jeudi 5 mars 2015

De Bosch à Bruegel. Le fou, le diable et l’ermite.

Autour de l’année 1500, le moyen âge ne savait pas qu’il finissait, quand la  première mondialisation poussait au changement d’ère. Le capitalisme stimulé par les découvertes faisait émerger la bourgeoisie, alors que les craintes millénaristes vont durer 33 ans après la date ronde.
Toute comparaison de cette période avec notre début de siècle peut sembler plus féconde que celle qui rapproche des années 1930, lorsque l’imprimerie, difficile à maitriser par les pouvoirs, multiplie les idées. Prédicateurs et charlatans foisonnent, mais une dévotion plus moderne s’élève contre les superstitions, la piété devient une affaire plus individuelle. Le pape cautionne la chasse aux sorcières et les sectes prolifèrent : à quel saint, à quel diable se vouer ?
Un monde ancien met du temps à mourir, le nouveau va naître : la renaissance.
Christian Loubet présentait quelques tableaux de Bosch et Bruegel qui ont tant de choses à exprimer sur cette époque de crise.
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/02/bruegel-et-bosch-le-sacre-des-proverbes.html
Les œuvres du premier sont pour beaucoup à Madrid, celles du second à Vienne : les Habsbourg avaient du goût.
Alimentée par les images médiévales, peinte par le malicieux Jheronimus van Aken dit Jérôme Bosch (du bois), « La nef des fous » à la destination incertaine, prend l’eau : religieux, bourgeois et manants insouciants  bâfrent et se disputent. Le plus fou, n’est pas forcément celui qui en porte l’habit. C’est dans ces eaux, qu’Erasme écrivit un pamphlet, « L’éloge de la folie ».
Sur la table représentant « Les péchés capitaux » le christ rayonne depuis le centre d’un œil au dessus de la phrase : « Attention Dieu vous regarde », entouré telle une « roue de l’infortune »  par la représentation de « sept déviations coupables de notre humanité » : colère, envie, avarice, gourmandise, luxure, paresse, orgueil. Si quatre façons de mourir tranquillement sont mentionnées c’est bien l’enfer qui attire nos regards : les damnés souffrent par où ils ont fauté. Cette thématique que Bosch développera, où l’imagination donne toute sa démesure, permet de représenter la violence et la sensualité.
Le triptyque autour du « chariot de foin », où chacun vient prendre sa poignée d’éphémère matière, comporte sur le panneau de gauche, lors de la création du monde, des anges rebelles chutant. Au centre, aucun représentant de la société en proie aux péchés, n’est à son avantage; l’air, l’eau, le feu, la terre sont corrompus. Sur le dessus du char, seul un couple d’amoureux semble échapper aux malheurs, sous les yeux de Jésus dans le ciel « qui n’en peut mais ». A droite les démons, animaux hybrides, torturent les humains, les trainent dans la boue. Les corps sont vides. Le forgeron, celui qui creuse la terre, est le grand ordonnateur de cette descente aux enfers où les références aux cartes du tarot foisonnent. Une fois le triptyque refermé, un vagabond aux traits de l’auteur occupe tout l’espace, il fuit le monde violent et s’abimant dans l’ivresse, il est aussi « le mat », le fou de l’arcane XXII accompagné d’un lynx.
« Le jardin des délices » surnommé aussi « le labyrinthe des délires » est constitué également en trois parties, entre un Eden bleuté, comme le lieu central où s’ébattent les enfants d’Adam et Eve dont les accouplements échouent, et un enfer où l’homme d’une infinie tristesse n’a pas constitué son unité. Les détails sont fascinants et l’effet de l’ensemble luxuriant est saisissant, l’univers est cataclysmique.
« Le jugement dernier » est apocalyptique à souhait alors que le traitement de Saint Antoine, de Saint Jean Baptiste ou Saint Jérôme aux yeux fermés au monde est plus apaisé, même si au sein de la sérénité se glisse le mal : un quatrième roi mage apparait dans « l’Epiphanie ».
Le christ dans le " Portement de Croix avec Sainte Véronique "  a  aussi les yeux fermés au milieu d’une foule grimaçante mais ouverts sur le suaire qui porte l’image de son visage.
Pieter Bruegel dit l'Ancien est né à Bruegel en Belgique au temps de Charles Quint, il marie l’équilibre italien et les débordements flamands.
« Le paysage avec chute d’Icare » est surtout occupé par un paysan qui laboure, un pêcheur qui pêche, un berger qui garde ses moutons ; les grands espoirs de l’homme s’abiment dans l’eau.
« La tour de Babel » voulue par Nemrod est aussi le témoignage de l’ambition des hommes, vouée à ne pas aboutir.
« La Huque bleue » (tunique) plus connue sous le titre «  Les Proverbes flamands », ou « Le Monde renversé » illustre une centaine de proverbes et d’expressions : « jeter des roses aux cochons », « ôter la barbe au christ », « se confesser au diable », « tenir le monde sur un doigt », « recueillir le soleil dans un chaudron » (naïf) …
Dans « La lutte de Carnaval et de Carême » le gros laisse la place au maigre, le poisson remplace la viande ;  « damned ! » Vient le temps de l’église après l’auberge, tranquillement.
Les paysans dansent vraiment dans la  dynamique « Danse des paysans » et il est bien légitime de s’amuser comme dans « Le repas de noce » où on peut penser à l’abondance de celles de Cana. Au « Pays de Cocagne », l’œuf à la coque arrive sur ses pattes, et ce paradis là est vraiment charnel.
Les riches devenus ont la nostalgie de leurs parents paysans et achètent les tableaux de fenaison, moisson, au fil des saisons.
Les scènes bibliques, « Le dénombrement à Bethléem » ou « Le massacre des innocents »  parlent aussi des Espagnols qui taxent ou tuent comme le brutal duc d’Albe. Celui-ci provoqua une guerre de 80 ans d'où naquit le premier état démocratique des Provinces Unies.
Perdu au milieu de la foule immense indifférente, « Le christ porte sa croix » dans une autre toile.
Pas loin de la parabole  des aveugles : « Laissez-les. Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Or, si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse. »
« Le misanthrope »  porte le deuil de la perfidie du monde, il se fait détrousser par un enfant. 
Impossible d'être à l’abri de la méchanceté.
Les villageois dansent et sont indifférents à « La Pie sur le gibet », un homme défèque dans son coin.

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