vendredi 14 février 2025

Le dernier souffle. Claude Grange Régis Debray.

Claude Grange, le médecin, accompagne des personnes en fin de vie, il distingue douleur physique et souffrance psychique. 
« Je soulage ta douleur et je serai là quand tu en auras besoin ».
Il a pu susciter la compassion envers son métier difficile lors de dîners en ville, mais lorsqu’il décrit les moments intenses qu’il a pu vivre dans son service de soins palliatifs, nous trouvons ce métier formidable, comme ses interlocuteurs d’un soir, après la lecture de cette centaine de pages où le « mouroir glauque s’égaye ».
Régis Debray, l’écrivain, éclaire ma vie littéraire depuis longtemps et signe préface et postface. 
« C’est la blouse blanche, non la soutane, qui prend les choses en main, et ce n’est pas un cadeau d’avoir à rendre l’âme sans savoir à qui. 
Reste que si l’âme a perdu l’au-delà, le corps en deçà y gagne. » 
Lorsque les malades sont convenablement pris en charge en soins palliatifs, ils ne demandent pas la mort.
Les débats contemporains concernant la fin de vie sont abordés au cours d’un récit très vivant où l’humilité est de mise. 
«  Jean Leonetti aime résumer sa loi en une phrase : Laisser mourir : oui, faire mourir : non. » « Le défunt détruit par le feu est miniaturisé ; il rejoint un infiniment grand en se faisant infiniment petit. La crémation rejoint le rite de purification. »
«  On en a fini avec le «  tu enfanteras dans la douleur ». 
Donnons-nous la chance d’accoucher les gens de leur mort, sans douleur… »
«  C’est un fait que les Saintes Femmes se retrouvent d’ordinaire aux étroits stratégiques de l’existence, ayant coutume d’être là au début comme à la fin, pour donner le jour et fermer les yeux. »

jeudi 13 février 2025

Rivaux et ennemis. Serge Legat.

