lundi 12 février 2024

La Ferme des Bertrand. Gilles Perret.

Ce documentaire de 2023 avec son été de canicule, est enrichi d’un premier film tourné en 1997, quand la pluie retardait la récolte du foin, avec des images télévisées de 1972 par Marcel Trillat saisissant trois frères célibataires qui ont fondé l’exploitation haut savoyarde vouée au Reblochon, « faisant tout avec rien ».
Histoire de transmission, depuis ces « tontons » fiers de ce qu’ils ont accompli bien qu’ils auraient pu choisir une autre voie, jusqu’à la génération qui ne « touche plus un manche » dont les enfants familiers du fonctionnement de la ferme semblent prêt à prendre une relève qui ne leur sera pas imposée. 
Au-delà du travail bien fait quand le roto fil remplace la faux pour toujours faire propre autour des arbres, nous voyons des visages disparaître, des dos se plier, en 50 ans de vie dans un site magnifique. Le réalisateur respecte l’intelligence, la drôlerie, l’honnêteté de ses voisins et nous livre de belles séquences sans appuyer : la naissance et le nourrissage des veaux, la  première sortie de l’étable au printemps, la montée à l’alpage, les vaches appelées par leur nom dont le collier magnétique relié à l’ordinateur leur livre une dose personnalisée de tourteaux, le ramassage du foin en terrain pentu et le soin pris pour ne pas laisser les feuilles de trèfle trop sécher, de quoi bien mériter son AOP.
Ce film d’une heure et demie est fidèle à ses personnages tournés vers l’avenir,et s’il n’est pas aussi bouleversant que Depardon dont la nostalgie est mienne, 
nous voyons pendant une heure et demie un beau travail.

samedi 10 février 2024

La prochaine fois que tu mordras la poussière. Panayotis Pascot.

Livre agressif et intéressant, où l’auteur « vu à la télé», « pervers narcissique » et dépressif ne ménage personne, même pas lui même. 
« Je suis ce gamin de colonie un peu sadique, je te demande de m’accompagner tout en haut du plus haut caillou près du lac et je te dis : À trois, on saute ! Un… Deux… Toi tu sautes, pas moi. Je reste sur le caillou moi, tout en haut, tout au sec, et je rigole en te pointant du doigt. »
Une écriture paraissant sincère parce que crue, peut cannibaliser ses relations multiples avec amantes et amants et classiquement avec le père forcément tyrannique.
Au-delà de cette autobiographie cathartique, où confit avec papa, aveu de l’homosexualité et dépression, deviennent des classiques du genre, peuvent se confirmer des relations sociales contemporaines toujours sur la défensive. 
«Je viens d’une famille où on se laisse pas faire. Toujours râler parce qu’on peut râler, demander parce qu’on peut demander, exiger quand il faut exiger, s’énerver quand il y a de quoi. Mais ne pas douter, ne pas baisser le ton, surtout pas les yeux, ne pas accepter ce qu’on te dit, ce qui est écrit, ce sont de bien jolis mots faits pour bien te détendre, pour que tu te fasses bien enculer. » 
Ces 230 pages se lisent d’un trait, comme on « scrolle » en suivant quelques stand-uppers.
Les trop nombreux gros mots en arriveraient à donner envie d’aller voir d’autres témoignages d’écrivains de jadis pudiques, subtils, et profonds.
Les contradictions du jeune auteur, sa quête fiévreuse de l’authenticité laissent deviner pourtant des non-dits malgré un déboutonnage des plus complets, trop aguicheur pour convaincre totalement.  

vendredi 9 février 2024

« Meuh ! »

