vendredi 26 avril 2013

Famille je vous hais ! Familles je vous aime ?



Le titre de la discussion aux états généraux de Libération était subtil avec la présence ou l’absence de pluriel à famille et le signe de ponctuation.
La priorité donnée à l’intervention des jeunes tout au long de ces deux jours a permis à deux jeunes filles de l’école de commerce de Grenoble de préparer le débat mais pas vraiment de le diriger : l’expérimentée Caroline Mécary avocate et militante EE/les verts à l’aise au micro n’a pas laissé beaucoup de place à Marion Athiel du planning familial qui n’a fait que la suivre.
Les questions bien préparées par les deux jeunettes ont souvent consisté à demander aux deux femmes d’expérience à la tribune : « pensez-vous que les jeunes… »
Au moment où les tensions autour du mariage pour tous au parlement se dénouaient, pensait-on alors, on peut comprendre la passion de l’avocate qui voyait l’aboutissement d’années de lutte, mais regretter avec d’autres spectateurs que la table sans quota masculin fut essentiellement une tribune.
Depuis le cri daté de Gide jusqu’à l’annonce du vote au parlement de l’article premier permettant le mariage de deux personnes du même sexe, le titre avait dit l’essentiel.
Si toutes les religions s’accordent sur la représentation des familles, celles-ci adoptent par contre aujourd’hui des formes différentes : recomposées, monoparentales, avec des parents de même sexe et plus seulement avec un papa, une maman.
La famille est le premier lien de socialisation où se construisent les repères qui seront interrogés avec le reste de la société.
Le PACS avait constitué une reconnaissance sociale  et depuis 1982 l’homosexualité n’est plus une tare, le choix de sa sexualité est devenu indifférent. Celle-ci se distingue du désir d’engendrer un enfant pour laisser une trace, « régler sa propre dette vis-à-vis de ses parents » ; d’où les questions concernant la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui.
 «Aujourd’hui, faire famille ne passe pas nécessairement pas la procréation naturelle»
Caroline Mécary pense que les discours concernant la GPA sont paternalistes.
« On veut contrôler ce que les femmes font de leurs corps. Mais les politiques de prohibition créent toujours des pratiques à la marge, dans des conditions problématiques».

jeudi 25 avril 2013

« Les dessous de l’Isère ». Musée dauphinois.



Cette histoire de la lingerie féminine se tiendra jusqu’au 30 juin 2014.
Un visiteur a noté sur le livre d’or qui comporte quelques jolis dessins : 
«Ça change de la métallurgie ! »
Nous passons de la confection des trousseaux qui débutait à l’intérieur des familles dès les premières règles, au métier de celles qui poussaient l’aiguille d’une façon artisanale avant que cela ne devienne un travail.  Au début il n’y avait rien, la culotte a d’abord été masculine et il s’agissait « de pisser droit ». Les fillettes ne faisaient pas que suivre leurs mères au bord des lavoirs pour regarder, il leur fallait frotter.
Une chemise de nuit  provenant de Beaurepaire a été reprisée par trois générations, et la minutie, la délicatesse des linges marqués est émouvante comme sont intimidants les corsets qui charment l’œil mais occasionnèrent des traumatismes.
Le labeur des ouvrières de Lou, de Valisère, entreprises qui connurent un rayonnement international était rude : les payes à la pièce étaient modiques, les cadences infernales, mais il y avait de la fierté et des occasions pour s’émanciper.
L’intérêt de cette présentation agréable est de nous rappeler l’histoire de vêtements par définition peu exposés qui signent la libération de la femme à mesure que la surface de tissus diminue et aussi l’évolution des ouvrières devenues des opératrices avant de perdre leurs emplois sous la logique de la mondialisation.
Jusqu’à "Playtex maintient vos seins mais pas nos emplois."
C’était à la Tour du Pin en 2010, le dernier témoin d’une industrie florissante depuis Paturle en 1880 à Saint Laurent du Pont sur le créneau des baleines de corset.
Linge de corps,  chemise américaine, caraco, balconnet, guipure,  guêpières, faux-cul, boléro, push up, boute en train, rubans, satin, cœur croisé, Viscose mais pas de string.
Nous ne sommes pas étouffés sous les dentelles, le parcours est aéré : les publicités peintes sont charmantes, et les calicots des ouvrières de Valisère en lutte ont leurs slogans  bien cousus.  Quand une photographe qui se surnomme Hyppolite demande à des femmes de montrer leur culotte, le résultat m’a semblé plus amusant que troublant. L’intimité sous les éclairages des cimaises se refroidit, mais à nouveau le Musée Dauphinois montre qu’ « il en a dans la culotte » sans être  jamais « à côté de ses pompes ».

mercredi 24 avril 2013

XXI n° 22. Printemps 2013.


