lundi 20 juin 2022

Caravaggio. Derek Jarman.

Triangle amoureux autour du peintre de la Renaissance génial et mauvais garçon en 1h ½.
Pour mieux connaître l’œuvre de Michelangelo Merisi da Caravaggio mieux valent des conférences aux amis du Musée de Grenoble où était projetée cette "proposition artistique". 
Quant aux interprétations, une BD même un peu lisse est plus belle 
que ce film expérimental  sorti en 1986 après sept ans de gestation.
Rien ne vieillit plus rapidement que les touche - à - tout - avant - gardistes pouvant toujours se réfugier devant la maigreur des moyens alloués, bien que dans la catégorie «  films fauchés » certains aient pu se hausser sous la contrainte. Dans le genre expression personnelle sur fond historique, une séquence de Kamelot recèle plus de finesse, d’originalité et bien sûr d’humour que cette pochade arty.
Au moment où les biopics deviennent un genre hégémonique; le film datant de 1986, un retour 40 ans en arrière aurait pu avoir ses charmes. Mais aucune vérité historique n’est suggérée sous une avalanche d’anachronismes, quand homosexualité ou soucis économiques des artistes sont accaparés par le réalisateur pour parler de lui. Comme le compagnon muet du peintre appelé Jerusaleme, nous en restons cois. 
Le texte aux prétentions poétiques accentue l’artificialité du jeu des acteurs dignes de tourner dans quelque télé film érotique, sans charme et d’une audace apprêtée. 
Des reconstitutions de tableau qui égayent le film peuvent se voir en brochettes de mèmes bien plus dynamiques sur nos téléphones. 
Pour cet épisode romain d’une vie qu’il vaut mieux imaginer plus passionnée car ici elle est sans émotion, d’autant plus que les acteurs anglais parlent leur langue, enfermés dans un entrepôt, ténébreux. Il fallait bien ça pour parler du père du « ténébrisme ».  

dimanche 19 juin 2022

Danish string quartet.

Le quatuor à cordes s’accorde au crin près et leur dynamisme, leur fluidité, la vigueur des contrastes m’ont rapproché de la grâce - nous n’étions pas loin de Pentecôte - quand ils ont joué Purcell.
Pour Britten, à l’image des mouvements dissemblables, l’expressivité physique du deuxième violon m’a séduit puis j’ai eu besoin de fermer les yeux pour mieux goûter la musique seule, séduisante surtout dans les moments ténus venant après des harmonies spectaculaires.
Concernant « la jeune fille et la mort »  de Schubert dont je ne savais que l’intitulé, je m’en remets à ma musicienne qui a trouvé le premier violon trop couvrant dans certains passages par rapport à ses partenaires, ce qui n’a pas empêché le public du classique, d’ordinaire sage, de faire savoir son plaisir par des cris complétant les applaudissements fournis. Cet enthousiasme ne s’est pas éteint avec deux charmants rappels de musique traditionnelle. 

 

samedi 18 juin 2022

Quelques pas dans les pas d’un ange. David Mc Neil.

J’ignorais - et lui l’a longtemps tenu secret - que le créateur de « Mélissa » chantée par Julien Clerc était le fils de Chagall.
En 150 pages, il raconte ses moments avec le peintre aux amoureux volants, en de tendres croquis dignes du père.
Loin d’une biographie où l’auteur de « Je veux du cuir » se vanterait d’avoir croisé telle célébrité entre Nice et Cannes, son récit restitue une part d’enfance pourtant chahutée.
La poésie et l’humour rendent légères ces images forcément nostalgiques. 
« Aimez-vous Picasso ? demanda un jour une jeune journaliste à papa.
- Si Picasso m'aime, moi je l'aime aussi », répondit mon père. »
Ce roman est bourré d’anecdotes bien que le terme minimise à mes yeux, la lumière, l’admiration, qui irradient ce texte où la simplicité, le naturel éloignent les fâcheux.  
« Les deux ouvriers à la table à côté ont regardé les mains de Papa, tachées de couleurs diverses, ces mains dont il disait souvent qu'elles étaient imprégnées jusqu'à l'os. Il avait alors plus de soixante-dix ans, mais avec son allure énergique et l'impression de puissance qui émanait de lui, il pouvait très bien passer pour un peintre en bâtiment.
- Vous avez un chantier dans le coin? demanda l'un deux.
- Je refais un plafond à l'Opéra, répondit mon père attaquant son œuf dur mayonnaise. »

vendredi 17 juin 2022

Le rideau déchiré.

