Cultivant le goût des expressions désuètes, je titre ainsi
mon billet hebdomadaire avant d’envisager ce qui va se fabriquer
après cette parenthèse. Quand se réintègre rien
moins que l’idée de la mort dans nos vies, nous voilà face à nous-mêmes et pas seulement en commentateur assis au comptoir.
Histoire et géographie : nous passons notre temps à
l’intérieur et nous n’avons jamais été aussi attentifs à l’oiseau qui chante
dehors en ce printemps insolent.
Nous sommes en vacances dans la vacance avec des tas de
voisins rendus à la même condition de retraité que moi, alors que d’autres sont
au boulot à 200 %.
De belles formules reviennent : « apprendre à
vivre avec l’incertitude », autre façon de dire que l’intelligence se
mesure à nos capacités d’adaptation.
Comme les écoliers à leur premier jour de congé supplémentaire,
la phase actuelle a les attraits de la nouveauté et les sourires sous la
mitraille nous réjouissent. La révélation de la fragilité de nos destins nous
empêche de voir loin, sinon en exacerbant nos préjugés de toujours :
bienveillance ou brutalité?
Face à la béance économique où la politique disparaît, sommes-nous
dans le film :
« On
arrête tout, on réfléchit, et c'est pas triste » de
Gébé dans Charlie des années 70 ? La tristesse en plus.
Camus est là plus que jamais : « Ce que l'on
apprend au milieu des fléaux, c'est qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à
mépriser. »
Je n’arrive pas à entamer de gros livres promis à la lecture
pour un jour de jambe dans le plâtre, genre Proust ou Musil avec lesquels tenir
pour l’éternité. Je picore dans la poésie.
Alors pour éviter de passer tout mon temps à lire des brèves
de clavier, je persiste dans l’écriture pour exprimer avec tout le monde mon
admiration pour le personnel médical, mais aussi pour la caissière dans la
cohue et les responsables politiques qui se montrent responsables … donc pas
Buzyn, ni Royal.
Pas facile de s’extraire des réactions immédiates appelées
par les réseaux sociaux, mais je prends sur moi pour essayer de me garder de
donner des leçons aux donneurs de leçons, de me montrer plus malin que les
malins qui savent toujours après ce qu’il aurait fallu faire avant.
Bien des cartes sont rebattues et on a du temps devant nous
pour mesurer l’ampleur et la nature de ce break, quand les gnangnans
s’appliquent à le rester, tandis que j’ai l’impression que les haineux se
calmeraient.
Admiration et mépris :
la nation s’est montrée prête à des sacrifices que les pusillanimes
n’imaginaient pas, alors que des individus qui ont pris de quoi se torcher
jusqu’à la fin des temps donnent cependant l’occasion d’alimenter la rubrique
des « confinis ».
Descendus du vélo, nous avons du temps pour nous regarder pédaler.
Et les paradoxes de se déchaîner qui nous voient sous la
contrainte cultiver le sentiment d’une certaine liberté, ou bien sauvés par les
technologies de la communication, nous les viderions pourtant volontiers avec
l’eau du bain consumériste.
Nous voilà concernés par un marché chinois et pas seulement
théoriquement, mais les chanteurs de « l’internationale sera le genre
humain » acquiescent à l’idée de fermer les frontières.
Il nous faut à la fois admirer
et mépriser quand le Camus primal les met en balance, pour vivre notre vie
d’animal social nourri d’amour et aussi de haine de soi et des autres.
Pour adoucir la prétention qui consiste à présenter un texte
qui essaye d’être personnel, je prétendrais que ce n’était qu’un emballage
rudimentaire avant cette conclusion de Cristina Comencini dans Libé :
« Demain, lorsque la
porte de la maison se rouvrira, que nous courrons à la rencontre du temps
rapide, des fragments de choses et de personnes seulement effleurées, et que
les rêves, l’art, seront la seule et unique partie renversée de notre vie,
souvenons-nous qu’une autre couche peut recouvrir les jours et les révéler dans
le bien comme dans le mal – une fois surmontés le vide, l’ennui et la
peur. » Quelle couche ?
Ça m'arrive de lire des romans historiques.
RépondreSupprimerIl me semble que ma grande insularité d'individu moderne m'a privée pendant longtemps d'une faculté très précieuse pour avoir du coeur, et de la tête, et cette faculté, c'est l'imagination (et non pas l'empathie, voyons, qui est un dérivé de l'imagination...).
Donc, il m'aura fallu un certain nombre d'années pour pouvoir imaginer ce que pouvait être la vie de nos ancêtres avec la conscience certainement pas permanente que des épidémies de peste étaient possibles. Que leur vie ne se déroulait pas dans un grand parc d'attraction, partagée entre la frénésie du travail, et la frénésie de jouir aux loisirs, mais... PROTEGEE du berceau jusqu'à la tombe.
Soyons un peu lucides, là. Le Coronavirus n'est pas la peste... même si on peut dire que pour ceux qui en meurent, c'est tout comme (tout compte fait, non, car mourir de la peste était un vrai calvaire, je crois.).
Cela me désole d'entendre déjà.. la rumeur des accusations contre nos politiques pour ceux qui "savaient" avant et qui n'ont "rien" fait, alors que pour moi, cette situation est à mettre en relation avec un événement que j'ai vécu il y a plus de dix ans, et que je vais rappeler ici :
En vacances aux U.S., j'ai déserté les musées pour aller faire un tour dans le zoo de la capitale du pays, Washington D.C. où je suis restée médusée devant l'enclos des fauves, (vaste enclos, d'ailleurs) à la lecture de ce panneau :
"Chers visiteurs, vous pouvez vous désoler en voyant nos fauves.. CONFINEES dans cet enclos, mais demandez-vous bien ce que vous préféreriez : une vie tranquille CONFINEE derrière ces murs, avec quelqu'un pour vous apporter à manger régulièrement, une balle pour vous amuser en cas d'ennui, UN MEDECIN POUR VOUS SOIGNER QUAND VOUS TOMBEZ MALADE, ou bien, une vie... "sauvage", dans la nature, où vous courriez à chaque moment le risque de ne pas avoir à manger ou même.. DE MOURIR ?" (c'est moi qui souligne.)
Les bras m'en sont tombés en lisant ce panneau.
De retour en France, j'ai raconté à mes collègues, tous des membres de l'élite de ce pays, le choc qui était le mien en lisant ce panneau, et en me disant que les Américains n'étaient plus.. libres ? dignes de liberté ? (voir Tocqueville qui prédit bien nos conditions actuelles peu après la révolution française), et pas grand monde m'a compris, à vrai dire...
Pour ma part, je vois grandement le rapport entre ce panneau, et les conditions que nous vivons en ce moment. Ce rapport n'est pas du tout confortable, d'ailleurs.
On en tire les leçons qu'on peut, n'est-ce pas ?...