Jean Paul Delevoye, le président du comité économique et social, rue d’Iéna,  apporte quelques éléments probants pour combattre la morosité ambiante, comme la « dame théâtre » qui, en banlieue, met en scène des mamans africaines « tachées à la France ».
La mise en avant de quelques personnes exemplaires ne nous guérit pas de l’amertume, nous les amateurs de dérision, gavés de décourageantes informations. Mais la livraison trimestrielle de XXI continue à nous étonner, à entretenir une petite flamme de foi en l’humanité.
Un déménageur en Grèce a beaucoup de travail en ce moment, il attend l’homme qui doit revenir pour le payer, il est exaspéré par les pleurs d’un môme :
« Il est malade le petit ? Il s’est passé quelque chose ? »
«  Rien rien » a assuré la mère.
Au bout d’une heure, le mari est rentré, l’enfant pleurait toujours.
« Mais qu’est-ce qu’il a ce gamin, bon sang ! »
« Il a faim… »
Le déménageur a calé les billets dans le bavoir.
Le récit en photos intitulé « les confettis du monde » où des rois d’opérette s’amusent avec leurs copains apporte une légèreté bien utile quand un reportage sur le nouvel état du sud Soudan est désespérant.
La belle énergie d’une accompagnatrice improvisée d’un groupe d’handicapés en vacances, sa fraicheur, sont revigorantes et conviennent bien à la forme de narration en BD. Un fonctionnaire marocain qui se bat pour donner une sépulture digne à un migrant qu’il ne connaissait pas est admirable, à côté le portrait de Maurice Herzog est bien insignifiant, alors que Chan 16 ans « petit oiseau en colère » en Birmanie fait preuve d’un courage extraordinaire car justement elle le vit comme naturel, ordinaire.
Pour dire que nous grandissons trop vite un jeune afghan rapporte un proverbe : « l’eau bout avant qu’elle ne soit chaude ». Il a quitté son territoire à l’âge de 10 ans et s’est retrouvé seul à Paris, où une journaliste l’a rencontré puis a joint son frère resté là-bas qui pense que des hélicoptères diffusent du parfum au-dessus de Paris. Il sait aussi que notre pays a été envahi et détruit au cours de l’histoire, aujourd’hui nos maisons sont reconstruites et nous vivons en paix, cela lui laisse espérer que la paix chez lui est possible.

mardi 23 avril 2013

Substance profonde. Batia Kolton.



Le style de la première page m’avait intrigué sans que j’aie vu du premier coup d’œil que la femme sur la passerelle de l’avion aux allures sixties n’avait qu’une seule jambe.
Le contenu de cet album paru chez Actes Sud est dérangeant donc intéressant.
Les 8 histoires différentes ont des styles graphiques proches mais ils s’adaptent aux genres qui vont du fantastique, à l’absurde, à la chronique réaliste qui n’en recèle pas moins un malaise traversant tout l’album.
Les yeux de tous les personnages sont inquiétants même si la mort  qui rôde est mise  un peu à distance par un dessin aux allures rétro souvent élégant.
Dans le genre fantastique naissant d’une photocopieuse, « le jouet de la direction » est bien vu et le récit la fête de l’indépendance du pays à l’étoile de David par une petite fille timide est émouvant : quand pisser dans sa culotte n’est pas causé par un rire irrépressible.
L’auteure israélienne est forte.

lundi 22 avril 2013

Alceste à bicyclette. Philippe Le Guay.



Comme beaucoup de mes amis m’avaient conseillé ce film, je comptais me régaler, appréciant  en général ces acteurs et le thème, contrairement aux critiques qui faisaient la fine bouche. Mais finalement je  suis tombé d’accord avec la sévérité de Télérama.
Lucchini est retiré loin du monde, sur l’île de Ré,  une des majeures « place to be ».   
Lambert Wilson, lui aussi acteur,  mais en plein succès, genre série TF1, vient proposer au péremptoire bavard un rôle dans « Le misanthrope ».
La vie et le théâtre : le sujet a été beaucoup traité et en dehors des moments d’affrontement entre les deux caractères opposés, cette version est poussive.
« Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J’ai fait jusques ici, profession de l’être ;
Mais après ce qu’en vous, je viens de voir paraître,
Je vous déclare net, que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus. »
Bien des scènes sont ridicules telle que le jacuzzi en folie, le vélo sans frein, et les personnages secondaires sont caricaturaux, ajoutés pour coller artificiellement au propos initial de Molière. 
Quand le parisien débarque chez le dépressif  mal rasé comme il sied aujourd’hui, celui-ci est dehors car il a des problèmes de fosse septique, un puzzle est posé sur la table : il est à l’image de ce film en morceaux non raccordés.
Un moment de sourire quand dans la salle, un téléphone portable a sonné avec insistance, il venait d’en être question dans ce film comme dans beaucoup d’autres : le cinéma et la vie. Bateau.

dimanche 21 avril 2013

Cyrano de Bergerac. Edmond Rostand Dominique Pitoiset.



