J’ai bénéficié pendant des années de locaux multiples et confortables dans une école toute neuve, de la bienveillance de mes collègues et de la confiance de certaines directrices peu enclines à une interprétation frileuse des textes. Si bien que dans le cadre rigoureux des vingt minutes de pose qui ne s’autorisaient jamais à déborder, mes élèves ont profité d’une grande liberté qui a constitué pour beaucoup une part heureuse de leur vie à l’école. Moment éducatif scandé par le son d'une cloche de vache que les élèves de C.P avaient l'honneur d'agiter pour marquer la fin de la récré. Nous étions raccord avec l'esthétique de l'école maternelle attenante avec sa salle de jeu en forme de grange Chartrousine.
Rester en classe représentait une récompense suspendue en cas de problème pour poursuivre des constructions de maquettes, jouer à l’ordinateur,à des jeux mathématiques, musarder dans le musée de classe, lire...
Des équipes se succédaient en salle polyvalente pour préparer des pièces de théâtre, des danses. Des personnalités se sont révélées, des parodies très drôles d’émissions de la télévision prouvaient s’il en était besoin que les enfants ne sont pas forcément dupes. Ces créations annoncées par affiche, combinaient liberté individuelle et compte rendu au groupe.
D’autres pouvaient regarder une cassette amorcée ensemble.
Ainsi en comptant les vidéos proposées dans le car au retour du ski, les élèves découvraient une bonne vingtaine de films en une année scolaire : Chaplin, Wallace et Grosmitt , « L’appel de la forêt », « Le ballon d’or », « L’enfant de Calabre », « Fanfan la tulipe ». Il y eut bien des émotions partagées par une dizaine d’enfants voire en solitaire devant « Jeux interdits », « Le gône du Chaaba », « Le vieil homme et l’enfant », « Cuore », « La guerre des boutons » « Rue Case nègres ». J’ai accueilli « le Titanic », « Babe », « Billy Elliot »… Et j’ai renoncé à « Germinal »après des remarques judicieuses de parents. Je me suis gardé des trop connus « Madame Doubtfire », mais sans me lasser j’ouvrais chaque saison sur « La gloire de mon père » pour partager cette croyance en l’école qui ne renie pas la lumière des vacances mais la prolonge. Nous tricotions un petit patrimoine culturel avec aussi « Un sac de billes » et « L’argent de poche » …
Dans une école qui s’ouvrait, les architectes avaient négligé les propositions des enseignants qui demandaient des toilettes à l’extérieur. Immanquablement, le coin des lavabos installé dans les bâtiments est devenu cachette pas toujours poétique. Il est vrai que l’installation de points d’eau extérieurs n’a pu perdurer. Ils ont été vite détruits lors d’incursions nocturnes. Les aménageurs n’avaient pas noté non plus le souhait de planter un mûrier pour nourrir quelques vers à soie. Et l’idée d’un atelier qui échapperait à la dictature des femmes de ménage relevait trop de l’utopie : les salles sont blanches aujourd’hui, pas de copeaux par terre. Pas de craies floues qui fondent sous les giboulées, la municipalité a tracé des marelles qui y ont perdu de l’aléatoire.
Dans cette école qui cherchait ses marques, les règles de vie en commun et la part attendue des enfants ont suscité la constitution d’un conseil d’enfants. Ils eurent d’abord à inventer pour ces temps de récréation. Assez répressifs au départ, les délégués élèves guignaient le rôle de petits kapos ; les enseignants ont réaffirmé leur rôle de garant de la tranquillité de chacun. Les caïds des bacs à sable ont été contrariés. Pour éviter que l’instance ne dégénère en récriminations perpétuelles le conseil a été orienté vers plus de propositions. Les élèves ont tenus des stands et animé une vraie fête de l’école organisée de leur propre initiative, une occasion de bons moments pour clore l’année scolaire.
Les territoires implicites dans une cour de récréation s’ordonnent beaucoup autour des parties de foot des grands. Les maîtresses peu enclines à amortir quelque centre au deuxième poteau avaient imposé l’usage exclusif de ballons en mousse n’entravant pas la virtuosité des footeux. Parfois quelques parties à l’Agorespace voisin avec ballon cuir laissaient de la place aux petits. Mais cette exception réservée aux beaux jours dérogeait trop au principe du partage des surveillances. Car la cour offre une vitrine sur le quartier, la communauté éducative y concrétise sa cohérence en un langage commun. La force, les connivences, la sérénité, le soutien entre adultes se jouaient dans ces moments essentiels pour l’ambiance d’un groupe scolaire.
La récréation ne procure pas vraiment une pause pour les enseignants qui préparent par leur vigilance, une suite sereine à la journée.
J’ai appris qu’il existait désormais des animateurs pour apprendre à jouer aux enfants. Passé le moment de consternation, j’admets finalement ce type d’intervention s’il réamorce de l’inventivité, et n’empiète pas sur le temps de distraction réel de l’enfant ; la paix !
Les déclarations d’assurances concernent essentiellement ces périodes. Les compagnies dicteront-elles encore plus la loi ? Verra-t-on des vacataires privés pour garantir la sécurité dans les couloirs et aux abords des bunkers éducatifs ? Si les tourmenteurs des toboggans passent au « 20 heures », je crains ne pas avoir abusivement extrapolé.
Que crie le moineau ?
La joie me tient chaud.
Que crie l’alouette ?
J’ai le ciel en fête.
Et que crie la pie ?
Qui rit, s’enrichit.
Maurice Carème
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