samedi 2 novembre 2024

Trois contes. Flaubert.

Ce que je savais du genre « conte » tenait à leur caractère oral et imaginaire, alors que ce dernier ouvrage de Flaubert est on ne peut mieux écrit et pour la première nouvelle 
« Un cœur simple », terriblement réaliste.
Félicité, une servante, consacre sa vie à la famille qui l’emploie. 
Un perroquet bien-aimé dont elle hérite finira empaillé près d’une image pieuse appartenant à la domestique très croyante.
«  … elle pleura en écoutant la Passion. Pourquoi l’avaient-ils crucifié, lui qui chérissait les enfants, nourrissait les foules, guérissait les aveugles, et avait voulu, par douceur naître au milieu des pauvres, sur le fumier d’une étable ? » 
Je ne sais que me conformer à l’ancienne hiérarchie qui place Flaubert au plus haut 
«  Elles retirèrent également les jupons, les bas, les mouchoirs, et les étendirent sur les deux couches, avant de les replier. Le soleil éclairait ces pauvres objets, en faisant voir les taches, et des plis formés par les mouvements du corps. L’air était chaud et bleu, un merle gazouillait, tout semblait vivre dans une douceur profonde. »
Pour ceux qui trouvent le styliste trop appliqué, pourrait suffire ce court extrait:
« Un jour d’été, elle se résigna ; et des papillons s’envolèrent de l’armoire. »
Comment mieux dire ce moment où la servante accompagne sa patronne dans la chambre de sa fille morte? 
« Saint Julien l’Hospitalier » commence sa vie en chevalier héroïque, dans la fureur d’un moyen-âge enluminé : 
« Il vainquit les Troglodytes et les Anthropophages. Il traversa des régions si torrides que sous l’ardeur du soleil les chevelures s’allumaient d’elles-mêmes comme des flambeaux ; et d’autres qui étaient si glaciales que les bras, se détachant du corps, tombaient par terre ; et des pays où il y avait tant de brouillards que l’on marchait environné de fantômes. » 
Il finit sa vie misérable et solitaire, digne cependant de figurer sur un vitrail : 
« Alors le lépreux l’étreignit ; et ses yeux tout à coup prirent une clarté d’étoiles ; ses cheveux s’allongèrent comme les rais du soleil ; le souffle de ses narines avait la douceur des roses ; un nuage d’encens s’éleva du foyer, les flots chantaient. » 
Dans l’édition en livre de poche le troisième conte « Hérodias » comporte beaucoup de notes tenant parfois la moitié des 190 pages, nécessaires cependant pour s'y reconnaître dans la multiplicité des personnages et tenter de mieux saisir les références au temps des danseuses fatales, en Galilée. 
« Sous un voile bleuâtre lui cachant la poitrine et la tête, on distinguait les arcs de ses yeux, les calcédoines de ses oreilles, la blancheur de sa peau. Un carré de soie, gorge-de-pigeon, en couvrant les épaules tenait aux reins par une ceinture d'orfèvrerie. Ses caleçons noirs étaient semés de mandragores, et, d’une manière indolente, elle faisait claquer de petites pantoufles en duvet de colibri ».

vendredi 1 novembre 2024

Histoire littéraire des français. Charles Dantzig.

