mercredi 12 novembre 2025

L’architecture au service du pouvoir. Benoît Dusart.

Au premier jour de son deuxième mandat, Donald Trump impose par décret le style classique pour tous les bâtiments publics américains en opposition au modernisme. 
« La salle de bal de la Maison Blanche» s’étendra sur 8000 mètres carrés.
Si dans le pays qu'il dirige, le « Capitole de Washington » siège du Congrès est le plus connu dans le style néo classique,
38 capitoles ont été édifiés dans tout les Etats-Unis comme à « Montpelier (Vermont) ». L’inspiration vient de l’école des Beaux arts de Paris. Le Panthéon, anciennement église Sainte Geneviève, figure comme modèle. 
Après le projet ambitieux (voir la taille des humains) d’une
« Eglise métropolitaine » 
d’ Etienne Louis Boullée,(XVIII° siècle)
celui de
Speer architecte d’Hitler pour « Germania » (XX° siècle) prévu pour  recevoir 150 000 personnes fut également démesuré ( Voir la taille de la porte de Brandebourg). 
Le beffroi, les colonnes de la
« Mairie de Villeurbanne » gardent dans les années trente le style ancien revu par le moderne béton.
T
oujours avec une tour médiévale, « L'hôtel de ville de Hilversum » aux Pays-Bas, aux volumes découpés d’inspiration cubiste et d’heureuses murettes, assure la transition vers la modernité.
«  L’hôtel de ville de Grenoble »
refuse les citations anciennes, mais depuis son socle, n’abandonne pas la monumentalité,
rappelant le style international du « Siège de l’ONU » à Manhattan.
La  « Mairie de Gennevilliers », la plus grande d’Europe, a préservé son design.
La pyramide inversée de la « Préfecture du Val d’Oise » à Cergy s’affirme comme  « un nouveau type d’intervention de l’administration auprès des citoyens ».
Exemple d’architecture brutaliste, « L’Hôtel de ville de Boston », et ses courants d’air, entretient une relation conflictuelle avec le public.
Le ludique « Portland Municipal Services Building » postmoderne est cependant moins dans la citation antique
que le prestigieux « Hôtel de Région » de Ricardo Bofill, monument emblématique du quartier Antigone à Montpellier.
« L’Hôtel du département à Marseille »
, « Le grand bleu, «  à l’époque (1990) plus grand bâtiment public construit en province au XXe siècle » joue de la complexité.
« Le Parlement du Bangladesh »
à Dhaka par Louis Kahn, bastion du pouvoir, certes non régionaliste, dans sa monumentalité n’a pas pris en compte les contraintes environnementales. 
A Canberra, sur un plan en aile de papillon,
un mât de plus de 200 tonnes supporte le drapeau dominant le « Parlement australien » comportant 4500 pièces.
« Le Bundestag »
anciennement palais du Reichstag, restauré depuis son incendie en 1933 affirme la transparence
ainsi que « Le Senedd » gallois.
Les tentes traditionnelles en Finlande ont inspiré l’architecture récente 
du « Parlement des Samis ».
Si Rogers a réussi à Cardiff, son « Tribunal de Grande instance à Bordeaux » d’une originalité totale se déconnecte plutôt de l’espace public.
Christian de Portzamparc
répond au cahier des charges avec son « Palais de Justice de Grasse» : « Le ministère, maître d'ouvrage, nous a demandé un bâtiment qui affirme, par sa monumentalité, la présence de l'autorité judiciaire dans la ville et reflète la volonté de transparence de la justice française ».
« Le tribunal de grande instance de Paris »
a quitté l'île de la Cité pour un nouveau palais de justice sur 38 étages aux Batignoles imaginé par Renzo Piano. Son allure de paquebot a appelé pour certains des allusions au Titanic concernant la déshumanisation et beaucoup d’inconfort.
Depuis une vingtaine d'années Dominique Perrault se consacre à l'extension du « Palais de la Cour de justice de l'Union européenne » établi à Luxembourg où travaillent près de 3000 personnes.
 
Le nouveau « Palais de justice de Lille » avant qu’il soit achevé est jugé 
« sous-dimensionné et maltraitant ».
Par contre, « L’extension de la mairie de Noisy le Grand » a permis de minimiser les dépenses énergétiques.
Baptisée « Le coussin » par la population, l’extension de la « Mairie d’Illkirch-Graffenstaden » a donc été adoptée. De nouveaux projets ne contredisent pas forcément les valeurs démocratiques du langage classique avec frontons et allégories sculptées.
Le nouvel « Hôtel de ville de Fribourg-en-Brisgau » 
est le premier bâtiment public à énergie positive du monde.

mardi 11 novembre 2025

Les seins. Guillaume Bianco.