La mention de mon arbre généalogique avec sa kyrielle de laboureurs dauphinois ne peut constituer un argument d’autorité, tant les métiers de la terre ont changé.
Cependant je peux essayer de m'interposer face aux donneurs de leçons qui ne savent pas distinguer un épi de seigle d’un épi de blé, suivant les critères de compétence de mon grand-père.
Je sais qu’il ne subsiste plus qu’une pincée d’éleveurs dans mon village alors qu’ils étaient hégémoniques dans les années 60, heureux comme mon père avec ses sept vaches.
Je vais les voir au cinéma et les odeurs qui remontent à ma mémoire ne sont pas seulement celles du foin coupé, quand on a été élevé « au cul des vaches ».
Dans l’impitoyable défilé des images de flammes de la semaine chassant celles de la semaine précédente avant que d’autres oriflammes apparaissent sur nos écrans un soir d’élections, les démagogues ont léché les bottes de ceux qui ne veulent pas de réglementation, après avoir flatté ceux qui veulent nous régenter jusqu’au fond de nos frigos.
Depuis les portiques de Hollande pour taxer les camions, en passant par les révoltés du gasoil et de la limitation de vitesse, les décideurs se sont trouvés bien seuls ; les vertueux verts se faisant exceptionnellement discrets, bien que les recommandations écologiques n’aient guère cessé avec une efficacité relative pour prôner la voiture électrique alors que les SUV pullulent.
Quant aux tracteurs électriques : voir au rayon tondeuse à gazon.
Nos paysages sont-ils condamnés à la scission entre des plaines sans arbres et des collines abandonnées par les troupeaux où gagnerait encore plus la forêt?
La dichotomie est elle fatale entre industriels de l’agro-alimentaire voués à assurer la souveraineté dans nos assiettes et jardiniers assurant à proximité la bonne conscience des habitants de leur hameau avec au désherbage quelques migrants supplétifs de ceux qui veulent garder les mains propres et ne pas courber le dos ?
Quand la profession d’enseignant encore prestigieuse m’a tendu les bras : je n’avais plus à mentir comme dans mes années collège lorsque « pagu » sonnait comme « blédard ». Profession des parents : « propriétaires » mentionnait mon voisin bouseux.
Déjà à cette époque, la FNSEA représentait des situations tellement diverses au profit des « gros » mettent en avant ceux qui sont loin en dessous du SMIC .
Le monde de la campagne présenté comme conservateur s’est adapté à grande vitesse aux nouvelles technologies quand la laitière numéro 83 reçoit sa dose personnalisée de tourteaux par ordinateur interposé.
Finalement, il vaut mieux que les écolos en restent à leur « booty therapy » ou thérapie des fesses, plutôt que d’énerver tout le monde. Ils hystérisent les débats mais se taisent en temps de crise. Quelles étaient leurs solutions pour répondre à la colère paysanne ?
Les pauvres biquets se parfumant au cocktail Molotov auraient bien aimé que les prolétaires de la sécurité foncent dans le tas… de fumier.
Après coup, les éditos transversaux et si confortablement transgressifs vont fleurir de la part d’universitaires bien en chaire et hors sol, sans tenir compte des avertissements à eux adressés : leur radicalité a appelé d’autres outrances qui accélèrent le rabougrissement de la bio diversité. Se caricaturant eux-mêmes dans leur vision manichéenne du monde (agricole), ils sont comme ceux prétendant connaître le football parce qu’ils avaient vu la marionnette de Papin aux guignols de l’Info. Ceux là, nous les avons tant aimés et pourtant ils ont contribué aux fractures culturelles: l’élite méprisant les « beaufs ».
Le court terme fait passer au second plan les mesures du moyen et du long terme ; d’ici dix ans, 1/3 des agriculteurs seront partis à la retraite. Alors que la part de l’alimentaire dans nos budgets était plus importante autrefois, il conviendrait de payer le prix pour favoriser une agriculture plus vertueuse.
Chaque fois que des décisions sont prises, il y en a toujours pour les trouver insuffisantes, mais nous avons appris récemment qu’on reprochait à la France d’avoir « surtransposé » des directives européennes. Les algues vertes sont moins abondantes en Bretagne, il serait pédagogiquement efficace de tenir compte des avancées.
Quand dans les bavardages autour de l’arboriculture, aviculture… et autres cultures, certains semblaient découvrir que 1% de la population nous nourrissait,  alors on peut trouver quelques citations plus roboratives :  
«  Il n’y a pas de plus méchant diable qu’un paysan qui devient seigneur. » Proverbe lituanien.
Je ne me lance pas dans une trilogie où après « Euh ! » vient « Meuh ! », évitant « Beuh » qui risquerait d’être encore plus fumeux que d’habitude.

jeudi 8 février 2024

Art et politique au XIX° siècle. Sybille Bellamy- Brown.