Le brillant écrivain érudit est un lecteur original bien qu’il se place parfois en surplomb des auteurs qu’il introduit.
L’évocation de l’histoire de notre pays traitée sous des angles divers nous passionne, d’Henri IV à De Gaulle, « Heures tristes » et « Many fêtes » pour reprendre quelques titres de chapitres.
Villon, Voltaire, Etienne Daho, Copi, Proust, Despentes, Stendhal à côté de Flaubert Bassompierre et tant d’auteurs dont je n’avais pas lu une ligne : Léon Paul Fargue ou Maurice Garçon permettent d'évoquer quelques grandes figures de l’Histoire ou celles des plus modestes aux histoires signifiantes. 
Comme dans un festival, la diversité des styles en exhalent encore mieux leur saveur.
« J’accuse » de Zola mérite sa place mais aussi un autre de ses textes « Les juifs ».
Eugène Sue : quelle vigueur ! 
Et Alphonse Daudet quelle richesse lorsqu’il décrit les charmantes nourrices enrubannées du jardin du Luxembourg avant de révéler leurs conditions d’embauche et comment elles surmontent leur condition.  
« Il vaut mieux avoir affaire à des ennemis intelligents qu’à des amis stupides. » 
Gambetta.
Du panorama émerge La France d’ailleurs, La France universelle, Paris vu par les étrangers, celle des « Petits enfants du siècle » avec Charlot rêvé depuis les tranchées, et Churchill francophile.  
« … un pauvre genevois disons-nous, bien élevé et bien lettré d’ailleurs, qui vint à Paris, il y a six ans, n’ayant pas devant lui de quoi vivre plus d’un mois, mais avec cette pensée, qui en a leurré tant d’autres, que Paris est une ville de chance et de loterie, où quiconque joue bien le jeu de sa destinée finit par gagner ; une métropole bénie où il y a des avenirs tout faits et à choisir, que chacun peut ajuster à son existence… »  
Victor Hugo  
Les tragédies côtoient la légèreté : Elisabeth de Gramont en 1914 : 
« Des jeunes gens insouciants disent :
« Vais-je rejoindre mon corps d’armée ou partir pour Le Touquet ? » 
Tocqueville en 1848 : 
« Ce que j’appelle l’esprit littéraire en politique consiste à rechercher ce qui est ingénieux et neuf plus que ce qui est vrai, à aimer ce qui fait tableau plus que ce qui sert, à se montrer très sensible au bien jouer et au bien dire des acteurs, indépendamment des conséquences de la pièce, et à se décider enfin par des impressions plutôt que par des raisons. » 
Pourquoi retenir ou écarter tant de formules heureuses, nourrissantes parmi les cent trente six écrits sur plus de mille pages ?
Si les slogans de « Nuit Debout » apparaissent bien plus plats que ceux de 68, l’enthousiasme de Théophile Gautier lors de la représentation d’Hernani est communicatif et on peut penser à nos  propres traces incertaines quand Remy de Courmont cite Verlaine: 
«  Dans le vieux parc solitaire et glacé  
Deux formes tout à l’heure ont passé ».  
A conserver auprès d’une BD tout aussi passionnante

jeudi 31 octobre 2024

Nécropolis. André Chabot.

Parmi 250 000 photographies réalisées dans plus de 70 pays, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble, en bon « nécropolitain », nous invite à découvrir quelques statues mortuaires, poèmes de pierre en noir et blanc. Les noms des sculpteurs ne sont pas cités alors que leurs œuvres témoignent d’une époque d’avant une standardisation qu’il déplore. 
Après la première référence « Barcelone »  seuls les lieux seront mentionnés.
André Chabot a prévu une chapelle pour lui et sa femme au «  Père Lachaise » où les photographes amateurs ne manquent pas de se photographier dans les reflets d’un Reflex de granit.
Auteur de nombreux livres aux titres engageants : «  Sous les pavots la tombe », « La croix pour l’ombre »… Les références ne manquent pas pour un tour avec retour depuis l’au-delà en compagnie de Dante. Ont-ils croisé Anubis maître des nécropoles ?
Les livres d’Ariès, Barthes et Baudrillard ont guidé  l'ancien professeur de français dans un ciel chargé en anges de la mort :
Uriel frère de Lucifer, Azraël  présent dans la tradition hébraïque et musulmane.
Les dieux psychopompes comme Hermès conduisant vers Hadès, avaient eu bien du travail comme « l’Ankou » pour les Celtes et Charon pour les Grecs anciens.
A « Gènes » une statue pourrait donner le sentiment de souhaiter rejoindre la disparue
alors qu'un drap soulevé n’abolit pas le mystère
.
A « Venise » la belle au bois dort.
Les fils reconnaissants, les maris exemplaires ont souvent l’épitaphe poétique 
à inscrire sur cénotaphes, hypogées, ou tombeaux.
Dans la commune « Les Salles-du-Gardon » la sentence vaut pour tous.
Dans le cimetière St. Sebastian à
« Salzbourg » les chérubins marchent sur les crânes 
et des vers sortent par les orbites.
Le défunt dans son dernier face à face doit retrouver les saines couleurs de la vie.
Des baisers frémissent à Milan, 
un cortège accompagne le défunt pour toujours à « Séville ».
Le silence s’impose à « Bruxelles »,

