A cette terrasse du bistrot près du Spar, je ne m’y suis jamais assise.
Une femme de la cité, attablée seule dans l’unique troquet à des kilomètres à la ronde, c’est suspect. Vous imaginez les regards hostiles des ménagères de cinquante ans plus ou moins, les ragots de porte en porte dans les coursives à courants d’air, les yeux vicelards des mecs. Une femme seule à une terrasse de l’unique rade à des kilomètres à la ronde, c’est louche, ça fait désordre, c’est de la provocation, surtout si la dame est rousse, qu’elle fume et qu’elle croise les jambes, haut. C’est pas mon portrait, je m’habille en sac pour m’épargner le viol. Y a des pervers qui aiment se faire des mamies : remarquez l’inverse est juste aussi.
Alors chaque mardi, mon jour de ménagèr, je ralentis la marche devant la terrasse minuscule pour vérifier s’il est là, devant son café, toujours sur la même chaise, les yeux dans le vague. Il a les mains fines, une barbiche à la Ho Chi Minh, une calvitie bien avancée. S’il pleut, il s’abrite sous un parapluie, ce qui doit énerver la tenancière, j’imagine, vu qu’elle ne déploie pas le store quand il pleut. Se mouiller pour deux euros !
Le chien de la patronne, un caniche grisonnant mal peigné ou pas peigné du tout, un clébard inoffensif, s’installe aux pieds de l’inconnu. Il sommeille, le museau sur les vieilles baskets de ce régulier en poussant des soupirs émouvants. Lonely dog for a lonely man !
Il y a ce va-et-vient des clients, leurs sacs Carrefour ou Picard, gonflés de bonnes intentions écologiques et équitables. J’entre au Spar. J’aime les Spar qui offrent moins de tentations que les hypermarchés, sont moins fatigants pour les quilles. De surcroît les proprios connaissent mes habitudes, mes préférences : ils me sourient.
Une de mes copines, un peu foldingue, ce qui fait en grande partie le plaisir de la fréquenter - elle s’appelle Andrée - adore se balader de Spar en Spar quand elle est en congés.
Elle n’achète rien, sort la tête haute, sourire énigmatique, je dirais plutôt sardonique, moi ! Elle préfère, dit-elle, trouver sa pitance aux marchés quotidiens de notre bonne commune : ce qui marche bien chez nous ce sont les marchés ! Quant au reste, c’est à chacun d’en décider !
Pourquoi, tu n’achètes rien ? C’est mon luxe, me répond-elle, ma séance de résistance à la tentation, l’exercice de ma liberté de non consommatrice de mal bouffe. Tu n’imagines pas combien je me sens libre, forte, glorieuse quand je sors d’une supérette, ou d’un hyper, les mains vides ! La caissière m’interroge du regard, (quitte à faire la queue, je ne passe jamais par la sortie « sans achats ») donc, je lui présente les paumes de mes mains, et je ris le plus bêtement possible. Ma caissière préférée, celle que je harcèle chaque semaine chez Merlin le pas enchanteur, me sourit maintenant en vissant son index sur la tempe. Elle a de jolies fossettes qui me mettent la pèche !
Andrée fait sa tournée à bicyclette. S’exercer dans les trois Spar et les dizaines de grandes surfaces de la zone, ça lui prend la journée.
Il n’y a aucune relation entre l’homme seul et Andrée, du moins à ma connaissance. Ce qui fait de cette histoire un rébus !
Vous pourriez imaginer une idylle intéressante entre ces deux-là, bien faits pour s’entendre, à première vue. Il n’entre jamais dans le Spar ; elle en sort sans avoir consommé. Comme je ne fréquente le commercial que le mardi et Andrée ses jours de congés très aléatoires, mon enquête va prendre beaucoup de temps. J’ai bien autre chose à faire ! Pour être honnête, je n’ai rien à faire.
Désormais, je me poste entre 10 et 11 heures derrière la camionnette du Spar pour les surveiller, ces potentiels tourtereaux. Epier les gens, c’est plus instructif que de faire des confitures ou du tricot : la journée prend du sens, les rêves se nourrissent.
