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dimanche 16 avril 2023

Showgirl. Marlène Saldana Jonathan Drillet.

J’avais trouvé que la silhouette sexy cousue sur la silhouette plantureuse de l’artiste qui débute le show était bienvenue. 
En fait il s’agit de la reprise du graphisme du film « Showgirls » de Paul Verhoeven qui avait obtenu le prix du « pire film de la décennie et du siècle précédent » puis est devenu « culte ».
Au bout d’une heure et demie de théâtre où le kitch au rouge à lèvre débordant est sans cesse interrogé 
« Le bon goût, c’est l’ennemi de la créativité » j’avais manqué de références.   
Mais en me renseignant sur Wikipédia, j’en étais à partager le même sentiment qu’un critique du « Monde » qui après le film, avait écrit : 
« Le vide, même avec la conscience de la vacuité, reste le vide. »
Il s’était repenti quelques années plus tard :
« … la dialectique entre le corps-simulacre, le corps-image, le corps fétichisé, et le corps réel, la biologie… Showgirls parle bien sûr de cela. [...] Quand on regarde les grands films de l'histoire du cinéma, on voit que très peu ont été compris en leur temps. L’art est toujours en avance. » 
Pour ce qui concerne la version théâtrale, je ne l’accompagne plus dans son revirement, même si l’actrice excellente impose avec grâce son corps très dénudé, fière de son poids, comme on a pu déjà le voir chez Fellini avant que les « phobes » n’adjoignent ce suffixe aux gros et aux grosses… de riches.
Les mots sont bien troussés : 
« Dans cette ville branchée sublime chic et classe
Ringarde artificielle vulgaire cheap et crasse
Je l’ai compris dès le début faut devenir une vraie badasse
Sinon tu te fais baiser, bienvenue à Las Vegas. » 
Pourtant dominent chez moi accablement et fatigue quand face au parti pris véhément de ne voir que des ordures qui peupleraient ce monde, il n’y aurait qu’un humour codé, cynique, désespéré, à leur opposer. 
 

dimanche 9 avril 2023

Ombres portées. Raphaëlle Boitel.

Des scènes de théâtre, des séquences de danse et des performances circassiennes se juxtaposent sans se parler sous une musique soulignant le pathos.
Les non-dits de cette chronique familiale sont appuyés par des dialogues parfois volontairement ou pas inaudibles, autour d’un père impavide et des filles excitassées. 
Le drame braillard succède à des scènes au comique insistant si bien que je me suis identifié au muet de la famille ne parvenant pas à éteindre la radio.
Il n’y a bien que la stroboscopique lumière pour apporter quelque peu d’originalité, à cette heure dix qui s’étire. Le titre est juste, car «ombre portée» c’est la « zone d’ombre résultant de l’interception de la lumière » bien jolie, mais le propos est resté obscur.
Pourtant la première image de l’acrobate sur sa corde est belle, et ses paroles dites sans essoufflement ajoutent à la performance. Mais bien vite entre rêve et cauchemar, rire et souffrance, la poésie disparaît aussi vite qu’elle est apparue.
La chorégraphe dit elle-même : 
« L’univers tragi-comique et la métamorphose, propres à Kafka, ont toujours été présents dans mes projets. De façon poétique, Ombres Portées, aussi inspiré des polars des années 50, du cinéma de science-fiction et de la bande dessinée, nous plonge dans des destins qui basculent. » 
Tout ça ? C’est un peu lourd pour un spectacle qui se voudrait aussi aérien. 

dimanche 2 avril 2023

To like or not to like. Emilie Anna Maillet.

