samedi 14 janvier 2023

Chroniques !

L’idée est excellente de nous remettre sous les yeux des critiques exprimées souvent avec élégance pour louer ou dénigrer des livres au moment de leur sortie et que les années ont consacrés parmi les essentiels de notre culture littéraire.
Nerval vu par Théophile Gautier :
« cherchait l’ombre avec le soin que les autres mettaient à chercher la lumière. » 
Et Hugo : 
« Stendhal ne s’est jamais douté un seul instant de ce que c’était que d’écrire.» 
Mauriac avait trouvé « abject » « Le deuxième sexe ».
50 ouvrages éminents nous sont rappelés, de « Delphine » par Madame de Staël (1802) à « Molloy »(1951) de Beckett. 
Mais ces 240 pages éditées par le service des archives de la Bibliothèque de France devraient se lire parfois avec une loupe, car elles abusent des reproductions réduites des journaux d’alors qui s’avèrent redondantes de temps à autre avec des textes un peu pâlichons les accompagnant.
La diversité des chefs d’œuvres commentés est bienvenue que ce soient 
des romans : « Vingt mille lieux sous les mers », 
de la poésie : « Les chants du Maldoror » 
ou du théâtre : « Les bonnes » ou « Cyrano de Bergerac »
Les étrangers sont honorés : Dostoïevski ou Stevenson, 
et quelques désuets sont rappelés : Loti, Triolet 
des outsiders remis en lumière : Alexandra David-Néel. 
Si l’on me dit Bram Stoker, je cale, mais son œuvre « Dracula » me parle, 
par contre « Monsieur Vénus » pas plus que Rachilde restent totalement inconnus.
Des avis donnent envie d’aller voir sur place, à propos de Simone Weil :
« Des trouvailles fulgurantes, qui appellent la comparaison avec Pascal. » 
Ils confirment aussi des champions, Camus : 
« J’aime cette plume qui troue le papier… » 
ou prophétisent  dès 1933: 
«  Le Procès est comme un long cauchemar empoignant, où tout est grimaçant et où tout est vrai. Kafka apparaitra peut-être comme un écrivain de génie. »

vendredi 13 janvier 2023

Postillon n° 67- Hiver 2022-2023.

Le trimestriel militant à 4 € pour 32 pages est toujours une source d’informations intéressantes et d’indignations personnelles devant des partis pris pas toujours aussi risibles que leur obstination à viser à la réintroduction de cabines téléphoniques. Pourtant la verve déployée à ce sujet est réjouissante en moquant un « street phone box project ».
Cette lubie folklorique est cependant cohérente avec leur aversion envers toute innovation technologique : que ce soit un robot introduit dans une classe de collège à Fontaine pour permettre à un élève absent de participer à la vie de la classe que contre les compteurs Linky et l’intelligence artificielle en général.
Ils reviennent à Brignoud sur le site d’Arkema abandonné depuis 18 ans, dont les anciens ouvriers se battent pour faire reconnaître leurs maladies professionnelles, et dans les bois de Champ sur Drac où des déchets de PCUK ont été emmenés dans les années 60.
Les rédacteurs anonymes regrettent la disparition des ateliers de fabrication de vélos après  un entretien de Routens qui se dispense, lui, de la nostalgie. Mais il y a quelque contradiction chez les cagoulés à mépriser l’argument de l’emploi, en s’acharnant sur la consommation d’eau de ST Micro déjà documenté dans un numéro précédent. 
Ils ont beau jeu de relever l’incohérence des écologistes dénonçant « les méga bassines à 600 km de chez eux » alors que ST en un an utilisera la capacité de 16 de ces réserves pour l’agriculture dans les Deux Sèvres. Ils relèvent avec pertinence le discours de Piolle s’en remettant à l’état en matière de sécurité comme le faisait jadis Carignon, ou le changement de conviction des verts à propos du Métrocâble. Dommage qu’ils ne développent pas plus loin le non renouvellement des structures du Plateau (à Mistral) et de La Cordée (à La Villeneuve).
La réunionite est dénoncée concernant le non traitement des maux de l’hôpital et ces adeptes du vélo - surtout pas électrique - poussent le goût du « c’était mieux avant » en allant à la rencontre de garagistes fragilisés par l’instauration de la ZFE (Zone à Faibles Emissions). Mais comment ces guérilleros du pédalage peuvent-ils se crisper à ce point sur leur frein quand des mesures sont prises pour une meilleure qualité de l’air ? 
Par contre les portraits de récupérateurs dans les déchetteries ou le témoignage d’un « messager du tri » sont expressifs et originales les recherches dans les archives de la place du lit dans la vie de nos ancêtres. 
Je lève un de mes préjugés à l’égard du journal satirique quand est décrit un match de foot entre Domène et L’Abbaye dont je n’aurai pas pensé qu’il ait droit à une page sans sarcasme. 

