jeudi 12 janvier 2023

De la nature. Sophie Bernard.

La conservatrice du musée de Grenoble présente aux Amis du Musée, l’exposition qui se tiendra jusqu’au 19 mars 2023. L’association a participé d’ailleurs au financement du catalogue où quatre artistes familiers des lieux donnent à voir leur rapport sensible à la nature. 
« Les liens vitaux qui se tissent entre moi et autrui, l’âme et le corps, le corps et le monde, l’homme et l’Être en vue de dépasser toute dualité, ces liens se tissent dans la « chair du monde » Merleau Ponti. 
Philippe Cognée, seul peintre parmi les quatre sélectionnés,  connu surtout pour ses vibrantes vues urbaines s’empare de la thématique environnementale.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2012/11/philippe-cognee-au-musee-de-grenoble.html
Vu du train, un « Champ de colza » est dématérialisé par la vitesse.
Des « fleurs épuisées, géantes écrasées »,  
« Amaryllis rouge »  d’un autre pays que le floral, incorporent la mélancolie.
La matière est essentielle, «  Etude pour un paysage tourmenté », quand remontent
aux frontières de l’abstraction des sensations de végétation primordiale depuis une enfance au Bénin. 
On ne voit que les os d’une « Forêt enneigée » privée de ses feuilles.
Autres « vanités », les « Châteaux de sable » sont voués à la disparition.
Cristina Eglesias
, à la jonction de l’architecture et de la sculpture, construit des motifs décoratifs en béton, fer, albâtre ou bois, dans un style néo baroque. « Passage II ».
Installant souvent ses labyrinthes en extérieur, en écho avec des institutions muséales, elle pose «  avec ironie et sensualité la question du rapport entre nature et culture ».
Si Cognée est du côté du feu, l’espagnole joue avec l’eau, «  
Sous un aspect de mastaba austère, le visiteur à l’intérieur est invité à rêver, le microcosme cristallin éveillant (peut être) l’inconscient.
Variant les formats depuis des plaques de cuivre rongées à l’acide « Hondalea Studies »,
elle a réinventé un phare désaffecté sur l’île de Santa Clara au large de San Sébastien.
Wolfgang Laib
, déçu par le rapport occidental au corps lors de ses études de médecine, s’est mis en quête de l’immatériel inspiré par les spiritualités orientales. 
Il présente un œuf cosmique, le « Brahmanda » en granit poli enduit d’huile de tournesol,
et un « carré de pollen de noisetiers » recueilli patiemment autour de chez lui en Allemagne. Des formes simples avec des matériaux essentiels, offrandes à la vie, s’inspirent du sacré. Ses dessins blancs sur fond blanc explorent les confins du visible.
Guiseppe Penone
, dans son rapport fusionnel aux arbres, benjamin du mouvement de « l’arte povera », révèle les énergies vitales à l’œuvre dans la nature.
« Vert du bois », il imprime la peau des végétaux sur des tissus de lin jouant de la confusion des règnes en une « vision tactile ».
Une végétation encore maigre fusionne avec des « Esprits de la forêt » en bronze aux allures d’écorce. 
Dans toutes ces représentations où souvent les hommes n’apparaissent pas, même si on peut peindre la mer avec l’eau de la mer ou s’imaginer être la forêt, les artistes nous rendent plus proches du monde. 
 « L’Assemblée immatérielle » Zazü
La responsable des collections du musée de Grenoble nous livre pour conclure un extrait de Gaston Bachelard plus fécond qu’une énième leçon d’écologie : 
« Dis-moi quel est ton infini, je saurai le sens de ton univers, est-ce l'infini de la mer ou du ciel, est-ce l'infini de la terre profonde ou celui du bûcher ? »

mercredi 11 janvier 2023

Brive.

