Nageur ankylosé, encombré de métaphores, je me tiens à quelques vénérables bouées pour
éviter d’être englouti dans les ondes troublées par les dégouts sociaux en
réseaux.
Si je n’hésite jamais à saisir des occasions de me vautrer
dans le pessimisme, je ne m’étais pas senti particulièrement concerné par cet
entretien de Cynthia Fleury dans Le Monde début novembre, et pourtant !
« Là encore, ce
sentiment de ne plus comprendre le monde qui nous entoure n’est pas nouveau, il
signe sans doute ce moment où chacun d’entre nous commence à faire connaissance
avec un monde qui se passera de lui… »
Et puis, de quelques paroles saisies au matin jusqu’à une récidive
impromptue le même jour, je viens d’apprécier à nouveau la philosophe, entendue
en d’autres temps, lors d’un forum à Lyon http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/02/cest-quoi-etre-de-gauche.html
.
Son dernier livre que je n’ai pas encore lu : «
Ci-git l’amer » peut-il nous « guérir du ressentiment » comme il est
précisé en sous titre ? Les entretiens qui présentent son ouvrage de plus
de 300 pages sont appétissants lorsqu’ils posent la psychanalyste face au
« délire victimaire ». Son vocabulaire, osant de mots précis sur les
plateaux rigolards, ne se laisse pas aller aux facilités médiatiques et laisse prévoir
que la lecture de son essai ne doit pas être aisée :
« Le ressentiment
est binaire, c’est un phénomène de réductionnisme, de refus de la complexité et
de manque de discernement. Il dévalue, dénigre les outils même de la régulation
démocratique et fantasme la radicalisation, la violence comme pureté de
l’action. »
Cette exigence dans l’expression témoigne d’un
positionnement tranchant avec les lâchetés ambiantes tout en se gardant forcément de dénoncer « l’autre ».
« Le fascisme, le
complotisme, le conspirationnisme, le populisme, l’intégrisme religieux,
l’islamisme, toutes ces idéologies sont différentes mais ont en partage de
grands invariants, dont l’impossibilité d’accepter le réel de l’autre, et donc
le réel tout court. Ces phénomènes sont structurés autour de la pulsion
ressentimiste, consciente ou inconsciente, le délire de persécution, le fait de
préférer la construction d’un « fétiche » en lieu et place de la
réalité qui est refusée, car jugée insupportable, injuste – souvent à juste
titre. Ce « fétiche » peut être tout à fait un dogme religieux, une
conviction « antisystème », que sais-je.»
«Pour qualifier le
fascisme, Wilhelm Reich (1897-1957) use de la notion de « peste
émotionnelle », mais elle est parfaitement opérationnelle pour
désigner le monde d’aujourd’hui, dans la mesure où, rappelle-t-il à raison, le
« fascisme en moi » précède le fascisme. Autrement dit, ce sont les
individus insécurisés psychiquement qui « basculent » dans le
ressentiment et possiblement dans la haine contre autrui, qui choisissent un
leader, n’importe lequel, du moment qu’il vient conforter cette pulsion
ressentimiste.»
Nous sommes loin des conversations entre beaufs, quand je
m’offusquais à l’objection que la lutte pour plus d’égalité était une affaire
d’envieux. Aujourd’hui je trouve qu’effectivement rancœur, animosité, violence,
se banalisent et relativisent des aspirations légitimes à plus de
reconnaissance, nous rendant sourds quand viennent de surcroit s’y accoler parfois d’autres
récriminations abusives.
Bien sûr chaque individu est essentiel, mais si tous les métiers sont
nécessaires lesquels sont indispensables ? A ne plus distinguer les
bornes, à donner le bac à tous, quand tout se vaut, rien ne vaut, et le flou
vient dans les bambous : gare au loup ! Le mot " gardien de la paix" devient inaudible quand pleuvent les coups dans une société où le bonheur est indexé sur le temps de présence au bar.