vendredi 27 janvier 2017

Déprimaires.

J’ai beau prendre de la graine chez ceux qui ont voix au chapitre et nomment le basculement de notre société, je préfère m’accrocher à des mots à ma portée.
Plutôt que financiarisation, retour du religieux, chute du mur, explosion des communications, fonte des glaces, UE, réfugiés, ubérisation, numérisation, Trump, les huit personnes les plus riches qui détiennent autant de richesse que la moitié la plus pauvre de la population mondiale…  je réagis à propos de la mise en scène « de la Belle Alliance Populaire », « belle », « alliance », « populaire », ou de Léa Salamé.
J’avais laissé ces quelques mots à propos des primaires à un ami Face book, il y a bien une semaine, alors que tout se périme si vite: 
« Nous voilà à courir encore après la nouveauté venue immanquablement du « nouveau monde » (Terra nova) dont nous avons copié les primaires qui s’avèrent déprimantes. Les groupes de réflexion collective à maturation lente sont en voie de disparition, ne subsistent que les expressions les plus radicales pour s’échauffer dans chaque camp, quitte à raboter sur les promesses et décevoir après : la décomposition des partis est partie depuis un moment.
Les écolos et autres zigzageurs, faute de lieux propres, vont voter Juppé un dimanche et Hamon un autre jour. Ce dernier qui ne voyait pas où était le problème quand des femmes se voient refuser l’accès à un café en banlieue parisienne. Alors son « revenu universel » ça plait, ça fait le buzz ! Démagogie et jeux avec les médias : gros mots sur les réseaux sociaux et petites idées, hologrammes et com’ à tour de bras pour tous, plutôt que programmes.
Nous les vieux, courons après le monde qui nous a doublé. »
Me voilà dans l’autocitation où je ramasse un argument de chez les valsistes : l’allusion au café de Sevran; mais cette semaine même ceux qui vomissent le PS sont atteints par la maladie dégénérative de l’ex SFIO où la tactique a détruit toute pensée.
En mettant Hamon en tête, je favorise Macron, en votant Vals, c’est Mélenchon qui a bon.
Entre 49,3 et milliards qui volent de ci de là, chaque jour apporte son clou au cercueil : depuis « élections piège à cons » de sinistre mémoire, les primaires qui auraient pu rimer avec démocratie élémentaire ont tourné à la farce.
Les visions à la petite semaine font florès : « le cœur » a parlé et tant pis, si ébahis nous n’aurons plus qu’à regarder les présidentielles se jouer entre finalistes annoncés, depuis un cimetière tellement bien fréquenté de perdants admirables : Jeremy Corbyn et Bernie Sanders étant les derniers arrivés les plus tendances.  
L’intervieweuse de France Inter, vue sur tous les plateaux, demandait l’autre jour à une interne en médecine qui avait trouvé le ton et une audience youtubesque pour s’indigner de ses conditions de travail, si elle ne voulait pas devenir journaliste. C’est que la profession pourtant dans le même sac discrédité que les politiques, qui éditorialise à longueur de journée sur un coin de table, se considère comme la crème de la pensée, l’arbitre des élégances, un enviable sacerdoce. Beaucoup exercent honorablement leur métier et si je persiste à me couvrir de papiers, c’est que j’ai bien du plaisir à retrouver un style, des convictions, du courage, mais ceux qui causent dans les postes entre deux humoristes lassent très vite, surjouant le spectacle du contentement d’eux-mêmes, prenant le monde de si haut.
…………….
Le dessin de Vlahovic (Serbie) en tête de l’article est copié dans " Courrier International".
Il n’y avait plus de Canard enchaîné chez mon marchand de journaux,
voici celui d’Aurel dans "Politis" : 

jeudi 26 janvier 2017

Le monde de Toulouse-Lautrec. Gilles Genty.

