Autour de l’année 1500, le moyen âge ne savait pas qu’il
finissait, quand la première mondialisation
poussait au changement d’ère. Le capitalisme stimulé par les découvertes faisait
émerger la bourgeoisie, alors que les craintes millénaristes vont durer 33 ans
après la date ronde.
Toute comparaison de cette période avec notre début de
siècle peut sembler plus féconde que celle qui rapproche des années 1930, lorsque
l’imprimerie, difficile à maitriser par les pouvoirs, multiplie les idées. Prédicateurs
et charlatans foisonnent, mais une dévotion plus moderne s’élève contre les
superstitions, la piété devient une affaire plus individuelle. Le pape cautionne
la chasse aux sorcières et les sectes prolifèrent : à quel saint, à quel
diable se vouer ?
Un monde ancien met du
temps à mourir, le nouveau va naître : la renaissance.
Les œuvres du premier sont pour beaucoup à Madrid, celles du
second à Vienne : les Habsbourg avaient du goût.
Alimentée par les images médiévales, peinte par le malicieux
Jheronimus van Aken dit Jérôme Bosch (du bois), « La
nef des fous » à la destination incertaine, prend l’eau :
religieux, bourgeois et manants insouciants
bâfrent et se disputent. Le plus fou, n’est pas forcément celui qui en
porte l’habit. C’est dans ces eaux, qu’Erasme écrivit un pamphlet, « L’éloge
de la folie ».
Sur la table représentant
« Les péchés capitaux »
le christ rayonne depuis le centre d’un œil au dessus de la phrase :
« Attention Dieu vous regarde », entouré telle une « roue de
l’infortune »
par la représentation
de « sept déviations coupables de notre humanité » : colère,
envie, avarice, gourmandise, luxure, paresse, orgueil. Si quatre façons de mourir
tranquillement sont mentionnées c’est bien l’enfer qui attire nos
regards : les damnés souffrent par où ils ont fauté. Cette thématique que
Bosch développera, où l’imagination donne toute sa démesure, permet de
représenter la violence et la sensualité.
Le triptyque autour du « chariot de foin », où
chacun vient prendre sa poignée d’éphémère matière, comporte sur le panneau de
gauche, lors de la création du monde, des anges rebelles chutant. Au centre, aucun
représentant de la société en proie aux péchés, n’est à son avantage; l’air, l’eau,
le feu, la terre sont corrompus. Sur le dessus du char, seul un couple
d’amoureux semble échapper aux malheurs, sous les yeux de Jésus dans le ciel « qui n’en peut mais ». A
droite les démons, animaux hybrides, torturent les humains, les trainent dans
la boue. Les corps sont vides. Le forgeron, celui qui creuse la terre, est le
grand ordonnateur de cette descente aux enfers où les références aux cartes du
tarot foisonnent. Une fois le triptyque refermé, un vagabond aux traits de
l’auteur occupe tout l’espace, il fuit le monde violent et s’abimant dans
l’ivresse, il est aussi « le mat », le fou de l’arcane XXII
accompagné d’un lynx.
« Le jardin des délices » surnommé aussi
« le
labyrinthe des délires » est constitué
également en trois parties,
entre
un Eden bleuté, comme le lieu central où s’ébattent les enfants d’Adam et Eve
dont les accouplements échouent, et un enfer où l’homme d’une infinie tristesse
n’a pas constitué son unité. Les détails sont fascinants et l’effet de
l’ensemble luxuriant est saisissant, l’univers est cataclysmique.
« Le jugement dernier » est apocalyptique à souhait alors que le traitement de Saint Antoine,
de Saint Jean Baptiste ou Saint Jérôme aux yeux fermés au monde est plus apaisé,
même si au sein de la sérénité se glisse le mal : un quatrième roi mage
apparait dans « l’Epiphanie ».
Le christ dans le
" Portement de Croix avec Sainte
Véronique " a
aussi les yeux fermés au milieu d’une foule
grimaçante mais ouverts sur le suaire qui porte l’image de son visage.
Pieter Bruegel
dit
l'Ancien est né à
Bruegel en Belgique au temps de Charles Quint,
il marie l’équilibre italien et les débordements flamands.
« Le paysage avec chute d’Icare » est surtout occupé par un paysan qui laboure, un pêcheur qui
pêche, un berger qui garde ses moutons ; les grands espoirs de l’homme
s’abiment dans l’eau.
« La tour de Babel » voulue par Nemrod est aussi le
témoignage de l’ambition des hommes, vouée à ne pas aboutir.
« La Huque bleue » (tunique) plus connue sous le titre « Les Proverbes flamands », ou « Le Monde
renversé » illustre une
centaine de proverbes et d’expressions : « jeter des roses aux
cochons », « ôter la barbe au christ », « se confesser au
diable », « tenir le monde sur un doigt », « recueillir le
soleil dans un chaudron » (naïf) …
Dans « La
lutte de Carnaval et de Carême » le gros laisse la place au maigre, le
poisson remplace la viande ; « damned ! » Vient le temps de
l’église après l’auberge, tranquillement.
Les paysans dansent
vraiment dans la dynamique « Danse des paysans »
et il est bien légitime de s’amuser comme dans « Le repas de
noce » où on peut penser à l’abondance de celles de Cana. Au « Pays
de Cocagne », l’œuf à la coque arrive sur ses pattes, et ce paradis là
est vraiment charnel.
Les riches devenus
ont la nostalgie de leurs parents paysans et achètent les tableaux de fenaison,
moisson, au fil des saisons.
Les scènes bibliques, « Le dénombrement à Bethléem » ou « Le
massacre des innocents » parlent
aussi des Espagnols qui taxent ou tuent comme le brutal duc d’Albe. Celui-ci provoqua
une guerre de 80 ans d'où naquit le premier état démocratique des Provinces
Unies.
Perdu au milieu de
la foule immense indifférente, « Le christ porte sa
croix » dans une autre toile.
Pas loin de la
parabole des aveugles : « Laissez-les. Ce sont des aveugles qui
guident des aveugles. Or, si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous
deux dans la fosse. »
« Le
misanthrope » porte
le deuil de la perfidie du monde, il se fait détrousser par un enfant.
Impossible d'être à l’abri de la méchanceté.
Les villageois dansent et sont indifférents à « La Pie sur le gibet », un
homme défèque dans son coin.