jeudi 25 novembre 2021

"Pierre Bonnard les couleurs de la lumière". Sophie Bernard.

Une des commissaires de l’exposition «  Pierre Bonnard les couleurs de la lumière » qui durera jusqu’au 30 janvier 2022 présentait devant les Amis du musée de Grenoble, le peintre reconnu par Matisse comme le plus grand alors que Picasso pensait le contraire. 
Des terres Normandes en Méditerranée en passant par Paris et le Dauphiné nous partons sur les traces du sage coloriste.
« Pierre Bonnard à Deauville » André Rogi  
Du bon, du beau, du Bonnard a déjà eu droit de cité sur ce blog, cela évitera les répétitions.
Pour la première fois à Grenoble, 140 œuvres sont rassemblées. La place de « l’ingénu », peintre du merveilleux est interrogée : c’est un indépendant dont les couleurs magnifient le réel, et font vibrer les émotions. « Lac dans le Dauphiné » est pris on ne peut mieux dire, sur le vif.
« Le crépuscule ou la partie de croquet » sous influence «Nabie », aux aplats décoratifs, bascule dans le rêve avec quelques nymphes dans un coin.
Ses photographies mettent en relief des cadrages novateurs et une spontanéité rare. 
« Baignade» 1903. Il envisage l’éden Lempsiquois (du Grand Lemps) comme l’Arcadie en alternance avec les rues de Clichy étincelantes .
Des « chanteurs ambulants » témoignent de la vie au tournant du siècle précédent
et dans « La loge »  parisienne figurent ses marchands, les Bernheim, les rares hommes qu’il ait représentés sur ses toiles.
« En barque »  onirique, mélancolique, ne retient pas les lumières normandes, 
« Le pommier fleuri ou Le balcon à Vernonnet » exprime bien son idée : 
« L’art n’est tout de même pas la nature ! »
Passant de l’ombre à la lumière, « Le Paysage de Normandie » mène aux confins de l’abstraction,
dans «  Intimité » les volutes de fumée se fondent dans les entrelacs de la tapisserie,
et dans le bouillonnement des draps, la « Jeune fille aux bas noirs » dégage un tendre érotisme.
Le chat  de « La femme au chat » est étrange, si bien que le tableau s’intitule aussi: « Le chat exigeant ».
Les miroirs offrent des stratagèmes pour enchâsser des espaces différents, « La table de toilette ». 
«  Le principal sujet, c’est la surface qui a sa couleur, ses lois, par-dessus les objets »
« La toilette » scintillante épargne les ravages du temps à Marthe, son modèle, sa femme,
alors qu’il est plus sévère avec lui même dans son « Autoportrait dans la glace du cabinet de toilette ».
Le « Nu accroupi au tub » verse un tendre blanc nacré dans l’espace transfiguré de la salle de bain.
Nous ne dérangeons pas en entrant dans l’intimité de la bonbonnière, du « Nu au gant bleu ».
Une « Vue du Cannet » où il finira ses jours en 1947 à l’âge de 80 ans,  peut résumer toute la Méditerranée.
L'« Intérieur blanc » fusionnant intérieur et extérieur irradie tellement qu’il faudra retourner le voir dans les collections permanentes pour décider si Marthe y est absente ou présente,
comme dans « L’atelier aux mimosas », ode au jaune où pulse la lumière.
Pour compléter le voyage, un tour sur Internet permet de visualiser la transfiguration permise par le génie du peintre en comparant les pièces charmantes de sa villa  « Le Bosquet » aux espaces qu’il a ouvert, sur une recherche inassouvie.  
« C'est encore la couleur, ce n'est pas encore la lumière. » 
Son vœu est pourtant exaucé : « J'espère que ma peinture tiendra, sans craquelures. Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l'an 2000 avec des ailes de papillon. » 
Et au-delà.

mercredi 24 novembre 2021

Belfort.

