jeudi 23 septembre 2021

6 mois. N°21. Printemps été 2021.

Qui mieux qu’une citation de Prévert sur le rabat de la revue de photographies de 300 pages ? 
« C’est toujours à l’imparfait de l’objectif que tu conjugues le verbe photographier. » 
De réfugiés Vénézuéliens en Colombie aux clichés du sultan Adülhamid II qui lui avaient permis de choisir les prisonniers à amnistier, nous mesurons toute la force de cet art, même si sur l’autre rabat Alain Bergala souligne : 
« Ce serait considérablement réduire la photographie que de l’amputer de sa dimension d’absence, de perte, de ratage et de ne vouloir continuer à y voir, inlassablement, qu’un rendez-vous réussi avec le réel. »
 Et nous continuons à regarder :
Des individus qui ont tout quitté pour vivre à cheval, dans la forêt, dans le froid, la solitude,
Les survivalistes attendant la fin du monde dans leur bunker,
Ceux qui s’entrainent pour vivre sur Mars,
En temps de confinement, les mères et leurs enfants en Australie,
Des femmes saoudiennes aux mariages arrangés,
Des peuples isolés dans le grand Nord russe,
Ou des paumés de banlieue ouvrière en Russie
Des exclus, de marginaux en Amérique...
Il n’y a bien que dans un village espagnol que la chronique des années qui passent semble douce, mais à faire valoir essentiellement les marges, les dissidents, un appel à la collectivité  pour financer les artistes fragilisés par la crise sanitaire peut sembler déraisonnable en regard de tant d’autres misères mises en page sur beau papier.
Les photographies n’auront pas manqué dans la période : 