Pourquoi va-t-on au théâtre ? Pour oublier, se rassurer, s’émerveiller, s’interroger…
Bobo vieillissant jouant les critiques amateurs, ce soir je prends volontiers la pose du curieux avide de visiter un territoire en voie d’être abordé par mes petits enfants.
A la suite d’une fête et de la publication d’une séquence sur Instagram, une dizaine de filles et garçons dans la fleur de l'âge s’affirment se cachent, flirtent, s’affrontent, se cherchent.
J’ai été d’abord décontenancé par la violence des protagonistes, tout en retrouvant des dispositifs tape à l’œil déjà vus et quelques stéréotypes : ballon de basket, skate, écrans devant caractériser la classe jadis dite novice.
Et puis au fur et à mesure que se dessinent les caractères mis en lumière par d'excellents très jeunes acteurs, les échanges virtuels, les jeux vidéo prennent tout leur sens, leur force.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que l'âge tendre est braillard, absolu et que les amours naissantes déchirent, mentent avec sincérité, amplifiées par les moyens de communication contemporains.
Les quiproquos, les surprises et les rebondissements qui font le sel de la scène depuis toujours s’enchainent à la vitesse d'aujourd'hui.
La musique de Gloria Gaynor lors du final nous encourage à applaudir avec encore plus de vigueur : 
« Oh, as long as I know how to love I know I'll stay alive 
Oh, tant que je sais aimer je sais que je resterai en vie
I've got all my life to live and I've got all my love to give 
J'ai toute ma vie à vivre et j'ai tout mon amour à donner 
And I'll survive, I will survive, hey, hey
Et je survivrai, je survivrai, hé, hé » 
Les lycéens,  dans la salle dont certains participaient avec bonheur au brouhaha autour du buzz proposé par l’auteur, n’étaient pas nés en 1998 au moment où la chanson résiliente accompagnait Zidane et les siens.

dimanche 26 mars 2023

Un soir de gala. Vincent Dedienne.

Merci jeune homme pour ce moment suspendu au dessus des criailleries, des petitesses pour ce moment de tendresse où se rappellent les douceurs de l’enfance et la sagesse de la vieillesse. 
Rire de tout à en pleurer, entre chagrin et aigreur : « chagreur ».
La chanson d’Aznavour chantée par une autre nous poursuit : 
« Lorsque l'on tient
Entre ses mains
Cette richesse
Avoir vingt ans, des lendemains
Pleins de promesses
Quand l'amour sur nous se penche
Pour nous offrir ses nuits blanches
Lorsque l'on voit
Loin devant soi
Rire la vie
Brodée d'espoir, riche de joie
Et de folie
II faut boire jusqu'à l'ivresse
Sa jeunesse »
 
Le comédien est virtuose lorsqu’il nuance Stendhal :  
« Au bout de chaque rue une montagne »  
adaptant son spectacle au lieu, sans démagogie, dans un sourire, des centaines de sourires. Tous les personnages évoqués dont on aime se rappeler à la sortie pour prolonger le plaisir : le journaliste speedé, la vedette pontifiante plaçant ses produits, l’organisateur de voyages, la chorégraphe, la maîtresse de maison et sa bonne, l’animateur en EHPAD, le vieux qui court les enterrements de stars, discours de mariage et d’incinération… sont drôles, poétiques, justes et absurdes. 
Les transitions sous forme de confidences installent d’emblée une complicité où « l’humoriste efféminé qui fait croire qu’il a besoin d’un piano » peut tout se permettre tant son humour gentil nous répare de toutes les abaissements habituels.
Un seul en scène toujours aussi bon.
 

dimanche 19 mars 2023

Pli. Inbal Ben Haim.

Sur le papier, le projet de jouer sur la fragilité et la solidité du papier était original.
Ce matériau inusité au cirque permet de beaux tableaux quand l’acrobate joue d’un écheveau se déchirant au cours de sa performance aérienne ou lorsqu’elle traverse des bandes ondoyantes et vulnérables.
Mais je n’ai pas perçu une cohérence entre ces séquences apposées.
La bonne idée d’un corps se libérant de sa chrysalide made chez Arjowiggins aurait pu figurer au début, plutôt qu’au cours d’une déambulation interminable entre l’auteur et deux machinistes aux airs pénétrés avant que s’exprime la virtuosité de l’artiste.
Les rouleaux se déroulent, de beaux et amples rubans se froissent, s’assemblent, se recouvrent en vagues, en dunes, en pouf.
Mais la poésie s’évapore quand elle est soulignée. L’intervention d’un manipulateur agitant une planche pour animer des lanières comme pour activer un barbecue casse le délicat équilibre qui convenait à une musique minimaliste.
Ce spectacle aurait pu convenir au Festival International de Spectacles Jeunes Publics , « Au bonheur des mômes »,là où le partage des sensations élémentaires est plus facile dans des jauges plus intimes que dans ce dit « Grand » théâtre de Grenoble aussi désuet dedans que disgracieux dehors. 
Le centre chorégraphique de Grenoble où l’auteur était en résidence m’a paru avant tout circassien plutôt que dansant.
Cette heure aurait pu être plus consistante en étant plus ramassée, avec plus de rythme, de liens, alors elle éviterait les facilités d’un jugement qui n’aurait retenu qu’une esthétique de carton pâte. 

