mercredi 17 décembre 2014

Iran 2014 # J 10. Ispahan. Kashan.

En descendant pour le petit déjeuner nous avons la surprise de découvrir la rue et l’immense place de l’Imam envahie par des fidèles en prière. Il n’y a plus une place de disponible pour un tapis de plus.
Un haut parleur diffuse le prêche, puis c’est la reprise chantée par toute une foule fervente et concentrée, qui se prosterne en même temps : c’est impressionnant, la foule donne la chair de poule. Sur les toits se distinguent les silhouettes de militaires en arme.
Nous avions bien entendu les hauts parleurs dès 5h du matin mais nous étions loin d’imaginer que la fin du ramadan déplacerait autant de monde. Les gens se dispersent en ordre et dans le silence, tandis que nous allons prendre notre petit déjeuner.
Nous quittons Ispahan vers 9h en direction de Kashan. Nous bifurquons vers Abyaneh classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, situé à plus de 2200 m d’altitude. Nous apprécions le petit air frais dès que nous sortons et sommes surpris par le costume local des femmes très coloré et découvrant les jambes juste en dessous du genou sous de vastes jupes plissées. 
Les hommes portent des pantalons noirs très larges qui donnent presque l’impression de jupes longues. Le village en torchis ocre s'accroche sur une colline cernée par trois forteresses. Nous nous promenons, discutons, avec un  franco iranien qui ressemble à Enrico Macias, posons avec d’autres sur des photos à « ne pas mettre sur Facebook ». Nous allons vers un moulin où l’eau tombe en cascade dans un petit canal, puis nous revenons au village qui compte 140 résidents  permanents et pénétrons dans le mausolée des descendants de l’Imam. A la différence d’une mosquée, cet édifice ne comporte pas de minaret et le dôme est remplacé par un petit toit pointu. Nous demandons la permission à une dame  de la prendre en photo dans son costume chatoyant mais la volubile personne qui nous gratifie d’un « je vous aime », vient de Turquie.
Le village est envahi de touristes locaux venus pique-niquer sur les espaces ombragés de l’entrée du village, fêter l’aïd ou en visite dans les familles.
Dans un hôtel un peu excentré, le seul établissement ouvert en ce jour de fête, on nous sert l’abgoosht, un plat typique à base de mouton, servi dans une cassolette métallique. Il faut isoler la sauce dans une assiette dans laquelle nous émiettons du pain. Dans une seconde écuelle, pois chiches,  pommes de terre et viande sont broyés à l’aide d’un  petit pilon.  Puis nous partons en compagnie de quatre jeunes ados qui nous guident vers la citadelle face au village et à deux autres en ruine qui le surplombent. La promenade passe par le bas du village sur un chemin parmi les arbres puis une montée sur la colline parsemée de ruines et d’étables troglodytes dans lesquelles nous évitons de pénétrer  à cause des serpents. L’un des jeunes au demeurant forts sages, bien élevés et vêtus comme les nôtres de marques occidentales se montre fort timide et mal à l’aise quand Haleh, notre guide, nous traduit en riant que la citadelle sert de lieu de rendez-vous amoureux à ce garçon qui a beaucoup de petites amies. Les jeunes nous raccompagnent au centre du village où nous avons fait quelques emplettes (poupées, pantalons larges, pâte aux abricots), fait causette avec une femme de Téhéran de retour au pays pour les congés et des transactions pour des petits porte-bonheur en graines achetés à une dame au dos cassé.
Nous abandonnons le village montagnard vers les 18h et prenons la route de Kashan qui se situe un peu plus bas à environ 1000 m d’altitude. M. Ali doit renoncer à poursuivre jusqu’au Noghli historical à cause de l’étroitesse des ruelles de la vieille ville. 
Pas d’enseigne lumineuse voyante pour repérer l’hôtel, il faut sonner comme dans une habitation de particulier pour entrer dans cette ancienne demeure au patio en contrebas meublé de divans autour d’un bassin. Nous disposons nos bagages et nous nous rafraichissons d’une bonne douche puis sortons prendre un premier contact avec la ville.
Toutes les boutiques du petit bazar sont fermées, sauf une, où deux commerçants nous proposent de monter sur les toits. Depuis l’arrière boutique, nous nous glissons par une fenêtre au moyen d’une échelle branlante qui ajoute du pittoresque à l’excursion.
Nous découvrons une architecture à la « Barbapapa » avec des coupoles  offrant une vue magnifique sur la ville éclairée, l’intérieur d’un entrepôt aussi grandiose qu’une mosquée et sur les climatiseurs des boutiques. Nous terminons la soirée dans un restaurant traditionnel encore situé dans un cadre superbe où l’on nous sert de la viande de chameau. 
D'après les notes de voyage de Michèle Chassigneux

mardi 16 décembre 2014

Le Dahlia noir. BD.