Je ne suis pas persuadé que « Paris est une fête » en sous-titre d’une conférence autour de la dite « Belle époque » aurait mieux convenu que la simple phrase : « Paris chante et danse ». D’autant plus que le souvenir des massacres tragiques qui réactivèrent le titre d’Hemingway est encore vif et que d’autre part le conférencier devant les amis du musée de Grenoble, avait bien l’intention de remettre en cause quelques autres images archétypales.
La célébrité des œuvres occulte parfois l’œuvre elle-même,
telle « Jane Avril dans les Jardins de Paris ».
Interroger le monde des cabarets fait éclater les catégories chronologiques habituelles qui mènent, entre 1840 et 1910, du romantisme à Picasso en passant par l’impressionnisme et le fauvisme.
Sur les flancs de la colline Montmartre, les moulins dont celui de Debray, ancêtre de Régis, font leur farine et fournissent la boisson pour accompagner les galettes.
On entre sans rétribution à l’Elysée Montmartre qui offre le bal et accès à ses jardins.
Chaque lieu de divertissement a ses figures de danse : ronds de jambe, entrechats, ailes de pigeon,
et ses vedettes : « Grille d’égout », « La môme fromage », «  Mimi patte en l’air », «  Marie souris », « Caoutchouc »…
« Le Bal du Moulin de la galette », par Renoir, le peintre du bonheur de vivre, c’est :
« … la poésie de Paris, la grâce du faubourg, les visages charmants des fillettes enivrées pour un instant de la promesse de la vie, toute une jeunesse ardente, naïve amoureuse, qui danse dans le soleil.» G. Geoffroy
Cette vision lumineuse est un reflet exact, mais au nord de la rue Rochechouart se vivent « Splendeurs et misères » comme vient de le présenter le musée d’Orsay avec les images de la prostitution, entre 1850 et 1910 : entre « demi-mondaines » et  « pierreuses ».
« Le Bal du Moulin de la galette » de Toulouse Lautrec présente « le joli profil d’une jeune gigolette » contrastant avec le profil anguleux d’un souteneur. Il y avait bien un «  Père la Pudeur », Coutelat du Rocher, passant de cabaret en cabaret pour vérifier qu’il y eut bien une culotte sous les jupons. Mais le regard se détournait du maquis de Montmartre, voisin aux allures de bidonville, lieu de haute insécurité.
Un « dos » (vert) comme celui des maquereaux pouvait y châtier sa « marmite » à l’époque où les « marlous » se battaient pour la conquête de Casque d’or.  Et  rien qu’un des titres de Victor Joze journaliste écrivain : « Paris-Gomorrhe, mœurs du jour » dans la série  « La Ménagerie sociale » donne une idée des mœurs quand le doux nom de « grisette » ne rend pas compte de la misère.

Dans le « Le flirt. L’Anglais au Moulin Rouge » est un peintre, fils d’un riche exploitant de charbon, complice des deux femmes pendant une transaction
Le rapport symbolique semble s’inverser suivant le support, peinture ou lithographie.
Quand « La Goulue » commande à Toulouse Lautrec des panneaux décoratifs qui seront découpés puis recomposés pour attirer le chaland lors de fêtes foraines, son heure de gloire est passée, celle du temps du chahut et du quadrille avec « Valentin le désossé »

Devenue dompteuse, elle est cependant  immortalisée par cette affiche ou la technique du crachis est mise en œuvre.
Le photographe Paul Sescau, qui permit la promotion des artistes par l’émission de 3500 photographies, n’eut pas la notoriété de ses modèles.
Pour Jeanne Avril, la brillante danseuse il suffit de la présence de ses gants pour l’évoquer.
Yvette Guilbert, une diseuse, chanteuse, qui entretint une correspondance avec Freud, ne fut pas forcément satisfaite de son portrait pas plus que Bruant dont une parcelle de notoriété vint de ces affiches.
Loïe Fuller lors des ses danses serpentines, dans ses longs voiles, telle une orchidée ou un papillon, sous des lumières d’arcs électriques, inspira bien des poètes. Mallarmé, le symboliste,  développa tout son talent, au-delà de la formule résumant la découverte de l’américaine :
« Ivresse d'art et d'accomplissement industriel ».

mercredi 25 janvier 2017

Equateur J 10 # 2 . Amazonie. San Juan de la terra.