dimanche 12 mars 2023

Une jeunesse en été. Simon Roth.

Inspirés par le film de Jean Rouch et Edgard Morin : « Chronique d’un été » (1961) le jeune auteur et sa troupe ont recueilli les avis de personnes rencontrées en faisant de l’auto-stop. 
La question initiale : « Comment vis-tu ? Comment te débrouilles-tu avec la vie? » et ses variantes va amener des réponses élémentaires concernant le bonheur, la mort, les liens, le genre, l’image de soi… parfaitement retranscrites dans des évocations poétiques ou drôles, des monologues émouvants ou tonitruants, des dialogues de sourds (générationnels).
Lors d’un micro trottoir projeté sur l’écran en fond de scène :  
«- Etes-vous heureux ?
 - Oui… à Grenoble : non ! » (rires)
Les défauts d’une première production, où « je - je » s’expose, en arrivent à être attendrissants tant cette heure quarante cinq pétille, se situant à la hauteur de l’ambition affichée :«  dramaturgie plurielle » voire «  nouveau souffle au théâtre français ».
Pourtant un plateau encombré de palettes et de pneus avec monologue initial devant la salle éclairée était plutôt conventionnel. Mais la combinaison virtuose entre vidéo et acteurs en live synchronisant des témoignages s'avère féconde. Une femme prête sa voix à un homme, une blonde joue un Sénégalais, et bien vite toute polémique à propos de l’appropriation valdinguent. 
La fidélité du théâtre à la vie, la place des acteurs et le plaisir du jeu se revisitent avec légèreté. 
A travers des témoignages pittoresques ou banals qui ne sont pas les moins signifiants, le respect de la parole des personnes interrogées est évident qu’elle soit recueillie à Notre Dame des Landes ou auprès d’un prêtre. 
Un théâtre humaniste, un théâtre honnête.

dimanche 5 mars 2023

Petit pays. Frédéric R. Fisbach.

Sur le net, les critiques de théâtre sont maigrichonnes, alors que celles de cinéma déchainent les passions et que pour les livres les avis sont variés.
Concernant ce spectacle, bien des annonceurs parlent surtout du livre remarquable, mais lorsqu’ils disent que le théâtre « donne corps au texte », je ne les suis plus. 
Les images projetées en fond sont justes car subtiles, mais les passages chorégraphiés esthétisent le drame. Les explications pédagogiques surchargent un récit qui a suffisamment de force pour nous interroger : tourments d’une famille et déchirements effroyables d’un continent. 
La recherche de paroles chorales est respectable, mais le peu de situations de dialogue au détriment de déclamations solitaires devenues la norme, alourdit le propos. 
La salle était d’ailleurs dubitative au bout de deux heures et je me suis retrouvé embarrassé entre mes voisins s’abstenant de tout applaudissement alors que malgré mes réserves, je battais des mains pour les acteurs investis.
Le succès du livre de Gaël Faye tenait à son originalité, et se dispensait d’asséner des explications univoques à propos du génocide des Tutsis.
Quand la démocratie est dénoncée comme un instrument du colonialisme, ce qui n’apparaissait pas d’une façon criante dans le livre, si mes souvenirs sont bons, mes écoutilles se ferment. 
Les assassins Hutus ne seraient que des élèves obéissants aux méchants allemands de 1885 et autres belges à leur suite?
Merci Wikipédia : 
« Au 1er janvier 2016, le Rwanda  occupe la 1re place en termes de progrès de développement humain sur les vingt dernières années, selon le dernier rapport (14 décembre 2015) des Nations unies; le « World Economic Forum », dans son dernier rapport sur la bonne gouvernance mondiale, estime que le Rwanda est le 7e pays le mieux géré de la planète. » 

dimanche 26 février 2023

Harvey. Laurent Pelly.