Vous objecterez que je ne suis pas logique, que je patauge dans la contradiction et que c’est énervant pour les personnes armées de références classiques. C’est ainsi.
En général je m’autorise ce que je m’interdis, jamais l’inverse. « Je » étant un autre, cela ne pose aucune difficulté.
D’abord il faut résoudre ce rébus d’une manière ou d’une autre, ensuite la logique est ennemie du vivant ! J’ai même envie de dire qu’elle est son pire ennemi !
Je suis en vigilance, imper gris, un tic à l’oeil gauche pour me fondre dans le béton. De ma place je vois le Spar et la terrasse du bistrot. Lundi, rien. Mardi, rien : Je fais mes courses. Mercredi, rien. Normal Andrée fait son marché.
Vendredi, c’est veine et déveine ! Andrée sort du Spar, les mains vides, la tête haute, sourire sardonique. Prévu.
Il y a un attroupement à la terrasse du bistrot. Andrée enfourche son vélo et file en sifflant, indifférente. Les obsessionnels n’ont pas de cœur… Je m’approche. La patronne, assise à sa terrasse, pleure toutes les larmes de son corps. Expression un peu osée, non ? Des soubresauts agitent son gravissime décolleté. Elle a les pieds dans le caniveau, une chaussure en errance, les chevilles gonflées des fortes femmes de bar toujours debout.
- Je l’ai vu. C’est lui qui m’a enlevé mon Titi. Il a profité des cinq minutes que j’ai passées au Spar pour me l’enlever, mon Titi chéri. Ah ! L’hypocrite ! Le salaud ! Et ce chien ! Pourquoi il s’est laissé kidnapper, hein ? L’ingrat !
Ainsi la vie… Enigmes insolubles, même dans le café.
Marie Treize
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Remplir les sacs… mais aussi les vider.
Marie Treize, alias Philomène, alias Marie-Thérèse Jacquet
a épuisé sa réserve de nouvelles courtes. Bien désolée de ne plus vous faire
le petit coucou du mardi sur le blog de Guy, un lieu bien famé (ou femmé ?)
Si vous souhaitez lire mes nouvelles longues et quelques autres non éditées sur ce blog vous pouvez acquérir « Allumez le four et autres récits… » aux Editions Alzieu
1 rue du Moulin au Fontanil.
Ci dessous un bon de souscription pour ce livre vendu 13 euros jusqu’au 15 avril.
Merci à vous.
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Bon de souscription
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Désire recevoir… exemplaire(s) du livre :
« Allumez le four et autres récits… »
de Marie-Thérèse Jacquet
(120 pages environ : 24 nouvelles )
Prix de souscription : 13 euros l’un valable jusqu’au 15 avril 2010
Parution dans un délai maximum de deux mois après la fin de la souscription
Prix public 15 euros
Ci-joint un chèque de …………….. correspondant au règlement de ….. exemplaires
Lettres et Règlement
Editions Alzieu La Maison du Livre : 1 bis rue du Moulin Le Fontanil Cornillon Tel : 04 76 75 33 76
e.mail : admin@editions-alzieu.com
« Si elle sait peindre dans les couleurs subtiles de l’aquarelle, son écriture emprunte à toutes les ressources des palettes de la mémoire. Du fantastique vient enchanter une réalité âpre qui recèle aussi bien des tendresses. Sous le sourire et les mots choisis qui pétillent, elle exprime la fidélité à ses origines, quand le four s’ouvrait pour offrir le pain essentiel, chaud et parfumé. Elle nous fait voyager du Marais Poitevin à l’île de Batz en passant par la Mauritanie…
Une documentation précise permet de tracer des univers variés avec une nature très présente où les herbes révèlent leurs mystères et les oiseaux leurs rêves. Humour, sensualité, plaisir de l’écriture. Et quand elle reçoit un certain monsieur Dieu, elle hésite à lui faire écouter la Symphonie Liturgique d’Arthur Honegger qui serait trop marquée. Aucune faute de goût. »
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