Potaches, enfantins, puisqu’il est question de « tétés », les carnets de l’auteur pour la jeunesse, sont gentiment amusants. 
Avec une bonne dose d’autodérision, le sérial looser ne fait pas de mal à celles qui l’affolent et nous allège du poids pesant en ce moment sur les hommes, souvent présentés comme de lourds machistes ou de toxiques masculinistes.  
Son plaisir pris à dessiner de douces rondeurs est bien innocent sous des traits vifs plus caricaturaux qu’érotiques.
Un autre volume intitulé « Les femmes sont folles » avec écrit en petit (« de moi ») annonce lui aussi une série d’anecdotes personnelles habilement racontées, pleines de scrupules sous forme de dialogue avec son éditeur Lewis Trondheim. 
Il pense que passer pour un homosexuel lui permettra de mieux draguer les filles, ou rêve de devenir une fille pour se palper les nichons. 
« Une meuf ça parle beaucoup »mais« il faut bien dire ce qui est… sans elles, le monde serait moins rigolo… Plus de maîtresse d’école, plus de chanteuses, plus de caissières de supermarché, plus de copines, de petites sœurs ni de mamans, plus de grands-mères… » 
Bon enfant.

lundi 10 novembre 2025

On falling. Laura Carreira.

Nous éteignons nos petits écrans portables avant de nous installer devant un grand où une ouvrière passe son temps dit « libre », son téléphone vissé à la main.
La chute de celui-ci constitue un évènement majeur dans l’univers monotone de la jeune portugaise travaillant dans un entrepôt de vente par correspondance.
La réalisatrice rend parfaitement l’ennui, la solitude de la préparatrice de commandes entre deux bips de lecteur de code barre et de mornes coups d’œil sur un petit écran allumé même lorsqu’elle se nourrit de sucreries. Les personnages croisés sont gentils mais ne sortent guère de leur coquille.
La forme efficace en milieu familier exprime, sans tapage, une bien triste société qu’une telle œuvre embellit par sa justesse.
Si le type d’emploi très contemporain rejoint la précarité de « L’histoire de Souleymane »,
Ken Loach, le pittoresque en moins, se rappelle à nous comme référence.

 

dimanche 9 novembre 2025

Delirium. Miet Warlop.

Comment jouer avec un kilomètre et demi de tissus pendant une heure ?
La troupe flamande parfaitement réglée déroule des bobines de soie (ou de rayonne) de toutes les couleurs sur la scène et dans les travées de la grande salle de la MC2, cependant il s’agit plus d’opérateurs mettant en place une performance que de danseurs.
L’imagination est au rendez-vous pour exploiter toutes les ressources de grands voiles enserrant les manipulateurs qui s’en extirpent, en magnifient les plis, mais les hommes et les femmes pourtant dynamiques s'effacent en tant qu’acteurs sous les dimensions majestueuses de coupons soulevés par d’immenses ventilateurs.
La matière dont on ne peut s’empêcher de la lier aux gaspillages industriels submerge les humains.
Parmi les tableaux parfois un peu étirés, l’évocation d’une vague où apparaît puis disparaît un personnage m’a paru poétique et forte, bien accordée aux sons électro puissants de la  plasticienne-scénographe plus heureuse dans sa musique que pour les socquettes noires,malheureusement à la mode, puisqu’elle signe aussi les costumes. 
Les termes démesurés des attachés de la presse mentionnant « un humour ravageur », « une beauté plastique éberluante » desservent un propos qui aurait gagné à être présenté avec plus de simplicité.

samedi 8 novembre 2025

Ta promesse. Camille Laurens.

