jeudi 6 janvier 2022

Robert Delaunay. Eric Mathieu.

Sous l’image virevoltante, « Hommage à Blériot » qui figure dans les collections permanentes du musée de Grenoble, le conférencier devant les amis du musée, va s’attacher à mieux faire connaître l’artiste dont la notoriété est moindre en France qu’en Allemagne ou en Russie.
Sa femme Sonia Terk, sa « petite russe » avait aussi mieux pris la lumière.
Il est né en 1885, à l’époque où le pointilliste Seurat expose. Les bases de la modernité sont posées : la peinture de la perception objective passe avant celle de l’émotion.
Son «Autoportrait» de 1906 témoigne de son émerveillement à la rencontre de Matisse, Seurat pour leur manière de construire avec la couleur. Contemporain de Picasso, Léger, Braque, il ne restera pas longtemps dans le « terne » laboratoire cubiste, lui a plutôt « le cubisme heureux ».
Il réintègre le noir après une période impressionniste et joue sur les complémentaires dans un « Marché breton » évoquant également Gauguin.
Un autre «Autoportrait» de 1909 multiplie les points de vue sans s’enfermer dans les couleurs ternes, Cézanne est passé par là qui remet en cause les formes. Il en est à une période « destructrice ».
« La flèche de Notre Dame» depuis un point de vue inusité nous touche évidemment.
La lumière incurve les lignes dans la série des «Saint-Séverin» et dissout les ombres du sol au plafond.
Il a contribué à magnifier « La tour Eiffel», totem de la modernité, toujours élégante, très présente ou perdue dans les nuages.
Il se réapproprie « Les Trois Grâces» peintes jadis à Pompéi, quand elles paraissaient devant Pâris,
il les met en scène devant « La ville de Paris»  intégrant des connotations de Douanier Rousseau.
« Ce tableau marque l'avènement d'une conception d'art perdue peut-être depuis les grands peintres italiens. […] il résume aussi et sans aucun appareil scientifique tout l'effort de la peinture moderne. » Blaise Cendrars
Guillaume Apollinaire a été inspiré par « Les fenêtres»  
« Du rouge au vert tout le jaune se meurt
Paris, Vancouver, Hyères, Maintenon, New-York et les Antilles
La fenêtre s’ouvre comme une orange
Le beau fruit de la lumière ». 
Ces fenêtres pourraient diffracter bien des apports venant du «cubisme» allant vers l’« abstraction », faisant naître le «simultanisme», l’«orphisme» terme qu’il refuse. 
Bien qu’il se tienne loin des théoriciens, il s’enrichit des lectures du chimiste Chevreul et de correspondances avec Kandinsky ou Klee. 
« J’eus l’idée à cette époque d’une peinture qui ne tiendra techniquement que de la couleur, des contrastes, mais se développant durant le temps et se percevant simultanément, d’un seul coup ».
En «hérésiarque du cubisme»(chef d'une secte hérétique), il se défendait d’appartenir aux «futuristes», mais les remous  autour de ses disques colorés, le dynamisme de « L’Equipe de Cardiff » et ses recherches du mouvement l’en rapprochent.
Ses « Formes circulaires, Soleil n° 2 » éblouissent, tournent et vibrent.
Réformé, il habite en Espagne et au Portugal.
Il cherche toujours la nouveauté : «La femme portugaise ».
L’ami Tristan Tzara se tient devant « Le manège des cochons ».
Les phonographes de
« La Baraque des poètes »  rappellent les liens avec les expérimentations musicales. Loin des chevalets il intègre la peinture monumentale à l’architecture.
« Relief gris »
. Il travaille avec de la caséine, des plâtres, propose des colorations dans la masse, des inclusions de graines, des installations en rhodoïd.
Il réalise la décoration du « Palais de l'air » et celui du chemin de fer pour l’exposition universelle de 1937.
Il avait déjà réalisé une autre « Tour Eiffel » pour l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes en 1926.
Formé dans un atelier de décorations de théâtre, une de ses dernières interventions sera pour les ballets russes de Diaghilev dont il fit les décors
alors que Sonia se voyait confier les costumes. 
Il est mort en 1941.
«Rythme, Joie de vivre»
était destiné à un projet inabouti de phalanstère.

mercredi 5 janvier 2022

L’écomusée d’Ungersheim.