Le néo-classicisme aux racines venant du « grand siècle », reprenant la Renaissance inspirée de l’Antique, continue dans les salons pendant la révolution française.  
« Le serment du jeu de paume » de David
évoque son « Serment des Horaces » appartenant à l’histoire romaine depuis Corneille
ou « La Bataille de San Romano » d’Ucello aux armes enchevêtrées 
semblables aux corps disproportionnés des acteurs de l’Histoire.
La singularité des représentations prend appui dans l’actualité.  
Charles Thévenin 1795 « La prise de la Bastille ».
Les gravures, les sculptures adoptent le vocabulaire antique, Chinard « La République »,
l’architecture s’invente sur le papier : Boullée « Cénotaphe de Newton ».
Reboul, député de l’Hérault, a pu dire en 1795 :  
« détruire les statues, ce n’est pas, comme on vous l’a dit, détruire le despotisme, c’est détruire des monuments élevés par les arts et qui font honneur aux arts. Les artistes de toutes les nations vont étudier leur art devant les statues des Néron et des Caligula, qui ont été arrachées aux mains des Goths et des Vandales. Je vous demande si un peuple qui a l’amour de la liberté peut vouloir imiter la conduite des Goths et des Vandales »
« Alexandre Lenoir s'interposant devant les révolutionnaires à la basilique Saint-Denis »
Préservant le patrimoine et créant le musée des monuments français, le courageux artiste a contribué à la création d’une identité nationale dépassant les multiples changements politiques.
Depuis le « Passage des Alpes au Grand Saint Bernard » sur le dos d’un mulet loin de la  fière posture équestre, Napoléon s’est installé dans le récit national.
Il soignait sa communication, gardant les symboles du pouvoir antérieurs,
et conservait le sens de la mesure en demandant que disparaissent des allégories dans le ciel de la toile de David « Les soldats prêtant serment après la distribution des aigles ».
Le « Cuirassier blessé quittant le feu » peint par Géricault 
au moment de la destitution de l’empereur ne marque pas la fin de celui-ci.
« 
Napoléon sortant de son tombeau ». Horace Vernet. 
Louis Philippe fait revenir les cendres du « Petit caporal » en 1840. 
Bien que Daumier ait été enfermé plusieurs fois à la prison Sainte Pélagie pour ses caricatures du roi des français,  
« Gargantua » sur sa chaise percée, son trône, passera à la postérité.
C’est le temps de l’art troubadour, « François premier armant son petit fils » 
de Pierre Révoil, de l’intimité, de la petite histoire,
et aussi de la dénonciation  
« Scènes des massacres de Scio : familles grecques attendant la mort ou l'esclavage »
ou de la célébration des « Trois glorieuses » 
« La Liberté guidant le peuple » de Delacroix devenue une icône républicaine.
Violet Le Duc
en 1844 redonne à Notre Dame un éclat néo gothique venant d’être réhabilité par les romantiques : 
« Restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné » 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2023/03/notre-dame-de-paris-benoit-dusart.html
La France est bien la terre où est né le style gothique dont les allemands développent une philosophie inspirée aussi par la nature.  
« Cathédrale gothique au bord de l`eau » Schinkel.
Paris reçoit l’exposition universelle cinq fois en un siècle (1855, 1867,1878, 1889, 1900). Cette dimension  internationale va avec un enracinement régional où l’architecture se fait basque ou normande. 
« L'Alsace, elle attend » Henner
Napoléon III  ne verra que la façade de l’ « Opéra » Garnier à l’architecture de cour, cependant emblématique de son règne.
L’oncle tutélaire domine la scène du « Baptême du Prince Impérial » par Couture. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/02/design-et-architecture-laurent-abry.html
Dès 1871, Meissonier rend hommage aux morts lors du « Siège de Paris »
alors que va s’édifier le « Sacré Cœur » au style roman d’Abadie pour expier les fautes d’une France pécheresse, communarde.
Goethe : « Paris sera mon école, Rome mon université ».
D’autres influences traversent le continent, Akseli Gallen- Kallela, depuis la Finlande, « 
La Défense du sampo » et ses légendes Nordiques, 
alors que l’art Nouveau émerge à Barcelone concurrente de Madrid, à Nancy sur la nouvelle frontière, en Belgique pays neuf et que s’affirme l’Autriche Hongrie. 
« Les saisons » d’Alphonse Mucha. 
« Une œuvre d'art n'est jamais immorale. L'obscénité commence où l'art finit. » Poincaré.

