mardi 20 avril 2021

Les brûlures. Zidrou & Laurent Bonneau.

Zidrou, le roi de la diversité scénaristique, réussit aussi bien dans le tendresse, la drôlerie, ou le tragique; son polar promet de l’originalité. 
La variété de ceux qui l’ont mis en dessin s’étend  ici magnifiquement avec Bonneau qui avait excellé dans « Ceux qui me restent »
Mais l’éclat des aquarelles, la force des évocations aquatiques font passer au second plan l’intrigue criminelle qu’ont à élucider Light et Nutella, deux policiers désabusés.
La sobriété des dialogues n’épargne pas d’une certaine grandiloquence dans les mots comme dans les panoramiques souvent grandioses.  
« La vie, c'est comme la piscine.
Il y a toujours quelqu'un pour t'apprendre à nager.
Mais va t'en trouver quelqu'un pour t'apprendre à te noyer ! »
 
Le récit d’une relation amoureuse se mêlant au déroulement d’une enquête aux atroces révélations brouille la lecture des 116 pages qui laisseront le souvenir d’un beau carnet de croquis tragiques plutôt que d’une histoire bouillante.

lundi 19 avril 2021

Coup de torchon. Bertrand Tavernier.

Dans ce film de 81, je me rappelais  d’Eddy Mitchell et de Guy Marchand en imbéciles de haute volée, à les revoir, le rire a tourné au jaune et sous le soleil blanc le propos m’a paru vraiment très noir.
Quand le commissaire humilié se venge, nous sommes soulagés : les salauds sont vraiment trop salauds. De toutes ces personnes minables qui ont la belle vie dans l’Afrique Occidentale Française à la veille de la seconde guerre, n’est épargnée que l’institutrice.
« Tu cherches à sauver des innocents ? Y’en a pour ainsi dire pas. Les crimes, y sont tous collectifs. On participe à ceux des autres et les autres participent aux vôtres. »
 Les dialogues sont excellents : 
« A partir de quel moment on se gratte les couilles parce que ça nous gratte ou parce que ça nous fait plaisir ?".» 
Les acteurs sont au sommet de leur art : Huppert incarne Rose une garce à qui on pardonne (presque) tout, Noiret joue l'ange exterminateur à la voix enjôleuse d’autant plus calculateur et cynique qu’il a été excellent dans la veulerie, Marielle apparait en mac élégant, Marchand se montre abject, Mitchell libidineux, Audran en bigoudis.
Les images très fortes et justes de l’Afrique ne constituent pas qu’une toile de fond. 
Dans la richesse des thèmes abordés l’historien émérite du cinéma
nous gratifie d’une séance en plein air interrompue par une tempête de sable que les spectateurs noirs suivaient avec un traducteur en live alors que les colons depuis leur balcon voyaient le film à l’envers.
Finalement cette drôle de fable est drôle, folle, luxuriante, discordante comme le souligne parfois la musique, poétique, posant quelques problèmes métaphysiques sans sacrifier une once de notre plaisir de spectateur.

 

samedi 10 avril 2021

Fille de révolutionnaires. Laurence Debray.

Nous sommes loin de règlements de compte devenus un genre littéraire et de la formule :« Il n'y a pas de héros pour son valet de chambre »; la fille d’un de mes maîtres et d’une mère épousée lorsqu’il était prisonnier, écrit bien et décape. 
Elle parle de Régis Debray, en père malhabile:  
« Il s’inquiète de la décadence de la France, passant du flamboyant homme d’influence, qui a pris les armes avant d’arpenter les couloirs des palais de la République, entre trois essais, deux maîtresses et cent complices, à « Schtroumf grognon » qui pond des pamphlets entre trois arbres, deux chevaux et cent courtisans. »
 
De Gaulle était intervenu pour protéger le théoricien du « foco » :
 