Ah, l’humour ! Alors que je regrette son effacement dans nos rapports sociaux, au milieu d’une salle rieuse, je me suis senti hors du coup, trouvant cette pièce de Mary Chase de 1944 sans saveur, avec en vedette
un Jacques Gamblin muni de son Molière, surévalué.
Il n’y a que la mise en scène de Laurent Pelly à sauver qui essaie de donner un peu de rythme à cette heure quarante bien longue. Les changements véloces de décor jouant sur les illusions de la réalité sont les éléments les plus convaincants pour illustrer la thématique principale: qui est fou ?
Le gentil personnage central a un ami imaginaire gênant sa tante et sa fille au point qu’elles souhaitent le faire interner, d’où une suite de quiproquos.
Mais la gestuelle mécanique, une poésie à la Jacques Tati, un humour désuet qu’on n’oserait dire de boulevard, un absurde british, une loufoquerie genre Benny Hill m’ont semblé aussi surannés que le téléphone qui scande le début de la représentation avec fille niaise, mère évaporée et psychiatre frapadingue. 
S’il suffit aux critiques de l’évocation d’un lapin pour invoquer Lewis Carroll, qu’ils me communiquent l’adresse de leur droguerie pour que je décolle de cette terne représentation.

dimanche 19 février 2023

Starmania. La Seine musicale.

« Quand on arrive en ville » ainsi que le clame une des chansons entrainante de la comédie musicale de retour à Boulogne, le provincial a tendance à aller vers les lumières des succès immémoriaux de quarante ans d’âge. 
« Le blues du businessman » comme il est nommé dans Le Petit Prince fut chanté par Tapie et si «Le monde est stone »,
il y a toujours possibilité de se tenir «Les uns contre les autres » 
car «SOS d’un terrien en détresse »:
on a toujours «Besoin d’amour». 
L’œuvre quarantenaire vue par six millions de personnes peut être jugée prophétique, sans les stigmates du temps, même si Balavoine, Diane Dufresne, FabienneThibeault, France Gall, Maurane ne sont plus à l’affiche.
L’opéra rock de Michel Berger et Luc Plamondon en met plein les yeux et ses musiques évincent en les esthétisant la fascination face à la violence, voire les délices d’un abandon à son ravisseur.
L’underground aux obscurités attirantes n’est pas si loin des lanternes scintillantes du showbiz et les rêves de notoriété, les gourous, les manipulations sont toujours d’actualité. 
Les patronymes Zéro Janvier, Johnny Rockfort, Cristal, qui pourraient figurer dans quelque BD facile sont transparents et tous les chanteur.se.s ne sont pas à la hauteur de Marie-Jeanne, mais dans une salle de la taille d’un stade pour un spectacle de trois heures, on serait amené à dire qu’on en a pour son argent (75 € la place quand même).
 

dimanche 29 janvier 2023

Edmond. Alexis Michalik.

Le théâtre du Palais-Royal à l’italienne avec ses moulures, ses dorures, était parfait pour cet hommage à Rostand Edmond auteur de « Cyrano », devenu emblématique du caractère français. 
« C'est un roc ! C'est un pic ! C'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? C'est une péninsule ! » 
A la toute fin du XIX° siècle, les vaudevilles de Feydeau et Courteline triomphent sur les boulevards et Strindberg, Tchékhov, Ibsen incarnent déjà la modernité, alors le dramaturge quasi trentenaire a bien du mérite à croire obstinément en ses alexandrins.
« Je me les sers moi-même, avec assez de verve 
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve » 
Il faut toute la confiance de l’acteur Coquelin commanditaire d'une pièce en cours d’écriture pour en tenir le rôle principal.
Nous croisons Sarah Bernard amie du couple formé par Edmond et Rosemonde Gérard qui passe des dettes à l’abondance, en des péripéties alimentant une dramaturgie épique où le panache est servi sur un plateau. 
« Que dites-vous ? C'est inutile ? Je le sais ! 
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! 
Non !Non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! »
La pièce colorée, récompensée par 5 Molières, jouée plus de 1 000 fois et vue par 700 000 spectateurs, entremêle la vie romancée et la fiction sur un rythme soutenu. L’humour se combine avec le romantisme et aborde des questions sur la fidélité, la création, le succès. 
Le propos va au-delà d’un biopic plaisant et renouvelle avec simplicité en un rythme allègre, l’éternelle représentation du théâtre au théâtre. Les douze acteurs partagent leur plaisir de jouer avec un public enchanté d’avoir passé deux heures délicieuses garanties sans OGM   (Objurgations Généralement Militantes).