Nous abandonnons La chapelle de Ronchamp 
à un autre groupe non prévu et partons pour Belfort la fortifiée, passage entre le Jura et les Vosges, à une vingtaine de km seulement.
Arrivés chez notre logeur, l’immeuble ne paie pas de mine ainsi que la montée d’escalier mais en haut des 5 étages, une fois les clés extraites grâce au code, nous pénétrons dans un joli petit studio sous les toits, propre et rénové. A peine nos bagages déposés, nous programmons le GPS pour nous rendre à pied au centre-ville. Il nous indique un raccourci à travers une petite colline dans la verdure et dans des passages souterrains, restes de fortification.
Malgré le manque de précision de la carte numérique puisqu’il n’y a que de vagues sentiers, nous parvenons à la citadelle, tombant presque nez çà nez avec le fameux lion que nous découvrons par le côté.
De là nous descendons vers la place aux armes à la cathédrale Saint Christophe et en priorité vers l’office du tourisme avant l’heure de fermeture.
Nous y obtenons de justesse les documents  sur la ville d’une jeune fille heureusement pour nous, retardée par ses bavardages téléphoniques. 
Pour les étudier tranquillement, nous nous attablons à un bar face à la cathédrale près 2 grands bacs carrés de sable pour les enfants, constituant une espèce de "Belfort plage". Le circuit de la ville nous conduit
- d’abord  place de la République où s’élève le monument des trois sièges de Bartholdi,
- puis vers le boulevard Carnot, parsemé d’anciennes photos plaquées sur de beaux immeubles, les représentant avec leur commerce d’origine souvent plus élégants que ceux qui les ont remplacés.
- Sur  l’autre rive de la rivière nommée « Savoureuse », Ernest Pignon Ernest a recouvert un mur aveugle d’une fresque. 
Il y figure 47 personnages germaniques ou latins, peints grandeur nature, que nous nous amusons à identifier. Freud, Beethoven, Robespierre, Voltaire, Simone Veil, Berlioz, Wagner, Dürer, Rimbaud,..  illustrent les 2 civilisations dans le désordre des époques et la variété des domaines de compétence.
- Nous revenons sur nos pas, traversons la passerelle des arts pour rejoindre la place de la révolution dotée d’une pyramide bleue « Klein » contemporaine de Pierre Baey,
- et terminons sur le parking de l’arsenal qui offre le meilleur point de vue sur  le lion en grès rose de Bartholdi, l’emblème de Belfort. 
Après avoir regardé quelques cartes de restau, à la recherche d’une petite salade légère et rafraichissante, nous optons pour un établissement Place aux armes, servis à l’intérieur  par manque de place en terrasse. On nous sert carrément 2 saladiers, remplis sans parcimonie d’aliments variés dont nous ne viendrons pas à bout et un verre de pinot noir d’Alsace. Le retour à pied, par la route cette fois-ci ne nous parait pas si long.
Au moment de nous  coucher, nous découvrons perplexes, un lit confortable mais sans drap ni housse de couette et nous nous contenterons d’une petite couverture en polaire.
 Au matin nous réglons ces petits désagréments pour lesquels nous apprécions qu’on nous crédite aussitôt de 20 € sur la location.
Avant de quitter Belfort, nous  faisons un détour par le marché couvert Frery. Il présente  pas mal de ressemblances avec les halles Sainte Claire de Grenoble. Dans le style Eiffel, ce bâtiment d’acier de verre et de briques expose  une élégante façade en 3 parties comme celle d’une cathédrale. Bien entretenu à l’extérieur, il subit actuellement une rénovation à l’intérieur fermé pour cette raison au public. 

 

mardi 23 novembre 2021

Agrippine déconfite. Claire Bretécher.

Huitième album de la série et dernière bande dessinée de la dessinatrice mais surtout dialoguiste hors pair disparue en 2010.
Il est question de la mort.« Elle a avalé son extrait de naissance, elle a plié son parapluie, elle a pris perpète ».
- Vulgaire.
- « Elle s’est évaporée dans la musique des sphères, elle est devenue feue, elle est entrée dans le sein d’Allah ».
- Ça se la pète. Yaka dire « elle est partie » comme tout le monde.
- Allons-y. C’est dérisoire mais ça fait clean. C’est couture. »
 
Les femmes de quatre générations sont toujours aussi ridicules et drôles dans leur tyrannique souci de coller à leur époque : l’arrière grand-mère tague sa résidence, la grand-mère achète des chaussures en Tatou stressé destinées à Agrippine qui est la seule excusable d’être autant victime de la mode. La mère redécouvre son attachement à son mari au moment de leur divorce. 
Jean Million minable intermittent du spectacle, la bonne portugaise qui se met aux façons de parler de ce milieu bobo sans perdre son accent et le petit frère en recherche de son identité sexuelle, complètent un tableau savoureux de nos ridicules contemporains.
Nous sommes désormais plus « Frustrés » que jamais tant l’humour de cette féministe nous manque. 

lundi 22 novembre 2021

Les Olympiades. Jacques Audiard.