Une écrivaine orfèvre en romans d’égo-fiction a rompu sa promesse de ne pas mettre en scène son amant marionnettiste, qui avait lui-même trahi son serment de fidélité. 
« Je veux être dans ta vie, pas dans tes livres. » 
Le produit de 360 pages dissèque finement les étapes menant de la séduction à la destruction entre pervers narcissiques, très tendance, du genre Trump qui parlait d’un jour ensoleillé lors de son investiture, alors qu’il avait plu toute la journée. 
« Je pense que parfois nous pouvons être en désaccord avec les faits ». 
Au-delà des relations complexes entre Claire et Gilles, les mots sont pesés :  
« Ecrire est un exercice d’amour,une magnifique et profonde et audacieuse expérience d’intelligence de l’autre. » 
Par contre une juge, cite Lacan puisqu’il est question très tôt d’un procès dans un déroulé haletant : 
«Si vraiment je comprends quelque chose, je suis sûr de me tromper. » 
Dans notre monde de vérités alternatives, la littérature vient à notre secours pour aller au-delà des apparences et débusquer les mensonges. 
«L’oreille a du nez : ça sent la mort. La langue a rendu l’âme. Le cliché est une charogne. »
Les formules brillantes scintillent dans cette histoire qui ressemble parfois 
à la « new romance » qu’apprécie ma petite fille laquelle n’a pas dans sa tête l’air des Rita Mitsouko: « Les histoires d’amour, les histoires d’amour finissent mal en général ». 
« J’attendais qu’il revienne. Qu’il revienne à lui. Qu’il revienne à moi. »
« Souffrir passe. Avoir souffert ne passe pas. »
« L’avenir ne m’a jamais tellement réussi. »
«Ton passé a mangé tout ton avenir ; un jour on est humilié et ce jour dure toujours. »
«ça ne veut rien dire « qui on est ». On n’est rien. L’être n’est qu’une syllabe du paraître. »
« - Oh moi, tu sais je suis d’une moralité douteuse : je doute de la morale des autres. » 
L’écrivaine précise aussi les mots des autres, ceux de Benjamin Constant : 
« Elle voulut pleurer, il n’y avait plus de larmes.Elle voulut parler il n’y avait plus de mots ».
La disparition du pronom traduit la disparition de l’être qui se fond dans l’impersonnel. »
Le lecteur pourra aller bien au-delà du résumé par la magistrate du roman qui n’a vu que jalousie envers un homme qui a souhaité refaire sa vie.
Un livre qui tient ses promesses.

vendredi 7 novembre 2025

La gauche contre le peuple. Front Populaire n° 22.

Si je ne lisais que ce qui me convient, il y a longtemps que j’aurais résilié mon abonnement au journal « Le Monde » et je n’aurai pas dépensé une nouvelle fois 15,90 € pour la publication d’un Michel Onfray complaisant avec la très contestable Sahra Wagenknecht ancienne de Di Linke qui a créé un parti à son nom, présentée comme l’enfant de Jaurès et de Gaulle … 
Concernant la gauche, je garderai toujours « au cœur, une plaie ouverte ! » et l’éternelle question du « peuple » continue à m’interroger, donc je suis allé revoir cette revue.
Pour avoir suivi Chevènement, dont la trajectoire est rappelée dans ce numéro, ne me comptez plus dans le camp souverainiste, fut-il « d’ailleurs ou de nulle part ». 
«  Je suis toujours de gauche mais pas de celle qui a pris sa place sous le même nom ».
Je me retrouve dans la prose fleurie d’Eric Naulleau lorsqu’il distingue gauche et gôche qui a « troqué la laïcité contre l’islamisme, l’universalisme contre le communautarisme, la Résistance contre l’antisémitisme, le prolétariat contre le trans, Victor Hugo contre Rima Hassan… » 
J’ai trouvé quelques articles ardus, ils s’annonçaient pourtant attractifs : « On ne combattra pas le racisme en parlant de races » voire «  l’anatomie du phénomène « woke ». 
« La liberté pourrait ressembler à la définition négative qu’en donne Spinoza comme « intellection de la nécessité » c'est-à-dire comme connaissance de nos déterminations. 
Le comprendre, c’est se donner une petite chance de composer intelligemment avec le réel. » 
Pas vraiment limpides, ni très populaires, ces références dans un article destiné à différencier le vrai du faux quant aux rapports de la gauche avec la nature, les lumières, le nationalisme…Pierre André Taguieff m’a paru également difficile à suivre. Décidément, mon niveau baisse!
« Nombreux sont les auteurs qui attendent le salut de la traduction transculturelle et qui prennent leurs désirs redéfinitionnels, accouchant d’images, d’analogies ou de métaphores vagues, pour des réalités ou des inventions conceptuelles. » 
A l’instar d’Eric Satie qui claironnait : « Moi, pour la modestie, je ne crains personne »,
en tant qu’abuseur de métaphores, je ne vois pourtant pas où il veut en venir.
Michéa me semblait plutôt lisible, par contre le commentaire à lui consacré, en tant que « paradigme », ne clarifie pas un positionnement original.  
Les présentations de livres recommandés donnent envie d’aller plus loin, mais la pile impressionne: «  La philosophie devenue folle », «  La diversité contre l’égalité »,  «  Penser le conservatisme de gauche », «  Critique de la raison coloniale », « L’ère de la post vérité » « Un autre Rousseau »…  
Cependant pour contrer la police de la pensée, George Orwell, Philip Roth, Gustave Flaubert… en condensé, sont heureusement convoqués avec quelques déconstructrices de déconstructeurs : Laure Murat, Tania de Montaigne ou Belinda Cannone.

jeudi 6 novembre 2025

Sens.

