jeudi 9 mars 2023

Camille Claudel. Gilles Genty.

Le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble s’est attaché à mettre en lumière l’originalité artistique de la sculptrice, 
occultée trop souvent par sa relation passionnelle avec Rodin auquel elle a offert des solutions inattendues ou sa folie progressive. 
« Portrait de Camille Claudel à 20 ans »  au Musée de Nogent sur Marne. 
La famille de trois enfants a suivi  là, le père nommé conservateur des hypothèques, « lieu de sa naissance artistique » où Alfred Boucher le fondateur de « La ruche » reconnaît son talent. Elle s’installe à Paris avec sa mère qui était plutôt réticente envers sa vocation alors que son père l’encourageait dans cette voie. Elle s’installe en colocation avec des anglaises tout en suivant des cours à l'Académie Colarossi.
« Le Portrait de Paul Claudel »
, son frère auquel elle vouait une grande admiration fut remarqué par Rodin et le baron de Rothschild.
« La Vieille Hélène »
, représente une des domestiques de la famille, 
les dessins préparatoires subsistants sont rares.
Rodin fut son modèle, son mentor, son idole, «  Camille au bonnet ».
« Quêtant inlassablement la perfection des gestes, des poses des effets de matière, elle est une travailleuse acharnée, perfectionniste parfois jusqu’à l’épuisement. »
Une des premières œuvres de Camille, la « femme accroupie » peut se rapprocher de celle de Rodin figurant dans l’ensemble des portes de l’enfer.
Dans les divers processus de création des éléments peuvent être repris, diminués, augmentés transposés.
Quand pour l’Opéra, Garnier choisit « La Pythie » de Marcello qui n’est autre qu’Adèle d’Affry, duchesse de Castiglione, celle-ci est soupçonnée d’avoir moulé son propre corps.
Sarah Bernhardt, l’actrice, était aussi sculptrice : « Autoportrait en chimère »,
son « Coupe-papier », inspiré par des algues, surprend par sa modernité.
Les jeunes femmes pouvaient accéder à « L'Académie Julian » avec ses six ateliers répartis sur Paris.
« Galatée » d’Auguste Rodin serait un hommage
à « La jeune fille à la gerbe » de Camille Claudel.
Le parallèle entre « Sakountala » et « L’éternelle idole » peut aussi être tracé.
Elle marche vers la modernité, son « Portrait de Rodin » allie naturalisme et expressionnisme
et plus encore avec « Clotho » la Parque qui tisse le fil de l’existence, 
« vieillarde gothique emmêlée dans sa propre toile ».
Rodin ne quittera pas Rose Beuret son premier amour. 
Ce moment est évoqué dans « L’Âge mûr » où la séparation est un long processus.
« La valse »
, autobiographique, a connu plusieurs versions :
« Cette Valse ivre, toute roulée et perdue dans l’étoffe de la musique, dans la tempête et le tourbillon de la danse » Paul Claudel, 1905. 
« Un haut et large esprit a seul pu concevoir cette matérialisation de l’invisible » Léon Daudet.
Le marbre monumental de Camille Claudel, « Persée et Galatée » a été taillé par François Pompon.
« Vertumne et Pomone »
représente « les amants parfaits ». 
Elle meurt à l'asile de Montfavet en 1943 à l'âge de 78 ans après 30 ans d’internement. 
«Tout cela crie, chante, gueule à tue-tête du matin au soir et du soir au matin. Ce sont des créatures que leurs parents ne peuvent pas supporter tellement elles sont désagréables et nuisibles. »