Qui peut s’intéresser à des histoires de poète à vers de mirliton,  précédé par son grand nez,  jouant  au mousquetaire, roucoulant sous un balcon?
Moi, passionnément et je n’étais pas le seul dans une salle comme rarement debout, enthousiasmé, par une mise en scène novatrice mettant en valeur la modernité  de la pièce de 1897.
Je connaissais le sujet : le pouvoir des mots, le jeu avec les apparences ; mais aussi, pas seulement à cause des défauts de ma mémoire, j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir des dimensions nouvelles.
« …. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? Se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci ! »
Fraternel avec les cadets de Gascogne :
« De gloire leur âme est ivrogne. »
Gourmand :             
« Et fais tourner au feu des strophes de rôtis ! »
Loufoque, arrivant de la lune :
 « J’ai aux éperons, encor, quelque poils de planète ! »
 Emouvant :
« Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
Ganté de plomb ! »
Donnant à réfléchir :
 « Ah je vous reconnais tous mes vieux ennemis !
 Le Mensonge ? Il frappe de son épée le vide. »
 Les alexandrins se dégustent comme un muscat, vin naturel et sucré. Quand ils sont outrés,  l’émotion  passe avec ce qu’il faut d’autodérision, on rit et on se dit : la lutte contre les faux semblants ne date pas d’aujourd’hui.
Avec tout ce  « théâtre » ce disgracieux a donné tant de grâce à la vie, avec panache.
« Pas monté bien haut, peut-être, mais tout seul. ».
Depuis la salle d’hôpital où Torreton en survèt’ est prostré jusqu’au final où il a revêtu la cape et l’épée, la cohérence est complète, les 2h 30 passent comme un Rivesaltes.
Baschung chante :
« Et tous ces petits êtres qui courent »
Ça colle.
Les morceaux de bravoure se succèdent : tirade des nez, les cadets de Gascogne,  la duègne est éloignée avec des pâtisseries servies dans des pages de poèmes. La scène du balcon par Skype arrive vraiment à propos : Roxane intime, en gros plan sur l’écran, réussit  totalement sa prestation.
La pièce où l’humour succède au pathétique épouse les états d’âme changeants de Cyrano à l’énergie communicative, arrogant, touchant (à la fin de l’envoi), seul. Fini d’un coup de bûche.
Pas l’ombre d’une restriction quand l’inventivité sert aussi bien le théâtre populaire avec des acteurs  complètement investis.
Je cours relire encore des passages.

« Oh…Délabyrinthez vos sentiments »

samedi 20 avril 2013

Les pays. Marie Hélène Lafon.



J’ai fermé le livre et je l’ai tenu dans mes mains comme une pierre que j’aurais ramassée dans le dernier  champ labouré par mon père, et l’ai rouvert à la page  de la citation qui précède le récit,
« Nous ne possédons réellement rien ; tout nous traverse » Eugène Delacroix
Il n’y a pas plus juste pour décrire ce roman de 200 pages.
Une fille de paysans qui n’est pas faite pour les travaux des champs va étudier  les lettres à Paris, mais elle ne sera jamais parisienne.
Je partage intimement ce passage d’un monde à l’autre, cette distance entre un monde qui meurt qu’elle comprend au-delà des mots et l’univers affolé de la capitale qui ne l’éblouit pas mais lui procure par son université les moyens de décrire une existence, magnifiquement.
Tout y est : ceux qui sont chez eux au Luxembourg, les librairies impressionnantes, le père qui monte à Paris avec son petit fils dégourdi, la laverie du XIII°, Depardon en DVD, le travail d’été à l’agence bancaire, les chiens dans les hameaux, le tracteur rouge, …  
«Le chemin est comme un boyau, entre les noisetiers ronds et les frênes et d’autres arbres dont personne ne dit le nom, parce que l’occasion manque de nommer les choses, et pour qui, pourquoi, qui voudrait savoir. »
Fille du Massif Central, par ses thématiques j’ai pensé à Bergounioux qui lui travaille le fer, elle plutôt le bois. Ses atmosphères sont évocatrices, chargées d’odeurs, mais si elle a hérité d’une persévérance au travail qui lui a permis de réussir ses études, elle a aussi la pudeur de ses origines : aucun pathos et des ellipses sur des sujets concernant sa vie amoureuse qui auraient fait l’essentiel d’autres autofictions.
La balançoire :
« Elle ne servait plus vraiment maintenant que les trois enfants de cette ferme étaient déjà presque grands, assez grands pour commencer à perdre, à oublier, le goût forcené de la balançoire jetée dans l’air bleu sous l’érable, le corps lancé arraché à la force des jambes, et du buste tendu, bercé le corps dans cette caresse insolente de la balançoire. »