samedi 24 février 2024

Une certaine inquiétude. François Bégaudeau Sean Rose.

L’auteur de « La devise » aux « Solitaires intempestifs » dialogue avec l’auteur du « Meilleur des amis » à propos de la foi chrétienne.
Bégaudeau est athée bien que : 
« Athée ne me va pas, je déteste la gloriole sans risque de ceux qui brandissent cette étiquette comme un coupe de vainqueur. Agnostique m’agace. Et croyant serait usurpé. Sortirai-je un jour des limbes ? » 
Bien des mots comme « spiritualité » sont examinés avec exigence en 280 pages.
Lors de cet échange de lettres très riche, courtois, parfois rude, l’amitié appelle la vérité et Sean Rose est plutôt charitable face au passionné auteur de « L’amour » avec lequel je me suis rabiboché.
Tout commence par une histoire de transmission avec citation de Kipling voisinant avec Pascal, Bernanos, Simone Weil et la bible, pour aborder la grâce, l’incarnation, le vide, les larmes, la pauvreté, l’amour, les rites… 
« Si tu veux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu veux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront…
Tu seras un homme mon fils. » 
Parmi tant d’autres références de chanteurs, de cinéastes, les exemples concrets ne manquent pas et puisque la littérature assure le pain quotidien des deux confrères, il est question aussi de création : 
« …lorsque je parle de l’égo de l’auteur comme sève de son travail et partant d’une manière de lyrisme, je préciserai que  j’entends ici le moi comme prisme plutôt que comme miroir. »
 Il n’y a ni vainqueur ni vaincu mais un approfondissement de leurs croyances perplexes. 
« Peut-être qu’à la fin les chants à la gloire de Jésus, notre Seigneur, notre tendre ami, s’éteignent dans le néant glacé des tombeaux.»

vendredi 23 février 2024

Sémantique.

Peut-on percevoir des signes annonciateurs de l’omnipotence de l’intelligence artificielle et de la venue au pouvoir de l’extrême droite ? Sait-on voir ce qu’on voit ? A défaut de penser, on se pince.
Sur nos sols artificialisés, tant de paroles préfabriquées encore discernables sonnent faux.
A la surface des réseaux sociaux, en dehors de quelques phrases jetées en réaction, rares sont les pensées personnelles construites d’individus se disant libres pourtant alors qu’ils n’ont que leur nombril comme horizon. Inutile d’insister sur l’inflation des cœurs artificiels pixélisés.
Dans les débats, l’affirmation de soi passe essentiellement par la dénonciation de l’autre et de son registre sémantique.
Ainsi l’emploi des mots «  sécurité », « nation », « laïcité », « travail », « mérite », « équilibre budgétaire »… donnent droit à réduction sur le ticket à destination du goulag.
Je fus dans le parti dont Faure est le liquidateur, mais je constate chez ceux qui se réclament de gauche, sans avoir jamais tendu le moindre tract en pleine bise, une fâcheuse tendance à privilégier l’étude malveillante des textes d’en face plutôt que la production d’une écriture propre. Encore eut-il fallu porter sur soi le même regard sans concession que celui qui débusque la bête immonde dans les propos d’autrui. Pour des motifs tactiques P.S. et EELV ont ouvert la boîte de Pandore des mesures visant à réguler l’immigration, LFI se lèche les babines le thème de la prochaine manif, c’est cadeau.
Les femmes se dévouent les soirs de défaites électorales, mais les échecs se sont masqués sous « le bruit et la fureur » et le destin du parti socialiste à devenir un autre parti « radical » n’a pas été contrarié par des accords opportunistes : une poignée de sièges pour préaux déserts.
Habitués à battre leur coulpe, les cathos de gauche dont le premier terme vacille et le deuxième s’efface, étaient plutôt engagés dans cette démarche d’âpre lucidité, ils sont devenus inaudibles. Cette indigence est le résultat de l’indulgence envers les glissements progressifs à l’œuvre à l’école depuis si longtemps. Le nombre d’heures de français décroit sans cesse, avec dissertations en voie de disparition et démonstrations en mathématiques défaillantes. Un formalisme comptable s’est installé en tous lieux au détriment d’un esprit critique nuancé, argumenté.Il est loin le temps où le citoyen se constituait dans l’écriture patiente de rédactions à l’évaluation certes bien plus subjective que des QCM en batteries, mais il pouvait trouver dans des découvertes persévérantes, personnelles, contradictoires, sa voie vers l’authenticité.
Dans un monde peuplé essentiellement de victimes, les dispensateurs de bonheur, même à ceux qui n’ont rien demandé, ne manquent pas de clientèle. Ils en arriveraient à se réjouir de l’injustice quand  les déclinologues ne sont pas les seuls à prospérer sur le malheur. 
« C'est le déclin quand l'homme se dit “Que va-t-il se passer ?”, 
au lieu de dire “Que vais-je faire ? »Jacques Chirac.