Nous nous reposons un moment dans les hamacs avant d’être invités à passer à table : soupe de manioc et carottes, riz « cantonais » très nourrissant.  Et retour pour certains aux hamacs.
A 15h nous avons rendez-vous pour traverser le Napo en bateau, nous allons « travailler » sur l’île avec la famille de Juan. Sa maman nous attend sous les pilotis de sa maison d’été.   
Tout autour de arbres fruitiers, pamplemoussiers, manguiers, bananiers (fruits et plantain), des avocatiers, des orangers, des mandariniers, cacaoyers, papayers (fruits), et « mamayers » (fleurs) poussent en abondance.
Les bambous sont immenses.
Nous nous rendons au champ de manioc, la maman coupe d’abord les branches qu’elle conserve à côté pour les bouturer à nouveau puis nous enseigne comment extraire les tubercules : les filles, essayons de l’imiter en les déterrant délicatement. Ensuite je porte le panier rempli dont la lanière se porte sur le haut de la tête, l’air féroce avec la machette à la main jusqu'à la maison sur pilotis. Là, nous pilons le manioc arrosé de jus de patate douce qui remplace la salive d’autrefois, à laisser fermenter pendant 3 ou 4 jours pour obtenir la chicha que nous goûtons sans grand enthousiasme.
Juan tape sur la grille du feu de bois au sol avec sa machette et effectue le même geste sur un des pilotis en bois de fer de la maison : nous constatons que le bruit est identique.
C’est ensuite au tour des hommes de nous préparer du chocolat. Juan nous ouvre une cabosse et nous goûtons les fèves gluantes à l’intérieur, à la saveur surprenante de litchi. Les gros noyaux sont torréfiés sur le feu de braises dans une gamelle pendant 25 minutes puis les hommes les décortiquent comme des cacahuètes. Il faut ensuite les moudre dans un moulin à manivelle fixé sur un banc, ce qui demande une certaine force. La poudre recueillie est très amère mais l’on sent déjà le goût du chocolat. Versée dans une casserole et mise sur le feu, elle est mélangée avec du sucre de canne en bonne quantité et de l’eau. La maman remue la pâte noire, l’eau s’évapore peu à peu : c’est prêt.
Pour goûter, elle nous apporte de la papaye découpée et des fraises que nous trempons dans le chaudron de chocolat. C’est délicieux !
Nous partageons avec les enfants et nous câlinons un petit chien blanc. Pour « escarrer » le plat, Juan s’amuse à maquiller les filles de chocolat : les lèvres, les pommettes, la barbe et le bout du nez. C’est ainsi que nous retournons au lodge Sacha Sisa (Sacha : forêt, sisa : fleur rouge). Nous rions autour du mot mandarine : ici il désigne les hommes dont les femmes « portent la culotte » et qui se montrent trop obéissant.
Nous nous reposons un moment sur notre balcon où nos voisins nous aident à retrouver les riches et nombreuses explications de ce matin. Vers 19h nous sommes conviés à dîner tôt de soupe et spaghettis afin d’assister à la fête de la communauté qui va élire sa reine ou plutôt sa miss. 
Nous partons en bateau avec deux allemandes, les chauffeurs, les familles qui travaillent au lodge et les enfants. Plus question de problème de navigation la nuit, pas besoin de gilet de sauvetage : 10 à 20 minutes en pirogue à moteur sans lumière ni sur l’eau ni sur les rives. Puis tout le monde emprunte notre minibus et regagne le lieu de la fête sous un grand toit de feuilles. Sur une estrade, un animateur hurle dans un micro par-dessus de la musique.
Nous nous asseyons sur les bancs latéraux autour d’une piste rectangulaire de terre battue.
Nous assistons aux préparatifs : arrivée d’un frigo et des bières, confection du décor.
Les orateurs interpellent les compañeros, applaudissements. Enfin après avoir placé et présenté le jury au centre de la salle, remplacé l’ordinateur de la sono défaillant, le concours démarre vers 22h.
Deux jeunes filles se disputent le titre en dansant et paradant à 3 reprises dans des costumes différents. Pendant les changements, un jeune en blouson bleu réveille les foules en chantant au micro des tubes qui ravissent le public. Juan conclut par un discours en espagnol et en français, il appartient à l’association organisatrice, puis nous entraîne dans la danse où nous faisons l’animation en formant une chenille pour laquelle nous invitons les enfants.
Nous décollons tard, il doit bien être 11h 30, minuit, nous naviguons dans une obscurité presque totale et nous nous étonnons que Juan et le pilote repèrent sans souci l’embarcadère  pourtant difficile à aborder à cause du courant. La traversée pleine de magie et de mystère nous a parue plus longue, car nous remontions le courant.  Nous fonçons dans nos chambres sans électricité car le groupe électrogène ne fonctionne que 4h de 18h à 22h. Heureusement la douche est chaude. Subitement E. dans la chambre voisine crie qu’elle s’est fait piquer et ressent une douleur fulgurante, elle vient de marcher sur un scorpion. G. court chercher du secours auprès de Juan, trouve d’abord un jeune qui passe du menthol sur la piqûre et coupe un bout de la queue de la bestiole pour l’empêcher de nuire à nouveau ; mais un peu de venin lui tombe sur la main et la paralyse un moment. Juan arrive et traite la blessée avec l’aspi- venin, une feuille de la forêt et du Doliprane.
La nuit sera difficile pour elle, mais le moment de peur violente est passé.