Ils s’y sont mis à trois pour adapter en BD le roman culte de James Ellroy : Matz au scénario aidé du réalisateur David Fincher (Seven), avec aux crayons l’excellent Miles Hyman créant une atmosphère particulière qui aide à digérer une affaire violente et compliquée.
Betty Short, une starlette qui se prostitue, surnommée «le Dahlia noir», dont le corps affreusement mutilé a été retrouvé dans un terrain vague, va fasciner quelques enquêteurs et révéler bien des noirceurs
« Je savais que ce sourire-là allait me hanter jusqu'à ma mort. Je ne pouvais pas la quitter des yeux, mais je ne pouvais pas non plus vraiment la regarder. »
Dans des cases souvent allongées aux teintes brunes et noires, les femmes sont belles et mystérieuses, les hommes des boxeurs bien taillés, la ville de Los Angeles des années 40 évoquée efficacement : cinéma, business, politique, police : tous corrompus.
Tout semble sous contrôle : les amours, l’avancée  implacable de l’enquête et pourtant les trahisons, les coups de théâtre surgissent tout au long des 170 pages où les protagonistes semblent statufiés alors que les scènes chaudes se multiplient.

lundi 15 décembre 2014

Retour à Ithaque. Laurent Cantet.

Pas besoin de se référer à l’antique Ulysse pour souligner l’universalité du propos qui va bien au-delà de rêves perdus du côté du Malecón à La Havane. Il est d’ailleurs davantage question d’une époque plutôt que d’un lieu.
Oui, film de génération, où s’écluse du whisky entre amis qui ressassent leurs illusions perdues.
Qui n’a pas refait le monde jusqu’à point d’heure ? Ici comme à Cuba, mais nous, nous n'avions pas la peur.
Désormais, la question du départ du pays s’avance, même pour quelques uns de nos enfants, comme elle se pose dans les Caraïbes et dans tellement de pays, à quelques barcasses près.
Dans le cadre très circonscrit d’une terrasse, donnant certes sur la mer, se formule entre autres le problème des difficultés de la création hors de son sol, mais dans un contexte moins léger et mélancolique que « Nous nous sommes tant aimés » (1974) de Scola souvent cité.
Ecrivain, peintre, médecin, ingénieur qui cherchaient la vérité, qui croyaient à un monde meilleur, qui croyaient en eux, ont menti, se sont tus. Ils mettent du temps à accoucher de quelques vérités amères constituant la trame de ce film, proche du théâtre. On peut penser à Tchekhov, qui n’était pas un membre du politburo. Les comédiens sont excellents et si la conclusion peut paraître artificielle, cette révision  lors d’une chaude nuit d’été peut réchauffer nos petits cœurs meurtris qui se font mal aux froideurs présentes.
Que sommes nous devenus?

dimanche 14 décembre 2014

Daho Etienne

" Be bop, pieds nus sous la lune, sans foi ni toit ni fortune
Je passe mon temps à faire n'importe quoi
Sur les pistes noires de préférence, quand le démon de la danse
Me prend le corps, je fais n'importe quoi, tout va bien"
« Le roi de la pop », comme il est qualifié dans tous les articles, était à la MC2, aux airs de boite de nuit, avec un public beaucoup plus chaleureux, plus impliqué que pour les spectacles habituels.
Dans les premiers rangs je ne me sentais pas trop à ma place, bien secoué sur mon siège trop bien placé par ses admiratrices qui connaissaient par coeur les paroles que j’avais du mal à saisir. En appréciant la musique où quelques battements suffisent parfois comme  dans « Weekend à Rome » chanté par la foule en conclusion d’une soirée forte aux deux sens du terme.
« Une escapade à deux, la pluie m´assomme
L´gris m´empoisonne, week-end à Rome
Pour la douceur de vivre, et pour le fun
Puisqu´on est jeunes, week-end rital
Retrouver le sourire, j´préfère te dire
J´ai failli perdre mon sang froid
Humm, j´ai failli perdre mon sang froid
Oh j´voudrais, j´voudrais
J´voudrais coincer la bulle dans ta bulle
Poser mon cœur bancal dans ton bocal, ton aquarium »
Léger, bien troussé et même si ce n’est pas toujours aussi dingue qu’avec la chanteuse Dany, la formule « comme un boomerang » pour parler de l’amour, est tout à fait juste.
Elégant, séduisant, cambré, un pro.
J’aime ses tournures et ses hésitations attrapées de ci de là, quand « le baiser du destin » ne se trouve pas loin  d’ « il n’y a pas besoin de se baisser pour tout amasser »,
« Et de la vie faire ripaille
Avant que j'm'en aille »
ses images :
« Des photos d'un ado sombre,
Accrochées au mur, devant lui,
Est-ce moi? Est-ce lui? »
de subtiles expressions
« Parvenir de l’autre côté,
et vivre vaille que vive »
 Pas si superficiel, en somme :
« Que de temps passé en surface,
Que de temps à ne pas succomber
Au spleen et aux étoiles plombées. »
La fête pour s’étourdir face aux projecteurs,
« Night club, Tequila, je m'enivre, je parle trop, bien trop
A quoi servent les mots, m'embarrassent plutôt »
mais les mots ne renoncent pas
« Volontiers j'accepte le meilleur traitement
Que l'on réserve tout exclusivement
Aux invités le festin nu, qui fait les langues au soir se délier, se délier yeah
yeah yeah yeah... »

