dimanche 20 avril 2025

Rouen # 2

Tant pis, ou dommage, nous reposons la voiture au parking de l’hôtel de ville très sollicité après avoir éprouvé  beaucoup des difficultés à circuler au milieu de nombreux travaux dans Rouen.
Nous voulons récupérer mon téléphone chez le réparateur. N’étant pas encore prêt, nous décidons de patienter au musée des beaux-Arts, gratuit, qui nous surprend par sa très grande richesse. Nous le survolons par manque de temps, mais nous repérons quand même 
une œuvre titrée « Caterpillar » de Wim Delvoye
tractopelle en  modèle réduit traité tel une cathédrale gothique
une surprenante sainte Anne en bois enceinte de la Vierge, celle-ci étant visible pour  nous faire comprendre sa présence  dans le ventre de sa mère
et surtout « la flagellation du Christ à la colonne » du Caravage, magnifique, central,  éclipsant toutes les œuvres de la salle par  ses lumières et ses ombres, sa vigueur.
Nous nous arrachons à regret et galopons vers la sortie, frustrés de ne pas profiter les toiles du XIX° et XX° et des œuvres de David Hockney.
Nous essaierons de revenir demain. 
Pour l’instant, nous devons nous occuper de mon téléphone, et de toute façon, le musée ferme ses portes sous peu.
Il est temps de nous soucier de notre AirB&B surtout que nous sommes amenés à zig-zaguer tant et plus à cause de déviations imposées par des travaux en plusieurs endroits.
Nous découvrons notre  studio situé dans une petite résidence doté d’un parking privé. Nous nous installons dans cet appart tout en longueur, avant de tester l’Intermarché, de dompter la TV, et de s’adonner à nos occupations habituelles (repas et JO)
Dans le centre de Rouen, un taggueur a écrit de partout : un intrigant « Tonton pas net ».
Grace à nos hôtes qui ont tout prévu, nous déjeunons copieusement  avant de démarrer notre journée de copieuses visites.
Pour ce matin, nous prévoyons de retourner au musée des beaux- arts et après un petit café en attendant l’ouverture, nous passons le contrôle d’entrée.
Nous délaissons les 1ères salles traversées hier mais nous attardons quand même devant - « la flagellation du Christ à la colonne » du Caravage 
et le Richelieu de Philippe de Champaigne que nous re-photographions
Nous admirons « le démocrite » de Vélasquez,   
découvrons des œuvres de grands noms de la peinture : 
Fragonard,  G. De Latour, Géricault (natif de Rouen).
Guy porte une attention particulière aux « énervés de Jumièges » d’Evariste-vital Luminais qui retrace la légende des fils de Clovis II, punis pour avoir conspiré contre leurs parents.
Nous nous sentons parfois bien petits dans certaines salles cernés par des tableaux aux dimensions monumentales.
Quant au département impressionnisme, il est particulièrement  bien doté. Bien sûr, il y figure, une cathédrale de Rouen signée Monet mais aussi des toiles de Marquet, Sisley,
d’Albert Lebourg, que je découvre et apprécie : « la rue d’Alger », Renoir, Pissarro, une œuvre de Caillebotte,Corot et ses paysages… Le public s’attarde ici davantage que dans les autres salles.
Place ensuite aux symbolistes avec entre autre « la mort d’Emma Bovary » d’Albert Fourié,
ou l’impressionnante « Enigme » d’Alfred Agache sorte de femme fatale vêtue et voilée de noir, portant une  fleur de pavot rouge sang alors qu’une autre git à ses pieds.
Nous changeons d’époque avec l’exposition David Hockney.
Nous sommes familiers de ses portraits de personnages assis sur une chaise mais nous connaissons moins l’artiste de paysages naïfs  aux couleurs vives et franches de Normandie ou celui  de la Moon Room, 13 dessins et 2 peintures  nocturnes  dans des camaïeux noirs et bleus, éclairés par la lune. Cette dernière série rappelle que Hockney admirateur de Monet, s’inspire du maitre en proposant plusieurs œuvres sur le même thème.
Nous terminons notre  parcours muséal par l’école Rouennaise, après deux heures passées en se concentrant seulement  sur l’essentiel ! 12h 30 : nous quittons les lieux  et sortons esplanade Marcel Duchamp, à côté de l’Office du tourisme.
Fixée sur un poteau, une plaque «  ici non plus, Emma Bovary n’a jamais pris de leçon de piano » semblable à une plaque de rue municipale rend hommage tout autant à l’esprit absurde de Duchamp qu’au roman de Flaubert, les deux enfants du pays. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2025/04/rouen-1.html
Bref, après les nourritures spirituelles, les nourritures terrestres s’imposent : nous déjeunons à « l’Atelier 17 » où nous commandons le plat du jour original et bon: filet de daurade, mousseline de choux rouge, sommité de chou-fleur violet et sauce vierge ; café gourmand ou mousse au chocolat, bières locales.

samedi 19 avril 2025

Comme une mule. François Bégaudeau.

