mercredi 20 juin 2018

L’école buissonnière. Nicolas Vanier.

J’ai été étonné qu’aucun critique, à ma connaissance, ne mentionne le film de 1949 portant le même titre qui retraçait l’histoire de  Célestin Freinet avec Bernard Blier dans le rôle du pédagogue. A ce moment là, il s’agissait d’une école de la liberté, de la responsabilité, pour tous ; cette fois c’est véritablement l’école des bois, des saumons et des cerfs, avec garde-chasse et braconnier, servante et châtelain, pour un petit orphelin.
Les  critiques « télérameurs », « obsolètes » et autres « rockuptibles » ont oublié les découvertes de l’enfance et à défaut d’observer pour de vrai, le brame du cerf, autant que nos petits rois le saisissent sur grand écran, comme assis au bord des étangs solognots, sans déranger le biotope.
Cette histoire simple d’amitié a pu me convenir pour une initiation d’une petite fille au cinéma avec des acteurs en permettant d’aller au-delà de films d’animation parfois plus impressionnants que ces belles images.
Il peut être intéressant de savoir que sous de  rudes abords, des personnages se révèlent gentils et généreux. Les scènes du temps passé, de la vie dans les bois, sont plaisantes, avec des adultes pas toujours infaillibles, mais capables de « beaux sentiments », avant que ceux-ci ne deviennent sur les claviers blasés des « bons sentiments » à bannir.

mardi 19 juin 2018

Histoires. Edgar Poe, Battaglia.

C’est en 2005 que les éditions Mosquito, institution locale, ont proposé cette série de courts récits fantastiques, mais ne m’ont pas converti à un genre auquel je suis rétif.
Les planches très graphiques sont élégantes, équilibrants les masses noires et les réserves blanches dans des ensembles harmonieux presque trop sages alors que le but est d’effrayer le lecteur.
L’inventivité d'un  voyageur en ballon est bien décrite  dans une « Aventure sans pareille », et l’ambiguïté du « système du Docteur Goudron et du Professeur Plume » bien rendue.
Les revenants reviennent dans les châteaux hantés, le diable traîne dans les parages, les destins sont cruels, mais j’ai trouvé conventionnelles ces ambiances et quelque peu froids et démodés les trop beaux dessins plus proches des gravures du XIX° siècle que des foisonnantes productions audio visuelles actuelles, tonitruantes et flippantes.

lundi 18 juin 2018

L’homme qui tua Don Quichotte. Terry Gilliam.

Le montypythonesque réalisateur a enfin abouti dans son projet de cervantesque film : raconter 400 ans après l’apparition du « chevalier à la triste figure », la lutte de l’idéal et du réel à la sortie des temps médiévaux, alors que nous entrons dans un âge bien moyen.
L’imagination permet toutes les folies, avec film dans le film, comme il y eut livre dans le livre.
Les avis critiques étaient très partagés mais plutôt que de rejeter ou de louer cette  œuvre dans son entier, mes sentiments se sont distribués avec leurs contradictions tout au long des 132 minutes, retrouvant un humour perdu de vue depuis un moment, malgré quelques séquences poussives.
Les moulins aux ailes abîmées persistent sur un autre versant occupé désormais par les éoliennes.
Les images baroques de l’auteur de Brazil sont toujours là avec digressions fantaisistes, trucages bricolés, bien que quelques baisses de régime surprennent.
Comme une part de l’histoire du cinéma est révisée entre productions maladroites et ridicules de la jeunesse jusqu’à la désinvolture et au cynisme présent, on ne sait si c’est du lard ou du cinéma.
On ne peut reprocher à l’un des maîtres de la comédie de faire naître de la tristesse parce que les rires paraissent vraiment indécents au moment où les autodafés prennent des allures de feux d’artifices.
Fallait-il rêver d’un monde meilleur ? Sancho avait-il raison ? Les rêveurs se sont-ils endormis ?

dimanche 17 juin 2018

Let me try. Isabelle Lafon.