samedi 13 décembre 2014

Caprice de la reine. Jean Echenoz.

Sept brefs récits, depuis le plus lointain dans le temps et l’espace à l’infiniment petit.
De Babylone par Hérodote jusqu’à la main de l’auteur, lui-même parmi la campagne alentour,
de l’histoire des ponts à une colonne de fourmis,
du jardin du Luxembourg au Bourget face à un sandwich au saucisson sec (catégorie qui a tendance à se perdre),
avec  Nelson l’amiral dont l’apparition  dans les premières pages ouvre magnifiquement sur les 120 suivantes. « Manchot, borgne et fiévreux » il  laisse les convives d’un grand repas pour aller planter des glands qui feront les bateaux à venir et le tonneau plein d’eau de vie qui ramènera son cadavre.
« La terrasse domine une vaste pelouse triangulaire en pente douce, se poursuivant à partir de son côté inférieur par une déclivité plus abrupte presqu’un à-pic borné par un bosquet de chênes verts en contrebas duquel, par vent favorable, un torrent invisible donne des nouvelles assourdies de son cours. »
Le style de cet écrivain http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/01/14-jean-echenoz.html  ne prend jamais la pose, il joue de l’ironie avec la mort, prend des détours agréables et aussi augmente la précision de nos perceptions, ouvre sur des réflexions sur l’écriture en nous surprenant souvent, en variant les approches légères et profondes.

vendredi 12 décembre 2014

Le Postillon. Hiver 2014.

Si même leur couverture ne se met plus à imiter platement Reiser, que va-t- il rester au commentateur soc dém’ pour être à hauteur critique de l’esprit libertaire du bimestriel Grenoblois en son numéro 28 ?
J’en suis même rendu à recopier un de leur chapeau accrocheur :
« Quel est le rapport entre le nouveau parking de la Villeneuve et les lampadaires de Grenoble ? Entre Margaret Thatcher et Eric Piolle ? Entre la CGT et Jérôme Safar ? Entre le conseiller de Michel Destot et les actions que possède Eric Piolle à Soitec ? Entre la ville intelligente et les situationnistes ? Au mois d’octobre, une vive polémique a éclaté autour de la gestion des lampadaires grenoblois. Le Postillon tente d’en tirer quelques enseignements afin d’éclairer votre lanterne. »
Au moment où la presse parisienne s’extasie sur la fin des panneaux Decaux, la liberté de ton du journal de la « cuvette » est réjouissante. L’actualité c’est la remise en cause de la régie municipale GEG chargée de l’éclairage public depuis 1851 risquant d’être dévolu au privé : la décision est reportée mais pour l’ « autre gauche » arrivée aux manettes, ça a branlé au manche.
Les rédacteurs invariablement technophobes ont vite fait de relever les aménagements lexicaux des responsables de la nouvelle municipalité dont une chargée de « l’open data et des logiciels libres » avec de surcroit un portrait, éclairant forcément, de Vincent Fristo.
Le journal contestataire ne pouvait ignorer ce qui se tramait dans les Chambarans avec le Center Park, et même s’il reconnait avoir été précédé par d’autres sur ce coup dont les réfractaires sont pourtant proches de leurs positions, l’article titré «  La dame qui pétille contre le Tahiti de pacotille » est bien vu. La rencontre avec une vieille frondeuse, que j’ai cru reconnaître, bien qu’elle ne marche pas dans l’approche journalistique de départ avec portrait pittoresque qui mettrait au second plan les enjeux de cette contestation, est convaincante.
Sa verve : «  Faut savoir que moi j’aime pas la nature, j’ai même horreur de ça », la rend totalement crédible dans ses rappels historiques, et ses analyses pour l’avenir de Roybon et ses  habitants, elle que ses voisins croyaient au parti communiste mais comme disait une de ses copines : « pff, c’est encore bien pire ».
Le choix d’interroger une aide à domicile était pertinent, l’article aurait gagné à faire entendre plusieurs voix. Un reportage à la gare ne se contente pas d’être vivant, il cherche à saisir les évolutions qui mènent à un « pôle d’échanges multimodal ». Sous la novlangue : privatisation et lieu de misère sociale.
Allez en bonus : un morceau de la « Carte du tendre grenoblois ». Pour la totalité de l’image, allez chez le marchand de loto qui vend aussi parfois des journaux, ça revient à 2 € les 16 pages qui font 32 quand on les plie en deux.