mercredi 8 mars 2023

Angoulême # 3

Nous ne gagnons pas directement l’autre rive, 
nous nous arrêtons d’abord au musée du papier installé dans l’ancienne usine de papier à cigarette « Nil » implanté en partie dans l’eau.
En bas du bâtiment, le musée propose une exposition sur l’énergie hydraulique s’étendant au milieu des roues à eau et des écluses de l’ancienne usine.
Des vitrines protègent des outils, des pièces mécaniques, ainsi que toutes sortes de papier. 
Nous pouvons aussi voir une vidéo sur la fabrication de cette matière à partir de tissus. 
Le 1er étage valorise  les créations en papier de tous genres.
Certaines nous surprennent comme ces bustes de Marguerite d’Angoulême ou de  François 1er qui imitent la pierre à s’y méprendre et nous restons admiratifs devant le petit manège d’un artiste australien tout en finesse, ou  encore devant ce jeune ado avec un cheval.
Nous changeons de musée pour celui tout proche de l’image, nommé Vaisseau Moebius.
Premier lieu à accueillir la cité internationale de la BD et de l’image, ce musée a perdu de son importance depuis que les chais Magelis le concurrencent  et il en devient presque la succursale. Il faut avouer que ce bâtiment tout en verre et armatures métalliques de l’architecte Castro vieillit, il marque son temps, tant par l’esthétique que par les matériaux ternis. Actuellement, une bibliothèque occupe ses locaux, et des expositions temporaires continuent de s’y tenir.
« Carnets de campagne »  à l’initiative de Mathieu Sapin est l’une d’elles. Ce dessinateur de BD a convaincu cinq autrices et auteurs (Kokopello, Morgan Navarro, Dorothée de Monfreid, Louison et Lara) de raconter les coulisses de la campagne présidentielle de 2022 en suivant chacun un candidat, à travers une soixantaine de planches et des pages de croquis.
Nous quittons la pénombre de la salle noire avec l’envie de nous dégourdir un peu les pattes le long de la Charente. Nous retraversons la passerelle Hugo Pratt jusqu’aux chais où nous découvrons un sentier arboré au bord de l’eau. Des gens se prélassent sur l’herbe, d’autres tentent la baignade. Lorsque l’environnement devient moins plaisant, nous changeons de rive grâce à la passerelle de Bourgines, nous flânons sur le quai besson Bey. Des cygnes blancs, d’autres bruns / gris et duveteux  barbotent et s’approchent  en quête de pain de nourriture  ou de compagnie voire peut être de soin pour celui dont le bec est transpercé par un hameçon dont il n’arrive pas à se débarrasser. Nous cherchons la FRAC, tellement insignifiante que même les jeunes de l’école presque mitoyenne n’en connaissent pas l’emplacement ! Il faut dire que pas grand-chose à l’extérieur ne laisse présager de son existence. A l’intérieur, un jeune homme  nous accueille, il a pleinement le temps de nous expliquer les expositions  dans des salles vides de public. Nous  appréhendons des œuvres :
- de Skart, un collectif de femmes serbes mêlant broderies et textes,
- de Kristina Solomoukha, ukrainienne,  proposant des paysages périurbains brodés au point lancé ,
- de Christelle Familiari exposant ses « objets en laine » qui se réduisent à des slips féminins et masculins tricotés ou réalisés au crochet avec des ouvertures bien placées pour favoriser des pénétrations sexuelles imaginés
- ou encore des cagoules tricotées.
- En dehors des ouvrages de dames, des vitrines hébergent des textes allemands recueillis par Agnès Geofffray dont il faut aller chercher la traduction sur un site du net et savoir qu’ils correspondraient à des messages subversifs glissés dans les poches des soldats germaniques en 1940.
- A l’étage  un film monotone s’éternise sur un champ travaillé par un tracteur, que nous ne regardons pas plus de 2 minutes.
- Les productions des autres artistes présentées, toutes femmes, Raymonde Arcier (Patriarcat) Fabienne Audéoud (shoes sales),  Vava Dudu, Nadira Husain Ingrid Luche, Béatrice Lussol Zora Mann et Roberta Marrero  suscitent encore moins notre intérêt.
Pour pallier notre déconvenue et retrouver un peu de légèreté, nous prenons la voiture afin d’accéder à trois murs excentrés  peints par des dessinateurs de BD: 
Boule et Bill, le guitariste de Loustal en plein rond- point
et les héros de la BD de Erro situés dans un quartier populaire.
Après cela, comme  l’heure de diner approche, nous regagnons le centre-ville, nous marchons entre les terrasses bondées d’amateurs d’apéro puis nous asseyons à notre tour au « Lieu-dit », face à une assiette de charcuterie et une assiette de fromage. Malheureusement la soirée ne se termine pas de manière très agréable, car le patron du restaurant se montre assez désinvolte et déplaisant suite à une panne de sa base de CB : contrairement à l’adage, le client n’est pas roi…
Nous nous accordons une promenade jusqu’au panorama derrière l’hôtel de ville, qui offre une belle vue en hauteur  sur la Charente et la rive opposée.
Nous en profitons pour dénicher encore quelques murs illustrés par les héros de notre enfance : Natacha, les coulisses du théâtre de Berbérian, le Baron noir, Pétillon, le buste en bronze de Hergé,
et éclairés Gaston Lagaffe et Prunelle bien planqués, inconnus des jeunes auxquels on s’adresse pour les localiser. Autre curiosité et hommage à la BD, partout dans le centre- ville le nom des rues s’affiche sur des plaques en forme de bulles.
Il est 22h30, nous rentrons.

mardi 7 mars 2023

La chair de l’araignée. Hubert/Marie Caillou.