Une nuit bien fraîche induit un petit matin à 15 / 17°: il est 7h30
Une douche et un shampoing (bio et peu mousseux) s’imposent, bien tonifiants pour la journée à venir. Nous savourons le temps consacré à boire notre thé sur la table en terrasse avant de ranger et  jeter un dernier  regard vigilant à notre cocon.
Après un adieu à notre logeur dont nous déclinons l’offre d’un café, nous retournons une dernière fois à Aurillac.
En effet nous désirons jeter un œil au marché aux fromages (fermé hier) parce que la plaque apposée le désignant comme l’un des seuls en Europe encore debout a aiguisé notre curiosité.
Son activité perdure, logiquement, puisque le fromage contribue à la notoriété et à la richesse du Cantal. Son aspect extérieur trahit son ancienneté ((1890), avec des améliorations apportées en 1933 comme la porte à fronton et le balustre; elles le requalifient par rapport à son passé d’abattoir.
Quant à l’intérieur, il nous déçoit : il comporte un magasin, des panneaux pédagogiques sur la production,  des bidons de lait décoratifs et un atelier de fabrication en fond interdit au public. Par contre, le passage central qui  traverse le bâtiment pour les véhicules motorisés des clients nous surprend et nous amuse : le drive avant l’heure !
Plus rien ne nous retient à Aurillac, nous  partons pour BRIVE LA GAILLARDE en empruntant la route nationale.
Nous ressentons la curieuse impression de descendre de façon continue sans arriver à nous souvenir à quel moment la route montait.
Nous traversons le pays, les villages, Forgès par exemple, possédant pas moins de trois brocantes avec pignons sur la rue principale. Pendant notre trajet, nous croisons peu de monde sauf un accident de camion et son dépannage occasionnant l’arrêt de trois ou quatre voitures.
Nous atteignons Brive en fin de matinée, et suivons le panneau Office du Tourisme vers le centre-ville,
au marché Brassens, parfait pour abandonner la voiture devant un parcmètre.
Nous ne résistons pas au charme des marchés, surtout ceux du sud, sachant que les produits et les « boniments » des vendeurs disent beaucoup des us des lieux visités. Nous parcourons les étals à l’extérieur sous la charpente monumentale et protégeant des intempéries. Nous goutons aux fromages offerts par les marchands (ex : cantal au piment), nous passons à côté des fruits et légumes de saison, nous lisons les étiquettes de bocaux locaux : canard confit ou terrines diverses et alléchantes. L’intérieur semble boudé par les commerçants, ceux qui s’y sont installés se sont regroupés au milieu d’un espace immensément vide.
L’Office du tourisme réside dans une construction voisine, curieuse, en forme de phare. 
Nous le snobons pour nous engouffrer dans les rues piétonnes.
Là encore des parapluies suspendus survolent  la route étroite attachés de chaque côté aux maisons mais leurs couleurs bleues et jaunes nous rappellent qu’en Ukraine, la guerre se poursuit sans prendre de vacances.
Nous déjeunons à la « P’tite cocotte » assis à un emplacement ombragé, sur la chaussée interdite aux véhicules.
Mis en appétit par notre visite au marché, nous attaquons avec gourmandise viande lentilles et pommes de terre, fondant au chocolat/myrtilles chantilly, et pour nous désaltérer, un verre de rouge du Luberon avec un café pour terminer.
Nous nous arrêtons un moment devant la boutique  mitoyenne spécialisée dans les articles de rugby et habilitée à vendre des billets. Ce sport connait  chez les Brivistes un engouement bien connu, nous sommes en Corrèze et entrons dans les terres de l’ovalie.
Nous retournons à la voiture en passant devant le théâtre sans nous attarder.
 

mardi 10 janvier 2023

Humaine trop humaine. Catherine Meurisse.