mercredi 22 septembre 2021

Clermont Ferrand # 3

Comme nous ne sommes qu’à 15 minutes à pied du musée Roger Quilliot, 
nous ne nous encombrons pas de la voiture que nous laissons sur le parking gratuit de Michelin. Nous en sommes à notre dernier jour dans la capitale arverne 
Nous trouvons à déjeuner en terrasse rue Jules Guesde au café restaurant de la Mairie pour 10 € le plat du jour, présentement Carpaccio de charolais, frites salade.
Chassés par le soleil brûlant, nous nous laissons guider par le GPS jusqu’au musée où nous entrons, seuls visiteurs vers 13h 30 (tarif pour sénior et gratuité pour les enseignants).
Le  MARQ (musée d’art de Roger Quilliot) est logé dans un monument historique rénové ; une verrière recouvre la cour intérieure, 
et protège les rampes d’accès menant aux trois niveaux d’exposition qui recueillent des œuvres du XIV° au XX° siècle.
En bas, la partie médiévale propose des chapiteaux, différents objets comme des coffres à pactes ou à chartes, des cathèdres (sièges à haut dossier aussi appelés sièges de l’évêque), des dressoirs, des petits coffres en cuir repoussé et des statues en bois.
Les peintures se trouvent dans les étages ; signalons des portraits d’Elisabeth Vigée Lebrun,
quelques Philippe de Champaigne,
des Vercingétorix (une salle lui est consacrée)
un magnifique et inattendu Delacroix,
Un cycle du Roland furieux (artiste ou atelier anonyme  du XVII°) dont les peintures monumentales  occupent  toute une aile et dont l’histoire nous surprend par sa violence.
Le XX° est représenté par des impressionnistes peu connus (de nous du moins).
Simone et Maurice Combe, marchands d’art et amateurs clermontois, ont enrichi le fonds d’une  période plus contemporaine par une donation puis un legs de leur collection. Celle-ci rassemble des toiles de Bernard Buffet, de Paul Rebeyrolle, 
Jean Foutrier, et d’artistes locaux,  regroupées par thèmes : paysages, natures mortes, portraits…, Ce choix muséographique nous apparait judicieux et intéressant.
Par contre, l’exposition temporaire sur « les mondes rêvés de Rosto » ne nous enchante  vraiment pas. Ce touche à tout néerlandais aborde la musique, la vidéo, et exprime un univers glauque dans lequel nous n’entrons pas. Nos réticences face à une certaine création artistique actuelle ne font que se confirmer…
La visite terminée, nous  rentrons en flânant dans le quartier de Montferrand qui a des allures de petit village assoupi sous le soleil.
Dans la rue du séminaire et surtout de la Rodade, il reste des maisons à pans de bois, elles attestent de l’existence moyenâgeuse de la ville. Nous profitons d’un petit moment de pause ou de sieste au frais alors que le thermomètre indique  33° à l’extérieur. Ce n’est que vers 17h30 que nous repointons notre nez dehors, prêts à suivre l’itinéraire qui nous mène d’abord vers la maison Fonfreyde.
Le centre photographique a élu domicile dans cette magnifique  demeure en pierre de Volvic, dotée d’un remarquable escalier extérieur côté cour, de cheminées en bois, et de fenêtres à vitraux. L’exposition nous ouvre l’entrée des lieux, mais ce qu’elle nous donne à voir en elle-même confirme une fois de plus nos réactions face à l’art contemporain : beaucoup de baratin pour pas grand-chose. Cependant, nous apprécions la démarche pédagogique des portraits de personnes âgées pris par les élèves d’une classe de 1ère en esthétique.
Juste au-dessus à deux pas, la cathédrale  Notre Dame de l'Assomption se détache sur fond de ciel, imposante, noire et gothique, austère par sa couleur et son peu de décoration sculptée. Elle contraste totalement avec toutes celles que nous avons croisées lors de notre voyage.
A l’intérieur, elle respecte l’architecture habituelle avec son déambulatoire  et ses satellites de chapelles, la présence de fresques dont certaines sont occultées par le buffet de l’orgue et des vitraux que nous renonçons à « lire »par flemme.
L’itinéraire passe devant la Mairie  puis par la rue du Port pour atteindre la basilique Notre Dame du Port.
De style roman reposant après tout ce gothique, elle mélange la pierre de Volvic à une pierre beaucoup  plus claire pour que leur l’alternance, leur contraste  jouent dans les motifs de décoration. 
Ce très beau bâtiment s’effondra lors du tremblement de terre de 1490. Il sera remonté au XIX° siècle.Nous poursuivons jusqu’à la Place Dellile .
Là nous pénétrons dans un hôtel 4 étoiles, le Best Western Hôtel littéraire Alexandre Vialatte attirés et intrigués par le côté « Hôtel littéraire ». Il s’agit en fait d’un concept, d’une chaine hôtelière haut de gamme conçue par le bibliophile et collectionneur Jacques Letertre désireux de faire partager sa passion des livres. Situés en centre-ville, ces établissements proposent un séjour culturel original dédié à la littérature. Leur décoration rend hommage à un grand écrivain dans sa ville emblématique  avec la possibilité de (re)découvrir sa vie et son œuvre grâce à des bibliothèques, un espace de collection, et de multiples expressions artistiques. Pour notre part, nous n’apercevrons que quelques photos et écrits exposés dans le hall.
Nous remontons la rue Neyron, la rue couronne,  nous tournons autour de la basilique  pour  rejoindre la rue Barnier puis empruntons la rue Blaise Pascal où se situe  le plus vieux chocolatier de la ville nommé « le vieillard ». 
La promenade nous mène place du Terrail, et enfin Rue Massillon. Nous y trouvons le restaurant «Sisisi » recommandé par M. et bien qu’il soit encore de bonne heure, nous ne pourrons pas profiter de la terrasse, toutes les tables étant déjà retenues ; le monde repéré hier ne va pas tarder à se manifester. La patronne nous installe  confortablement près de portes fenêtres béantes,  en compagnie d’un spritz et de quelques canapés de « carpaccio » de tomates. Nous choisissons ensuite un très bon dos de cabillaud au chorizo et petits légumes pour l’un, une truite pommes cuites pour l’autre qui complète avec par un trou royal (Sorbet champagne Mojito Rhum).
Après ce repas fin, et dans la douceur de ce beau soir d’été, nous marchons  à petits pas rue des Chaussetiers parallèle à la rue des Gras, 
traversons la place Jaude  empruntons le petit tunnel qui nous ramène rue Charretière.
Demain, nous prendrons le chemin du retour où s’achève notre périple 2020 commencé à Saint Etienne.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2021/01/saint-etienne.html

 

mardi 21 septembre 2021

Gentelmind. Diaz Canales. Valero. Lapone.