Le dessin clinique et limpide rend compte avec efficacité du problème de l’anorexie.
Tout au long des 76 pages, face à cette violence, une empathie subtile peut naître à la description de l’hostilité à l’égard d’eux mêmes de deux jeunes qui se rencontrent au bas de l’immeuble de chez leur psy.
Leur rapport au corps, la confusion des genres, créent le malaise.
Cette façon de raconter qui prouve une fois de plus que la BD n’est pas que le pays de la rigolade nous oblige à regarder cette réalité doucement terrible, sans nous ensevelir sous des leçons. 
« Une anorexie représentait un suicide long et douloureux, peut-être une sorte d'appel au secours, un temps mort pendant lequel on réfléchit à ses propres raisons en les imprégnant de lucidité et en les parant de faux compliments. »
 

lundi 6 mars 2023

The Fabelmans. Steven Spielberg.

A la dernière image, on se dit vivement la suite, tant ces deux heures et demie sont passées agréablement. 
Cet auteur majeur, du temps où le cinéma était magique, nous concerne avec un récit personnel amenant à des questions universelles.
Le récit des évènements familiaux est vu à travers les différentes caméras que le jeune homme utilise avec bonheur, revenant sur les rapports à la vérité que les montages peuvent révéler, magnifier ou maquiller.   
Le père en scientifique explique la persistance rétinienne, la mère sentimentale court après un ouragan.
Au-delà d’un hommage au cinéma, dans ce film poétique et fluide aux lignes claires, les embuches sont surmontées par une foi humaniste qui permet aux rêves d'enfance de se réaliser. 
Un régal.

dimanche 5 mars 2023

Petit pays. Frédéric R. Fisbach.

Sur le net, les critiques de théâtre sont maigrichonnes, alors que celles de cinéma déchainent les passions et que pour les livres les avis sont variés.
Concernant ce spectacle, bien des annonceurs parlent surtout du livre remarquable, mais lorsqu’ils disent que le théâtre « donne corps au texte », je ne les suis plus. 
Les images projetées en fond sont justes car subtiles, mais les passages chorégraphiés esthétisent le drame. Les explications pédagogiques surchargent un récit qui a suffisamment de force pour nous interroger : tourments d’une famille et déchirements effroyables d’un continent. 
La recherche de paroles chorales est respectable, mais le peu de situations de dialogue au détriment de déclamations solitaires devenues la norme, alourdit le propos. 
La salle était d’ailleurs dubitative au bout de deux heures et je me suis retrouvé embarrassé entre mes voisins s’abstenant de tout applaudissement alors que malgré mes réserves, je battais des mains pour les acteurs investis.
Le succès du livre de Gaël Faye tenait à son originalité, et se dispensait d’asséner des explications univoques à propos du génocide des Tutsis.
Quand la démocratie est dénoncée comme un instrument du colonialisme, ce qui n’apparaissait pas d’une façon criante dans le livre, si mes souvenirs sont bons, mes écoutilles se ferment. 
Les assassins Hutus ne seraient que des élèves obéissants aux méchants allemands de 1885 et autres belges à leur suite?
Merci Wikipédia : 
« Au 1er janvier 2016, le Rwanda  occupe la 1re place en termes de progrès de développement humain sur les vingt dernières années, selon le dernier rapport (14 décembre 2015) des Nations unies; le « World Economic Forum », dans son dernier rapport sur la bonne gouvernance mondiale, estime que le Rwanda est le 7e pays le mieux géré de la planète. » 

samedi 4 mars 2023

Moderato cantabile. Marguerite Duras.

« Quand même, dit Anne Desbarèdes, tu pourrais t'en souvenir une fois pour toutes.
Moderato, ça veut dire modéré, et cantabile, ça veut dire chantant, c'est facile. » 
L’enfant apprend le piano et ne veut pas répondre.
A la fin de la leçon tendue avec madame Giraud, un cri provenant du café voisin théâtre d'un crime, va susciter la curiosité d’ Anne, la mère. Elle reviendra chaque jour interroger en vain un témoin énigmatique avec lequel elle vide de plus en plus de verres de vin.
Je me suis reposé avec ces 84 pages datant de 1980, de quelques épopées récentes aux écritures luxuriantes : 
« Le vent, ce soir est du sud. Un homme rôde, boulevard de la Mer. Une femme le sait. » 
Je sais où je suis et les 20 pages supplémentaires de commentaires de la presse nous en apprennent sur cette œuvre majeure et rappellent l’engouement d’alors autour du « Nouveau roman » avec un « N » majuscule comme la Mer ci-dessus : 
« Madame Bovary réécrite par Bella Bartok », « La caverne de Platon », « Une noix creuse »,« Un langage qui récuse la quiétude du savoir » 
A une époque, j’ai apprécié les parodies de ce style si caractéristique et maintenant j’aime ma liberté de deviner des destins, comme sur une place vide peinte par Chirico : est-ce un rêve, un cauchemar ?
Livre atmosphérique : 
« Dehors, dans le parc, les magnolias élaborent leur floraison funèbre dans la nuit noire du printemps naissant. Avec le ressac du vent qui va, vient, se cogne aux obstacles de la ville, et repart, le parfum atteint l’homme et le lâche, alternativement. »
 