dimanche 22 janvier 2023

Backbone. Gravity & Other Myths.

A la recherche d’adjectifs synonymes d’ « époustouflant », on va s’épuiser comme en applaudissant avec une salle debout, à en avoir les mains qui chauffent.
Nous avons suspendu notre souffle pendant une heure vingt et avons mal aux vertèbres pour eux, les circassiens, quand nos raideurs nous situent aux antipodes de leur stupéfiante souplesse.
backbone = colonne vertébrale. Merci aux avions qui ont permis à la troupe australienne de venir chez nous. 
La décontraction de la troupe met en valeur des jaillissements surprenants de virtuosité, de rigueur absolue, de confiance entre les acrobates acteurs d’une symphonie magnifique sur des partitions de musique énergisantes. 
La tension monte, s’apaise, des éléments de l’introduction se retrouvent à la fin quand au salut la pesanteur revient, chacun porte son rocher décisif : humour et gravité, voltiges, danse, raideur, élasticité, coopération et superbes bagarres, cupelettes, virevoltes…
A la une à la deux que je te balance ! Elle retombe comme une fleur. 
Et cette pauvre fille couchée au bout d’un bâton quand vont-ils la descendre ? 
L’inventivité est de tous les instants avec portés et voltiges variés dans tous les coins de la scène aux lumières pop : pyramides humaines on ne peut plus collectives et totem solitaire. Les filles jouent les cordes à sauter, grimpent en haut des corps assemblés, empilés le temps d’une prouesse qu’on ne peut admirer longtemps, qu’une autre surgit.  
Les performances vertigineuses s’enchainent aux moments poétiques quand par exemple des perches immenses sont tenues en équilibre sur les têtes des dix artistes. 
Ces quelques lignes verticales élémentaires, fragiles reposent sur une assurance étonnante parmi un bouquet ininterrompu d’arabesques merveilleuses. 
Dix étoiles.  

dimanche 15 janvier 2023

Cabaret de l'Exil. Bartabas.

J’ai vécu comme un privilège d’aller voir chez lui
au Fort d'Aubervilliers celui que je suis depuis si longtemps, plaisir redoublé, car je croyais qu’il allait dételer. 
Du haut de sa chaire, un truculent personnage nous accueille d’une telle façon que c’est bien dans une cathédrale que nous pénétrons, en bois avec au bord de la piste des tables éclairées de lampes tamisées. Nous sommes invités à utiliser notre intelligence naturelle donc à éteindre nos intelligences artificielles. 
Bartabas se devait, après tant de voyages divers, d’évoquer les « Irish travellers », nomades irlandais avec sa troupe nommée Zingaro (tzigane en italien).
« Une Irish idée » titre Libération dans un bel article.
Cavaliers et cavalières, nous prennent pendant une heure et demie dans les volutes harmonieuses de leurs vifs déplacements alternés avec des moments de paisible enchantement. 
« Tu lances ton visage à la pluie
Et chantes pour apprivoiser les gouttes
Là-bas sur la lande de bruyère pourpre
L’arc-en-ciel se prosterne devant toi…
Traveller, tes livres n’ont pas de pages
De Galway à Wicklow, de Cork à Donegal
Le son des routes est rempli de ta voix. » 
Des moutons magnifiques et des oies sont de la fête. Des prêtres hauts en couleur dont l’un est concurrencé par un bouc bien païen et hiératique Bartabas, participent à la célébration des splendides postures des chevaux. Leur liberté magnifiée est le résultat d’un dressage subtil d’autant plus contraignant en amont que le maître n’intervient que très discrètement pendant la représentation par des bruits de bouche que nous avons pu percevoir car le chef était près de nous.  
Costaud de foire, acrobate époustouflant, femme de petite taille sur un grand cheval et mari benêt montant un âne blanc, danseur de claquettes sortant d’un tonneau, nous enivrent, en une farandole de tableaux assaisonnés de musiques entrainantes de l’Eire. 
La scène finale se déroule autour d’un feu devenu un luxe pour les sédentaires dépaysés que nous sommes. La boucle est bouclée depuis qu’en début de spectacle nous avons appris que doit être brûlée la roulotte d’un défunt pour que son fantôme ne revienne pas.
Que reviennent des créatures nouvelles pour un troisième volet du « Cabaret de l’exil » commencé avec le Yiddishland. 