J’avais déjà vu cette pièce, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/03/les-insoumises-isabelle-lafon.html c’est ce que mon ordi me dit, et je ne m’en rappelais plus.
Je vais éviter d’attaquer la chronique de la perte de ma mémoire en racontant aussi comment j’ai acheté des livres déjà lus, bien que le propos de cette mise en scène du journal de Virginia Woolf encourage à «  toucher l’intime sans jamais s’avachir sur ses intimités. »
Je retiens la jubilation du jeu des comédiennes à la hauteur de l’intensité de la recherche des mots justes de celle dont l’humour a tempéré les désespoirs.
Son suicide, tellement marquant, est très pudiquement évoqué, alors que tout crie dans cette vie où un arbre coupé la surprend, comme si c’était la mort elle-même qui la sidérait.  
Tout s’enchevêtre: ce qui l’entoure et l’enserre, les paysages et les proches, et ce qui l’emplit.
La mondaine, l’amoureuse, s’émerveille d’une coiffure, d’une robe et puis se montre indifférente, puis prospectant, submergée par la poésie, elle quête une vérité tout à la fois indicible et passionnante à traquer.
Elle avait écrit : « un jour de pluie, peut-être, je lirai Proust comme on va au musée. »
C’est ce que je me dis aussi.
« Il scrute le papillonnement des nuances jusque dans leurs plus infimes composants. Il est aussi solide qu'une corde de violon et aussi subtil que la poussière des ailes du papillon. »
Woolf parle de l’auteur d’ « A la recherche du temps perdu », j’aimerais parler d’elle aussi bien ; il faudrait encore que je la lise.
Cette pièce est incitative, mais je vais essayer d’échapper à une troisième écoute… encore que cette heure ait passé agréablement, touillant quelques unes de mes préoccupations d’écrivaillon.

samedi 16 juin 2018

La promesse de l’aube. Romain Gary.

Quel souffle ! 
Il fallait bien 460 pages pour écrire brillamment tout ce que le destin du romancier, aviateur compagnon de la Libération, devait à l’amour de sa mère !
« Je laisse volontiers aux charlatans et aux détraqués qui nous commandent dans tant de domaines le soin d’expliquer mon sentiment pour ma mère par quelque enflure pathologique : étant donné ce que la liberté, la fraternité et les plus nobles aspirations de l’homme sont devenues entre leur mains…»
Cette mère qui pensait que « La France, c’était ce qui se faisait de mieux. »
Il deviendra ambassadeur.
« Elle aimait la France sans raison aucune, comme chaque fois qu’on aime vraiment »
Le recul, l’humour, sont au rendez vous, pour nous permettre de nous enivrer sans vergogne d’idéal, de passions, de rêves, d’excès, de dérision. C’est que le programme de défiance envers le dieu de la bêtise, celui des vérités absolues et de la petitesse, génère en abondance des anecdotes passionnantes.
Le résistant de la première heure a joué sa vie, il peut se montrer magnanime : 
« Je comprends fort bien ceux qui avaient refusé de suivre De Gaulle. Ils étaient installés dans leurs meubles, qu’ils appelaient la condition humaine. Ils avaient appris et ils enseignaient «  la sagesse », cette camomille empoisonnée que l’habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier, avec son goût doucereux d’humilité, de renoncement et d’acceptation »
Gary (« feu » en russe), lui « le mangeur d’étoiles », a le sens des formules, il a « feint l’adulte », tout en se gardant de se mettre « à l’abri de la réalité ».
« Tout ce que la vieillesse a appris est en réalité tout ce qu’elle a oublié »
D’une de ses nombreuses conquêtes :
« Je lui avais même fait apprendre par cœur des passages d’ « Ainsi parlait Zarathoustra » et je ne pouvais évidemment me retirer sur la pointe des pieds… Elle n’était pas à proprement parler enceinte de mes œuvres, mais les œuvres l’avaient tout de même mise dans un état intéressant. »
De Malraux :
« Avec le Chaplin de jadis, il est sans doute le plus poignant mime de l’affaire homme que ce siècle ait connu. Cette pensée fulgurante, condamnée à se réduire à l’art, cette main tendue vers l’éternel et qui ne peut saisir qu’une autre main d’homme… »
Tant de ses compagnons sont disparus, que leur recension en devient lassante, lui même  a échappé plusieurs fois à la mort, aux maladies, après une extrême onction de plus pendant une agonie qui n’en finissait pas, il s’en sort : «  Tu as l’air de tenir à la vie » lui dit un ami venu l’assister dans ce qui n’a pas été son dernier instant.
Roman Kacew s’est suicidé en 1980.

vendredi 15 juin 2018

Surnommer.