vendredi 3 mars 2023

Soumis.

Quand je retombe sur des conneries que j’ai pu proférer du temps de ma jeunesse forcément péremptoire, je devrais avoir appris à modérer mes propos de papyboomer sans m’empêcher de relativiser les impératifs des bébés rois que nous avons fabriqués.
Dans mes revirements et autres affaissements idéologiques, je garde le goût du paradoxe et un taquin esprit de contradiction.
« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin  
où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. 
- Et je l’ai trouvée amère. 
- Et je l’ai injuriée. » Arthur Rimbaud
Pas plus qu’adepte du « jeunisme », je m’en voudrais de mériter le mot « insoumis », galvaudé par de vieux manouvriers soit disant bolivariens, aplatis devant les nouveaux Torquemada de la woke culture des campus nord américains. Ne se contentant pas d’être de distrayants aboyeurs alimentant la société du spectacle, les clowns haineux ont théorisé la Terreur et ne manquent pas de complices pour miner un peu plus notre République en exacerbant les passions mauvaises.
Si je ne suis pas seul à renier mes rêves de jeunesse, alimentant sans discrétion un révisionnisme finalement banal, je suis la pente de tous les renégats d’autant plus violents qu’ils ont tant aimés. Ségolène, je ne peux plus la voir, alors qu’elle m’avait tapé dans l’œil.
Mon indulgence s’était usée en des arguties acrobatiques, elle a viré en sévérité comme s’est  abimé le beau mot de fraternité ne s’appliquant plus qu’à des petits cercles loin de 
« Si tous les gars du monde 
Devenaient de bons copains 
Et marchaient la main dans la main 
Le bonheur serait pour demain »  
Crises climatiques, énergétiques, démographiques, culturelles se déroulent à l’échelle mondiale, et les fracas des guerres passent par-dessus les parapets de nos frontières. 
« L’Ukraine est entrée dans la nouvelle année comme dans une pièce sombre dont il est impossible d’allumer les lumières. » The Observer.
Les pitres d’ici peuvent rendre les armes aux héros de là bas.
Nous ne savons pas mesurer notre bonheur et ne voyons pas le malheur des autres, sinon pour les enrôler dans le vaste camp des victimes en tous genres.
Ce n’est pas faute d’être informés, ni de manquer de lucidité ni d’humanité, mais nous sommes tellement entourés d’objets prodigieux, que nos pensées, nos désirs deviennent de plus en plus magiques, oubliant la pesanteur et toute contrainte budgétaire.
Notre univers numérique impose ses logiques et nous fait tourner en bourrique, les kilomètres deviennent élastiques et les années s’anéantissent.
Pauvre école qui fut si sûre d’elle qu’elle se calcifia. Les fantômes des hussards noirs ne sont même plus mentionnés. Quand la rotondité de la terre est remise en cause, que reste-t-il à ceux qui ont échappé à la décapitation?  La crise de foi n’a pas touché que les curés et les transmissions sont brouillées ; le mot « enseignement », la position du « maître » ne se jouent plus que dans des fictions numériques à connotations moyenâgeuses. Les piques contre le travail scolaire ont érodé toute autorité, le couteau a remplacé le crayon.
- Allez Charlie dessine moi un stylo qui pleure.
- Je n’ai plus de papier, ma chandelle est morte.
La croyance en l’homme s’est muée en un discours benêt où l’on fait mine de croire à ses mensonges. Les versions douces des trumpistes n’en sont pas moins trompeuses ou dangereuses quand les défauts de l’âme humaine ne peuvent être envisagés par ceux qui sont du camp du bien et veulent votre bien malgré vous. 
Arrêtez de manger de la viande, de rouler, de skier, de vous baigner en maillot et accusez, le ciel, l’état, les autres…
« La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas » Baudelaire