Nous déposons les clés dans la boîte à code de la rue de Bâle avant de quitter Mulhouse et  de partir pour Ungersheim.
L’écomusée d’Alsace ouvre à 10h. Nous arrivons dans les premiers, garons la voiture dans le grand parking sous auvent prévu pour les visiteurs.
Quelques minutes d’attente puis nous présentons nos Pass sanitaires + nos cartes d’identité pour accéder aux guichets où nous obtenons billets et plan du site.
Nous pénétrons dans un village reconstitué dont les maisons traditionnelles proviennent de toute l’Alsace, démontées puis fidèlement remontées pour former un bourg en pleine nature.
Elles montrent des caractéristiques régionales différentes notamment dans les colombages. Certaines très anciennes datent de la Renaissance.
L’intérieur habitable se résume à une chambre à coucher avec un lit plutôt étroit pour deux personnes, une cuisine et une pièce de vie, l’ensemble  de taille relativement petite. Le bois domine comme matériau. 
Des meubles, des objets du quotidien, des ustensiles d’époque pour la cuisine ou des machines à coudre, des  vêtements (peu) renseignent sur les modes de vie et permettent de se projeter dans le passé.
Chaque maison possède son poêle en faïence si typique, il diffère en fonction de la richesse ou du statut social de ses propriétaires.
Une maison se distingue des autres par quelques objets utilisés par des juifs qui  bénéficiaient  ici d’une plus grande acceptation qu’ailleurs.
Mais le musée ne se contente pas d’exposer une collection de maisons.
La reconstitution s’étend aussi aux métiers et à l’activité humaine telle qu’elle existait dans les années 1920.
Ainsi, des ateliers de forge, de charron, de potier, de cordonnier, de mécanique, fonctionnent  selon les techniques et savoir-faire d’antan,
grâce à des artisans travaillant en costume sous les regards des touristes.
Des paysans s’occupent de la vigne, ils soignent et  élèvent des animaux de ferme dans les dépendances des vieilles maisons,
équipées de cour et pour certaines de pigeonnier magnifique.
Nous croisons des cochons noirs et leurs petits, des brebis, des ânes, des vaches, enfin des locales, des vosgiennes, ou encore un bouc odorant. Au détour d’un chemin, un bœuf placide tire sa charrette de foin. Des volailles, poules, canards, oies, s’intègrent parfaitement dans ce paysage.
Un paon s’envole dans un arbre pour se soustraire à un groupe bruyant  d’enfants un peu trop « affectueux ».
Il y a même un rucher au milieu d’un champ de fleurs roses, et pour que les abeilles ne se trompent pas de ruches, chacune d’elle possède une petite porte d’accès de couleur vive et différente encastrée côte à côte.
Enfin, quoi de mieux que des cigognes en liberté nichant à 2 ou 3 par nid, - et des nids, il n’en manque pas ! - pour parfaire l’ambiance alsacienne ? Leurs claquements de bec nous accompagnent  comme un décor sonore. 
Outre les activités professionnelles vivantes, apparaissent aussi  de simples reconstitutions de commerces et de services sans l’intervention humaine: 
Barbier/coiffeur, mercerie, épicerie, sabotier, sellerie, huilerie, tonnelier, vannerie, distillerie de schnaps, auberge, brasserie, une maison de pécheur, 
une école, une gare ;  une exposition de bonnets féminins en dentelle complétée par la fameuse coiffe encombrante alsacienne occupe à elle seule une demeure.
Transféré à l’écomusée et relégué au bout du village, le musée de la Doller s’emploie à faire connaitre  l’œuvre d’André Bindler.
Ce paysan ouvrier né en 1979, a développé un art populaire et naïf.
Il tire son inspiration d’animaux , mais aussi de monuments tels que Notre de Paris, la tour Eiffel ou  même la tour de Pise,
il reproduit en modèle réduit des maisons et des églises alsaciennes 
 il se lance aussi dans la représentation de personnages caricaturaux ou plus connus
comme Roméo et Juliette, Charlot, et revisite des éléments de la nature avec des champignons, des arbres peints.
Tout cet univers habitait à l’origine le jardin de son créateur, et en bien des points la démarche nous rappelle celle de Roger Mercier à Damerey.
Nous nous accordons une pause repas assez tardive sur place, dans une maison, adaptée en self près du logement et atelier du vannier : salade de crudités, tranche de pâté croûte consistante, et blocage de la CB…

mardi 4 janvier 2022

Les belles personnes. Chloé Cruchaudet.

Bien que le titre reprenne une expression tellement à la mode « genre » « il n’y a pas de soucis » qu’elle en perd de sa saveur, il s’agit d’un bel album.
Parfaitement construit avec préambule précisant la démarche et dernière partie composée des contributions originelles, l’auteur varie les approches.
Les belles personnes ne sont pas forcément celles qui sont l’objet d’un portrait mais aussi celles qui présentent un chien destiné à accompagner un aveugle ou des personnes atypiques dite "avec particule" pour un enfant autiste ou un frère bipolaire.
Une prof de philo en retraite, une jardinière, un gardien de nuit, une infirmière à la maternité, un artisan menuisier, un éboueur chanteur, un migrant,  un « prince » de bistrot, le fantôme de l’abribus qui eut bien plus de consistance que d’autres passants, composent un gentil florilège d’humanité.
« Un exercice d’admiration envers des personnes discrètes »

lundi 3 janvier 2022

Spider-Man : No Way Home. Jon Watts.