En conclusion de l'exposé précédent concernant les amitiés d’artistes,
le conférencier devant les amis du musée de Grenoble laissait entendre que la frontière entre amour et haine était ténue.
Cette fois, il finit par les mots de Sainte Beuve après avoir évoqué quelques adversaires des cimaises : 
«  Puisqu'il faut avoir des ennemis, tâchons d'en avoir qui nous fassent honneur. »
- Au XIX°  siècle la ligne s’oppose à la couleur, ainsi le caricaturiste Bertall représente « Delacroix et Ingres en duel devant l’Institut de France » 
En 1827, lors du Salon de l’Académie des beaux-arts, dans « L’Apothéose d’Homère », par Ingres, l’auteur grec pose en majesté, l’Iliade et l’Odyssée à ses pieds, dans un « tableau de plafond » parfaitement construit. Il se situe en face de « La Mort de Sardanapale » par Delacroix à la composition chaotique.
Pour l’exposition universelle de 1855, Ingres présente 40 tableaux, Delacroix 35.
Si l’auteur de « La grande Odalisque » a empêché longtemps le romantique d’être élu à l’Institut de France, celui-ci finira par y accéder.
Tous deux, que
Degas voulait conjuguer dans sa peinture, ont laissé une empreinte magistrale dans l’histoire de l’art ; Cézanne voyait l’auteur de « La liberté guidant la peuple » comme « le père de l’art moderne » alors que Picasso se référait souvent au maître néo-classique.
- A Venise, au XVI° siècle, Le Tintoret, fils de teinturier, s’affirme face au patricien, Le Titien, auquel le « Doge Andrea Gritti » a passé commande,
ainsi que le pape « Paul III ».
Plus jeune de vingt ans, Le Tintoret dont l’ « Autoportrait » révèle les tourments,
intrigue pour obtenir de décorer la Scuola di San Rocco 
en offrant à la congrégation « Saint Roch en gloire ».
Le Titien a peint « Danaé et Cupidon »  puis dix ans après « Danaé recevant une pluie d’or » en renouvelant la légende par servante interposée.
Le Tintoret
donne sa version avec l’inévitable Zeus venu, sous forme de pièces d’or, féconder la jeune femme recluse par son père le roi d’Argos pour échapper à l’oracle prédisant qu’il sera tué par son petit fils. Il ne pourra échapper à son destin.
Arrivé de Vérone, Véronèse qui a dix ans de moins que Le Tintoret, s’empare d’un autre sujet mythologique permettant de peindre des femmes nues : «  Léda et le cygne » avec cette fois le Dieu des dieux en palmipède. Les trois rivaux s’influencent et s’inspirent.
- A Versailles, au XVII° siècle, « Charles le Brun (1619-1690) et Pierre Mignard (1612-1695), Premiers peintres du Roi » pourtant réunis sur la même toile par Hyacinthe Rigaud, se détestent. 
Le Brun, protégé de Colbert acquiert tout au long de sa carrière tous les titres :  premier peintre du roi, directeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture, et de la Manufacture royale des Gobelins,
que Mignard l’ami de « Molière » et des dames
obtiendra en un jour à la mort de l’auteur de
« Les Reines de Perse aux pieds d'Alexandre »  
qui place le Roi soleil dans la lignée du magnanime conquérant. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2016/04/lart-du-portrait-au-xviii-siecle.html
Mignard reproduira à son tour la scène,
alors que sa « Vierge au raisin » ne doit son charme qu’à lui-même. 
- Sur la Côte d’Azur, au XX° siècle, Picasso émerveillé par La chapelle Matisse à Vence https://blog-de-guy.blogspot.com/2024/12/la-chapelle-matisse-marc-chauveau.html 
décore « Le temple de la paix » devenu un des ses musées à Vallauris.
« La joie de vivre »
de Picasso date de 1946,
celle de Matisse de 1906.   
Les phares de l’art moderne s’éblouissent mutuellement, 
chacun s’offrant les plus mauvais tableaux de l’autre,
mais « Au fond, il n’y a que Matisse » reconnait le mari de Françoise Gillot  
« Portrait de Françoise ».
Derrière le talent des artistes dont les « destins croisés » à travers les siècles ont été évoqués en quatre conférences, certaines de leurs existences pourraient se retrouver dans ces mots de Maurice Béjart : 
« Je n'en finis pas de commencer ma vie. 
Quand je pense qu'il y en a qui n'attendent pas d'avoir vingt ans pour commencer leur mort ! »

mercredi 12 février 2025

Blizzard. Flip fabrique.

Longtemps après que les cercles de sciure ont disparu, des québécois, une nouvelle fois,  nous procurent bien du plaisir dans le domaine des arts du cirque,  
mais cette fois pas de Soleil au théâtre (du) : bonnets et boules de neige pour sept acrobates et un musicien en « temps de poudrerie » comme disait Vignault autre vigoureux bienfait poétique de ce bout d’Amérique tant aimé.
Parce que  « l’hiver est plus qu’une saison, c’est un mode de vie », « le ministère canadien du froid, de la froidure et du brrrrrr » donne quelques conseils clownesques qui ne marqueront   quand même pas les mémoires, alors que les performances acrobatiques le long des mâts, au bout de sangles à tourner les têtes, font frissonner, de plaisir, la salle. 
Le pianiste à roulettes accompagne le ballet des artistes au trampoline, avec quatre cerceaux pour un contorsionniste, des mains à mains époustouflants de force et de grâce, des jonglages étourdissants au moyen de pelles à neige, et des sauts à la corde parfaitement coordonnés avec des écharpes… 
La séquence de patinage guillerette et naïve s'accorde parfaitement au thème, dans l’esprit candide de la troupe, nous offrant un final poétique et athlétique très applaudi autour d’une structure  parallélépipédique dont ils ont joué avec virtuosité pendant une heure et quart. 

mardi 11 février 2025

Corto Maltese. Nocturnes berlinois. Juan Diaz Canales. Ruben Pellejero.

