Jean Serroy avait sous titré sa conférence devant les amis
du musée de Grenoble : « Des cous et des couleurs » ; il a
parfaitement illustré le jeu de mots, passant des gracieuses encolures
allongées du XVI° siècle aux représentations de décapitations qui se
multiplièrent au XVII°.
Julia Kristeva au moment de
l’exposition du Louvre « Visions capitales » (1998) avait
proposé une vision philosophique, psychanalytique, anthropologique de ce
phénomène qui a tellement marqué les consciences, réinterrogé ce soir sur le
plan esthétique.
Le « Maniérisme » fut un courant artistique du
temps où les peintres se sont rapprochés des maîtres de la Renaissance, à leur
manière.
C’est l’époque où la «
Terribilità » de
Michel Ange, héroïque, athlétique, côtoie
la grâce raffinée des vierges de
Raphaël,
où tout est harmonie.
L’enfant tenu par « La Madone
de Saint Sixte » est en sécurité et d’espiègles chérubins peuvent figurer en toute
décontraction sous une composition où la raison classique renvoie à l’équilibre
d’une église qui alors ne doute pas de ses valeurs.
La « Vierge
au long cou » du Parmigianino est inscrite dans des lignes serpentines, l’enfant
démesurément long semble échapper à la belle au cou de cygne.
Bronzino avait déjà magnifié les visages ovales de beautés effilées aux longs
doigts, son « Allégorie du triomphe de Vénus »
destinée à François 1° où l’érotisme affronte la mort
entremêle les personnages et recèle d’innombrables énigmes
tel que « le Plaisir » faisant mine de distribuer des pétales au
moment où il va se blesser au pied…
« Moïse défendant les filles de Jethro » de Rosso Fiorentino, est
grandiose, la gracieuse bergère au buste menu, hanches et bras puissants,
répond aux canons du genre de l’époque.
Alors que dans son angoissante
« Sainte Famille » peinte précédemment, toute
en grisaille, la mort est annoncée, l’Enfant terrorisé.
De l’école de Fontainebleau nous connaissons peut être les
tétons de « Gabrielle d’Estrées et sa sœur » mais
tout aussi charmante, idéale et sensuelle, est la « Dame à sa toilette » dont la blanche nudité s’habille seulement de
quelques bijoux. Derrière le jeu des mains où l’une cache le médaillon de
l’être aimé et l’autre s’arrête au choix de l’alliance, un personnage à
l’arrière-plan rappelle les différents étages de la société.
Le Caravage va trancher avec le maniérisme, art de cour.
« Le baroque réinvestit la réalité pour s’engager
dans la voie d’un naturalisme bouillonnant. »
« La
Madone des palefreniers » ou « La Madone
au serpent » résout habilement un dilemme
théologique : la vierge pour les protestants ne pouvant écraser le
mal, elle aide ici son fils. Son décolleté bien garni va troubler quelques
moines.
« Sainte Catherine d'Alexandrie » a subi plusieurs
supplices après que la roue fût brisée par Dieu, sa décapitation n’est que
suggérée, l’ombre lui cisaille le cou.
Artemisia Gentileschi a rendu toute l’horreur
de la scène de
« Judith décapitant
Holopherne » pour sauver son peuple, avec une détermination des femmes
impressionnante.
Les experts n’ont
toujours pas rendu leur verdict concernant une version de plus de cette scène
peinte peut être par l’incontournable
Michelangelo Merisi
da Caravaggio, trouvée récemment dans un grenier toulousain.
Par contre, il a signé avec le sang de son saint bien aimé
lors de « La
Décollation de saint Jean Baptiste »
Lors de l’opération suivante, « Salomé avec la tête de saint Jean Baptiste » prend
moins d’importance que le bourreau tout à sa commisération.
Bien sûr David peut brandir la tête de Goliath de diverses
façons et Isaac maintes fois échapper au sacrifice par son père Abraham, la Méduse continuer à
pétrifier ceux qui la regardent, la tache lumineuse du cou de Sainte Cécile
décapitée à trois reprises semble appeler la lame comme elle a conclu le propos
du conférencier avec le mot un peu raccourci de Guillaume Apollinaire, «Soleil
cou coupé », qui venait après ces quelques vers :
« Et tu bois cet
alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers
Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu
Soleil cou
coupé »