Des dessins élégants en rapport avec l’époque décrite ne suffisent pas à combler le lecteur de BD si un récit clair ne relie pas les belles images. 
Nous sommes dans les années 40 et une guerre lointaine se déroule en Europe. Dans le milieu de l’édition à New York une jeune femme  à la tête d’une rédaction composée seulement d’hommes va trouver la recette pour ranimer un magazine destiné aux hommes : une pin up en couverture. 
Toute ressemblance avec Esquire qui apparaît comme un concurrent de la revue de charme où figurent des nouvelles littéraires est évidente.  
Mais le papier est trop glacé, les nez trop pointus, le graphisme trop esthétisant, pour que cette évocation d’un âge d’or de la presse puisse nous concerner. La fumée des salles de rédaction ne nous fait pas tousser et les liaisons amoureuses de personnages bien lisses nous laissent indifférents. 
Si ce premier tome est introductif, je ne sais si j’irai voir les suivants.

lundi 20 septembre 2021

Une histoire d’amour et de désir. Leyla Bouzid.

Dans la production actuelle, le coup de foudre entre une Tunisienne venue poursuivre ses études à La Sorbonne et un jeune de banlieue, avec un tel titre, est d’une originalité sympathique. 
Un jeune garçon qui doit surveiller une sœur délurée est amené à faire visiter Paris qu’il ne connaît pas à celle qui a appris les délices de la langue bien loin du verlan des alentours. 
Elle lui fera mettre en pratique les audaces de la poésie érotique arabe du X°siècle apprise dans un cours de littérature comparée. 
La réalisatrice avec délicatesse et tendresse ne conclut pas trop vite,  elle nous ravit, si loin de « Titane » palme en plomb.

dimanche 19 septembre 2021

Tu n'en reviendras pas. Aragon Ferré.

J’aurai pu essayer de mettre des mots autour de plus modestes chansons, car celle là est un monument impressionnant à propos de la première guerre mondiale pendant laquelle Aragon avait été brancardier. 
Place à l’immortel poème où tout est dit de l’horreur survenant au milieu de l'insouciance:
« Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre »
 
« Gueules cassées »:
« Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage, sans yeux »
 
La fatalité s’inscrit dans les odeurs de la vie et la chaleur fraternelle des hommes : 
« On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu 
Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule le train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur »
 
La pierre des monuments est solide
et la terre, où ils sont tombés les uns après les autres, accueille les morts. 
« Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un nom d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri »
 
Mes lignes intercalées ne voudraient pas profaner des paroles sublimes parfaitement mises à la portée de tous par Ferré qui sur le même album a enluminé « L’affiche rouge » : 
« Vous n'avez réclamé ni la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants »
 
Et tant d’autres : 
« Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent »
.
 L’étrangère : 
« Nous avions joué de notre âme 
Un long jour, une courte nuit,
 Puis au matin : "Bonsoir madame" 
L'amour s'achève avec la pluie. »

samedi 18 septembre 2021

La familia grande. Camille Kouchner.

Une fois la clameur médiatique éloignée qui a suscité la libération de la parole d’autres personnes aux lourds secrets et permis à la loi d’avancer, il serait dommage que ce témoignage soit réduit à un succès de librairie: il s’agit, à mes yeux, d’une œuvre puissante.
La construction habile, l’écriture sobre et efficace de la quadragénaire, nous assurent de l’honnêteté du propos qui va bien au-delà du récit pudique de l’inceste perpétré par le célèbre constitutionnaliste Olivier Duhamel. 
« C’est mal tu crois ? Ben non, je ne crois pas. Puisque c’est lui, c’est forcément rien. Il nous apprend c’est tout. On n’est pas des coincés. » 
La Liberté et l’Amour sont questionnés et la loyauté, la culpabilité.
Entre deux séquences de vie rêvée au soleil des vacances, à Sanary, où les amis de La familia grande se regroupent, la mort scande la vie de familles privilégiées : 
deux grands parents suicidés, 
la tante Marie-France Pisier, l’actrice, morte noyée, 
fâchée avec sa sœur professeur de droit, ex-femme de Bernard Kouchner et personnage central du livre dont la fille Camille a attendu le décès pour témoigner. 
La féministe dysfonctionnelle n’a pas protégé ses enfants. 
« Certains diront que tu fais partie de cette “génération”- là.
Moi, je crois surtout que tu fais partie de ces “gens”- là » 
Loin des lieux de pouvoirs et des conforts de cette gauche dont les luttes du côté de l’Amérique latine sonnent comme du folklore, et bien loin de ses ivresses, je cours après les témoignages des enfants qui causent de leurs pères et beaux pères rêveurs d’un autre monde.
Amère est parfois la potion, alors on peut se mettre à aimer l’amertume. 
La littérature aide aux guérisons: Camillou avait appris à réciter du Musset : 
« Quand ton illusion n'aurait duré qu'un jour,
N'outrage pas ce jour lorsque tu parles d'elle »

