samedi 16 décembre 2023

Autour du monde. Laurent Mauvignier.

J’ai cru un moment à un exercice de style autour du tsunami de 2011 au Japon et puis j’ai été pris par la quinzaine d’histoires qui s’enchainent pendant 410 pages.
Elles s’interrompent pour démarrer au milieu d’une phrase passant de la Tanzanie à Rome, de Moscou à Paris, fondu-enchainés de nouvelles inachevées, garnis des désarrois, de rêves inaboutis d’hommes et de femmes souvent en voyage. 
« Quand on part si loin de chez soi, ce qu'on trouve parfois, 
derrière le masque du dépaysement, 
c'est l'arrière-pays mental de nos terreurs. » 
La littérature portée à ce degré d’acuité est un révélateur : 
« Même lui, face au spectacle d’un lever de soleil en pleine mer, est soudain moins banal. C’est comme si sa médiocrité révélait l’essence de quelque chose dont il serait un exemplaire parfait à défaut d’être unique - un homme gris, dans le matin gris, face à l’immensité. » 
Les personnages présentés souvent en recherche évoluent dans des mondes qui exaltent le plus souvent la beauté de notre terrible planète : 
« …alors elle se laisse porter au pays des merveilles et des songes éveillés - oui quelques jours d’un bleu léger et liquide comme la pureté de l’air, ce luxe facile et cette beauté devant elle, le lion de pierre, l’immense rampe sculptée dans le grand escalier et le détail de cette opulence, le silence moelleux d’une moquette épaisse d’un rouge profond… » 
Ce livre fort sans être accablant, grandiose et accessible, agile et chargé de toutes les nuances, émouvant et efficace, donne envie de tourner les pages au plus vite et de s’attarder.

vendredi 15 décembre 2023

Le niveau monte.

Les comportements les plus excessifs, même ceux que l’on déplore, nous influencent, 
ainsi je me retrouverais avec les complotistes qui adorent dénicher des liens entre les faits pour poser la question :
Y a-t-il une correspondance entre la montée de l’extrême droite et l’effondrement scolaire ?
Le RN a mis la main sur le drapeau tricolore et la laïcité. En face, des intolérants voudraient guider nos goûts et renvoient le mot travail à Pétain habillant toute objection de brunes chemises. La fille du détailleur était à la marche contre l’anti sémitisme et d’autres non.
Qui remet en cause la démocratie, qui discrédite le parlement ?
Les succès des « Onnouscachetout » naissent de l’inculture historique, du dédain de l’économie, de l’emprise de l’émotion sur la raison, de la haine des autres. Pourtant que de belles leçons, de beaux films, et tant de gentillesse chez nos conseillers pédagogiques.
Depuis tant d’années qu’on nous disait avec Baudelot et Establet, « le niveau monte » et il ne s’agissait pas du niveau des mers ! 
Avec PISA, nous avons pris fissa la pente descendante.
Cela n’influence guère les négationnistes de l’évaluation toujours mécontents du monde mais contents d’eux. J’utilisais l’encre rouge et considérais que l’erreur est féconde, on peut bien ne plus décerner des bonnets d’âne et aimer se situer, se connaître.
A tout dramatiser, on pourrait croire que le burn out s’inviterait dès la maternelle. 
Les notations se raréfient à l’école alors qu’elles deviennent omniprésentes dans la société : « balance ton prof », « note ton kiné ».  
Peut-on espérer que parmi tant de vaines paroles, celles qui disent la fin du «  pas de vagues » soient entendues ?
Parmi les mesures avancées, le recours au redoublement, peut signifier que chaque élève comprenne que l’investissement, le travail sont corrélés aux résultats. Cette mesure peut être utile s’il y a accord avec l’intéressé et la famille. Le brevet offert à tous n’est pour personne. 
L’illusion entretenue que tout le monde peut aller à la fac, comme si c’était un droit sans rapport avec les compétences, ne favorisera guère l’adhésion du désinvesti qui trouvera bien volontiers des compagnons de rigolade près des radiateurs, depuis qu’intello est devenu péjoratif. 
Les prudences d’emploi du mot « mérite » signent nos défaites françaises et la victoire des minables qui méprisent l’intelligence. Bien que discernement et culture soient dépréciés, le travail manuel n’est pas mieux considéré.
Peut-on parler de postes à faire miroiter, de métiers enviables, quand les loisirs dictent les calendriers ? Mais proposer de chauffer un siège dans un amphi pour contempler un horizon bouché relève de l’escroquerie. Sous couvert de non-discrimination, les frustrations vont s’aggraver au moment où sont oubliées exigence et sincérité.
L’allongement des études ne correspond guère à une élévation des compétences et des appétences. Les artisans ne sont pas les seuls à se désoler de ne pas avoir de relève. A la liste des métiers en tension, il convient d’ajouter la pénurie de main d’œuvre dans la cyber sécurité. Que font les gamers ?
Le Bourdieu mal digéré justifie les renoncements face à une fatalité sociale qui serait immuable. Mektoub! Les demandes de moyens  automatiques n’y pourront pas grand-chose : les dépenses pour l’éducation en France sont supérieures à la moyenne des pays de l’OCDE.
Décidément « Les héritiers » ! Les compagnons de Célestin Freinet qui après guerres avaient redonné la parole aux enfants se retrouvent-ils dans le silence des adultes de ce siècle ? 
« Un silence peut être parfois le plus cruel des mensonges. » Robert Louis Stevenson.

jeudi 14 décembre 2023

Les enfants de Saturne. Serge Legat.