mardi 24 janvier 2017

La revue dessinée. Hiver 16/17

Alors que jusque là le rythme trimestriel n’avait pas perturbé les scénarios des reportages dessinés et ajoutait même aux prises de position de la valeur, de la profondeur, cette fois le désistement de Hollande perturbe la démonstration concernant « Le chômage, la grande illusion ».  Et le dossier intitulé « 7° armée » décrivant les guerres psychologiques menées en Algérie, en Indochine, au Cameroun, au Rwanda, en Amérique latine, peut-il se rapprocher de l’état d’urgence dans la France de 2016 ? Que sait-on d’Alep ? 
Par contre les 20 pages sur 228 consacrées à « La Wifi à tous les étages » sont pédagogiques, amusantes, posant de vrais problèmes qui interpellent notre identité d’humain. 
«  La chute de la maison Ben Ali » m’a parue anecdotique car dispersée entre trop de personnages collés à leur téléphone qui me restent inconnus à l’issue du récit.
Par contre «  La ballade de Saravah » convient  au soixanthuitardif : Pierre Barouh, Higelin, Brigitte Fontaine, me disent quelque chose comme « Le mari de la coiffeuse », film entré dans la catégorie «  mythique ».
Les plus solides dans cette livraison sont les rubriques habituelles :
- avec « Les Luddites » en Angleterre au XIX° siècle qui détruisaient les outils qui allaient les priver de leur travail,
- ou la séquence scientifique autour de la découverte du « LSD »,
- les jeux de langage autour de « La  dinde »,
- l’immersion complète dans le milieu du « Surf »
- les enjeux autour de la censure, « Trait pour trait ».

