« Le prophète de
la modernité, peut se comprendre mais ne se laisse pas voir
facilement ».
La réflexion vient du conférencier qui avait déjà clos l’an
dernier la saison des conférences autour du « noir » http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/le-noir-damien-capelazzi.html
et il va s’appliquer à faire dialoguer raison et vision.
Paul Cézanne, le père de l’art contemporain était reconnu
par ses pairs : Maurice Denis a peint « L’Hommage à Cézanne » où
Odilon Redon, Sérusier, Vuillard, Bonnard… sont rassemblés autour de quelques pommes
fameuses.
L’Aixois sera souvent dans le défi par rapport à ses maîtres,
reproduisant les tensions avec son père. Si dans sa période parisienne, il considérait Gauguin comme un « bourgeois
endimanché », il partage à Auvers avec Pissarro l’hospitalité du docteur
Gachet, homéopathe.
Dans cette période, sa « maison du pendu » doit beaucoup
à celui qu’il nommait « L'humble
et colossal Pissarro »
Quand il peint le « Portrait d'Achille Emperaire », son
compatriote, ce tableau de deux mètres de haut, représentatif de sa période
« couillarde », peut évoquer Vélasquez dans son sujet et sa manière.
Comme
la série dans laquelle il fait prendre divers
habits à « L'Oncle Dominique en avocat »,
en moine, le traitant vigoureusement au couteau, en impasto (empâtement) ; l’émotivité vient avec la surcharge de
matière onctueuse.
Il décore les murs de la pièce principale du « Jas
de Bouffan », vaste maison acquise par le père devenu banquier, et
dans les jardins, cerne une « psychologie de la nature » en touches
impressionnistes rapides et fracturées lorsque l’organique entre en conflit
avec le minéral, la géométrie avec l’abstraction.
J’ai appris le mot : pruinescence (du latin pruina,
gelée blanche, neige) qui peut caractériser la couleur des grains de
raisin quand les reflets cachent la profondeur
sous une fausse transparence qu’un frottement efface. Manet, dont il refusa de
toucher la main, nous en régale, avec ses natures mortes parfumées à « La
brioche ». Les pommes de Cézanne pas forcément dans l’espace
euclidien qui jouent de la nappe, base blanche, sont elles convexes ou
concaves ?
En voici un exemple « Nature morte aux pommes et un pot de
primevères » (1890)
« Avec une pomme
je veux étonner Paris » disait-il. Fruits on ne peut plus communs, devenues
emblématiques de son œuvre, elles roulent jusqu’à nous. Pommes de l’amitié,
avec Zola, venant comme lui de l’autre côté des Alpes:
« Même notre
amitié vient de là... d'une tripotée que toute la cour, grands et petits,
m'administra, parce que moi, je passais outre, je transgressais la défense, je
ne pouvais m'empêcher de lui parler quand même... un chic type... Le lendemain,
il m'apporta un gros panier de pommes ».
Il épouse son modèle Hortense Fiquet, à la charnelle robe
rouge.
Dans ses portraits d’humbles journaliers, «Les Joueurs de Cartes»,
fumant la pipe tels les soldats de Meissonnier entre deux batailles, il révèle
qu’il a beaucoup vu les anciens ; « le bourru » n’a pas tout
inventé. Ses couleurs automnales qui cernent ses personnages annoncent
cependant les bruns cubistes.
« Le fumeur de pipe », parmi d’autres, porte une mélancolie éternelle.
En 1906, dans le massif de la Sainte Victoire, il va mourir
suite à un orage, qui l’a surpris en pleine nature. « Le
rocher rouge »
Il avait un cabanon dans
les carrières de Bibémus dont les ocres vont le marquer :
« La nature pour nous
hommes est plus en profondeur qu'en surface, d'où la nécessité d'introduire
dans nos vibrations de lumière, représentées par les rouges et les jaunes, une
somme suffisante de bleutés, pour faire sentir l'air. »
Il avait fait entrer aussi l’Estaque dans l’histoire avant
que Braque, Dufy, Derain y « plantent leur chevalet ». « Le golfe de Marseille vu de l'Estaque ». Le bleu lui va si bien