« Il est morne, il est taciturne
Il préside aux choses du temps
Il porte un joli nom, Saturne
Mais c'est Dieu fort inquiétant »
Brassens
Depuis l’antiquité,
création et mélancolie sont associées à la planète aux anneaux qui influerait sur nos humeurs, 
Le conférencier, devant les amis du musée de Grenoble, distingue 
le XVII° siècle où les artistes transcendent « l’humeur noire » 
et le XIX° où avec Baudelaire, elle est « l’illustre compagne de la beauté ». 
Le « Bacchus malade », autoportrait du Caravage, celui dont Poussin disait : 
« qu’il était venu au monde pour détruire la peinture», bien connu des services de police, fut reconnu de son temps : condamné à mort, il fut gracié par le pape de façon posthume.
Dans la chapelle Cerasi, du nom du trésorier du pape, de l’église Santa Maria del popolo, sont installées, après avoir été rejetées, deux toiles monumentales:  
«Conversion de saint Paul » et un « Crucifiement de saint Pierre ».
Son ultime tableau, après tant de mises en scènes de décollations : 
« David tenant la tête de Goliath » le représente cette fois en Goliath. 
David, le bien aimé des hébreux, loin d’être l’athlète de Michel Ange, semble s’interroger.
Courbet, « qui ne se courbe que devant Courbet », la formule figurait sous une caricature excitée par sa gloire internationale, loin de la malédiction romantique qu’il aurait souhaitée.
à une tendre étreinte proche de sa « Sieste champêtre ».
Rodin
, ne voulait pas passer pour un artiste officiel, a été lui aussi victime d’attaques violentes, qui ont contribué à sa gloire. 
Il est accusé pour son « Age d’airain »
tellement vibrant, de l’avoir moulé sur un modèle vivant. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/05/rodin-jacques-doillon.html
« La porte de l’enfer »
destinée à un musée des arts décoratifs jamais installé, est la pépinière de ses sculptures prochaines.
Gauguin
né dans un milieu bourgeois  marié à « Mette-Sophie Gad » 
eut 5 enfants. 
« Je suis un grand artiste et je le sais. C'est à cause de ce que je suis que j'ai enduré tant de souffrances, afin de poursuivre ma vocation, sinon je me considérerais comme un coquin - ce que beaucoup de gens pensent que je suis, d'ailleurs. »
Il s’identifie aux persécutés : « Le christ au jardin des oliviers »
Sa maitresse de 13 ans : « Manao Tupapau » « pense au revenant »
Il ingurgite trop d’arsenic, vomit, rate son suicide. 
Sur sa tombe en Polynésie la version en bronze d’ «Oviri » (« sauvage » en tahitien) surmonte le corps d'une louve morte, .
Toulouse Lautrec
a tout pour être maudit : santé fragile et père se désintéressant de lui. 
« Le Comte Alphonse de Toulouse-Lautrec conduisant son mail-coach »
Sa mère, « La comtesse Adèle de Toulouse-Lautrec » l’a soigné et
a détruit de ses œuvres qu’elle jugeait scandaleuses.
L’aristocrate
connut le succès, il aimait choquer le bourgeois en donnant ses rendez-vous au « Salon de la rue des Moulins » pour mettre dans l’embarras quelques prudes journalistes. https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/le-monde-de-toulouse-lautrec-gilles.html
https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/03/le-monde-de-toulouse-lautrec-2-gilles.html
Modigliani
de santé fragile, raccourcit sa vie dans l’alcool et les drogues, 
les liaisons orageuses avec « Beatrice Hastings »,
plus apaisées avec « Jeanne Hébuterne ». Enceinte, elle se suicidera le lendemain de la mort de son bien-aimé Amédéo.
Chaim Soutine
son ami, juif lui aussi, une boule de désespoir, 
avait connu une enfance horrible.  
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/11/les-mousquetaires-de-montparnasse.html
J.M. Basquiat
, mort d’overdose, critique radical du marché de l’art, a été sanctifié plus tard.  « Notary » 
Après avoir, a connu une adolescence chaotique, il réalise son ambition de devenir Picasso.  
Depuis Raphaël le lumineux ou Rubens à la vie couronnée de succès, beaucoup d’artistes nous ont offert des perspectives magnifiques malgré les difficultés. 
Une vie détestable ne garantit pas le génie.
Van Gogh
, ne connut la notoriété qu’après son suicide, il écrivait à son frère : 
« Je pense à ce que dit Millet : Je ne veux point supprimer la souffrance, car souvent c'est elle qui fait s'exprimer le plus énergiquement les artistes. »

mercredi 13 décembre 2023

Aquarella do Brasil. Sao Paulo Companhia de Dança.

