mercredi 18 février 2009

Histoire. Faire classe # 21

« Pourquoi notre mémoire est-elle devenue un Clémenceau, un porte-gloire désarmé, un encombrant à recycler, une impureté immorale et assassine, une périssoire ingouvernable qu’on aurait trop chargée et trop peu délestée ? » J.P. Rioux
L'irrésistible modernité ringardise le journal de la veille. Les gazettes se réduisent en objets pour cercles avertis de plus en plus restreints. L’info nous coule dessus en temps réel. En temps réel : si le temps devient réel, lui ; il semble que c’est la réalité qui prend des allures virtuelles.
Grand-père, pardon, Papy passe beaucoup de temps devant son ordinateur pour garnir l’arbre généalogique de la famille. L’arbre est joli, mais ne pousse-t-il pas dans des jardinets aux murs qui s’élèvent ?
Dans l’épais volume de nos histoires, de notre histoire, glissons quelques signets pour mieux percevoir les liens qui nous unissent à nos contemporains et aux morts, pour porter une lumière sur les objets de nos vies. Vivons l’humanité en ses jours de fête.
Comme un certain président qui avouait en direct ne pas comprendre un jeune, je n’ai pas accepté tranquillement que certains de mes spectateurs restent indifférents à mes efforts pour partager les charmes de l’histoire. J’ai eu souvent plus de chance avec les garçons dont les parents venaient du Maghreb qu’avec certaines petites filles maintenues au royaume de Barbie. L’histoire constitue l’épine dorsale qui va structurer le temps d’une année scolaire, le socle pour la créativité et les projets.
« Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. »
V. Hugo
J’ai privilégié cette matière parce qu’un prof me l’a donnée à aimer avec son humour et sa conviction. Les toujours assis verront flamberge au vent bien pathétique quand j’essaye de transmettre le passé afin de ne pas reproduire les comédies en tragédie, j‘essaye.
Des débats ont agité les chercheurs, rien n'est venu effleurer le terrain. Aucune conférence ni stage n'a porté sur le sujet.
Les hussards noirs ont cessé d'être invoqués au pied des marronniers de chaque rentrée. Pourtant la guerre des mémoires se déchaîne, les souffrances entrent en concurrence : difficile donc passionnant de poursuivre le récit d’une nation. Le passé colonial de la France, l’esclavage ressurgit. A défaut d’infléchir le présent, certains s’attardent à refaire le passé : c’est facile, oui, mais n’est ce pas un peu vrai ?
Depuis quelques années sur quatre pages concernant l’époque de Louis XIV, une était consacrée au commerce triangulaire et j’avais emprunté à Tardi une de ses planches pour ne pas ignorer que les tirailleurs sénégalais se battaient au premier rang dans les tranchées de la première guerre. Ces regards renouvelés sur notre passé honorent une culture vivante qui sait reconnaître ses erreurs. Ce n’est pas infamant pour le citoyen d’aujourd’hui ; par contre le refus de connaître, la négation de la raison, la perte de l’humour, l’enfouissement de l’esprit critique conduisent à la barbarie. Liberté de parole ; ah le beau temps des lumières ! Nous avons à mener ce combat aujourd’hui, malheureusement. Même si je me trouve dans la position de ces vieilles badernes qui suivaient le combat de leurs troupes à la jumelle du haut d’une colline : je n’exerce pas dans un lycée de banlieue où l’obscurantisme religieux pèse sur les cours. Il faut reprendre le mot laïcité qui a même servi à sa négation lorsque quelque débat fut recouvert sous un voile. Pépé, les calotins se sont remis à croasser !
Pour les méthodes, des enfants de dix ans ne peuvent réemprunter les chemins de « l’école des annales ». Ils manquent encore de culture pour interpréter des documents bruts, et ne peuvent aligner que des banalités. Certains manuels ne formulaient que des questions, aucune information. Leurs auteurs se font secouer en ce moment. Très bien !