Encore récemment « global » se conjuguait aimablement avec « local », dans les discours, mais  l’universalisme a du plomb dans ses ailes de géant et désormais le général s’efface devant le particulier. 
Le blé ukrainien nourrissait des populations au delà de ses frontières, ceux qui vont l'attendre peuvent regretter l'avènement d'un monde en phase de démondialisation.
Les manifestations de Bangui en faveur de la Russie sont extravagantes et l’indifférence du monde à l’égard de la situation en Europe est très répandue. Dans un des pays les plus pauvres de la planète, ces photos posées fleurent l'artifice: Marioupol est si loin de la RCA. 
L’hostilité de certains africains à l’égard de la France me choque, avec des porteurs de pancartes écrites en français, rejouant sempiternellement les décoloniaux pour mieux accueillir de gentils et efficaces nouveaux venus de Moscou, Téhéran, Ankara, Pékin, tout à fait désintéressés.
L’affectivité souvent brouille la raison, même si je ne vais pas renier des années de passion, de plaisir aux couleurs de latérite, lors de rencontres au Cameroun ou au Mali, « terres damnées » pour « damnés de la terre ». Cependant je ne me priverai pas de dire mes désaccords avec ces ivresses collectives dont je sais aussi tous les excès depuis les virages d’un stade ou sur les boulevards lorsque sont sortis les calicots.
Les outrances sur les réseaux sociaux n’ont pas besoin de mégaphones, l’anonymat permet tous les abus ; la démesure est devenue la norme, la radicalité écrase la nuance. « Grande gueule » devient un titre de gloire et modéré synonyme de timoré. Le refus de reconnaître toute intelligence à l’adversaire peut pourtant nuire à la crédibilité de l’opposant systématique. Dans notre putain de monde complexe, la caricature rassure et dans les confusions idéologiques présentes pour se faire comprendre rapidement il vaut mieux revêtir tout contradicteur de la cagoule du Ku Klux Klan. 
Je ne vais pas déplorer la perte du second degré et me mettre martel en tête à la moindre saillie excessive, je sais comme tout amateur de boisson forte, qu’il ne faut pas en abuser.
Parmi ces jeux avec les mots, où s’ébattent « résilience », « soutenabilité » et « transition »,  l’essentiel surgit d’un extrait du réquisitoire du parquet antiterroriste à l’issue du procès des coupables de l’attentat du 13 novembre 2015 où 131 personnes ont perdu la vie : 
« L’effroi, c’est faire sortir de la paix. C’est la disparition du rideau derrière lequel se cache le néant, rideau qui permet normalement de vivre tranquille. Ce rideau est irrémédiablement déchiré, et l’on sait alors pour toujours que le néant, la mort, existent. Le terrorisme, c’est la tranquillité impossible. Votre verdict n’aura pas pour vertu de réparer ce rideau déchiré et de rendre leur tranquillité originelle aux victimes. Il ne guérira pas les blessures, visibles ou invisibles, il ne ramènera pas les morts à la vie, mais il pourra au moins les assurer que c’est, ici, la justice et le droit qui ont le dernier mot. »

jeudi 16 juin 2022

Gustave Caillebotte. Claire Grebille.