jeudi 11 décembre 2014

Penone. Musée de Grenoble.

Après Versailles, Grenoble jusqu’au 22 février 2015. 
Et c’est  très bien ici, dans des salles reconfigurées qui ouvrent, au premier coup d’œil, une perspective sur des réalisations anciennes et nouvelles.
Pas besoin d’ordre chronologique, tant l’artiste est revenu sur ses ouvrages, tant le temps est d’une autre dimension, qui emprisonne des mains en fonte dans les lignes des arbres, ou un visage se devinant dans une feuille enserrée par le lierre.
Retraité infiltré à la suite de professeur Brunet qui présentait l’exposition à d’autres professeurs, j’ai apprécié une nouvelle fois son souci de laisser un espace aux élèves pour leur propre interprétation tout en apportant des informations décisives.
Penone, le benjamin du groupe « Arte Povera » où chacun poursuit une démarche singulière, a commencé par accompagner son grand père qui savait si une branche allait porter des fruits ou des feuilles.
Devenu un artiste majeur, faisant ressurgir l’arbre depuis la poutre, comme Zadkine devinait « Le prophète » à venir dans un morceau de bois, il nous fait partager désormais un regard, on ne peut plus urgent, quant à notre rapport à la nature.
Sur un délicat papier de soie, des cernes de croissance se forment autour de l’empreinte d’un doigt. Intitulée « Propagation », cette trace humaine au cœur de l’arbre primordial, poussée par le temps, prend des proportions monumentales.
Nous sommes bien au XXI° siècle quand la dimension religieuse s’invite. Un tronc doré, évidé, recueille de la sève, en un « Ecrin » sur un fond en peau qui joue de l’ambigüité des mondes minéraux, animaux, végétaux.  
Comme dans la salle suivante, où du cuir recouvre des souches à côté de troncs en marbre de Carrare, hyper réalistes et cependant blancs comme l’antique.
 Le sexagénaire engage son corps intensément : sa silhouette apparait sur un drap frotté à la chlorophylle, accroché à différentes écorces dans le « Vert du bois ». Ses mots sont poétiques : ainsi « Respirer l’ombre » dont un mur de feuilles contenues derrière des grillages évoque l’échange chimique entre l’homme et la nature. Dans un hommage à la poterie ancienne, il rend palpable l’immatériel « Souffle » vital aux allures matricielles.
Ses rencontres entre branches aux feuilles de bronze reviennent aussi vers l’histoire et les mythes au temps des grotesques et des jardins maniéristes.
Comme un tapis qui se déroulerait en une temporalité géologique, un cylindre en marbre aux veines sculptées en relief appose son « Sceau » au pied de « Peau de graphite - Reflet d’ambre». 
Il convient de jouer également du rapprochement et de l’éloignement  pour découvrir une bouche immense composée de milliers d’épines d’acacia en face d’un puissant panneau sombre.
« Répéter la forêt » est planté dans le patio. Depuis la poutre inerte (la culture), retour à l’arbre et à ses flux (la nature).
En sortant de ce lieu … de culture, par l’allée centrale, des traces de peau agrandies sur 50 m,  réalisées en collaboration avec des étudiants des beaux arts, prennent de décoratives allures abstraites.
Ne pas oublier en salle 42, deux gros cailloux, appartenant au musée de Grenoble, dont la présence peut sembler absurde sans explications. L’un est ramassé dans un fleuve et l’autre en est une réplique dans la même roche avec les traces du temps taillées au burin : « Etre fleuve ».
Sur les murs, figurent les traces laissées par le cerveau humain aux parois de la boite crânienne, reproduites à la sanguine, telles des paysages ou des « Feuilles ».