Quatre séquences variées pour deux heures de spectacle donnent une belle image de la création chorégraphique brésilienne.
La troupe exprime aussi bien les airs suaves des chansons de là bas que les rythmes entêtants avec un professionnalisme qui n’étouffe pas le plaisir des surprises de chaque instant. 
Costumes, lumières, beauté des corps, précision, harmonie des groupes : tout est impeccable.  Bossa Nova, Samba traditionnelles vont bien avec des trouvailles contemporaines, enrichissant avec fluidité liberté et superbe technique. 
Je n’ai pas  forcément perçu les références à « La ronde » d’Arthur Schnitzer ni compris 
«  cela ne devrait être que vous » mentionnés sur la feuille de salle, mais dans des langues de lumière pouvaient se saisir ici la langueur des danses de salon et là l’énergie du désir. 

mardi 12 décembre 2023

Loup. Renaud Dillies.

Un loup amnésique se retrouve en jouant de la guitare.  
Les 60 pages aux couleurs sucrées s’avalent comme un donuts aux couleurs chimiques, alléchant mais sans saveur. 
L’animal va porter un masque appelé loup et au bout de son errance une audition lui procure un emploi de musicien qu’il mène sans  grande conviction. 
Graphiquement un poisson qui traverse les cases fait figure de trouvaille dans un morne ensemble qualifié de poétique par certains alors qu’un arc-en ciel ne suffit pas à mon goût pour conclure une histoire d’amour sans orage et sans soleil : vide.

lundi 11 décembre 2023

Le testament. Denys Arcand.

La satire aurait mérité plus de rythme mais l’indolence du film de 1h 50 est à l’image du personnage principal pensionnaire dans « une maison des ainés ».
Il adoucit par sa rondeur l’ironie de l’auteur du « Déclin de l'empire américain » (1986).
Vieux mâle blanc, je comprends tellement ce vieux dans son incompréhension du monde actuel,  trop excusée par son âge.
J’ai eu envie de voir cette comédie tant la critique du « Monde » était méprisante, forcément l’intersectionalité des luttes y est ridiculisée, le wokisme moqué, et l’octogénaire ne fait pas de courbette à cancel culture installée sur la place laissée vide par notre culture défaillante dans la transmission.
Si le fil sentimental m’a paru artificiel, les coups de pattes envers les médias dramatisants, les politiques opportunistes m’ont réjoui. 
Les vieux qui s’appliquent à faire du sport ou des jeux électroniques ont droit aussi à de gentilles caricatures qui m’ont parues plus contestables quant à la dénonciation de la perte des libertés par les téléphones portables ou les incertitudes lors de la crise du COVID.
Mais que diable, quand il s’agit de voir son camp moqué, on ne va pas ajouter le manque d’humour, aux dérives inquiétantes de ce monde!

samedi 9 décembre 2023

Les fruits du myrobolan. Marco Martella.

J’avais offert ce livre à un jardinier qui aime les livres, il me l’a prêté à son tour : 
j’avais bien choisi. 
« Le goût du fruit du myrobolan était celui qu’ont les choses libres et sauvages, 
un goût austère mais doux, réconfortant même et étrangement familier. » 
180 pages sensibles partagées en 10 chapitres délicats offrent des mots « simples » comme on dit de certaines plantes, « les simples », depuis un titre qui évoque un prunier prometteur d’une magnificence réservée aux poètes, aux patients, à ceux qui connaissent aussi « les fruits de la consolation. » 
« Où, dans quels bienheureux jardins constamment arrosés,
Sur quels arbres, aux calices de quelles fleurs tendrement défleuries,
Mûrissent-ils, les fruits étranges de la consolation ? »
Rainer Maria Rilke.
Rien de tapageur, mais une attention à la nature briarde : 
«Un monde qu’on ne fait que traverser en étranger et dans lequel cependant la splendeur, à l’état de restes ou de fragments clairsemés, surgit de temps à autre».
Souvent proches des livres, ses personnages sont vus avec amabilité : 
un professeur qui aurait connu ­Samuel Beckett, un autre Pasolini, une vieille dame qui a toujours rêvé d’être écrivaine, des doux originaux mystérieux et discrets, le cantonnier ou le facteur… 
« Les volets étaient fermés mais la glycine grimpant sur les murs et les rosiers, 
par delà les barreaux du portail, commençaient à fleurir. 
« On dirait que Suzanne est toujours là » dit mon voisin. »