jeudi 19 mars 2020

Quand l’art fait rêver. Thomas Schlesser.

Le conférencier, directeur de la fondation Hartung,
a choisi devant les amis du Musée de Grenoble d’examiner les dispositifs qui provoquent le rêve plutôt que de revenir sur leur matière.  
« Rêvez » de Claude Lévêque.
« Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil ». Shakespeare.
Sous Louis XIV, au temps des vastes architectures ouvertes, Antoine Coypel le peintre du roi  enseigne qu’un tableau est beau s’il fait rêver agréablement.
Au XVIII°siècle, époque de la naissance de l’intime, les espaces se cloisonnent.
Dans la « Jeune femme à sa toilette » de François Eisen, la petite fille est écartée de la salle de bain. Le moment consacré à l’hygiène devient celui de l’attention à soi, face aux miroirs.
« Le Boudoir », S. Freudenberger, est le coin de la fantasmagorie érotique : l’homme lutinant la domestique serait l’auteur des vers qui font rêver la belle endormie. Dans les plis de la draperie peut se deviner le sourire vertical de l’origine du monde.
Alors que le lit était un hybride entre pièce et mobilier, il prend place dans la chambre dédiée au coucher où s’exhorte l’intime, elle est tout indiquée pour le rêve ou « Le Cauchemar » Füssli.  
Dans un environnement familier, non plus avec l’envergure cosmique d’un Bosch qui porterait un message transcendantal ou prophétique, l’incube oppresse la jeune femme.
Le sculpteur David d'Anger verra « la tragédie du paysage » dans les tableaux de Friedrich, « La cabane enneigée », où le romantique s’applique à peindre « ce qu'il voit en lui ».
« La chouette » avait été perdue, proposée dans une vente aux enchères à 100 €, elle atteint aujourd’hui 6,5 millions €.
Turner, le peintre des phénomènes atmosphériques, débutant en naturaliste minutieux, pulvérise sa touche allusive dans un paysage débarrassé d’objets. « L’aube après naufrage ». Il laisse la place à l’imagination, suivant le chemin inverse qui nous a mené des enchantements de l’enfance à la rationalité.
Cham caricature Gustave Moreau, auteur du célèbre « Œdipe et le sphinx » synthèse entre Ingres et Delacroix:
« Le Sphinx de M. Gustave Moreau empêchant M. Courbet de dormir ». Deux lignes sont en concurrence : l’engagement conscientisé socialiste et la vision aristocratique de l’esprit émancipé. Les symbolistes vont du rêve étrange et pénétrant de Verlaine au rêve flottant de Mallarmé et son langage de grimoire :
« La Nuit approbatrice allume les onyx
De ses ongles au pur Crime, lampadophore,
Du Soir aboli par le vespéral Phoenix
De qui la cendre n'a de cinéraire amphore »
Inspiré par Claude-Henri de Saint-Simon, « le dernier des gentilshommes et le premier des socialistes » qui comptait sur les artistes pour annoncer quelques prophéties auto réalisatrices, Dominique Papety présente un « Rêve de bonheur » collectif où l’harmonie humaine est possible, même si les fils télégraphiques et le paquebot qui figuraient sur une première version permettaient d’aller au delà d’une vision arcadienne.
L’âge d’or est dans l’avenir avec Signac, idéal politique et artistique convergent « Au temps d’harmonie » .
Jaurès avait vanté « Le Bois sacré » de Puvis de Chavannes qui domine l’amphi de la Sorbonne, mais les rêveuses assemblées de 68 se « regardaient dans les yeux et non au dessus d’eux », comme Cohn Bendit l’a dit à notre conférencier.
Dans les années 20, les suggestions sous hypnose pouvaient provenir du « Cabinet du docteur Caligari ».
Et c’est à ce moment là que les surréalistes, Man Ray, « Le cadeau », vont prendre au sérieux les travaux révolutionnaires de Freud pensant que le travail sur l’inconscient est un facteur d’émancipation. 
« L’objet invisible » de Giacometti met en scène l’incomplétude.
Desnos était le roi du sommeil hypnotique.
« J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant,
qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois
que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement
sur le cadran solaire de ta vie. »
Alice de Lewis Carol vagabondait dans Wonderland ; des entrepreneurs dans le prolongement des expositions universelles inventèrent le premier parc d’attraction : « Dreamland » ravagé en 1911 par un incendie s’étant déclaré dans son train fantôme « Hell gate ».
« Le temps de cerveau disponible » de Le Lay aurait pu figurer à côté de Matisse, « Luxe calme et volupté ». 
« Ce que je rêve, c'est un art d'équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit, pour tout travailleur cérébral, pour l'homme d'affaires aussi bien que pour l'artiste des lettres, par exemple, un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d'analogue à un bon fauteuil qui délasse de ses fatigues physiques. »
« J’en ai rêvé, Sony l’a fait ». Divine caméra.
Mickey a été une figure de l’émancipation, capable de tous les prodiges, mais ses parcs d’attractions qui miniaturisent le monde se retrouvent modèles de gigantesques villes nouvelles à Las Vegas ou « Dubaï ». Le rêve de certains frôle le cauchemar des autres.

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