Parti pour regarder de loin comment vivent les jeunes d’aujourd’hui, je me suis intéressé petit à petit à leurs histoires commencées dans le genre : «  je baise d’abord et après je vois ».
Les marivaudages entre prof s’éloignant de sa classe et télé conseillère se jouent en colocation dans un Paris des barres d’immeubles du 13° arrondissement.
Sous le noir et blanc dépaysant, la violence des rapports par écrans interposés passe à la complicité, et la désinvolture s’efface derrière les attachements ancestraux.
Le réalisateur est  bien servi par des acteurs nouveaux : la belle tragédienne Noémie Merlant,  le fraiche Lucie Zhang et le sympathique Makita Samba qui dynamisent cette comédie croisant comme souvent désirs et sentiments. 
En ce qui concerne la sélection à Cannes de cette adaptation de Bandes dessinée, genre que j’aime beaucoup sauf quand les intentions se voulant exhaustives s’avèrent démesurées, on aurait pu dire : « l’important est de participer ».

dimanche 21 novembre 2021

Oblomov. Ivan Gontcharov. Robin Renucci.

Devant le public de l’Hexagone de Meylan resté après le spectacle de 2h ½, Robin Renucci, directeur des tréteaux de France, plaçait l'adaptation de l’œuvre du russe au début d’une nouvelle trilogie consacrée au temps après avoir traité précédemment du travail et de l’argent à partir de textes du milieu du XIX° siècle.  
Le personnage principal sorte d’ « Alexandre Le Bienheureux », pas heureux, représente tellement un archétype que l’ « oblomovisme » est devenu un terme dans le monde slave désignant la paresse, l’inertie, comme on dit « donjuanisme ».
Le dispositif scénique est joliment éclairé et le découpage des scènes intéressant. Il conclut vivement une existence tellement passive que c’est difficile de l’interpréter comme une critique de l’affolement contemporain ou de l’avidité capitaliste.
Oblomov, le propriétaire terrien se soucie exclusivement de lui-même et les femmes penchées sur sa couche sont réduites à des rôles subalternes d’infirmière des âmes ou de pourvoyeuse de tourtes; quant à l’enfant, une ombre, il est confié à une autre mère.
Cette histoire d’un grabataire volontaire est peut être un signe des temps mais « On arrête tout, on réfléchit (et c'est pas triste) » daté des années 70 me semble hors de propos, alors que tant d’individus fatigués avant d’avoir travaillé ne voient plus leur lien à la société, ni de vocation personnelle. Il était commun d’envisager d’être pompier pour les enfants de jadis, maintenant qu’ils se font caillasser, il vaut mieux se tenir derrière son écran ... de fumée.

 

samedi 20 novembre 2021

Les enfants sont rois. Delphine de Vigan.

En général l’expression « enfant roi » a vocation à être incluse dans une phrase dénonçant ce statut. Mais le titre de la dernière livraison de la sensible romancière
provient d’une mère de bonne volonté exposant ses enfants sur YouTube. 
« Acheter, déballer, manger sont les principales activités des enfants...Toutes ces vidéos obéissent au même ressort dramaturgique : la satisfaction immédiate du désir. » 
Lorsqu’au milieu des 350 pages, j’ai fait part de mon étonnement face à ce que je croyais une licence romanesque décrivant le quotidien d’enfants filmés sans arrêt et les bénéfices incroyables générés, je me suis vu objecter que je venais d’un autre temps. 
« Cette année, le youtubeur qui a gagné le plus d’argent au monde est un petit Américain de huit ans. Il s’appelle Ryan et il est filmé par ses parents depuis ses quatre ans. Rien que pour 2019, le magazine Forbes a estimé ses revenus à vingt-six millions de dollars. » 
Oui les réseaux sociaux nous submergent et bouleversent nos vies, ils marquent au fer rouge les enfants. Quand le «  voyeurisme » excite à ce point l’ « exhibitionnisme », ces mots ne paraissent que  comme poussière d’un monde en voie de disparition, quand l’intimité est bafouée, les personnalités broyées.
Une enquête menée par une policière, fille de profs, occupant le poste de procédurière, sert de fil conducteur à une description fouillée des ravages des réseaux sociaux.  
« Ils croyaient que Big Brother s’incarnerait dans une puissance extérieure, totalitaire, autoritaire, contre laquelle il faudrait s’insurger. Mais Big Brother n’avait pas eu besoin de s’imposer. Big Brother avait été accueilli les bras ouverts et le cœur affamé de likes, et chacun avait accepté d’être son propre bourreau. »
La frontière entre le réel et la dystopie est ténue :
« De plus en plus nombreux, de jeunes adultes ne sortent plus de chez eux. Ils travaillent à distance, où ne travaillent plus, ils ne vont plus au théâtre ou au cinéma, ni même au supermarché ; ils consomment des produits (alimentaires, cosmétiques, électroménagers, culturels…) à domicile et communiquent à travers des interfaces ou des jeux vidéo, de plus en plus sophistiqués. A ce prix ils se sentent en sécurité. » 
Bien des jeunes aujourd’hui souhaitent devenir influenceur sur le net de préférence à ingénieur ou professeur. 
« Chacun était devenu l'administrateur de sa propre exhibition, et celle-ci était devenue un élément indispensable à la réalisation de soi. »