dimanche 8 janvier 2023

Les gardiennes. Nacer Djemaï.

Trois vieilles dames se sont installées chez Rose, leur amie, depuis que celle-ci ne peut plus se déplacer ni parler. Elles l’entourent de toutes leurs attentions, chacune avec son caractère bien campé, gouailleur, rêveur, poétique.
Dans le genre « Vieux fourneaux » au féminin 
 elles appellent la sympathie.
Ce qui n’est pas le cas de la fille qui arrive chez sa mère pour la conduire dans un établissement médicalisé.
Mais le manichéisme n’est pas le genre de la maison, quand il y a des motifs pour comprendre l’intruse et des désaccords à l’égard des parfois abusives « babayagas », du nom d’une maison de retraite alternative installée à Montreuil.
Le conflit entre les anciennes paisibles et la moderne speedée provoque souvent les rires ou l’émotion, mais ne s’achemine pas vers une conclusion convenue.
Si les transitions oniriques nuisent, à mon sens, au rythme de cette pièce d’une heure trois quart, la chronique du quotidien à propos d’un sujet de société qui concerne surtout les boomers est toujours aussi juste et limpide. 
Ma jeune voisine était ravie alors que d’autres lycéens regardaient leur portable sous l’œil impavide des adultes les accompagnant. 

dimanche 18 décembre 2022

Via Injabulo.

La fidélité de la MC 2 envers cette compagnie venue d’Afrique du sud a prévalu sur la doctrine du circuit court en matière culturelle et c’est tant mieux. 
Nous retrouvons la troupe illustrant le titre où apparaît le mot « joie » avec une énergie communicative pour célébrer leur culture aux rythmes affolants et renouveler les approches.
Le chorégraphe Marco da Silva Ferreira a réglé la première partie qui brièvement m‘a fait craindre le pire quand une danseuse esquisse quelques gestes dans le silence. 
Ce procédé devenu tellement ordinaire s’aligne sur des idées pas si nouvelles d’ailleurs de littérature sans phrases ou de peinture sans couleur.
Mais la danse sans son laisse vite la place à une troupe harmonieuse où les pieds agiles vont souligner le tempo d'une musique  revenue. Nous apercevons dans ces mouvements frénétiques, des souvenirs de Johnny Clegg et des scansions de mineurs en bottes.
Le décollement du tapis de sol avant l’entracte n’apparaît pas comme une facilité de mise en scène mais comme une occasion de danser encore autour de perspectives nouvelles tout en offrant une image originale et féconde. 
Dans la deuxième partie voulue par Amala Dianor l’ambiance est celle d’une boite de nuit pour laquelle les danseurs, venus avec leur glacière, se sont sapés. Le collectif convainc les individus même si au moment où la fumée et une lumière bleue arrivent sur le plateau, j’ai perçu une légère baisse de tension bien compréhensible tant l’intensité ne peut s’exercer sans cesse avec tant de force.

dimanche 11 décembre 2022

Le Roi Lear. Georges Lavaudant. Shakespeare.