jeudi 22 février 2024

L’étendard de la marginalité. Serge Legat.

A l’issue de sa série de conférences devant les amis du Musée de Grenoble à propos des « artistes maudits » le conférencier a cité Voltaire en contre point : 
« J’ai décidé d’’être heureux parce que c’est bon pour la santé ». 
Mais combien de peintres ténébreux se sont plutôt conformés à se déclarait Millet : 
« Je ne veux point supprimer la souffrance car c’est elle qui fait s’exprimer le plus énergiquement les artistes.»
Le titre « Homme et femme » de Pollock relie les corps à leur abstraction. 
Pourtant reconnu comme « le plus puissant peintre d’Amérique », sa notoriété n’a pas apaisé des relations conflictuelles avec le marché de l’art, avec son art.
« Numéro 25 » Le nom de Jackson Pollock est attaché à la technique du « dripping » inventée par Janet Sobel 
Sur une très grande toile il laisse goutter la peinture en ne laissant pas un espace de libre.« Emergence » Cette superposition des couches pose d’ailleurs des problèmes de conservation des œuvres.Inspirées par les traces sur le sable laissées par les indiens navajos lors de cérémonies rituelles, le geste est primordial pour les adeptes de l’« action painting ».
Le solitaire timide a lutté toute sa vie contre son alcoolisme, protégé par sa femme Lee Krasner qui a sacrifié sa carrière d’artiste à l’homme qu’elle admirait. Elle a eu une influence importante sur son parcours y compris après l’accident de voiture fatal à son mari et à une de ses maîtresses.
Le cinéma na pas manqué de s’inspirer de la vie de Van Gogh, figure emblématique de l’artiste maudit, qui en plus de quelques dessins n’a vendu de son vivant que « La vigne rouge ».
Vincent est né juste un an après son frère Vincent, mort à la naissance. Avant de se suicider, il venait d’être parrain de l’enfant de son frère Théo, marchand de tableaux … prénommé Vincent pour lequel il avait peint
«  Branches fleuries d’amandiers »
le premier arbre à fleurir au printemps.
« Paysan et paysanne La plantation de pommes de terre »
« Le peintre en sabots » comme le surnommait Millet va rejoindre Arles, «  Le Japon Français », sur les conseils de Toulouse Lautrec. Il a l’ambition de monter « l’atelier du midi » pour travailler avec d’autres.
« La maison jaune »
 https://blog-de-guy.blogspot.com/2013/10/gauguin-chez-van-gogh.html
Devant son portrait par Gauguin, qui correspondra avec lui après leur dispute après deux mois de compagnonnage, il dira :  
« C'est bien moi, mais moi devenu fou ».
« Autoportrait à l'oreille bandée »
Il fait confiance à ses médecins demande d’être hospitalisé à Saint-Rémy-de-Provence,  
« La nuit étoilée ».
Deux chemins divergent dans « Champ de blé aux corbeaux » 
présenté longtemps comme son tableau ultime,
alors qu’à son dernier jour, il a peint « Racines d’arbres » pour lesquelles, il avait écrit à son frère lors d’une étude : 
«  Je voulais exprimer, tant dans cette figure de femme blême et mince que dans ces racines noires et bougonnes avec leurs nœuds, quelque chose de la lutte pour la vie. »
« À la porte de l'éternité »
Le fascinant Nicolas De Staël a beaucoup posé pour les photographes. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2008/12/nicolas-de-stal.html
Son économe « Vue de Cassis », un de ses premiers travaux, saisit l’essence du paysage. 
« Le doute chez moi est passion et la passion un devoir, une tâche, une chose simple à accomplir. Le reste est la folie pure de l’Art. »
« En septembre 1950, à l’occasion de l’acquisition de « Composition » par le Musée national d’art moderne, Nicolas de Staël (Saint-Pétersbourg 1914-Antibes 1955) remercie Bernard Dorival, son directeur, de l’avoir écarté du « gang de l’abstraction » et lui demande de ne pas accrocher le tableau dans la salle des abstraits. »
Libéré du « ton local », lors de son voyage en « Sicile » 
(Titre du tableau du musée  de Grenoble) 
avec femme, enfants et sa maîtresse, sous le soleil violent, il atteint le sommet du dépouillement.
Il triomphe aux Etats-Unis, pays qu’il n’aime pas, et se suicide parce « qu’une femme désirée se refuse à lui, et qu'une gloire non désirée s'offre à lui ». « Marine à Dieppe »
Egon Schiele
, l’expressionniste, remarqué très jeune, à qui tout sourit, se met en scène comme artiste maudit, ami des marginaux.
Rimbaldien dans « Autoportrait avec chemise rayée ».
« Autoportrait avec le bras de fer dessus de la tête »
angoisse.
Il provoque : « Femme assise avec jupe relevée » 
« Je me fais une publicité terrible avec mes dessins interdits. »
Accusé d’atteinte aux bonnes mœurs, il fit un mois de prison. 
« L’artiste ressent aisément la grande lumière tremblante, la chaleur, le souffle des êtres vivants, l’émergence et la disparition. »« L'Étreinte (couple d'amoureux II) »
L’enfant du peintre représenté dans « La famille » ne verra pas le jour, sa mère est morte de la grippe espagnole en 1918, trois jours avant  son père
Egon qui a alors 28 ans.