Le marxiste libertaire est passé au tribunal pour avoir écrit  à propos de Ludivine Bantigny, une de ses collègues de la gauche radicale : 
« Tous les auteurs de La Fabrique lui [seraient] passés dessus, même Lagasnerie ».
S’il trouve la formule gratuite et abjecte, il se garde bien de s’excuser, mais il lui faut 443 pages pour s’expliquer et nous emmener dans un tourbillon où il revisite avec brio les rapports entre l’art et la politique, la morale et la politique, l’humour, le féminisme…  
«L’excuse suppose une faute, or de faute il n’y en a pas - tout juste une faute de goût. » 
Son ton souvent hautain va aussi avec pas mal d’autodérision et dans l’examen de nos contradictions aime se trouver où on ne l’attend pas : 
« Une perversité intrinsèque à la passion de s’indigner nous incline à jouir de la faute qui nous débecte. » 
Et d’illustrer son propos dans un style imagé : 
« Un identitaire ne se réjouit pas moins d’apprendre le viol d’une fillette par un étranger sous OQTF, qu’un antifa d’apprendre le canardage d’une mosquée par un suprématiste blanc… »
Des références contemporaines voisinent avec des évocations culturelles variées dont celle-ci : 
« La punchline est la renomination contemporaine d’une constance de l’art à message, qu’elle s’incarne dans la pique de cour, dans l’aphorisme de Chamfort, dans l’assaut rhétorique hugolien, dans les salves céliniennes, dans le bon mot de Guitry, dans le mot d’auteur d’Audiard : la formule. »
 Je me délecte de ses formules :
« L’invitation à se déconstruire sent déjà un peu le camp de rééducation, où l’homme doit montrer des signes de pénitence plutôt que d’intelligence. »
 « Si la blague est jolie c’est qu’elle n’est pas drôle. » 
« La morale préférant le Bien à la vie, elle repeint la vie aux couleurs du bien.Elle l’arrange, comme un chirurgien de Miami arrange des lèvres de rentière.» 
Sa mauvaise foi peut aller avec l’affichage d’une honnêteté certaine. 
« La littérature brasse autant de vent qu’un patron de multinationale,produit aussi peu qu’un actionnaire. »  
L’écrivain très productif sait de quoi il parle: 
«  Le spectateur politisé demande à l’art de dire ce qu’il sait mais en mieux- comme il demande à l’intellectuel d’adouber de son verbe haut des théories déjà formées. »
ça me va.

vendredi 18 avril 2025

Juste.

 
Voilà qu’entre déraison US et déboires du R.N. dans les prétoires s’invite la Justice en victime des populistes.
De beaux mots mots réapparaissent sur les plateaux de l'équitable balance:
instruction, délibération, « jugement au nom du peuple français ».
Elus et juges présentés face à face habitent dans la même construction démocratique héritée des siècles, et c’est notre luxe de pouvoir discuter de leur légitimité réciproque.
Je ne sais, si je plaiderais encore longtemps contre l’abstention, mais je respecte d’autant plus le verdict des urnes qu’il fut mis en cause violemment ici autour des ronds points et là bas aux marches du Capitole.
Louis XIV : « L’Etat c’est moi ! » 
Mélenchon : « La République, c’est moi ! » 
Ce dernier a estimé que la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple à l’occasion de la peine d’inéligibilité prononcée envers Marine Le Pen avec laquelle il venait de faire voter la censure du temps de Barnier. Débrouillez vous pour défendre l’Etat de droit !
Son ami Chavez « n’était plus l’individu Chavez », il était devenu « la figure même du peuple » rappelle Ronsavallon dans un entretien au « Monde » où il évoque : 
« Camille Desmoulins disait que le propre de la démocratie est de mettre les mots justes sur les idées et sur les choses : il faut donc instaurer une vigilance du langage et poursuivre sans relâche les voleurs de mots et les trafiquants d’idées. » 
La justice dans ses habits et ses rites hors d’âge a permis à l’humanité de sortir de la loi du Talion. La précision de son vocabulaire, la lenteur des processus, ne sont pas dans l’air d’un temps voué aux réactions immédiates de démagogues sans courage, mus par le ressentiment, aux idées courtes, au lexique réduit. L’impassibilité des instances juridiques permet à ceux qui l’insultent aujourd’hui de faire appel à elles le lendemain.
Comme je décline, j’ai tendance à m’incliner, et tout en me parfumant au mot de Clémenceau : « La révolution est un bloc », je me sens partie prenante d’une société toute entière juste de ses contradictions.
J’approuve le président centriste choisi par la nation et respecte le maire écologiste de ma commune, sans besoin de faire valoir une quelconque vertu citoyenne, ni reconnaître là mon goût des paradoxes. Je pense également à entretenir mon esprit critique.
Faut-il que nos valeurs se soient effacées pour que le rappel de fondamentaux paraisse ringard. « J’ai confiance en la justice de mon pays ». J’ai confiance aussi en mon médecin, à la météo, avec une foi comme celle du charbonnier, oui,  je me prosterne devant les palais de la République, ses estrades, la comprenant avec tous ces défauts et pas seulement quand elle punit les adversaires. J’en apprécie la solennité et les costumes qui l’extraient des vitupérations en claquettes-chaussettes.
L’homme à la coiffe de bison qui contestait la défaite de Trump fait aujourd’hui partie des gagnants. Le Carnaval continue et le sourire des clowns se fige en rictus, la justice n’est pas visée que par des pistolets à eau. 
D’un côté à l’autre de l’éventail politique ce ne sont pas seulement les méthodes d’agit prop que nous nous sommes copiées, mais les masques ont fondu sur les visages et les radicalités se sont exacerbées. 
Les barbouillages sur les murs « Police partout, justice nulle part ! » ne peuvent séduire que les délinquants, par contre si « police nulle part, justice nulle part ! »
Pour un bas de page Voltaire est plus convenable:
« Un jugement trop prompt est souvent sans justice. »