Cet épisode se déroulant en 1924 à Berlin promettait ambiances mystérieuses et péripéties inédites, mais je suis resté sur ma faim comme lors d’une précédente proposition avec d’autres auteurs voulant se situer dans la lignée d’Hugo Pratt, le créateur disparu il y a trente ans.
 
Bien qu’affecté un instant par la mort de son ami Steiner, le marin qui peut difficilement passer inaperçu, traverse les nuits de Berlin et les maléfices magiques de Prague avec un flegme qui met à distance le lecteur.
Ces années là sont bien sombres où les sociétés secrètes nazies apparaissent  avec une virulence grandissante dans la fragile république de Weimar. Mais d’autres enjeux autour de cartes de tarot m’ont semblé hors du jeu. 
La planisphère figurant en page 2 et 3 de l’album de 72 planches est nécessaire pour répertorier tous le lieux de aventures de l’insaisissable héros né en 1967, mais je ne sais si je serai au prochain rendez-vous.

lundi 10 février 2025

Julie se tait. Leonardo Van Dijl.

Une jeune championne de tennis promise à un bel avenir sportif est sollicitée de la part de son entourage et de l’encadrement du club pour témoigner suite au suicide d’une joueuse en formation. Son entraineur a été suspendu.
Entre les entrainements exigeants sur les courts et les cours, le réalisateur délicat ne divulgue que de légers indices évitant tout éclat, les entretiens se tenant dans la pénombre. La forme sobre de ce film d’une heure trente exprime avec délicatesse ce lourd silence qui dit beaucoup. Le spectateur a le temps de se faire son idée et d’éprouver l’emprise que peut subir Julie interprétée remarquablement par Tessa Van den Broeck dans son premier rôle.

samedi 8 février 2025

A nos vies imparfaites. Véronique Ovaldé.

Huit nouvelles s’enchainent agréablement dans ce recueil de 150 pages avec certains personnages passant du second au premier plan d'un chapitre à l'autre. 
Dans un bus :  
« Elle entend les gens râler, Avancez vers le fond, putain. Elle se dit qu'ils sont tous (elle comprise) des personnages de second plan dans la vie des autres. Des figurants. Comme ceux qui se font assassiner au début du film ou engloutir par la coulée de lave. Mais ils sont le centre de leur propre vie. Leur propre fil à plomb. Et cet agrégat de fils à plomb dans un espace aussi réduit est une aberration. Ça pourrait même devenir explosif. Elle imagine une nuée de phylactères au-dessus de leurs têtes. Chacun dirait, Je suis la personne la plus importante de ma vie. » 
Si j’ai été déconcerté par les parenthèses, de la solide écrivaine, auxquelles je préfère les deux points en matière de ponctuation, j’ai  savouré sa fantaisie et l’acuité de son regard original,  sans illusion ni inquiétude. 
« Elle se mit à collectionner les mots qui, quand ils passent au féminin, deviennent des objets ou du moins perdent leur nature humaine : veilleur veilleuse, chevalier chevalière, gourmet gourmette etc... »  
Son « réalisme magique », qui lui a valu bien des prix, présente d’intéressants types d’hommes et femmes aux destins ordinaires qu’elle magnifie sans artifice.  
« … les gamins du quartier n’appelaient plus sa mère que la folle - malgré le fait que leurs propres mères et grands-mères venaient la consulter en cas de disparition de l’aimé, de ventre sec, de ménopause mélancolique, ou de règles douloureuses. »

vendredi 7 février 2025

Trompe.