Il était fréquent dans les campagnes, d’affubler de surnoms villageois et villageoises, cette marque de reconnaissance était souvent dépréciative. Je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui, n’étant plus de ce monde là, mais je me demande si nous ne sommes pas à sur-nommer  dans un autre mode, objets et personnes.
Est-ce que nous ne donnons pas un surcroît de sens aux noms, ne sont-ils pas surcotés ? L’économie des échanges ayant tendance à se tendre, les nuances langagières à se dégrader, les épidermes à être réactifs, les mots vont vers l’excès. Les modes de communication d'aujourd'hui confondant l'oral et l'écrit, raidissent cette disposition.
Ma façon de m’exprimer, s’essayant à la mesure, est tellement décalée par rapport au langage courant les couloirs des collèges et au delà, puisqu’une adulte a pu s’entendre dire par un élève:
« Je te chie dessus ».
Quand certains ne voient que licence poétique dans les paroles d’un rappeur :
« Crucifions les laïcards comme à Golgotha »
et titrent sur l’indignation de la droite et de l’extrême droite, cela  signifierait-il que la gauche n’aurait rien dit ?
Beaucoup de chroniqueurs qui s’étaient réjouis de l’explosion des notions de droite et de gauche se sont bien vite remis dans les rails binaires, guettant le frondeur derrière la moindre pensée. Et après avoir vilipendé l’indécision hollandaise, ils attaquent la verticalité macronienne qui justement veut éviter les paralysies précédentes.
Les rétros concernant nos années emportées n’ont guère enflammé les imaginations en 2018, mais de ces ardeurs passées me restent des traces d’une vie traversée par la politique de toutes parts.
Alors quand sur une même page à côté de la dernière provocation de Trump est titré :
« Les millennials et le sexe : un obscur rejet du désir »,
derrière les délices de la formule, se voile un peu plus l’écran du jour.
Les codes ont changé et j’ai oublié le mot de passe.
Pourtant du temps où «  ce soir à la brume, nous irons ma brune cueillir des serments », nous étions dans un espace virtuel pas si loin de celui de nos suivants.
Dans les mots ordinaires ramenés avec mon épuisette, comme chaque vendredi, jour de palinodie :
je dois m’appliquer à laisser de côté ceux qui rendent « vénèr ».
Le bougon doit apprendre à prendre les choses par le bon goût.
Ainsi je me réjouis de voir se raréfier la paresseuse expression « panem et circenses » à propos de la coupe du monde de football, c’est que je ne suis pas à toujours écouter France Inter et je viens de me désabonner de Télérama, mais Facebook, dans le genre beauf, pourvoit en mépris des autres beaufs.
Je me suis déjà exercé à la positive attitude
que ça en deviendrait un « marronnier ».
Je préfère décidément le sapin dont on fait ... les arbres de Noël. Le cercueil dans cette essence étant devenu obsolète et l’essence elle même ne se sent plus très bien d’ailleurs.
Parti sur des plus me voilà dans les moins, à jouer avec les mots pour ne pas être suffoqué.
Notre pays fait figure d’oasis parmi ceux où se  déchaînent les  populistes. Les investisseurs choisissent de plus en plus La France, les touristes aussi, les réfugiés pas trop.
Et dire que j’envisageais un billet qui ne soit pas celui d’un acariâtre, contrarié.
Heureusement qu’il y a le tract de Vauquiez : « Pour que La France reste la France » et ainsi me sentir à l’aise dans mon approbation de notre président, le plus souvent.
………………..
 Le dessin du « Canard » de la semaine :

jeudi 14 juin 2018

De Delacroix à Gauguin. Etienne Brunet.

Nous avons suivi parmi un de ses nombreux groupes, le professeur Brunet pour apprécier l’exposition au musée de Grenoble de 115 dessins qui se terminera le 17 juin.
« Dessin » s’écrivait « dessein » jusqu’à la fin du XVIII° siècle.
C’est la dernière mise au jour des riches collections de "feuilles" consacrées cette fois à l’hétéroclite XIX° siècle après
http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/01/lidee-et-la-ligne.html
 http://blog-de-guy.blogspot.com/2014/04/la-pointe-et-lombre-musee-de-grenoble.html
La Restauration avait mis en avant rois et reines dans un « style troubadour » documenté, réinventant le passé. 