jeudi 17 avril 2025

Tony Cragg. Gilbert Croué.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a présenté
Tony Cragg une des figures majeure de la sculpture contemporaine. « Outspan ». 
Né en 1949 à Liverpool, après une formation scientifique et des études artistiques, il enseigne à Metz puis devient recteur de la Kunstakademie à Düsseldorf .
« Endless Form » Intervenant au Collège de France, il a exposé au Louvre.
A la manière de
Picasso, « Mandoline et clarinette » en bois de caisse,
il récupère à ses débuts des objets en plastique pour évoquer une
« Emeute »
ainsi que
« La grande Bretagne vue du Nord ».
où le point de vue questionne à la manière de cette
« Planisphère chinoise ».
Ses installations s’inspirent du Minimalisme, de l’Arte Povera : un minimum d’intervention, un minimum de narration, des matériaux de hasard.
« Tête de hache ».
 « Saint Georges et le dragon » : 
le saint patron de l’Angleterre est en train d’être digéré par le monstre visqueux.
Il joue avec les tailles de tampons administratifs : « 
Subcommittee » ( Sous commissions).
« Spyrogyra »
, hommage à Duchamp, repose la question du regard en art, 
depuis qu'un objet du quotidien est placé sur un socle.
« The Stack »
accumule,
« Cumulus » empile.
Il évolue vers des matériaux plus traditionnels comme le bois ou le bronze.
 
« Early forms » retrouve l'invertébré primitif.
« Manipulations » appelle  Paul Claudel : 
« L’ordre est le plaisir de la raison, mais le désordre est le délice de l’imagination. »
« Pan (Dice) »
. Le dieu de la nature joue aux dés avec un fœtus soumis au hasard génétique.
Il recherche dans les chaines du vivant :
« Chromosomes ».
Après des voyages sous microscopes, un étrange passeur se propose
« Ferry man ».
Des colonnes torsadées à lectures multiples selon le déroulé de la forme 
se mettent en mouvement « Column ».
« Wild relatives » nous sollicite pour voir les vides. 
Il convient de faire le tour, 
de « monter sur la colline » comme avec Marcus Raetz « Skulpturengruppe ».
Celui-ci avait rendu hommage à Beuys : « 
Métamorphose II, Beuys/Hase »
posant lors d’une performance le visage enduit de miel et de feuilles d’or  
« Comment expliquer des tableaux à un lièvre mort ? » qui réveilla l’art allemand. 
. « Pair » de Cragg joue avec les déséquilibres,
« Ligne de pensée »
est mouvante.
Les statues sortent du statique
ainsi que le fit en 1913 Umberto Boccioni «  L’homme qui marche ».
Bertelli
un de ses compatriotes avait produit « Profil Continu » : Le Duce à 360°
fut décliné en pièces pour échiquier.
Cragg s’en rappelle dans « Mauvais garçon »
« Bent of mind »
« silhouette des visages déformés ».
A l’orée de sa maison
à Wuppertal (Allemagne), il a installé un jardin de sculptures où strates et volutes, formes abstraites et organiques glissent de la culture dans une nature insurpassable.
« Ainsi les débris de la civilisation se déposent en couches successives 
créant le terrain fertile sur lequel germera le futur ».

mercredi 16 avril 2025

Souchon au Summum.