mercredi 21 février 2024

Youn Sun Nah.

Je ne savais rien de cette chanteuse coréenne, chevalier des arts et lettres de la République Française, vedette du jazz vocal, qui remplit les salles dans le monde entier. Suivie par un public fervent, j’ai compris cet engouement pour une expression vocale d’une souplesse extraordinaire.
La  fausse blonde semblant ingénue remercie le public de sa petite voix entre une reprise de Tom Waits dans le rauque et les graves et un envol dans les aigus les plus pointus.
Elle sort d’une boite à musique un accompagnement délicat et la salle reprend avec délicatesse  « Killing me softly with his song » « Me tuant doucement avec sa chanson ». 
J’ai souffert une fois encore de ma méconnaissance de l’anglais et regretté qu’il n’y ait pas de traduction, mais finalement j’ai fait davantage attention aux inflexions du chant et compris que la voix est partie prenante de l’orchestre.
Elle valorise sans démagogie son pianiste, son guitariste, son contrebassiste qui ont l’occasion plus d’une fois de faire valoir leur talent personnel.
Le frenchie est transpercé quand au rappel, elle interprète « La » chanson de Ferré sans accent, sans surjouer, avec justesse : 
« Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
Même les plus chouettes souv'nirs ça t'a une de ces gueules
A la Galerie j'farfouille dans les rayons d' la mort
Le samedi soir quand la tendresse s'en va tout' seule. »

mardi 20 février 2024

Les illuminés. Dytar Bollée.