« Louis XII sur son lit de mort » donne un dernier conseil à François 1° : «  le plus important c’est le peuple » par Merry-Joseph Blondel sur un papier calque d’invention récente. La peinture qui était cette fois la finalité du dessin figure avec le cartel, en petit.
Rien qu’en Isère 300 églises furent rebâties et fournirent du travail pour les artistes.
Géricault d’abord sollicité confiera à Delacroix la réalisation de « La vierge du Sacré cœur » destinée à la cathédrale d’Ajaccio.
Le dessin « Assomption de la vierge » d’ Alexandre Evariste Fragonard, c’est le fils de Jean Honoré, se suffit à lui-même.
Le voyage dans le temps est fructueux en Italie où abondent monuments et ruines mais aussi des personnages hauts en couleurs : Charles Bellay, « Paysanne italienne »
Le sculpteur Victor Sappey qui a laissé dans le paysage grenoblois un « Lion terrassant le serpent » pour marquer, croyais-je, la domestication du Drac alors qu’il s’agit de la ville de Grre dominant l’Isère, avait réalisé quelques carnets de croquis là-bas pour constituer une documentation.
Eugène Delacroix après un voyage de 6 mois arrive en Afrique du Nord : « Etudes de costumes algériens ». « Le voyage d’Alger devient pour les peintres aussi indispensable que le pèlerinage en Italie : ils vont apprendre le soleil, étudier la lumière, chercher des types originaux, des mœurs et des attitudes primitives et bibliques » Théophile Gautier.
Depuis Napoléon en Egypte, l’Orient séduit, Charles Palianti: «Intérieur de village en Orient », alors qu’il faut que ce soient les anglais qui nous rendent sensibles à la richesse de nos propres paysages, de notre patrimoine, avec Taylor et ses « Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France », ancêtre des guides bleus. 
« La Bourne à Pont en Royans » de Charles Cottet (« école » de Proveysieux)
« Les animaux musiciens » de Granville touchant à la caricature furent destinés à un ouvrage pour enfants.
L’esquisse de Daumier, projet pour en-tête du journal « Le Corsaire » fut achetée par André Farcy, éminent conservateur du musée, qui y avait vu : « la création en marche ».
Le jeune moine, « Néophyte » de Gustave Doré illustrant « Spiridion » de George Sand, eut son succès au salon, comme lorsque sont évoquées les traditions régionales rappelant le pays à tous les visiteurs transplantés. Ceux-ci n’allaient pas jusqu’à  faire mine de fouetter les fesses d’une baigneuse de Courbet comme le fit Napoléon III après qu’Eugénie sa femme eut étalé sa science toute neuve « c’est une percheronne ! », elle venait de voir  les croupes des chevaux de Rosa Bonheur.  
Jean-Baptiste Millet  a utilisé la gomme arabique pour donner  un aspect satiné  à son « Troupeau de moutons » aux airs japonisants.
« Il faut interpréter la nature avec naïveté et selon votre sentiment personnel. » Corot, quand rapidement, il exécute un croquis, on parle d’une « pochade » loin des productions littéraires burlesques ainsi nommées. «  Ne jamais perdre la première impression qui nous a émus. Le dessin est la première chose à chercher. »
Et pour rappeler la mémoire de Léonce Ménard qui légua une grande partie de ses collections au musée de Grenoble,  ci-dessus une reproduction du « Paysage soleil couchant » de son ami Corot exposé en permanence.
Félix Ziem : « Gros temps » La marine est pré impressionniste.
Les salles sont organisées par thèmes : dans celle qui est consacrée particulièrement aux femmes, se remarque  la « Tête d’Antillaise » de Xavier Sigalon,
et si nous n’avons plus les codes des spectateurs de naguère pour reconnaître les uniformes, « La pièce perdue » de Ludovic Napoléon Lepic dit bien l’horreur de la guerre, 
alors que Gauguin, est tout désigné pour conclure dans la salle « Onirisme et symbolisme » avec « Te nave nave fenua », « terre délicieuse », où se mêlent les influences diverses qui firent la richesse de ce siècle, se régalant dans les salons académiques, et puis passant du romantisme au réalisme, il  a fini par se laisser « impressionner ». 
Tahiti, après ce voyage dans le temps et l’espace, se rapproche de chez nous, où ce vif dessin aquarellé de Jongking « L’Isère à Grenoble » semble arraché, à l’instant du carnet.