Un peu surpris, nous ouvrons à deux préposés de
l’électricité, un en costume et un autre en bleu de travail. Ils nous annoncent
que suite à un impayé, ils vont procéder à la réduction d’accès au courant. Il
ne sera plus possible d’utiliser
plusieurs machines simultanément. Nous ne pouvons que leur conseiller d’avertir
le propriétaire actuellement à Paris afin qu’il ne soit pas pris au dépourvu
lors de son retour. Nous glissons
les clés dans la boîte aux lettres et allons nous garer à Chartres près du
parking d’hier.
Nous nous autorisons un petit café en terrasse tandis que la
ville s’ébroue doucement et que les habitués se retrouvent à échanger sur l’actualité
à côté de nous.
Vers 10 h nous
nous secouons et avec la voiture, nous partons pour la maison Picassiette, curieux de voir cette construction réputée
de l’art brut. L’entrée est gratuite, et nous sommes accueillis et renseignés
par un jeune homme et un employé passionné, désolé de la pénurie de
dépliants. Qu’importe ! Nous sommes
vite immergés dans un monde à part.
Tessons de verre, tesselles et débris de porcelaine ou d’assiettes, morceaux de
figurines ébréchées ou brisées, ont servi de matière première à Raymond Isidore
pour réaliser les mosaïques de sa résidence. Cet homme
original commence en tant que cantonnier
puis est chargé de l’entretien du cimetière, il élit alors domicile à
proximité, en témoigne l’adresse: 22, rue du repos.Il commence
dans les années 30 par l’intérieur de sa petite maison avant que son
obsessionnelle envie de tout recouvrir ne s’étende à la totalité de son
domaine.
Inspiré par des cartes postales, il a
peint dans sa cuisine une fresque du mont Saint Michel au-dessus du
fourneau, entourée d’éclats d’assiettes et de verres colorées qui tapissent le
moindre espace,
tout comme dans le salon
et la chambre, sur les sols les murs les
meubles et même la machine à coudre.A l’extérieur,
la cour d’entrée et différentes parois
sont revêtues de mosaïques figuratives représentant d’innombrables églises mosquées ou
cathédrales.Une chapelle
jouxte son habitation, dans le même style de tesselles issues de restes de
vaisselle bouteille ou faïence sélectionnées pour leur
couleur bleue.Une cour
noire, elle aussi décorée, la sépare de la maison d’été, composée d’une pièce
dans les bleus et d’une douche équipée de 2 becs de bouilloires en guise de
pommeau.Dans le
prolongement, un porche s’ouvre sur le jardin, il est enduit de fresques qui
s’effacent peu à peu.Quant au
jardin, il se différencie par un parterre plus
végétal contrairement au reste de la propriété entièrement carrelée de
mosaïques. Outre les plantes, il englobe une « statueraie », une
grotte de Lourdes en miniature, le parvis de Jérusalem, le tombeau de
l’esprit et le verger, l’ensemble toujours décoré selon les mêmes procédés
jusqu’aux arrosoirs et aux pots de fleurs. A chaque fois, les morceaux recyclés
sont choisis en fonction de leur couleur pour donner vie à des images
concrètes, animalières, humaines, ou à des bâtiments inspirés par des cartes
postales d’orient notamment. Ils participent aussi à former des fonds colorés,
ils chantent et brillent sous le soleil avec beaucoup de délicatesse et de
finesse. L’imaginaire de Mr Raymond est émouvant, comme son acharnement à le
mettre en forme.
Et contrairement au facteur Cheval avec son Palais Idéal, il a
vécu dedans.Nous aurions
été déçus de quitter Chartres sans avoir pu visiter la maison Picassiette,
expression de la fantaisie, de la lumière, d’innocente folie douce. Nous
abandonnons les lieux à quelques touristes souriants et partons vers notre
prochaine destination, Bourges. Pour nous y rendre, nous faisons le choix de la
route plutôt que de l’autoroute. Nous traversons des paysages plats où des
machines agricoles soulèvent des nuages de poussières sur fond d’éoliennes.
Nous nous étonnons même d’un vieux moulin à vent perdu au milieu d’un champ
moissonné.Puis nous abordons la
Sologne.A
Chevilly implanté à vingt kilomètres
d’Orléans, nous apercevons à point nommé un relais de France, « A la gerbe de blé ». Il est tenu
par un couple de personnes ayant visiblement dépassé l’âge de la retraite à la
démarche claudicante et mal aisée. Ils proposent un menu à 12€ dont nous ne
viendrons pas à bout : ils nous ont
servis une salade de crudités ou niçoise, six brochettes avec chipolata
et 6 avec merguez, des frites et une mousse au chocolat. La télévision tourne
en continu, la salle et le bar se remplissent d’habitués dans une ambiance bon
enfant.