 

vendredi 17 septembre 2021

Zadig N° 11.

J’aime ce trimestriel pour la variété de ses points de vues qui courent sur 200 pages, même quand je ne suis pas d’accord avec Marie Despléchin dans la persistance de sa lutte après l’abandon du projet Europa City de Gonesse.
Ainsi dans un numéro essentiellement consacré à la banlieue, un entretien avec Hélène Carrère d’Encausse secrétaire perpétuel de l’académie française trouve parfaitement sa place : 
«  J’ai été élevée dans l’idée inverse du communautarisme : qu’on ne doit pas s’enfermer avec les siens, mais se fondre dans la France »
avant qu’une chanson d’Alonzo soit  expliquée par Bertrand Dicale : 
« RS4, pas de plaque
Ma gadji c’est une Bagdad
Kalash sous le clic clac…
J’ai bu quatre packs
La belle vie le’ zin » 
Cela deviendrait presque insolite de lire des auteurs exprimant leur amour de la France: 
« c’est le meilleur pays pour être malade » Susie Morgenstern 
L’intérêt des articles est rehaussé par une qualité d’écriture d’écrivains renommés. 
Daeninckx dénonce le clientélisme à Aubervilliers mais se requinque à Fontenay-sous-bois où il a déménagé. 
Leïla Slimani apporte des arguments pour se déconnecter des réseaux : 
« une personne qui passe sa journée devant son écran est-elle plus « connectée » que quelqu’un qui cultive son jardin ? » 
D’anciens ministres continuent leur lutte, Corine Lepage pour la biodiversité, 
Jean Louis Borloo prône la création d’une cour d’équité territoriale. 
Les cartes commentées par Le Bras mettent en évidence des réalités surprenantes : 
«  la proportion d’ouvriers s’accroit d’autant plus que l’on s’éloigne des grandes villes. »
«  L’image négative de la banlieue est très ancienne » comme un historique le rappelle. 
Une  ancienne prof dans le 93 change d’établissement,  mais elle ne met pas en cause les gamins, 
Azouz Bégag évoque : 
«  la niaque de ceux qui n’ont rien à perdre ».
D’un jardin entre les immeubles à Saint Denis 
à des écoles Simplon dans les quartiers en difficulté qui proposent des formations aux métiers du codage informatique,
les claviers solidaires de l’association Emaüs Connect,
des associations de Sénégalais qui financent des réalisations dans leur villages,
un village d’innovation éducative dans les quartiers Nord de Marseille
et l’industrie textile se remettant en marche du côté de Roubaix 
donnent des motifs d’espoir. 
Jaenada raconte plaisamment une rencontre avec des lecteurs à Saint Omer lieu de son dernier roman, 
et Kaouther Adimi dans sa nouvelle « Le pêcheur de langouste » nous emmène loin, quoique...
Près de la centrale de Bugey, sur les photos le village de Saint Vulbas est paisible.
Si je n’ai pas apprécié les articles à sensation de Régis Jauffret, dont il est difficile de distinguer le vrai du faux, la réalité étant suffisamment surprenante, 
la BD de Mathieu Sapin nous remet dans de bonnes dispositions. 
David Djaïz faisant l’historique de l’amour dans la société française est passionnant, alors que Laurent Theis nous remémore Madame de Staël dont son ennemi Napoléon avait concédé: « elle restera ».
« Les jouissance de l’esprit sont faites pour calmer les orages du cœur »
 Arthur Frayer-Laleix est toujours aussi régalant et éclairant, cette fois il a passé sa semaine chez un pharmacien, après les pompiers du numéro précédent.