La MC2 nous a proposé une prestigieuse soirée dans la salle Lavaudant où Georges Lavaudant 
mettait en scène pour trois heures trente, l’œuvre la plus connue depuis 1606 de Shakespeare,
servi par le puissant Jacques Weber essayant de surmonter les fragilités de ses 73 ans.
« Sache que les hommes sont ce qu'est leur époque. » 
D'après Leir roi de l’île de Bretagne d’avant la conquête romaine, la pièce du célèbre Anglais, devenue légendaire aurait inspiré « Le père Goriot » autre monument de la littérature, pour ce qui concerne les liens d’un père et ses filles. 
Mais une lecture abusivement psychologisante aurait tôt fait de percevoir que la lourdeur de ses chantages affectifs annoncent les lézardes à venir. Lear porte surtout sur ses épaules toutes les métaphores du pouvoir, de la folie, de la vieillesse. 
« Des mouches aux mains d'enfants espiègles, voici ce que nous sommes pour les dieux ; ils nous tuent pour s'amuser. » 
La mise en scène épurée, accompagnée de musiques discrètes où surprennent quelques éclats, respecte l’auteur avec une hécatombe finale teintée d’ humour pour éviter une conclusion trop kitch.
Le novateur metteur en scène de « Maître Puntila et son valet Matti » est devenu un classique qui rassure le spectateur chenu. Prenant de la distance avec les émotions que pourraient faire naître la déchéance d’un souverain en fin de parcours, je n’ai pas fait de pont  non plus avec des évocations d’enjeux de pouvoir contemporains, encore que : 
« La sagesse et la bonté semblent viles à ceux qui ont l'âme vile. »
 Parmi tant de belles formules d’une langue à la foi verte et vigoureuse, dorée et chantournée, j’ai voulu retenir : 
« Je n’ai pas de chemin, n’ai donc pas besoin d’yeux. » 
plutôt que le trop facile : 
« Le malheur du temps est que les fous guident les aveugles. » 

dimanche 4 décembre 2022

Navy blue. Oana Doherty.

Douze danseurs bien soudés en bleu de travail sillonnent le plateau sur le Concerto pour piano n°2 de Rachmaninov, même pas cité dans le journal de salle, alors que les mouvements s’accrochent à l’ample musique dans cette première partie avec des gestes inédits, des tremblements émouvants, une chorégraphie dense.
Puis une détonation survient et un homme s’écroule, jusqu’à ce que toute la troupe tombe et qu’une lumière couleur bleu mercure recouvre la scène, métaphore sanglante mais agréable à l’œil.
Ils se relèveront, lèveront le poing cette fois sur fond de musique techno de Jamie xx dont la modestie a du souffrir puisque lui est cité. Un texte en anglais où une longue liste de tous les méchants de la planète ressuscite Idi Amin voire DSK, en oublie Erdogan par exemple, alors que des tas d’autres de moindre notoriété apparaissent dans la traduction mise heureusement à notre disposition. 
Le propos détaille le budget de cette production, évoque le prix des gardes d’enfants (3000 €) témoignant d’un désir de transparence original comme est indiscutable la conclusion : 
« Je vais sortir de ce théâtre, et vous allez sortir de ce théâtre, et nous allons faire des choses insignifiantes, et ces choses là, dieu merci elles compteront. » 
Les artistes dansent dans l’obscurité et l’une d’entre eux s’énerve sous le faisceau d’un projecteur qui semble emprisonner sa rage vaine.
J’ai mis RMC et Olivier Girou marquait son deuxième but.

dimanche 27 novembre 2022

L’Après-midi de Leyde. Thierry Vincent.