jeudi 12 janvier 2023

De la nature. Sophie Bernard.

La conservatrice du musée de Grenoble présente aux Amis du Musée, l’exposition qui se tiendra jusqu’au 19 mars 2023. L’association a participé d’ailleurs au financement du catalogue où quatre artistes familiers des lieux donnent à voir leur rapport sensible à la nature. 
« Les liens vitaux qui se tissent entre moi et autrui, l’âme et le corps, le corps et le monde, l’homme et l’Être en vue de dépasser toute dualité, ces liens se tissent dans la « chair du monde » Merleau Ponti. 
Philippe Cognée, seul peintre parmi les quatre sélectionnés,  connu surtout pour ses vibrantes vues urbaines s’empare de la thématique environnementale.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2012/11/philippe-cognee-au-musee-de-grenoble.html
Vu du train, un « Champ de colza » est dématérialisé par la vitesse.
Des « fleurs épuisées, géantes écrasées »,  
« Amaryllis rouge »  d’un autre pays que le floral, incorporent la mélancolie.
La matière est essentielle, «  Etude pour un paysage tourmenté », quand remontent
aux frontières de l’abstraction des sensations de végétation primordiale depuis une enfance au Bénin. 
On ne voit que les os d’une « Forêt enneigée » privée de ses feuilles.
Autres « vanités », les « Châteaux de sable » sont voués à la disparition.
Cristina Eglesias
, à la jonction de l’architecture et de la sculpture, construit des motifs décoratifs en béton, fer, albâtre ou bois, dans un style néo baroque. « Passage II ».
Installant souvent ses labyrinthes en extérieur, en écho avec des institutions muséales, elle pose «  avec ironie et sensualité la question du rapport entre nature et culture ».
Si Cognée est du côté du feu, l’espagnole joue avec l’eau, «  
Sous un aspect de mastaba austère, le visiteur à l’intérieur est invité à rêver, le microcosme cristallin éveillant (peut être) l’inconscient.
Variant les formats depuis des plaques de cuivre rongées à l’acide « Hondalea Studies »,
elle a réinventé un phare désaffecté sur l’île de Santa Clara au large de San Sébastien.
Wolfgang Laib
, déçu par le rapport occidental au corps lors de ses études de médecine, s’est mis en quête de l’immatériel inspiré par les spiritualités orientales. 
Il présente un œuf cosmique, le « Brahmanda » en granit poli enduit d’huile de tournesol,
et un « carré de pollen de noisetiers » recueilli patiemment autour de chez lui en Allemagne. Des formes simples avec des matériaux essentiels, offrandes à la vie, s’inspirent du sacré. Ses dessins blancs sur fond blanc explorent les confins du visible.
Guiseppe Penone
, dans son rapport fusionnel aux arbres, benjamin du mouvement de « l’arte povera », révèle les énergies vitales à l’œuvre dans la nature.
« Vert du bois », il imprime la peau des végétaux sur des tissus de lin jouant de la confusion des règnes en une « vision tactile ».
Une végétation encore maigre fusionne avec des « Esprits de la forêt » en bronze aux allures d’écorce. 
Dans toutes ces représentations où souvent les hommes n’apparaissent pas, même si on peut peindre la mer avec l’eau de la mer ou s’imaginer être la forêt, les artistes nous rendent plus proches du monde. 
 « L’Assemblée immatérielle » Zazü
La responsable des collections du musée de Grenoble nous livre pour conclure un extrait de Gaston Bachelard plus fécond qu’une énième leçon d’écologie : 
« Dis-moi quel est ton infini, je saurai le sens de ton univers, est-ce l'infini de la mer ou du ciel, est-ce l'infini de la terre profonde ou celui du bûcher ? »

mercredi 11 janvier 2023

Brive.