Une jeune femme moderne rencontre, en 94 pages délicieuses et surprenantes, le gratin de la philosophie de A comme Alain à W avec Simone Weil : on sourit et on apprend.  
«  Les objets ne sont plus considérés selon leur usage mais en tant qu’ils forment un système de signes permettant à l’individu de se distinguer des autres socialement. » 
Ainsi parlait Baudrillard dans le chapitre réjouissant qui lui est consacré sous le titre « Baudrill’art » où dans la boutique d’un centre d’art contemporain sont mis en vente des teeshirts :  
« C’est l’objet qui fait exister le sujet ». 
Ce beau volume pourrait être précisément un objet de distinction pour happy few décryptant tout de suite le titre clin d’œil à Duras, mais un court ajout pédagogique à l’issue de chacune des cinquante scénettes parues dans « Philosophie magazine» évite l’écueil de l’élitisme.
La dessinatrice au trait vif va se faire épiler à la cire avant de retrouver Descartes autour d’une « inspection de l’esprit » qui ne sait se conclure comme aurait dit Jean Claude Dusse. 
Aristote apparait en designer puisque l’homme est doué de logos, c’est à dire de langage et de raison, et Montaigne, Freud, Sartre, Sade, Nietzsche testent leurs punch line au Bergson Comedy club : 
«- Dieu est mort ! 
- Hahaha ! » 
Heidegger reste incompréhensible alors que Schopenhauer dresse sa liste de course pour des emplettes au super marché où « L’art d’être heureux » est en promotion : 
« La quête du passé et le souci de l’avenir sont inutiles, seul le présent constitue le théâtre de notre bonheur ». 
Familière des hommes de lettres et des artistes, l’ancienne de Charlie qui tant nous a émus, et réjouis, met du sel féministe sur la queue de quelques vaches sacrées : Proudhon, Fénelon, avec humour. 
Spinoza est nauséeux : 
«  Je n’aurai pas dû reprendre trois fois du stamppot à midi » 
La dentelière à côté de lui : 
« Je t’avais prévenu…faut toujours que tu cherches à persister dans ton être » 
Délicieux, j’en reprendrai volontiers un volume de plus.

lundi 9 janvier 2023

Les tirailleurs. Mathieu Vadepied.

Omar Sy fait tellement partie de nos meubles made in France qu’un temps d’acclimatation est nécessaire pour oublier son sourire et le voir en berger peul.
Il va suivre son fils raflé par l’armée pour le protéger.
Le réalisateur nous enseigne une histoire qui commence à être connue en soulignant les méfaits de la colonisation envers toute une jeunesse destinée à mourir en première ligne dans les tranchées entre 14 et 18 où 30 000 hommes venus de si loin sont morts. 
Même si le parallèle m’a semblé artificiel, entre le destin d’un chef de section fils de général et celui du jeune sénégalais à la recherche d’une insertion, il n'est pas inutile de rappeler cette période guerrière qui ne fut pas la "der des der".  
Avec plus de sobriété, un autre film récent allait dans le même sens d'une lecture renouvelée du passé. Ce retour sur des vérités embarrassantes, à condition de ne pas s'y complaire, peut fortifier le sentiment d'appartenir à une communauté aux yeux ouverts.   

dimanche 8 janvier 2023

Les gardiennes. Nacer Djemaï.

Trois vieilles dames se sont installées chez Rose, leur amie, depuis que celle-ci ne peut plus se déplacer ni parler. Elles l’entourent de toutes leurs attentions, chacune avec son caractère bien campé, gouailleur, rêveur, poétique.
Dans le genre « Vieux fourneaux » au féminin 
 elles appellent la sympathie.
Ce qui n’est pas le cas de la fille qui arrive chez sa mère pour la conduire dans un établissement médicalisé.
Mais le manichéisme n’est pas le genre de la maison, quand il y a des motifs pour comprendre l’intruse et des désaccords à l’égard des parfois abusives « babayagas », du nom d’une maison de retraite alternative installée à Montreuil.
Le conflit entre les anciennes paisibles et la moderne speedée provoque souvent les rires ou l’émotion, mais ne s’achemine pas vers une conclusion convenue.
Si les transitions oniriques nuisent, à mon sens, au rythme de cette pièce d’une heure trois quart, la chronique du quotidien à propos d’un sujet de société qui concerne surtout les boomers est toujours aussi juste et limpide. 
Ma jeune voisine était ravie alors que d’autres lycéens regardaient leur portable sous l’œil impavide des adultes les accompagnant. 

samedi 7 janvier 2023

En salle. Claire Baglin.