Topo Novembre Décembre 2016. N° 2

Le petit frère : l’actu dessinée pour les - de 20 ans, est tout à fait intéressant avec un reportage au Bangladesh et « le vrai prix de la mode pas chère ». Pas misérabiliste mais percutant : les femmes qui sont payées à des prix infiniment bas y acquièrent pourtant une relative émancipation. 
Les planches humoristiques autour de ce sujet « Dream teen » où l’auto dérision est de mise sont sans doute efficaces.  Par contre « Madame Bovary : la no life » au titre prometteur s’en tient à l’anecdote et suppose une maturité qui permette de saisir les nombreux clins d’œil qui jouent au plus malin. Par contre la petite histoire sentimentale « ça n’intéresse personne » avec si peu de sentiments, est drôle et sensible, moins apprêtée que «  le meilleur des mondes possibles » histoire à suivre.
Le regard critique porté sur Norman un youtubeur aux 7, 5 millions d’abonnés est instructif comme les dispositifs du FTP (Free To Play) dans le domaine des jeux vidéos diaboliques pour créer frustrations et addictions et tirer du pognon. Plus familier de la « primaire de la droite », l’humour accompagnant l’explication m’a semblé un peu trop participer à la dérision convenue de la politique, alors que le récit autour du « Heavy métal » est de bon aloi, comme le décryptage rapide autour des  procédés de la presse people ou les quelques pages qui prennent la dépression chez les jeunes au sérieux, sans démagogie.
Le témoignage concernant des jeunes délinquants en bateau pour sortir de la galère de l’incarcération est éclairant. Un extrait de «  Ma mère était une très belle femme » en Afrique du sud du temps de l’apartheid a bien sa place dans ces 150 pages aérées.
Je n’en sais guère plus à propos de Beyoncé et la blague concernant les coupes de cheveux des footballeurs est un peu étirée, les pages sur les transports du futur sont magnifiques. 

lundi 23 janvier 2017

Paterson. Jim Jarmusch.


Les jours sont tranquilles dans la ville de Paterson où Paterson, l’heureux compagnon de Golshifteh Farahani, est chauffeur de bus.
Elle, rayonnante et fantaisiste, confectionne des cupcakes, réinvente le décor de leur maison ou se met à la guitare sans peine.
Lui, sans téléphone portable - c’est dire sa singularité - attentif aux gens et aux choses, recueille les frôlements de la vie qui passe.
« Nous avions plein d’allumettes à la maison.
Nous les gardons toujours à portée de main
Nous avions plein d’allumettes à la maison.
Nous les gardons toujours à portée de main.
Nos préférées : Ohio Blue Tip...
Celles qui allument la cigarette de la femme que tu aimes pour la première fois »
Les mots dans ce film si peu bavard enregistrent la vibration du monde et scandent délicatement la beauté du quotidien. Et  même lorsque ceux-ci viennent à disparaître, il reste une lumière, un humour léger d’hommes et de femmes simples et magnifiques.
Le réalisateur se garde dans ces deux heures de toute définition close : il livre modestement une œuvre hors du temps et nous apaise. Une poésie fine, tout le contraire d’autres productions pétaradantes http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/01/poesia-sin-fin-alejandro-jodorowsky.html   
Insister sur la douceur de ce film met en évidence son originalité dans ce monde tonitruant et impérieux. Ce film est un délice, cependant, m’autorisant une métaphore Haribo : dans ce couple où le chien occupe une place indue, la sève du désir a été épongée par le coton de la bienveillance.
Je viens de lire dans un commentaire :
« une vie réglée comme du papier à musique » : pas mieux !
J’ai trouvé aussi  sur le site du journal La Croix, ces mots de Golshifteh Farahani :
« Elle vit à fond dans le moment présent. Elle est multi-talents. C’est une extravertie qui habite l’intérieur de la maison et accueille ce qui surgit d’elle, tandis que Paterson est un introverti qui puise son inspiration à l’extérieur. »