Une nuit bien fraîche induit un petit matin à 15 / 17°: il est 7h30
Une douche et un shampoing (bio et peu mousseux) s’imposent, bien tonifiants pour la journée à venir. Nous savourons le temps consacré à boire notre thé sur la table en terrasse avant de ranger et  jeter un dernier  regard vigilant à notre cocon.
Après un adieu à notre logeur dont nous déclinons l’offre d’un café, nous retournons une dernière fois à Aurillac.
En effet nous désirons jeter un œil au marché aux fromages (fermé hier) parce que la plaque apposée le désignant comme l’un des seuls en Europe encore debout a aiguisé notre curiosité.
Son activité perdure, logiquement, puisque le fromage contribue à la notoriété et à la richesse du Cantal. Son aspect extérieur trahit son ancienneté ((1890), avec des améliorations apportées en 1933 comme la porte à fronton et le balustre; elles le requalifient par rapport à son passé d’abattoir.
Quant à l’intérieur, il nous déçoit : il comporte un magasin, des panneaux pédagogiques sur la production,  des bidons de lait décoratifs et un atelier de fabrication en fond interdit au public. Par contre, le passage central qui  traverse le bâtiment pour les véhicules motorisés des clients nous surprend et nous amuse : le drive avant l’heure !
Plus rien ne nous retient à Aurillac, nous  partons pour BRIVE LA GAILLARDE en empruntant la route nationale.
Nous ressentons la curieuse impression de descendre de façon continue sans arriver à nous souvenir à quel moment la route montait.
Nous traversons le pays, les villages, Forgès par exemple, possédant pas moins de trois brocantes avec pignons sur la rue principale. Pendant notre trajet, nous croisons peu de monde sauf un accident de camion et son dépannage occasionnant l’arrêt de trois ou quatre voitures.
Nous atteignons Brive en fin de matinée, et suivons le panneau Office du Tourisme vers le centre-ville,
au marché Brassens, parfait pour abandonner la voiture devant un parcmètre.
Nous ne résistons pas au charme des marchés, surtout ceux du sud, sachant que les produits et les « boniments » des vendeurs disent beaucoup des us des lieux visités. Nous parcourons les étals à l’extérieur sous la charpente monumentale et protégeant des intempéries. Nous goutons aux fromages offerts par les marchands (ex : cantal au piment), nous passons à côté des fruits et légumes de saison, nous lisons les étiquettes de bocaux locaux : canard confit ou terrines diverses et alléchantes. L’intérieur semble boudé par les commerçants, ceux qui s’y sont installés se sont regroupés au milieu d’un espace immensément vide.
L’Office du tourisme réside dans une construction voisine, curieuse, en forme de phare. 
Nous le snobons pour nous engouffrer dans les rues piétonnes.
Là encore des parapluies suspendus survolent  la route étroite attachés de chaque côté aux maisons mais leurs couleurs bleues et jaunes nous rappellent qu’en Ukraine, la guerre se poursuit sans prendre de vacances.
Nous déjeunons à la « P’tite cocotte » assis à un emplacement ombragé, sur la chaussée interdite aux véhicules.
Mis en appétit par notre visite au marché, nous attaquons avec gourmandise viande lentilles et pommes de terre, fondant au chocolat/myrtilles chantilly, et pour nous désaltérer, un verre de rouge du Luberon avec un café pour terminer.
Nous nous arrêtons un moment devant la boutique  mitoyenne spécialisée dans les articles de rugby et habilitée à vendre des billets. Ce sport connait  chez les Brivistes un engouement bien connu, nous sommes en Corrèze et entrons dans les terres de l’ovalie.
Nous retournons à la voiture en passant devant le théâtre sans nous attarder.
 

mardi 10 janvier 2023

Humaine trop humaine. Catherine Meurisse.

