mercredi 19 novembre 2008
Corps.« Faire classe » #9
« Le meilleur que je sais sur la morale et sur les obligations de l’homme, c’est au football que je le dois » A. Camus. J’ai abusé de la citation envers ceux qui méprisaient le sport. Je ne les convaincs pas quand je compare mes plaisirs d’exégète des délires Ribéryens à leurs pointilleux échanges entre mélomanes. Affaire de classes sociales peut être, de filiation, de glèbe. Quand les souvenirs de rectangles tracés à la sciure au milieu des champs des dimanches après-midi, d’hier, m’émeuvent plus que les toutouyoutous périodiques qui vendent leur peau à la pub, aujourd’hui ; le sport a bien un lien avec la jeunesse. Bref !
J’ai eu des plaisirs jamais éventés et la chance d’exercer dans une commune dotée de gymnases nombreux, de stades soignés. Nous avons travaillé avec des moniteurs compétents, dans le confort, sans avoir le sentiment d’être l’enseignant spectateur / consommateur.
Un luxe qui nous dispensait d’installer les agrès, les plots, les haies, les poinçonneuses dans les buissons d’un parcours d’orientation, d’avoir à préparer des séquences toujours innovantes et efficaces. L’équilibre existait dans notre part prise pour animer un groupe, en arbitrer un autre, parer les débutants, apporter son éclairage, observer mes apprentis, moment rare, sans être obnubilé par mon propre discours.
Dans une programmation cohérente avec toutes les classes de la ville, sur une année, nous foulions les parquets, les sous-bois et le goudron, les tatamis, le tartan, la neige, le sable, la faïence, pour des cycles hand-ball, endurance, sports d’opposition, athlétisme, ski de piste, beach-volley, piscine. Certaines années en catamaran et kayak de mer, nous sommes sortis de l’estuaire pour aller vers l’océan.
- Dis Yacine, tu étais bien, alors, le roi du monde ?
Et Dounia du haut du télésiège redoutant la pente : « jamais je ne descendrai ça ! »
« Si, tu l’as fait : victoire ! » et pour nous le miel parce que ce n’est pas tous les jours que nous pouvons mesurer les acquis d’une façon aussi éclatante, en plein soleil, au-dessus des nuages.
Les rencontres de sports collectifs, des journées d’athlétisme, de course longue, permettaient des retrouvailles avec d’autres groupes scolaires.
Les horaires d’E.P.S. structuraient notre année. Quelques photographies, posters renouvelés au fil des cycles sur un panneau aux alentours de la classe pour faire joli, pour entourer emploi du temps et résultats, affirmer- il n’en était pas besoin - le lien entre tous les aspects de la formation. Les évaluations variées que nous avons essayé de mettre au point en concertation participaient aussi de cette légitimation du travail mené tous terrains.
Du soin était apporté pour anticiper les rendez-vous, être muni des équipements nécessaires : avoir survêt’ et des chaussures de sport pour le sport : s’appliquer. « Etre à ce que l’on fait », simplement, sans singer les égarements médiatiques concernant la concentration des athlètes gonflés à l’image, où l’impudeur les poursuit jusque sous les douches. La classe médiatique pipeautante s’est moqué longtemps de J.P. Papin de modeste origine, ce sont les mêmes qui auront des paroles bienveillantes pour les assignés faibles de l’heure : le même mépris.
Les clameurs du troisième pouvoir retentissent beaucoup dans ce champ, dictature consentie aux labels marchands. Vive les chasubles masquant les griffes des marques pour que l’équipe existe dans sa nouveauté, sa mobilité, sa diversité : les gaîtés de l’uniforme.
Les aristocrates ont des héritiers admirateurs de l’amateurisme et méprisant un peu les pue-la-sueur monnayant leurs inlassables cannes kenyanes. Cette distinction se décalque dans le monde intellectuel où les biens pourvus peuvent dédaigner l’argent, l’effort. Le vocabulaire agressif, dépréciateur, « chambreur », est celui des vestiaires, alors que dehors sur les panneaux lumineux s’affichent des idéaux. Double langue.
La métaphore sportive se vend bien, car pas mal d’évidences se révèlent en ces lieux. Il faut reprendre sans cesse les mots, les éponger, redonner du sens à « équipe », à « agressivité ». Vérité du corps, vocabulaire des postures : « adresser une passe ».
La fortune du mot « passeur » désignant le moindre sous - titreur signerait- elle l’épuisement prochain de sa réalité ?
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