« Il serait regrettable de mettre un terme, pour des fautes de jeunesse, à une existence chargée de promesses et qui permet un sincère amendement. » 
Au-delà de la biographie de celui qu’elle disculpe d’avoir parlé sous la torture et son propre parcours entre sa famille vénézuélienne et ses grands parents de la haute bourgeoisie parisienne qui assurent, pendant que papa et maman sont à leurs œuvres, est posé le thème de la filiation : 
 « Toute appartenance est une prison ; toute légende est une servitude. »
« Mon père épousait une femme aussi belle que solide […] ma mère convolait avec l’intelligence pure et théorique avec la blondeur et la naïveté du jeune Européen épargné par la vie et l’Histoire »  
A New-York, où son père est toujours interdit, elle a travaillé dans une banque :  
« Evidemment c’est moins glorieux que de sauver les peuples de l’injustice et de l’inégalité. Je trouvais pathétique le dédain de la gauche bien pensante pour l’argent et son mépris pour les enjeux économiques, inquiétant. »  
Moins écorchés que les souvenirs de Virginie Linhart, 
ces 300 pages m’ont passionné et même si je suis bien loin de ces milieux où Signoret est une intime ainsi que tant d’autres aux noms prestigieux, la biographe de Juan Carlos est mariée à un Servan Schreiber, je me suis senti concerné par cet ouvrage. L’amour se cherche et l’écrit permet le pardon ponctuant le temps qui file. Elle remercie ses parents :  
«Ils ont toléré, avec grâce et indulgence, mon point de vue parfois irrévérencieux, sur des sujets personnels douloureux. Ma reconnaissance est à la mesure de leur mansuétude et de leur intelligence.»

.............. Vacances du blog quand les petits sont en vacances par chez nous. 
Retour dans une semaine.

vendredi 9 avril 2021

Poisons d’avril.

J’avais trouvé cette année le premier avril bien terne, dépourvu de créativité, il est vrai que "Le Gorafi" tend à s’épuiser depuis 10 ans face à une concurrence quotidienne dans l’absurde. Certains ne croient aucune information émise ce jour là mais avalent toutes les fake-news tout au long de l’année.
Les températures en hausse rencontrent la durée des calendriers où les fêtes religieuses qui le rythmaient se font de plus en plus discrètes.
«Les amandiers en fleur annoncent le printemps
Au noir figuier qui ne veut pas les croire» Louis Brauquier
Sur l’éphéméride les rendez-vous sont incertains, pourtant des choix s'annoncent, alors il va à nouveau être question de la jeunesse, carrefour des options. 
Surinformation et ignorance, le déni de la létalité du Coronavirus touche surtout nos héritiers qui ont accentué l’aveuglement, que nous boomers, cultivions face à la mort. Conformément aux attitudes pleurnichardes contemporaines, ils vont se montrer compatissants en paroles vis-à-vis des vieux, mais provocateurs en acte.
Quitte à forcer le trait du tragique pour se poser vis-à-vis de l’inconscience d’adolescences prolongées, je vois le jeunisme occulter les souffrances des vieillards abandonnant bien vite toute parole aux jeunes pousses. Les fragrances printanières n'obligent pas à la démagogie.
Alors que nous avons été pris de court par la pandémie, l’exécutif s’est doté d’un Haut-commissaire au Plan. L’appellation sera-t-elle la signature paradoxale de la disparition de toute vision prospective comme la revendication du « respect » quand celui-ci devient denrée si rare ?  En tous cas des échéances vont venir pour des trajectoires amenées à se préciser après des formations perturbées, quelles orientations pour les sortants d'années d'étude?
Je n'insiste pas sur mon antienne : « plus personne ne veut être boulanger » pour regretter un effet pervers de la revendication de « chances égales pour tous » qui a tourné au mépris réciproque envers ceux qui ont accédé à des professions bien rémunérées, à des postes de responsabilité plus visibles, et ceux qui n’y sont pas parvenus. L’intériorisation de l’incapacité de l’école à réduire les inégalités, sans cesse proclamée, fait que chacun se défausse de toute responsabilité.
Malgré les odes en l’honneur des premières lignes, sur fond de croyance fallacieuse d’un accès de tous aux feux de la rampe, est entérinée une hiérarchie des dignités. On se gardera de dire qu’il est plus noble d’être trader qu’assistante maternelle mais qui préfèrerait-on épouser ? 
Variation sur le thème distance actes/paroles :  
« Sauvons la planète, mais qui va sortir les poubelles ? »
La valeur humaine étant indexée sur le salaire, est venu le temps de l’indignation quand les métiers essentiels se trouvent être les plus mal payés. Cependant la bataille idéologique sera rude quand  bien des jeunes gens branchés accolent à « jobs » le terme « bulshit » pour dire « boulot de merde » ; élevé au cul des vaches je ne peux accepter cette hiérarchie des taches.
Le respect du travail « manuel » figurait dans bien des discours, mais laisserait entrevoir un potier plutôt que le ripeur de nos bacs à déchets. Je ne jouerai pas non plus avec le mot « bac » quand s’expriment les regrets à l’égard d’un diplôme dévalué alors que ceux qui font de la musique sans avoir appris le solfège ou sont familiers de Proust sans avoir assisté aux cours, paradent sur les plateaux. Les vérités contradictoires s’additionnent dans un contexte où la valeur travail est mise à bas. Le « progressiste » comme on disait jadis, qui avait sur la poitrine marteau et faucille ne touchait pas forcément des mains calleuses.
Par contre il faudrait remettre au goût du jour le terme « publiciste » qui désignait au XIX° siècle les journalistes, ils ajoutent à leur militantisme peu discret, un conformisme navrant qui les voit reprendre sur plusieurs supports la même expression «  tour de vis »  pour désigner les mesures visant à limiter la propagation du virus.
 « La liberté d'expression se mesure à ceci : tant que les journalistes peuvent dire que tout va mal, c'est le signe que tout va bien. » Geluck.
On va très bien !
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Dessin de Chapatte dans le journal "Le monde"