Comme en chaque domaine, il convient de prendre connaissance de ce que savent les enfants, de la façon dont ils se représentent l’événement puis d’assumer l’enseignement frontal en n’hésitant pas à mettre en scène. L’incarnation n’a pas nuit à toutes les religions : dialogues de sans-culottes s’attelant aux cahiers de doléance, lettres de poilus… Un peu d’épopée que diable ! Avec moult anecdotes, l’histoire mythique et puis ne pas hésiter à situer les controverses : les représentations de la terre à géométries variables, les cités lacustres qui remontent sur les berges, Galilée … Ces exemples illustrent la notion de vérité d’un instant, vérité relative, ils introduisent la complexité.
Multiplier des entrées :
- courte séance de vidéo
- diapositives
- grandes gravures type Rossignol
- textes courts où s’expriment des points de vue divers concernant le même événement
- dessins humoristiques
- musiques : Marseillaise, Pauvre conscrit du Languedoc, l’Internationale, Bella ciao, Le chant des partisans, Le temps des cerises, Les canuts…
- livres documentaires pour approfondir dans un coin de la classe.
L’histoire ne se vit pas que dans les livres
- objets de brocante à manipuler : soldats de plomb, casques, masque à gaz, ticket de rationnement…
- maquettes : villa romaine, immeuble en coupe du XIX ième siècle, avion biplan…
Ces pièces figuraient dans le musée de la classe, elles auraient pu appartenir à un fond commun à l’école avec son squelette grandeur nature, sa collection de fossiles, ses kaléidoscopes - un cabinet des curiosités.
Concrétiser la durée :
- En guise de révision chacun apporte son dessin au thème négocié pour une bande de couleurs variées qui traversera la classe : de la « crèche » de Jésus aux tours jumelles. Chaque élève contribue à cette fresque chronologique, surtout pas achetée dans le commerce.
Les magazines pour enfants Milan ou Bayard presse proposent dans ce domaine des dessins simples et rigolos. Ainsi peut-on renouveler cette appropriation des icônes de l’histoire autour par exemple des inventions du XIX ième, que chacun présentera.
Les débats d’actualité donnent l’occasion de fixer quelques repères historiques. Si le journal très prisé dans les écoles, « Mon quotidien » pourvoit en infographies séduisantes entre Britney Speers et une vedette jetable de la Star Ac, il ne peut substituer l’aléatoire du jour le jour à la cohérence d’une progression magistrale. A l’issue de la scolarité, une heure dédiée chaque année au 11 novembre apparaît sans doute un peu lassant et la guerre de 14 hors de la continuité, un peu en l’air, anecdotique. De même, la révolution française tous les cent ans de la maternelle au C.M.2 s’inscrit dans une durée légèrement longuette.
L’histoire palpite dans les pierres, dans les paysages, dans les cœurs.
Les connaissances abordées dans les classes précédentes se révisent avec un parcours dans la ville pour saisir quelques traces du passé moyenâgeux, renaissance et royauté, le rapport de la province à l’état, la ville et ses remparts et au-delà, quelques noms de rue. Les promis du tourisme culturel surlignent au fur et à mesure leur trajet sur une carte et lèvent le nez au-dessus des boutiques de fringues.
Le voyage de fin d’année nous conduit en pèlerinage dans le Vercors : dans les cimetières, monuments autour de la résistance, un spécialiste nous déploie in situ quelques affiches de l’époque et des photos ainsi en abîme. A midi au pique-nique les enfants prennent le maquis. J’ai eu la chance de pouvoir faire appel à d’anciens résistants qui savaient user de beaucoup de pédagogie pour parler de leur jeunesse : de grands moments.

1 commentaire:

  1. Comme un fait étrange, certaines phrases restent gravées à jamais "Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre
    Des chevaux morts" mais encore faut-il les lire ou les entendre une fois.
    Cordialement

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