Etre un super héros n’est pas de tout repos surtout quand les médias aux mains des méchants révèlent l’identité de l’homme araignée. 
Heureusement M. J. la petite amie et Ned son grand ami lui font confiance. Peter Parker, c’est son nom, va demander de l’aide à un magicien qui peut anéantir les mémoires. L’espace temps en est chamboulé, mais offre des possibilités multipliées pour effets spéciaux et rebondissements avec le retour dans le jeu de deux anciens Tisseurs.
Bien des critiques ont reproché les trop nombreux clins d’œil aux connaisseurs de la série Marvel; assistant pour la première fois à cette histoire très populaire, j’ai seulement été surpris par certains applaudissements ou réactions du public, sans me sentir exclu, éblouis que nous fûmes par le spectacle. 
Mon petit fils a apprécié les deux heures et demie en V.O. après avoir trouvé « trop cool » un tunnel de bandes annonces pétaradant qui m’avait plutôt effrayé. Je n’ai pas tout compris, lui non plus, mais sur le versant terrestre parmi les  « multivers », je suis bien content de lui avoir offert un autre format d’écran pour alimenter ses soifs d’imaginaire, avant qu’il se repose et s’émerveille avec « La panthère des neiges».  

samedi 1 janvier 2022

Almanach dauphinois 2022.

Avec un  baccalauréat où 91,7% des candidats en Isère ont été admis nous savons bien que nous sommes une vingtaine d’années après l’an 2000, mais les 135 pages de la publication renouvelée chaque hiver 
rappelant ces chiffres, regardent essentiellement vers le passé, bien que le terme pandémie apparaisse sans sa traduction en patois. 
« Où vas-tu ? » se dit « on va-t ? » à Saint Vérand et « on vâtche ? » à Saint Chef.
Et lorsqu’un ange s’adresse à des bergers ceux-ci répondent : 
« - Est ne pas tao de neou zi dire
Faut neou menâ y tie kul’e »
-Ce n’est pas le tout de nous le dire,
Faut nous mener là où il est »
Il y a matière à se remettre la mémoire en ordre dans le rappel des évènements entre l’été 20 et le 21 en Dauphiné :
« Décès de Gisèle Halimi en juillet… 30 cm de neige à Villard de Lans le 27 septembre »
C’est toujours en juin que « les vers luisants mâles prennent leurs ailes ».
Sagesse appliquée aux jardins et aux hommes :  
« Quand mars fait avril, avril fait mars »
« On doit quérir en la jeunesse ce dont on vivra en la vieillesse » 
La nature est très présente: la pomme reinette du Canada, « sa peau est bosselée et côtelée. Son œil, grand, ouvert parfois mi-clos, est enfoncé dans une cavité évasée et inégale sur les rebords. Elle ne tombe pas. » Le trèfle et le bourdon sont décrits avec minutie.
Des témoignages de centenaires, loin des jérémiades, illustrent modestement, dignement, les vertus de la maturité :  
« pour devenir centenaire, il faut commencer jeune ». 
Des expressions dauphinoises sont rappelées :  
« as-tu de l’agent après toi ? Chercher après quelqu’un ; accroche ta veste après le porte-manteau. » 
J’avais déjà lu « L’histoire du cochon nommé Carlos » dans « Les maisons racontent » de l’excellent Louis Fournier de Virieu. Le conte de « La petite Jeanne » dans la vallée du Buech est aussi charmant.
Cette année le Vieux dauphinois s’est rendu à Saint Bonnet en Champsaur, au pays du tourton (beignets farcis d’une purée de pomme de terre, de tomme, oignons ou blanc de poireaux) et de Lesdiguières qui avait, du temps d’Henri IV, porté le fer contre les catholiques avant d’abjurer la religion réformée.
Des blagues de Fafois et sa famille, une institution, sont disséminées par ci par là : 
- Ce n’est pas la peine d’arroser les fleurs artificielles, Mlle Fafois.
- Je sais, Madame : je n’ai pas mis d’eau dans l’arrosoir. 
Qui se rappelle que l’équipe de Vienne entrainée par Jean Etcheberry  avait été championne de France de Rugby en 1937 ?
Aux grands hommes l’almanach reconnaissant évoque Claude Louis Berthollet, inventeur de l’eau de javel et Jacques Juliard aviateur déclaré mort pour la France en 1944 et pourtant survivant.
Le tas de fumier, signe extérieur de richesse, est à l’honneur et le garde-champêtre a droit à un roulement de tambour. La bise rituel plus récent, remise en cause par la pandémie est l’objet d’une petite étude.
Les savoirs anecdotiques feraient-ils partie d'une présence au monde désuète? Crest, Gap, Rives, ont leurs homonymes aux Etats-Unis. J'aime bien.