisons reposent sur des pilotis avec l’avancée centrale protégée comme un balcon. Sous l’habitation, on peut voir des bêtes dans leur enclos, des outils, des motos appuyées contre des troncs d’arbre évidés, cercueils en attente d’utilisation. Les poules logent dans de petites constructions également sur pilotis telles des châteaux forts.
De pauvres habits sont suspendus sous l’avancée centrale. Les enfants jouent et rient sans excitation. Au point d’eau près de la route, les femmes et les enfants se lavent ou sont de corvée d’eau.
Le deuxième village Banhar, parmi les 650 recensés, est moins disséminé que le premier. Nous y voyons une jeune femme, dans son jardin, tisser une pièce avec beaucoup d’art, entourée de poteaux sculptés par son mari. De jeunes garçons et filles boivent de la bière et jouent de la guitare au bord de la rivière, échappant un moment aux occupations et traditions. Leurs ainés travaillent à la construction d’une église.
Le troisième village parait plus important en nombre d’habitants et d’animaux. Des cochons noirs de toutes tailles surgissent de partout, les poulets, les chiens courent entre les maisons. Nous nous pressons: c’est l’heure où les vaches reviennent des prés situés sur l’autre rive et traversent le fleuve à la nage, les enfants accrochés à leur queue. Les bêtes dérivent avec le courant et mettent pied sur la terre ferme à l’endroit prévu. Dans la lumière du soleil déclinant, c’est une image biblique. Elles doivent ensuite franchir un raidillon pénible, glissant et boueux. Avec nous, sur la rive qui domine, des enfants encouragent et dans le même temps se moquent des animaux dans la difficulté. Une vache glisse et se retrouve coincée sur le dos, les pattes en l’air, sans parvenir à se redresser, ce qui provoque les rires et les lazzis des gamins. L’un d’eux essaie de tirer la vache par la queue, puis la frappe à grands coups de pieds dans les flancs. La pauvre bête trouve enfin l’énergie et le bon mouvement pour se redresser ;
Nous dinons tôt, le restau du Routard s’avérant fermé, nous en trouvons un autre modeste, comme celui de ce matin. Bon bœuf ananas et noodles with vegetables. Il n’est que huit heures quand nous rentrons à l’hôtel.
Nous sommes passés de la côte touristique avec toutes les infrastructures et même plus, à l’intérieur, loin des passages. Notre hôtel « Indochine », seulement vieux de quatre ans, est en passe d’être vendu et sombre doucement vers l’abandon, il n’y a déjà plus de restaurant.
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