mais des maisons de conte de fées sont construites dans le « cimetière des plaisirs » 
de « Lisbonne »
Un cimetière a pu s’écrouler à « Naples »
alors que « Londres » la ville tentaculaire conserve quelques lieux de repos charmants.
Si Internet ne recèle que certains clichés proposées ce jour là,
les couleurs prélevées sur la toile du « Cimetière Joyeux de Săpânța » en Roumanie rappelant la profession du défunt et les circonstances de sa mort sont plus guillerettes
que le phallique cactus sur la tombe de Siné même si la formule l’accompagnant :  
« Mourir, plutôt crever! » ne manque pas de vigueur. 
Victor Hugo, c’est quand même autre chose :  
« Ce n'est rien d'être mort, il faut avoir des rentes.
Les carcasses des gueux sont fort mal odorantes ;
Les morts bien nés font bande à part dans le trépas ;
Le sépulcre titré ne fraternise pas
Avec la populace anonyme des bières ;
La cendre tient son rang vis-à-vis des poussières ; »
Ce couple du
« Cimetière Montparnasse »,
croisant Eros et Thanatos dans leurs bourgeoises tenues, pourrait résumer la diversité des professions représentées, des artistes honorés, des athlètes immortalisés dans la pierre de tous ces champ du repos. 

mercredi 30 octobre 2024

Le funambule. Jean Genet Philippe Torreton.

Le début de saison à la MC2 se tient sur un fil.
Loin de la recherche de beauté du chorégraphe qui l'a précédé dans une salle plus prestigieuse, le célèbre acteur a mis en scène le texte sombre de Genet, dont il dit lui-même que c’est un auteur difficile « sans désir farouche d’être entendu » mais qu’il « veut enflammer ».
Eh bien malgré les grands noms sur l’affiche, aucun incendie à signaler.
L’histoire d’amour entre le poète et un funambule se réduit à un monologue.
La vérité résiderait dans la silencieuse prestation corporelle du fildefériste souffrant, les mots pourtant insistants étant proférés dans le vide. La musique apporte un brin d’émotion sans être envahissante et le décor déglingué dit bien l’abandon et les solitudes.
Nous avons applaudi l’acteur en « dompteur d’acrobate », le circassien virtuose, le musicien multi instrumentiste, qui ont fait leur boulot. 
Mais est-ce Torreton à la diction trop dure et emphatique où le texte et ses mots impuissants, pathétiques, qui supporte mal l’oralité qui ont rendu ce spectacle rugueux, obscur?  
Les paillettes poétiques en introduction sont oubliées au bout de l’heure et quart quand la mort invoquée métaphoriquement est au rendez-vous. 
D’instructives notes d’intention signalent  la difficulté de l’entreprise : 
« … notre inconfort face à Jean Genet, notre difficulté à le cerner, cette façon qu’il aura en toute sa vie de nous faire comprendre que nous nous sommes assis à sa table, sans lui demander sa permission. »

mardi 29 octobre 2024

Akissi de Paris. Abouet, Sapin.

La scénariste de « Aya deYopougon » (quartier d’Abidjan) 
a rencontré le chroniqueur de la République Française
Akissi regrette son Afrique lorsqu’elle découvre son collège parisien.
Elle porte un regard original sur la ville où elle vit chez son oncle alors qu’est mise en évidence l’étrangeté de certains fonctionnements tant du côté ivoirien que français.
Si la façon de traverser les rues, le climat, étonnent la petite fille, ce sont les rapports humains qui sont les plus déstabilisants : phénomènes de groupe et harcèlement scolaire.
Le bon élève boloss, le beau gosse, la suiveuse participent à une intégration dans un monde cruel, sous des traits souriants.
Les personnalités évoluent tout au long des 70 pages vives et colorées pour notre plaisir.

lundi 28 octobre 2024

Sauvages. Claude Barras.

Nino 11 ans :
Le film Sauvages dénonce la déforestation de Bornéo pour planter des palmiers qui feront plus tard de l’huile de palme. Ce film m’a beaucoup touché et je me dis qu’il y a des gens qui coupent des arbres où habitent des orangs outans qui n’ont rien demandé et qui veulent juste vivre leur vie tranquillement. Le peuple nomade appelé Penan défend la jungle.
C’est décidé : JE NE MANGE PLUS DE NUTELLA !
Mon personnage préféré : Oshi le bébé orang-outang.
 