jeudi 8 avril 2021

Un récit qui donne un beau visage. Jørn Riel.

Première partie de la trilogie « La maison de mes pères » dans l’œuvre du Danois où le mot « racontars » figure souvent, ce récit retrace l’enfance du narrateur au pays des Eskimos dont l’appellation avait fini par disparaître de notre vocabulaire au profit d’Inuit exempt de connotation péjorative. 
« J'ai deux pères. En vérité, j'aurais sans doute dû en avoir cinq, mais les camarades s'étaient mis d'accord pour désigner Pete et Jeobald comme mes vrais pères et Samuel, Gilbert et Small Johnson plutôt comme un genre d'oncles. »
Les cinq compères aux personnalités affirmées et leur petit bénéficient des bons soins d’une vieille recueillie alors qu’elle attendait la mort. 
«  Les deux traineaux arrivèrent tard dans la soirée. Les hommes suspendirent leur pelure dans l’entrée et bientôt tout le monde fut attablé autour de la soupe souveraine d’Aviaja. Une soupe à base de chair de mouette, agrémentée de graisse de renne et de filets de nageoire épilée de phoque. » 
L’auteur ayant vécu 16 ans au Groenland nous restitue avec humour quelques aspects de la vie rude des habitants de ces contrées arctiques où l’apparition d’êtres imaginaires lors de longues nuits peut s’expliquer par l’abus de substances distillées.
Ces 230 pages cocasses de couleur saumon nous dépaysent.
L’importance des récits dans des lieux où sont bousculées les notions de distance et de temps s’accorde bien aussi au mode BD 