Je m’étais dit: « les concerts c’est fini » et puis l’accompagnant de toute une vie passant dans les parages je ne pouvais le manquer. 
L’octogénaire remonte les années et le moral.
Au-delà d’un air qui entête, les chanteurs vieillissent avec nous, laissant pour l’auteur de « Maman, comment tu m'as fait, je suis pas beau », la trace d'un infini sourire sous la mèche effilochée
Des indulgences peuvent être attribuées aux rêveurs réconciliés:
« J'aime les regretteurs d'hier
Qui trouvent que tout c'qu'on gagne on l'perd
Qui voudraient changer le sens des rivières
Retrouver dans la lumière
La beauté d'Ava Gardner ».
 
Je sais si peu de cette femme fatale mais l’idée suffit comme pour  
« ces nouvelles pour dames de Somerset Maugham » 
jamais lues, au fort pouvoir d’évocation. 
« La vie, c’est du théâtre et des souvenirs » de la littérature et du cinéma:  
« L’amour en fuite »
« Toute ma vie, c'est courir après des choses qui se sauvent
Des jeunes filles parfumées, des bouquets d'pleurs, des roses »
 
Bien sûr : « Foule sentimentale », « J’ai dix ans », « Poulailler’song », «  Rame », « La balade de Jim »…  deux heures et demie de plaisir parmi trois cents chansons, une découverte de trente ans d’âge, « Casablanca », la ville où il est né :
« Bogart offrait place de France
Du vin d'Alsace à sa Lauren »
Alsace Lorraine.
Le chanteur m’enchante tellement par sa poésie, ses décalages, que je lui pardonne ses appels sautillants à « Grenoble, Grenoble » qui m’insupportent chez d’autres. Le moindre de ses bavardages, augmenté par sa belle complicité avec ses fils, me fait sourire.
Et je fonds :
« Quand j'serai rien
Qu'un chanteur de salle de bains
Sans clap clap
Sans guitare sans les batteries qui tapent
Est-ce que tu m'aimeras encore
Dans cette petite mort ? »
 
« Oui! » crient les « folles griffonnant des « je t’aime » sur des bristols ».

mardi 15 avril 2025

Toutes les princesses meurent après minuit. Quentin Zuittion.

Le 31 août 1997, au bord de la piscine, 
un jeune garçon joue à la poupée, 
sa maman apprend à la radio la mort de Lady Dy, 
son papa n’est pas rentré de la nuit, 
sa grande sœur a reçu en cachette un garçon dans sa chambre.
Les couleurs pastel revêtent de douceur la vie d’une famille où des relations se font et se défont sur fond de chansons de Lara Fabian :
« Je t'aime, je t'aime
Comme un loup, comme un roi »
 Et de Françoise Hardy : 
« Oui, j'étais la plus belle
Des fleurs de ton jardin »
 La mythique « Princesse des cœurs », passée au stade de métaphore, vient de disparaître, comme l’innocence des jeux de l’enfance, les illusions romantiques de l’adolescence et que sont usées les relations entre les parents. 
Dans ce récit tout simple et gentil, le soleil brûle les peaux tendres, 
mais les rêves résistent à l’ennui et à la routine. 
« Maintenant, il va y avoir des jours un peu plus compliqués. 
 Mais je te promets qu'on sera ensemble... Toujours. »

lundi 14 avril 2025

Black dog. Hu Guan.

De ce film où un ancien détenu revenu dans sa ville natale va s’attacher à un chien qu’il est chargé de chasser, je retiens les formules du générique de fin : 
« Pour ceux qui se remettent en route. »
« A mon père. »
« Aucun animal n'a été maltraité pendant le tournage. »
La ville à l’orée du désert de Gobi couleur de cendres, a le charme des ruines. 
Les habitants qui  en sont partis ont abandonné leurs chiens. Un noir maigre et agressif soupçonné d’avoir la rage a la beauté du gardien des enfers.
Pour ce film primé à Cannes dans la compétition « Un certain regard », le bien nommé, celui qui aurait mérité la « Palme Dog » va être apprivoisé par le jeune homme mutique jadis reconnu pour ses talents en moto. 
Il essaye de se réinsérer dans un environnement violent. 
Pékin, où se déroulent les Jeux Olympiques de 2008, semble loin. 
Ce cinéma dépaysant, aux allures de western crépusculaire, dans des décors fantomatiques, nous frappe par son originalité. La rareté des moments de douceur nous les font d’autant plus apprécier. 
Un dernier sourire échappant à la mièvrerie des happy ends traditionnels nous rassure. 
Nous avons vu un bon film, un beau film, un film fort.