L’image de Rimbaud est peut être plus célèbre que ses écrits qui ont marqué pourtant durablement l’histoire de la littérature. 
La bande dessinée naturellement a souvent narré sa relation avec Verlaine.
Cette fois il s’agit des aléas de la publication des « Illuminations » recueil d’une cinquantaine de poèmes en prose et quatre poèmes en vers non rimés où entre en jeu Germain Nouveau.
Verlaine polit les mots, Rimbaud est traversé par eux, Nouveau les recopie, chacun est torturé. 
« Consolons-nous de l'absent par l'absinthe ! » 
L’absent c’est le jeune homme dont les deux autres ont reconnu le génie que ces 150 pages donnent envie de relire en étant sûr de le découvrir encore. 
« Éternité
Elle est retrouvée.
Quoi ? 
L'éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil. » 
La présentation originale en bande horizontale de vibrantes peintures sépias, mettant en présence les protagonistes dans leurs existences particulières, se croisant parfois, rend passionnant cet épisode de la vie bohème de la fin du XIX° siècle.
Cézanne, chercheur de vérité, apparaît dans les relations tumultueuses de ces trois poètes tourmentés, avides de liberté. 
« Enfin, je crois que la liberté, c'est comme l'horizon. 
Ce n'est qu'un mot. Sans réalité tangible. »

lundi 19 février 2024

Le Dernier des Juifs. Noé Debré.

Traiter légèrement un sujet difficile annoncé par un titre explicite aurait pu présenter quelques attraits ; le résultat s'avère insipide. 
Le jeune homme lunaire ment systématiquement comme la voix off le précise, au cas où on ne l’aurait pas compris, mais sa construction d’un monde imaginaire n’est pas intentionnelle ni aussi originale et bienveillante que dans « Good by Lénine » souvent cité dans les commentaires. 
La crédulité de la mère malade semble avoir ses limites et constitue dans ces ambigüités pour moi l’intérêt essentiel de cette heure et demie. Finalement on se demanderait pourquoi il doit partir, l’anti sémitisme étant seulement évoqué par un réparateur qui ne veut pas intervenir à la vue d’une mezouzah installée dans l’encadrement de la porte d’entrée et des inscriptions que le fils cache à sa mère. 
Il entretient de bons rapports avec ses voisins et quand il ne trouve pas de poulet casher, la boucherie hallal fera l’affaire. 
Film dépourvu de rythme, plus mélancolique que drôle, les amateurs d’humour juif souvent plein d’auto dérision et d’impitoyable finesse, risquent d’être déçus. Le droit à la différence, la tolérance deviennent des mots usés et nos sourires se figent quand des citoyens français ne peuvent plus vivre tranquillement là où ils sont nés.

samedi 17 février 2024

Leçons. Ian McEwan.

Comme je n’étais pas allé au bout de « Veiller sur elle », dernier Goncourt, car je trouvais que les personnages manquaient d’intériorité, j’ai été d’autant plus transporté par Ian Mc Evan qui sait, lui, insérer les destins individuels dans l’Histoire.
Une foule de personnages s’abandonnent au déterminisme ou le contestent, depuis la seconde guerre mondiale jusqu’au Covid, avec crise autour du canal de Suez, missiles à Cuba, Tchernobyl, chute du mur, Brexit ... 
Bien des péripéties sont singulières : une femme abuse d’un garçon et une mère abandonne son bébé, cependant nous nous sentons concernés.
Roland Baines et toutes celles qu’il va rencontrer, ses ancêtres et ses descendants nous émeuvent, riches de leurs ambigüités.
Devant le siège en ruine de la Gestapo à Berlin : 
« Sa propre cellule carrelée de blanc - une leçon de piano, une histoire d’amour prématurée, des études ratées, une femme disparue - était une suite luxueuse en comparaison. »
Pour ce roman dense, bien agencé où l’émotion stimule la réflexion, l’auteur a puisé dans sa propre vie des éléments qui en font toute la profondeur.
Il parle du style de celle qui a quitté sa famille pour la littérature : 
« La prose était magnifique, limpide, souple, le ton empreint d’autorité et d’intelligence dès les premières phrases. Le regard semblait à la fois d’une impitoyable exactitude et plein de compassion. Dans certaines scènes les plus crues, il y avait un sens presque comique de l’impuissance et du courage des humains. »  
C’est de lui dont il est question.