Une jeune femme moderne rencontre, en 94 pages délicieuses et surprenantes, le gratin de la philosophie de A comme Alain à W avec Simone Weil : on sourit et on apprend.  
«  Les objets ne sont plus considérés selon leur usage mais en tant qu’ils forment un système de signes permettant à l’individu de se distinguer des autres socialement. » 
Ainsi parlait Baudrillard dans le chapitre réjouissant qui lui est consacré sous le titre « Baudrill’art » où dans la boutique d’un centre d’art contemporain sont mis en vente des teeshirts :  
« C’est l’objet qui fait exister le sujet ». 
Ce beau volume pourrait être précisément un objet de distinction pour happy few décryptant tout de suite le titre clin d’œil à Duras, mais un court ajout pédagogique à l’issue de chacune des cinquante scénettes parues dans « Philosophie magazine» évite l’écueil de l’élitisme.
La dessinatrice au trait vif va se faire épiler à la cire avant de retrouver Descartes autour d’une « inspection de l’esprit » qui ne sait se conclure comme aurait dit Jean Claude Dusse. 
Aristote apparait en designer puisque l’homme est doué de logos, c’est à dire de langage et de raison, et Montaigne, Freud, Sartre, Sade, Nietzsche testent leurs punch line au Bergson Comedy club : 
«- Dieu est mort ! 
- Hahaha ! » 
Heidegger reste incompréhensible alors que Schopenhauer dresse sa liste de course pour des emplettes au super marché où « L’art d’être heureux » est en promotion : 
« La quête du passé et le souci de l’avenir sont inutiles, seul le présent constitue le théâtre de notre bonheur ». 
Familière des hommes de lettres et des artistes, l’ancienne de Charlie qui tant nous a émus, et réjouis, met du sel féministe sur la queue de quelques vaches sacrées : Proudhon, Fénelon, avec humour. 
Spinoza est nauséeux : 
«  Je n’aurai pas dû reprendre trois fois du stamppot à midi » 
La dentelière à côté de lui : 
« Je t’avais prévenu…faut toujours que tu cherches à persister dans ton être » 
Délicieux, j’en reprendrai volontiers un volume de plus.

lundi 9 janvier 2023

Les tirailleurs. Mathieu Vadepied.

Omar Sy fait tellement partie de nos meubles made in France qu’un temps d’acclimatation est nécessaire pour oublier son sourire et le voir en berger peul.
Il va suivre son fils raflé par l’armée pour le protéger.
Le réalisateur nous enseigne une histoire qui commence à être connue en soulignant les méfaits de la colonisation envers toute une jeunesse destinée à mourir en première ligne dans les tranchées entre 14 et 18 où 30 000 hommes venus de si loin sont morts. 
Même si le parallèle m’a semblé artificiel, entre le destin d’un chef de section fils de général et celui du jeune sénégalais à la recherche d’une insertion, il n'est pas inutile de rappeler cette période guerrière qui ne fut pas la "der des der".  
Avec plus de sobriété, un autre film récent allait dans le même sens d'une lecture renouvelée du passé. Ce retour sur des vérités embarrassantes, à condition de ne pas s'y complaire, peut fortifier le sentiment d'appartenir à une communauté aux yeux ouverts.   

dimanche 8 janvier 2023

Les gardiennes. Nacer Djemaï.

Trois vieilles dames se sont installées chez Rose, leur amie, depuis que celle-ci ne peut plus se déplacer ni parler. Elles l’entourent de toutes leurs attentions, chacune avec son caractère bien campé, gouailleur, rêveur, poétique.
Dans le genre « Vieux fourneaux » au féminin 
 elles appellent la sympathie.
Ce qui n’est pas le cas de la fille qui arrive chez sa mère pour la conduire dans un établissement médicalisé.
Mais le manichéisme n’est pas le genre de la maison, quand il y a des motifs pour comprendre l’intruse et des désaccords à l’égard des parfois abusives « babayagas », du nom d’une maison de retraite alternative installée à Montreuil.
Le conflit entre les anciennes paisibles et la moderne speedée provoque souvent les rires ou l’émotion, mais ne s’achemine pas vers une conclusion convenue.
Si les transitions oniriques nuisent, à mon sens, au rythme de cette pièce d’une heure trois quart, la chronique du quotidien à propos d’un sujet de société qui concerne surtout les boomers est toujours aussi juste et limpide. 
Ma jeune voisine était ravie alors que d’autres lycéens regardaient leur portable sous l’œil impavide des adultes les accompagnant.