mercredi 7 février 2024

Le grand Bal. Compagnie Dyptic.

On peut comprendre que le spectacle ne dure pas plus d’une heure tant est manifeste l’énergie  de la puissante troupe, nommée ainsi pour respecter le propos du journal de salle, où le collectif passe avant les individualités.
Pourtant danseurs et danseuses excellent chacun dans une chorégraphie inventive sur une musique envoutante et variée.
Leurs visages évoquant les sculptures de Messerschmidt murmurent ou arrondissent la bouche pour un cri inaudible comme dans un cauchemar.
Si les virtuoses du hip hop dont se réclament les auteurs Souhail Marchiche et Mehdi Meghari. se retrouvent souvent seuls, ce type de danse innerve tout l’ensemble.
Il serait question de transe réveillant des individus ankylosés par le confinement que je n’ai su bien percevoir, ne voyant pas l’intérêt d’une longue arrivée par la salle des acteurs. Cependant, la variété des séquences, tour à tour angoissantes ou joyeuses, emporte le public.

mardi 6 février 2024

Ce qui se conçoit bien. Manu Larcenet.

Comment j’ai pu ignorer que le second album de la série « Thérapie de groupe » était paru ?https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/06/therapie-de-groupe-manu-larcenet.html 
Mais qui mieux que lui pour le situer depuis « la Clinique des Petits Oiseaux Joyeux »?
« Jean-Eudes de Cageon-Goujon, alias Manu Larcenet, n'est plus... L'ex-star de la bédé mondiale, celui que tout le monde s'arrachait et adulait, a chu... interminablement. Comme une merde. » 
Sa crise de créativité est très créative : 
« Visiblement incapable de trouver une idée du siècle digne de ce nom, je passai directement de la case "incomparable génie de l'art séquentiel international"... ( selon le "Washington review of fancy comics") à celle d'"artiste fini"... (selon "le courrier communal de Brouilly-les-Ragondins"). »
Bien fourni en drogues, il s’éclate à l’atelier de dessins de l’hôpital psychiatrique, et autour de « L’ Albatros » de Baudelaire, rencontre Bosch et Bruegel, présente un débat entre Boileau 
« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. »  
et Nietzsche :« Il faut du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse ». 
Les dialogues fournis sont hilarants, et dans le foisonnement des dessins aux styles variés, les questionnements de l’artiste tourmenté vont au-delà des problématiques de l’histoire de l’art en nous faisant retrouver un auteur attachant.

lundi 5 février 2024

Making Of. Cédric Kahn.

Film dans le film, comédie dans la tragédie, faux documentaire sur le tournage d’une fiction racontant l’histoire romancée d’une vraie lutte sociale.
Cet emboitement est malicieusement construit avec banderole vintage où le mot autogestion apparaît, ça faisait si longtemps. 
Histoires de financement du tournage, de couples qui fatiguent et d’autres qui naissent.
Comment raconter la vie et séduire le public ? Est-ce que la condition d’acteur est comparable à celle des ouvriers ? Quelle fin choisir : les ouvriers fondent une SCOP ou perdent le combat ?Jonathan Cohen joue un leader d’assemblée générale, cabot parfait devant Denis Podalydès en réalisateur irrésolu bien secondé par une directrice de production Emmanuelle Bercot, une femme qui bien sûr assume les vérités difficiles à annoncer, contrairement à Xavier Beauvois le producteur fuyant, tous excellents ainsi que l’hystérique Souheila Yacoub et Stefan Crepon le pizzaiolo rêvant de cinéma.