Pour les vacances d’automne - on ne dit plus vacances de Toussaint - le film d’animation recommandé cette année se déroule dans l’île de Bornéo où la forêt primaire est menacée.
La dénonciation de la perte de la biodiversité par le réalisateur d’ « Une vie de courgette » est bien sûr légitime, mais avec finesse, il va au-delà de l’interrogation facile : qui sont les sauvages ? 
Le méchant de l’histoire pose le problème de la responsabilité des consommateurs du monde avec de gentils autochtones non dépourvus de contradictions.
Presque tous les protagonistes ont de grands yeux attendrissants mais les rapports entre les personnages bien typés évoluent, les mentalités changent.
La chanson de Balavoine nous accompagne après une heure et demie de belles images. 
« Comme un fou va jeter à la mer
Des bouteilles vides et puis espère
Qu’on pourra lire à travers
SOS écrit avec de l’air
».

samedi 26 octobre 2024

Eugénie Grandet. Balzac.

Merci aux prescripteurs de jadis d’avoir mis tout en haut de la liste des livres à lire ce chef- d’œuvre, dont je viens d’apprécier cinquante ans après toute la force et les finesses.
Roman de la passion de l’argent pour le père Grandet et celui d’un amour essentiellement imaginaire de sa fille pour son cousin. 
« Les avares ne croient pas à une vie à venir, le présent est tout pour eux. Cette réflexion jette une horrible clarté sur l’époque actuelle, où, plus qu’en aucun autre temps, l’argent domine les lois, la politique et les mœurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout conspire à miner la croyance d’une vie future sur laquelle l’édifice social est appuyé depuis dix-huit cents ans. Maintenant le cercueil est une transition peu redoutée. L’avenir qui nous attendait par delà le requiem, a été transposé dans le présent. » 
L’avarice du « bonhomme » est aussi mythique que celle d’Harpagon, son habileté diabolique lui a assuré une fortune colossale. 
Des dialogues succulents mettent en valeur un personnage de méchant plein de verve, très moderne. 
« - Faudra que j’aille à la boucherie.
- Pas du tout ; tu nous feras du bouillon de volaille, les fermiers ne t’en laisseront pas chômer. Mais je vais dire à Cornoiller de me tuer des corbeaux. Ce gibier-là donne le meilleur bouillon de la terre.
- C’est-y vrai, monsieur, que ça mange les morts ?
- Tu es bête, Nanon ! Ils mangent, comme tout le monde, ce qu’ils trouvent. Est-ce que nous ne vivons pas des morts ? Qu’est-ce donc que les successions ? »
 
Condition féminine et servitude, Province/Paris, spéculation, mobilité professionnelle et désillusions … la narration s’accélère une fois le décor planté et que la psychologie des personnages se dévoile, évolue.
Faut-il protester de la modernité du texte pour faire valoir son plaisir de vieux lecteur, quand les descriptions littéraires ne sont plus à la mode, alors qu’on se régale de films de trois heures et de séries en quatre saisons ? 
 Des expressions archaïques peuvent dire au plus près le moindre geste : 
« Le père prit ses gants au bord de son chapeau, les mit avec son calme habituel, les assujettit en s’emmortaisant les doigts les uns dans les autres, et sortit. » 
La précision balzacienne vaut toutes les lunettes immersives. Quel support peut mieux mettre en valeur la profondeur des portraits de l’auteur de la comédie humaine dont la densité est palpable dans une édition concentrée en 180 pages ? 
« … ce peintre, amoureux d’un si rare modèle, eut trouvé tout à coup dans le visage d’Eugénie la noblesse innée qui s’ignore ; il eut vu sous un front calme un monde d’amour ; et dans la coupe des yeux, dans l’habitude des paupières, le je ne sais quoi divin… » 
De l’amour perdu naissent des images fortes :  
« Le vaisseau sombrait sans laisser ni un cordage, ni une planche sur le vaste océan des espérances ».
La vie est encore plus tragique lorsqu’elle se condense en mots essentiels : 
« Mes enfants, disait madame Grandet, je ne regrette point la vie. 
Dieu m’a protégée en me faisant envisager avec joie la fin de mes misères. »