Le ton est vraiment nouveau pour un roman tout frais. 
« Je suis l'équipière qui ne participe à rien, ne rejoint rien et ne mange avec personne. Les équipiers connaissent mes yeux trop grands au-dessus du masque, mais pas mon prénom, ils se demandent si je suis une nouvelle, une ancienne ou une revenante. »
Le fast-food était un lieu rêvé pour la fillette et son petit frère, et maintenant elle y travaille.
« L’odeur de friture nous parvient à travers la porte, l’odeur de la fête, de la capitulation parentale. »
 En 160 pages alternent les récits d’enfance et ceux du présent, avec fluidité. 
« Je sors des macarons et les dispose dans la vitrine de présentation avec un gant en plastique, le temps qu’ils décongèlent. »
L’écriture précise, rend compte d’un univers aux lumières artificielles où apparaissent furtivement des personnages, derrière leurs masques sanitaires, dont nous n’en savons que les gestes. 
« J’ouvre le sac, le soda a éclaté à l’intérieur. J’essaie de sauver le repas mais il est trop tard. Je finis par mettre la nourriture trempée dans ma bouche et radio béton dit qu’il est minuit. » 
Les cadences empêchent de penser pendant le rush, mais ce job n’est pas moins aliénant que le travail d’agent de maintenance du père qui apprécie sa médaille du travail.
L’auteure nous épargne toute démonstration et ses descriptions nerveuses et distanciées de la rudesse de ce père ou du zèle de la fille n’en ont que plus d’efficacité critique. 
« Un groupe de gens très dissemblables pénètre dans le couloir de la bibliothèque, ils rient fort et se dirigent vers la salle polyvalente. Maman tire le bras de Nico et mon père suit. Je lui pose des questions mais il hausse les épaules, ils écrivent c’est tout, qu’est-ce que tu veux savoir de plus ? » 

vendredi 6 janvier 2023

Armé(e)s.

La coupe du monde, à laquelle personne n’a coupé, ne se joue plus, et même ceux qui ont surjoué la joie ou la tristesse se sont calmés. « Aux armes ! » ne sera plus chanté que dans les travées du vélodrome.
Russie / Ukraine, Azerbaïdjan / Arménie jouent les prolongations pendant que les Kurdes affrontent Turquie, Iran, Irak en terrain adverse. 
Les Argentins se sont moqués avec raison de nos pleurnicheries comme ce fut le cas des Algériens après avoir perdu contre le Cameroun ou des Belges et des Anglais contre La France.
Ils nous rappellent également que la malice, la mauvaise foi, les intimidations font partie du jeu, quand lors des tirs au but, le gardien de « la Céleste » a pris l’ascendant sur nos tendres Marie-Louise.
Les rapports humains sont bien des rapports de force et ceux qui jouent sans cesse aux martyrs après avoir abusé de provocations le savent depuis la cour de récré, alors que les chaînes télé brutes de décoffrage enchaînent les images spectaculaires sans s’appesantir sur les profils des serveurs de mortiers, fussent-ils d’artifice.
Même si je trouvais bien mièvre de « changer les cœurs avec des bouquets de fleurs » en des années sucrées, au fil du temps la tisane finit par devenir amère. 
Tout en me gardant de m’attarder devant les vitrines de boutiques obscures, j’en suis à réviser ma vision de la nature humaine décidément plus vindicative que bienveillante, plus aigrie qu’optimiste, haineuse, et bien peu amoureuse… 
Je n’en finis pas des reniements, après m'être repenti d'avoir œuvré avec de trop libérales pédagogies dans ma jeunesse, voilà que je m'achemine dans le sens inverse de mes convictions anti-nucléaires de jadis.
Je personnalise l’affaire car dans nos (paisibles) discussions de réveillon nous avons tendance à mettre exclusivement sur le dos des autres la responsabilité de décisions que nous avions approuvées en leur temps. La décision de fermer Fessenheim reposait sur une opinion générale à laquelle nous avons contribué. Alors que les installations de générateurs d’énergies douces sont retardées par quelques fossiles, nous sommes bienheureux que quelques centrales nucléaires fonctionnent encore pour cafetières et voitures électriques. 
Les lobbyistes verts qui dénoncent les autres lobbyistes ont contribué à enfumer l'opinion contre les scientifiques, les ingénieurs.
Et c’est pour ça que nos compétences fuitent et qu’il n’y a plus qu’à en faire des sketchs.
Biberonnés au « Peace and love » nous pensions qu’il valait mieux donner des moyens aux soignants qu’aux troufions, mais que faire quand l’hôpital est bombardé ?
Poutine a foncé dans le tas ne soupçonnant pas que sous notre lard européen, il y avait encore quelques tablettes, de la loi. 
Le nucléaire, l’armée, tout ce que nous brocardions… manque plus que la cocarde, celle là je la réservais lors des crunch contre les Anglais, voilà qu’il va falloir la brandir envers les Argentins. Mon général, c’est eux qui ont commencé. 
« La puissance militaire remporte des batailles, la force morale remporte les guerres. »