vendredi 19 novembre 2021

Lobbies.

Quand à longueur d’antenne sont dénoncés des groupes de pressions qui grenouillent dans  les allées des pouvoirs, je discerne d’autres influenceurs à l’œuvre dans les colonnes et sur les ondes, pétition quotidienne à portée de clic. Le vert est dans le poste que ça en deviendrait une lubie. Dans ce jeu de société, chacun y va de ses convictions ou de ses intérêts comptant sur le rapport de force.
De la même façon ceux qui reprochent au président d’être en campagne, sont en campagne depuis leur défaite de 2017. Alors comme disait Sartre « c’est l’antisémitisme qui fait le juif », l’anti-macronisme systématique me rend encore plus légitimiste, Macroniste.
Je respecte en même temps Piolle et Macron, les électeurs les ont voulus.
Dès qu’une mesure est prise, le micro est toujours tendu vers ceux qui trouvent que c’est insuffisant. Le jour où Olivier Véran annonce près de deux milliards pour les hôpitaux de la région, « Le Monde » titrait : « l’hôpital oublié de la campagne ». Entre ceux qui crient aux dépenses inconsidérées et ceux qui ne savent pas que les travailleurs hospitaliers ont obtenu une rallonge de 180 €, peut-on dire que nous sommes surinformés ? Sans parler de ceux qui continuent à se shooter à l’hydroxychloroquine et gémissent d’être exclu d’un monde dont ils se sont mis en marge. Avec mon pass, je suis libre ! 
Des œuvres sont restituées au Bénin, c’est alors qu’un chef coutumier signale qu’il manque un objet ou deux devant les caméras coloniales. Le lieu qui doit les accueillir a des « retards » dans la construction : rien n’est sorti de terre. Liesse pour le retour des statues et jeunesse qui part en canot.
Il y a quelques jours, des milliers de masques, de statues ont été détruits dans l'incendie d'un musée en République Démocratique du Congo et je n’ai même pas vu de variation autour de la formule pour journaliste paresseux : « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », parce que là, il y en a des cramés et des morts, mais les photogéniques peluches des banquises impriment mieux au pays des nounours.
On peut entendre causer depuis tous les coins de la terre, mais nos aires se rétrécissent dans un rayon à portée de trottinette. Les rapports de force s’inversent : des cyclistes peuvent devenir aussi malotrus que certains conducteurs de 4X4 et un amateur de tartare être aussi mal considéré que ne le fut jadis celle qui ne mangeait pas de gibelotte.
De bons docteurs veulent nous débarrasser des mythes pour mieux en installer d’autres, cultivant tout ce qui flattera nos pulsions négatives, refusant d’apprendre du passé, éloignant la complexité. Sans roman que vaudraient nos vies ?
Il sera bien difficile de revenir à la transmission quand ployant sous sa couronne de roi, un mioche est censé savoir tout dès le départ. L’adulte doit se taire : place aux gènes. L’opposition entre l’inné et l’acquis ne fait plus partie des débats. « L’ainé est à qui ? » demanderait Tournesol. Et je ne sais plus où j’ai trouvé la formule, elle est tranchante : le maître doit rendre gorge.
Ho Chi Minh avait appris la liberté dans les universités françaises, et nous avons essayé de développer l’esprit critique de nos élèves mais c’est la chicane qui est devenue le moteur des fake news. Alors quelques enfants de ma génération « il est interdit d’interdire » en appellent à la censure, ayant oublié que c’est le meilleur moyen de valoriser celui qu’ils redoutent. 
« Si l'on ne croit pas à la liberté d'expression pour les gens qu'on méprise, on n'y croit pas du tout. »  Noam Chomsky.