Pour n’avoir vu nulle part ce jeu de mot minable : « Trompe » à propos de Trump, c’est sans doute parce que c’est vraiment bébête, pas à la hauteur de notre sidération et qu’il n’y a décidément pas de quoi rire. Il a beaucoup trompété, mais n’a pas trompé son monde qui ne demandait qu’à être trompé.
Les réprobations, les haines, dont il se nourrit occupent notre espace mental et nous figent, nous pourrions en oublier Poutine, Erdogan, Modi, Xi Jinping…
Mais pas facile d’éviter les indignations trop simples à l’encontre du big chief des USA, révélateur puissant de nos impuissances et de la vanité de nos postures méprisantes.
Le tableau manichéen bien trop lumineux nous aveugle :la tyrannie contre la démocratie, la bêtise contre l’intelligence, le bien contre le mal.
Lui, si mauvais, a gagné, il fallait que les démocrates en face soient vraiment faibles et les « woke » suffisamment énervants qui ont conduit les électeurs à passer par-dessus les bons résultats économiques de Biden, comme le firent ceux qui s’étaient éloignés de Jospin en 2002.
Les autocritiques des politiques et des médias ont fait long feu. Chaque camp est si sûr de sa vérité ; ce mot « vérité » éclatant au milieu de tant de fausses nouvelles en tous sens, s’accole désormais au terme « alternative » dont les connotations furent jadis confidentielles. Aujourd’hui tonitruantes,  elles garnissent le carquois des journalistes qui répercutent surtout bruit et fureur des réseaux sociopathes.
Dans un océan d’inepties, le milliardaire met pourtant en lumière quelques évidences flatteuses pour les intérêts des américains. Ils ne souhaitent plus se faire trouer la paillasse pour l’Europe : à nous d’assurer notre défense ! Sommes nous prêts ne serait ce qu’à sacrifier quelques deniers ?
La qualité de « grande démocratie », attribuée auparavant à l’Inde, désormais passée au rang d’« autocratie électorale » ne conviendra bientôt plus à celle qui était encore au moins la plus puissante d’une planète où 40 % de la population vit sous un régime autoritaire.
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, compte la Chine, Cuba, la Russie, le Qatar… parmi les états élus par l’Assemblée générale.
Ahuris, nous écarquillons yeux et oreilles en entendant les assaillants du Capitole, mais combien de citoyens français ne cessent de contester la légitimité des élus ? Jaune fluo, black en bloc cagoulés, floutés des reportages, anonymes des « ragots sociaux » et autres convenus à la table des « mutins de Panurge ».
Depuis les trop roses appels à vivre ensemble, nous vivons dans un monde déchiqueté façon confettis d’après la fête: à chacun son paradis qu’il soit fiscal comme aux îles Caïman ou à la mode bling-bling comme à Dubaï. Les plus casaniers se réfugient devant une série horrifique sous la couette. Les campagnards garnissent le congélateur au cas où le réchauffement s’accentuerait, pendant que d’autres à l’hubris catastrophiste foncent vers les abris.
Famille, patries, quartiers, communauté : les pétitionnaires pétaradant de jadis ne vireraient quand même pas tous à une trilogie pétainiste tournant sur deux pieds, le travail s’étant barré.
Le fusil de chasse n’est pas bien vu du côté de l’Hôtel de ville de Grenoble quand la bécasse abonde, alors que la kalachnikov a la côte du côté 38100.
D’ailleurs au moment  lorsque la question  du « coke en stock » devient centrale, l’avis du maire de Grenoble qui promeut le « dry january », prônant en même temps la légalisation du cannabis tout au long de l’année, est vraiment inopportune, une fois de plus.
Question pétoires, nous ne sommes pas encore au niveau des U.S.A. : 
«  En 2022, 48 204 morts étaient liées aux armes à feu dans le pays, ce qui inclut les suicides. Près d'un Américain sur cinq a un membre de sa famille qui est mort par armes à feu, … Les armes à feu sont depuis 2020 la première cause de décès chez les enfants et les adolescents aux Etats-Unis, devant les accidents de la route. »   
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« Les femmes de Trump étaient toutes des immigrées. Cela prouve une fois de plus que seules les immigrés font le travail que les américains ne veulent pas faire. »