 

mercredi 7 avril 2021

Lens #1

Nous sommes très satisfaits de notre escale à Saint Quentin, 
que nous devons quitter sans trainer pour rejoindre Lens d’un coup d’autoroute.
Vers 15h 30, nous entrons dans l’Office du tourisme, installé face à la mairie, dont les employés se révèlent très efficaces : ils nous fournissent  un plan et nous inscrivent à deux visites guidées pour demain, programmées après notre découverte du Louvre. La demoiselle nommée Alix nous conseille de consacrer notre fin d’après-midi au centre minier 11.19 à Loos-en-Gohelle.
Nous pourrons ainsi voir de près les terrils jumeaux  (prononcer terri comme fusil) qui font partie du patrimoine mondial de l’Unesco. Nous buvons un coup sur place, à l’entrée du site  rue de Bourgogne, dans une petite maison entre bistrot et centre de renseignements où nous trouvons un plan pour nous diriger.
Il nous conduit à travers les anciens bâtiments  reconvertis aujourd’hui par des entreprises autres que minières, nous fait contourner le chevalement, nous invite à prendre la passerelle au-dessus de la route et d’une bretelle qui la surmonte.
Nous n’avons plus qu’à suivre le chemin balisé jusqu’à la plate-forme, entre les deux terrils.
Déjà s’offre à nous un beau panorama décrit sur quelques panneaux fanés par le soleil.
Puis Guy, nous entraine à l’ascension du terril de gauche haut de 150 m (l’un des plus hauts d’Europe), pas si difficile finalement.
Du sommet nous dominons un paysage infiniment plat, au loin se dessine le stade Bollaert. Nous croisons des sportifs enchainant montées et descentes sans relâche, malgré la chaleur et la pente.
Concernant les terrils, nous apprendrons en cours de conversation avec notre logeuse qu’ils grimpent vite en température avec le soleil et que certaines maisons ne doivent pas se servir de barbecue car elles sont construites sur ces collines édifiées avec des restes de l'extraction du charbon toujours actifs.
Notre Airbnb est face à un autre chevalement à Lievin. Il est séparé de cette tour caractéristique par un parking vide. C. nous  attend et nous accueille avec son bon accent d'ici. Elle nous introduit dans la cour par une lourde porte cochère, et au fond, avant le jardin, nous montons au 1er étage d’une maison rénovée prendre possession d’un joli studio spacieux, fonctionnel et bien conçu, éclairé par un velux, avec une grande salle de bain sous les combles.
Nous  ressortons diner « au Bureau » (salade Victoria et bière)  près d’un immense cinéma Pathé dans la zone industrielle. Le restau est fréquenté : je parais maigre par rapport aux femmes présentes, attablées face à des plantureux burgers ! 
Nous circulons un peu dans le centre-ville en voiture avant de rentrer, au milieu d’un habitat  présentant des petites maisons plutôt basses en brique, à l’image de ce qu’on imagine en pays minier.

mardi 6 avril 2021

Chroniques de jeunesse. Guy Delisle.

Le reporter original, le père craquant est de retour, retour vers ses jeunes années.  
Avec sa sobriété habituelle, son honnêteté, il nous raconte son boulot de vacances trois étés de suite dans une usine de pâte « et » de papier où travaille son père à Montréal.  Les 12 h de nuit passent lentement. Le graphisme sobre, les couleurs élégantes rendent bien l’épaisseur du temps, la puissance des machines, l’humilité des hommes. Pas de grands tralala, et même une certaine distance pour un récit d’apprentissage où l’adolescent va rencontrer le monde ouvrier, ni fantasmé ni méprisé.
Le garçon solitaire avance tranquillement vers sa vocation de dessinateur, ses relations avec le père sont distantes et sa mère n’existe que dans une bulle lorsqu’elle l’appelle pour manger.  
« Ça passe, j'ai réussi. J'ai basculé la feuille sur l'autre rouleau.Yes ! J'ai vaincu mes peurs.Et qui sait, j'ai peut-être franchi une étape importante dans mon développement psychologique ?Dans nos sociétés modernes, on se trouve les rites de passage que l'on peut. »