  « Gustave Caillebotte et son chien » photographié par Martial Caillebotte.
Même si ses neveux l’ont considéré un moment comme un « peintre du dimanche », le titre « L’impressionniste méconnu » donné par la conférencière devant les amis du musée de Grenoble a été démenti dans son exposé mettant en valeur l’artiste discret, le mécène généreux.
Caillebotte est né en 1848 dans une famille aisée.
Après la mort de son frère René, il va rédiger un premier testament où il confie à l’Etat sa collection de Renoir, Monet, Degas, Pissarro, Cézanne … afin qu’ils soient exposés au musée du Luxembourg, réservé aux artistes vivants. 
Le « Martyre de saint Denis » de Léon Bonnat, qui  fut son maître aux Beaux Arts, ne fait pas partie du lot impressionniste, de plus ce portraitiste à succès n’avait pas besoin d’être soutenu.
A ses débuts, Gustave Caillebotte propose une
« Femme nue sur un divan » mais ne poursuivra pas dans le genre. Pourtant, malgré la pesanteur, le charme avait pu se dispenser de l’idéalisation classique.
Le quotidien héroïque se manifeste dans
« 
Intérieur d'atelier au poêle », 
marquant son goût pour le naturalisme.
R
ecalés au salon de 1875, «Les Raboteurs de parquet » connaissent le succès à la deuxième exposition des « refusés ». La fugacité et la force mises en valeur dans une perspective vigoureuse, les jeux de lumières, justifient la célébrité du tableau.
Il s’intéresse au travail manuel : 
«  Les peintres en bâtiment » figurent dans la modernité haussmannienne.
Les lumières de la neige vont bien à l’originale
« Vue de toits » de Paris (aujourd’hui inscrits au patrimoine de l’UNESCO) les touches vibrantes n’abolissent pas le dessin. 
Sur bien des variations vues depuis des immeubles, la verdure contrarie souvent la rectitude, cet
« Homme au balcon » est conquérant.
« Dans un café »
rejoue dans les miroirs la rivalité avec les sculpteurs, en révélant l’envers. Le personnage à la façon d’Hopper appelle un récit, une intrigue. 
La vaisselle apporte du rythme parmi les couleurs sombres du « Déjeuner », sa mère porte le deuil du père. Si cet intérieur à l’atmosphère lourde tranche avec les lumières de ses amis, 
il les rejoint en plein air au bord de « l’Yerres », quand la pluie fait ses effets dans une composition asymétrique.
L’incertitude des rives du « Petit bras de la Seine » à la touche libérée séduit Durand-Ruel le visionnaire promoteur des impressionnistes de l’internationale des marchands d’art.
Dans le triptyque d’une « journée idéale au bord de l’eau » peut s’esquisser un frêle esquif :
«  Canoë sur Yerres », qui vint après les périssoires. 
Le philatéliste ingénieur nautique est devenu conseiller municipal.
Les jardins l'inspirent : « Les roses du jardin »
« Capucines »
« Parterre de marguerites »
. 
« Orchidées Cattleya et anthuriums ».
Dans « Le Parc de la propriété d'Yerres » chapeaux et massifs jouent avec les cercles
.
« La serre »
qui protège une jungle sous une solide structure construite dans sa propriété du Petit-Gennevilliers résume une œuvre avec ses cadrages inspirants pour le cinéma. Sa production nous  invite à table, en barque, sur les ponts et sur les balcons d’une époque fleurie. Il meurt à 45 ans en 1894. Renoir son exécuteur testamentaire aura pu prendre connaissance de l'avis de Gérôme parlant du legs de Caillebotte, noyau aujourd’hui des collections d’Orsay :  
« Nous sommes dans un siècle de déchéance et d’imbécillité. C’est la société entière dont le niveau s’abaisse à vue d’œil… Pour que l’État ait accepté de pareilles ordures, il faut une bien grande flétrissure morale. »