dimanche 22 janvier 2017

2666. Julien Gosselin.

Spectacle hors norme : 8h de théâtre, avec les entractes. Nous avons passé notre dimanche à la MC 2 de 11h du mat à 11h du soir, pour  assister à l’adaptation du livre, lui aussi fleuve, de  l’espagnol Roberto Bolaño.
Communiants dominicaux, en bons fidèles du culte culturel, qui nous emmène de l’Europe au Mexique, des narcos aux nazis, nous pouvons mettre en perspective nos préoccupations d’ici et maintenant.  
Nous avons tout le temps de nous enthousiasmer et d’être agacés, de recevoir les musiques à l’estomac, les images au plexus, de divaguer, d’être interpellés, d’être estomaqués, chamboulés.
Sous les brillantes lumières, les 16 acteurs de la compagnie « Si vous pouviez lécher mon cœur » sont vraiment performants.
Un puzzle se reconstitue habilement, tout en laissant des incertitudes, revisitant prestement quelques genres théâtraux: vaudeville, thriller, témoignage, poétique, symbolique, philosophique…
Qu’est ce qui lie Archimboldi écrivain connu seulement d’un petit cercle universitaire aux femmes tuées, torturées pendant des années au Mexique ?
« Personne n’accorde d’attention à ces assassinats, mais en eux se cache ­le secret du monde»
Benno von Archimboldi est la deuxième identité d’Hans Reiter, né d’une mère borgne et d'un père boiteux, et il n’est pas le seul personnage de cette fresque gigantesque mettant en scène policiers, journalistes, intellectuels, soldats… notre histoire, notre monde, nous-mêmes.
Qui sommes nous face à l’indicible, fut-il hurlé ?  
Nous remontons aux sources du mal, sans nous effrayer de ce terme trop absolu et n’avons qu’à nous recroqueviller dans notre fauteuil. Nous sommes dans la position de ces intellectuels tellement en dehors des coups, présentés dans leur vaine quête de l’identité de ce maudit écrivain, et subissons la litanie des crimes les plus horribles, présentés avec une telle efficacité qu’il vaut mieux mettre sa capuche de pseudo critique sur la tête plutôt que de crier : « stop ! » en risquant de se mêler à la représentation.
Les écrans ont envahi les plateaux depuis des années, mais ici la vidéo permet au spectateur de ne pas rester captif de l’admiration à l’égard des performances des acteurs.
La mise en scène met en valeur la qualité littéraire du texte, et matérialise la luxuriance des sujets abordés jusqu’au « too much ».
« Les étoiles sont apparence, de la même manière que les rêves sont apparence. De telle sorte que le voyageur de la route 80 dont un pneu vient d'éclater ne sait pas si ce qu'il contemple dans l'immense nuit ce sont des étoiles ou bien, au contraire, des rêves. »
Le metteur en scène qui nous avait épaté déjà a doublé la mise :
Rendu à reconnaître qu’un compte rendu dans le registre de l’artistique n’est pas suffisant, c’est toute une idée ( noire) de la (pauvre) condition humaine qui est interrogée et ce reflet (ignoble) pisse le sang. L’amour est morte, la bonté, la beauté brûlent dans les décharges, tripes à l’air.
« De 1993 à 2013, 1441 meurtres de femmes ont été commis à Ciudad Juarez, selon le centre universitaire Colegio de la Frontera Norte »


samedi 21 janvier 2017

Les poissons ne ferment pas les yeux. Erri De Luca.

Enchanté. Parler de l’enfance, de son enfance est un exercice difficile et c’est un domaine où je suis particulièrement chatouilleux : les occasions sont légion de jouer au plus malin ou de faire grincer les cordes des violons.
Ici, c’est bien l’adulte qui écrit avec une sensibilité qui rend complètement crédible sa sincérité.
« Ce bout d'un été d'il y a cinquante ans, vu à travers la focale de la distance, s'agrandit.
On découvre des horizons aussi dans un microscope, pas seulement du haut d'une montagne »  
Au bord de la mer du côté de Naples, le père parti en Amérique et le corps comme une enveloppe qui ne demande qu’à grandir, c’est le moment des découvertes, quand les mots enchantent le monde dont il aime les levers de soleil et les couchers :
 « Aujourd’hui, je cherche le coucher du soleil dans toutes les îles où je me rends.
Je vais à l’Ouest à l’heure où il se vide dans la mer.
Aujourd’hui, je racle l’assiette de l’horizon jusqu’à la dernière lumière »
Les dilemmes de l’enfance qui constitueront l’adulte sont traités d’une façon originale, poétique, authentique, réaliste.
La justice, le travail, les animaux, la jalousie, la violence, la fillette et sa robe blanche, les mots croisés, les livres, le cinéma, maman, les odeurs de la cuisine, la liberté, partir ou rester, le Sud et le Nord : 139 pages pour se délecter de croire comme Brel : 
« Faut dire qu'elle était brune.
Tant la dune était blonde.
Et tenant l'autre et l'une.
Moi je tenais le monde »
Et puis l’été finit.