Le théâtre en appartement a bien du charme quand la compagnie « En Aparté » vous invite à partager une soirée avec Gustav Mahler et Sigmund Freud.
Nous sommes en bonne compagnie avec comme acteur amateur jouant le fameux psychanalyste, un pro de chez psy tout à fait crédible et son comparse tout aussi impliqué, alors que l’auteur de la pièce est également de la profession.
La rencontre eut lieu pour de vrai entre le musicien qui accompagne le film « Mort à Venise » et l’un des phares de notre civilisation en ce début du XX° siècle, elle nous offre les délices d’une conversation, mode devenu rare quand d’autres soliloquent « en apartheid ».
Nous révisons une variante d’un « Freud pour les nuls » présentée d’une façon vivante.
Le sage a en face de lui un passionné venant de recevoir la lettre ardente à lui adressée par l’amant de sa femme : geste on ne peut plus freudien comme ne peut le dire le thérapeute express.
Le bon sens de l’aubergiste qui reçoit les deux viennois aux Pays-Bas rejoint les pertinentes remarques du maître.
L’enfance est révisée, la judéité évoquée, le rapport à la musique développé, et surtout les relations aux femmes, ce « continent noir ».
Au cours des échanges après la représentation, j’apprends que la mise en sommeil des prédispositions musicales d’Alma  Mahler objet de la visite de Gustav avait été formalisée dans leur contrat de mariage. 
Un an après cette rencontre, il mourut après avoir composé sa neuvième symphonie comme Beethoven; ce chiffre maléfique pour lui l'avait hanté toute sa vie. On ne sait pas qui a payé la consultation dont la facture a été envoyée deux ans après.
Cette pièce donne aussi envie d’en savoir plus à propos de la vie extraordinaire d'Alma, l’absente si présente, d'écouter le musicien et de ne pas suivre forcément ceux qui cherchent à abattre ou déconstruire nos totems.
Malher: « Je vois que vous vous imaginez que la peinture ou la littérature sont plus accessibles à l’interprétation que la musique. En réalité vous vous trompez : l’élément rationnel ne constitue que le voile qui recouvre toute œuvre d’art, le fond est quasiment inaccessible. Il y a là un élément proprement mystique où réside le mystère de toute création. Un élément attractif puissant, un appel essentiel. Goethe en faisait l’Éternel Féminin. »
Freud : « C’est ici qu’il y a une différence essentielle entre vous et moi, Docteur Mahler. Ce que vous appelez l’élément mystique est un tour de passe-passe par où nous tentons de ruser avec l’inconscient. La vérité est tristement triviale. Ici, que vous le vouliez ou non, on retombe à nouveau sur la mère, votre mère, et le culte que vous lui vouez... »

dimanche 13 novembre 2022

Adieu la mélancolie. Luo Ying Roland Auzet.

Du théâtre enfin! Des dialogues vifs et des dispositifs spectaculaires permettent d’accéder plus aisément à des questionnements utiles.
En comparant avec d’autres spectacles récents, je révise mon jugement à propos d’un créateur s’affrontant à des sujets ambitieux, dont les défauts en arrivent à apparaitre comme des qualités. 
Par un dispositif efficace de « théâtre dans le théâtre », le hors scène est exploité d’une façon originale et la puissance des images vidéos donne à plein sous des rythmes live qui dynamisent ces deux heures de réflexion.
Nous partageons les doutes, les hésitations, du metteur en scène inspiré par le poète Luo Ying revenant sur la « terreur rouge » de la révolution culturelle (1966) et ce qu’elle révèle des passions collectives et des blessures intimes.
Le nombre de morts de cette période ne peut être précisé même en arrondissant à la dizaine de millions près. 
L’énigme d’un escamotage d’une part de l’histoire parait invraisemblable pour les héritiers chinois et autres ex french mao-spontex jadis éblouis. Le respect persistant des états envers un des fondateurs du parti communiste chinois est également hallucinant.
Fils de paysan rêvant de devenir un intellectuel, je jugeais salutaire le retour, là bas, des intellectuels à la campagne, même si j’avais trouvé consternants de platitude les aphorismes du Petit livre rouge.
Les considérations sur le « Timonier » manipulateur de gardes rouges pour mieux liquider les communistes sont d’un autre ordre par leur dimension monstrueuse que les soupçons de machiavélisme accompagnant toute décision politique ou la fatalité des effets pervers escortant toute intention de justice.
Ces évènements ont eu des répercutions planétaires et dans le temps surtout par ce qui a été tu. Tant d'ignorance ébranle pourtant personnellement ceux qui se sont construits dans le silence et l’oubli. 
L’inflexible cynisme des révolutionnaires ne serait-il pas constitutif de l’hyper capitalisme « despotique et prédateur » qui fait de l’empire du milieu la première puissance ?