mercredi 15 juin 2022

Mamélie Patras

Cette grande dame était mon amie. J'ai lu ce texte à la cérémonie qui nous a réunis vendredi dernier: 
« Quand j’ai transmis la nouvelle du décès de Mamélie à une de ses anciennes élèves devenue professeur, celle-ci m’a répondu qu’elle avait le souvenir d’une « femme forte et d’une super institutrice ». 
J’avais ajouté dans la conversation les termes: travailleuse, fiable, disponible, malgré ou à cause des épreuves surmontées dans sa vie. 
Un camarade m’a suggéré « Consciencieuse, Fiable, Disponible, Tolérante » comme CFDT.
C’est que l’ayant rencontrée dans le Syndicat Général de l’Education Nationale, le SGEN, appartenant à la CFDT, je voulais dire mon admiration et l’honneur de compter parmi ses amis.
- Travailleuse : elle avait gagné le respect de l’administration et de nos concurrents syndicaux, en tant que responsable de la carte scolaire, par sa connaissance exhaustive de toutes les écoles de l’Isère qu’elle avait méticuleusement mises en fiches, bien avant les bases de données informatiques.
- Tolérante, en employant ce terme qui frôle l’obsolescence, j’ai conscience d’être un regretteur d’hier, que jamais Mamélie ne fut.
Depuis les classes uniques auvergnates, elle arrivait à Grenoble au moment où le turbulent secteur expérimental prenait son essor à la Villeneuve. 
Elle retrouvait dans des réunions enfumées, anarchistes estampillés comme tels, trotskistes ne plaçant pas tous leurs œufs de coucou dans le même panier (selon les mots d’Edmond Maire), des cathos de gauche, sociaux-démocrates, démocrates chrétiens, anciens du PSU, ensemenceurs de la deuxième gauche … et chacun un peu de tout ça.
Ces engagements renforcés de choix pédagogiques contrastés auraient pu susciter pourtant quelques bannissements ; ce n’était pas l’esprit du temps.
Les instituteurs Freinet donnaient le ton par une démarche théorique issue d’une pratique quotidienne de la classe où la coopération n’était pas un vain mot.
Son ami Michel Pellissier, nous manque tellement.
-  Les qualités de fiabilité de Mamélie, sa fidélité se remarquaient dans une construction collective suscitant des enthousiasmes souvent éphémères.
Dans notre organisation tenant plus du hors bord que du vaisseau amiral, elle n’a jamais sollicité de poste de permanent, pourtant notre « mère » comme on dirait chez les compagnons du tour de France, fut un pilier des plus tenaces qui permit l’émergence de talents parfois fugaces.
- Disponible : avec toutes les fonctions que je ne saurai énumérer, la militante - bien que ce mot sacrificiel ne dise pas la chaleur de la table ouverte dans la vaste maison rue Thiers - était toujours partante, avec le sourire.
- Généreuse, sincère, authentique, accueillante, droite, de gauche.
Bien au-delà de la convivialité, j’ai trouvé chez les Patras - Mériaux, au moment d’un cataclysme personnel, un lieu pour savoir comme dit Pagnol à la fin du « Château de ma mère » :  
« Telle est la vie des hommes.Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. » 
L’écrivain qui parlait si bien de la campagne et de l’école ajoutait :  
«  Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants. » 
Je pense que les enfants savent. 
« Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins. » »

mardi 14 juin 2022

Apprendre à tomber. Michaël Ross.

« Apprendre à tomber » figure comme une des bases du judo, discipline qui a bien aidé une pensionnaire d’’un village accueillant des handicapés mentaux en Allemagne. 
Nous suivons le parcours de Noël, nouvel arrivant parmi cette communauté violente et tendre, rassurante et déstabilisante : vivante.
Après que sa mère a été hospitalisée, le jeune garçon a été conduit dans cette institution religieuse remarquable par la liberté dont jouissent les malades. 
Le passionnant récit servi par un graphisme clair nous fait découvrir un univers particulier avec une réelle empathie débarrassée de toute condescendance.
La fantaisie des personnages rend poétique et drôle ce documentaire tout en nous interrogeant sans didactisme sur la notion de normalité.
Alors que d’ordinaire je suis bien peu attentif à la traduction, j’ai apprécié les distorsions des mots qui nous renseignent sur les univers singuliers des protagonistes et nous font partager leur façon d’envisager leur rapport au réel, aux autres, à eux même. 
Emouvant et "cacasse" : une réussite !