Après un réveil matinal et une préparation sans hâte, nous prenons la route pour la Champagne sous un ciel bas, un vent léger et une température de 18°.
Nous buvons notre café sur l’’autoroute de l’arbre dans une station joliment nommée aire "au jardin des arbres".Tout au long du trajet, nous passons sous de nombreux ponts prévus pour la circulation des animaux , longeons des grillages de protection continus : il est vrai que les forêts traversées, à 80 km de Fontainebleau, doivent  abonder en gibier et autres petites bêtes souvent victimes des voitures.
Nous croisons des noms connus : la Charité sur Loire, Pouilly, qui nous rappellent des  vacances plus anciennes. Nous suivons la direction Paris puis Metz, Nancy, toujours par l’autoroute,  où nous rencontrons peu de monde et voyons peu d’habitat, loin des foules  du midi  en pareille époque.
Nous nous détournons sur SENS, non envisagé dans le planning mais la ville se révèle une jolie surprise.
Nous n’avons pas de mal à parquer Gédéon, notre voiture, à côté du square Jean Cousin qui s’étire au centre du cours, et dont le nom apparait sur une pancarte art nouveau.
A pied nous nous engageons rue de la République où s’élève la « maison Abraham ».
Cette magnifique maison du XVI ° siècle a conservé ses colombages et de très jolis poteaux en bois sculptés. Elle témoigne de l’aisance de son commanditaire faisant profession de tanneur dans un quartier commerçant animé.
Nous continuons sur la même route jusqu’à la cathédrale Saint Etienne qui  occupe un côté de la place du même nom.
L’édifice gothique avec une tour clocher se rapproche de celui de Nevers,
là aussi des palissades et des échafaudages défigurent une partie de la façade. 
Il jouxte le palais synodal (synode = assemblée délibérative d’ecclésiastiques) reconverti  en musée, couvert d’un toit vernissé rutilant sous le ciel gris.
De l’autre côté de la place se détache une harmonieuse halle de style Baltard en briques bicolores et motifs losangés disposées autour d’une structure métallique retenant des verrières.
Un lanternon, deux clochetons symétriques et une horloge  participent à la décoration extérieure de ce monument récemment restauré, classé monument historique depuis Mérimée. Le marché ne se tenant pas le mardi, nous ne pouvons pas  pénétrer à l’intérieur.
La rue de la république se poursuit après la place de la cathédrale, et mène rapidement à l’hôtel de ville, affirmant comme dans toute commune le pouvoir laïque, à côté du pouvoir religieux.
Ce beffroi imposant a retrouvé toute sa jeunesse après une restauration récente. Bien qu’édifié au XIXème siècle, il intègre différents styles alliant Renaissance, classicisme et XIX°. 
Mais ce qui constitue sa spécificité réside dans sa statue érigée au-dessus du fronton  qui toute brillante et fraichement redorée, imite celles des églises. Pourtant, point de saint représenté et honoré ici, il s’agit d’un gaulois brandissant un coq au bout d’un bâton, tourné vers la cathédrale qu’il défie.
Les Sénonais le surnomment dès sa pause « le Brennus de l’hôtel de ville ». Comment mieux marquer son anticléricalisme qu’en utilisant le type de représentations de l’adversaire ?
Nous interrompons notre visite pour manger derrière le marché couvert (halle) à l’ « Atelier  vintage » (salade césar, aiguilles de poulets, dessert) et échapper à l’humidité du temps.
Puis nous reprenons notre promenade dans la ville jusqu’à l’Yonne en suivant la piste marquée par les triangles en cuivre à l’effigie  d’une tête de gaulois.
Nous revenons en passant par le cours Tarbé où nous rejoignons le parc « Chez Jean Cousin » dont nous apprenons qu’il était un artiste de la Renaissance. Le square, crée en 1883, dispose d’arbres et  d’arbustes remarquables, certains d’espèces rares, et de massifs fleuris regroupant une grande variété de plantes anciennes ou plus communes. 
Les Sénonais apprécient cet espace vert pour son calme et sa beauté, bien qu’il soit coincé entre les 2 voies de circulation du cours.

Nous partons vers Châlons-en-Champagne.