jeudi 9 décembre 2021

Michel Ange. L’extase et l’agonie. Jean Serroy.

Premier film du cycle 2021 « Peintres au cinéma » devant les Amis du musée de Grenoble, avec ce long film (2h 1/4) de Carol Reed nous contant les quatre ans nécessaires pour que le plafond de la Sixtine soit donné au monde en 1512. 
Le pape Jules II avait compris d’où venait le souffle de son protégé Michelangelo Buonarroti avec lequel le conflit avait pourtant été permanent.
Carol Reed, le réalisateur britannique du film, influencé par l’expressionnisme allemand, en particulier dans son chef d’œuvre « Le troisième homme », est associé cette fois à l’auteur américain Irving Stone spécialiste des biographies.
Une des problématiques avec son employeur, la Fox, alors empêtrée dans le titanesque « Cléopâtre » qui prendra autant d’années pour être réalisé que La Sixtine, peut se lire dans la séquence où artiste et commanditaire débattent.
Qui aura le « final cut » : le réalisateur ou le producteur ?  Ce sera le réalisateur. De Laurentis producteur associé à cette entreprise en avait l’habitude. Il fera tourner le film à Cinécittà.
Le film aux couleurs de péplum où la pourpre cardinalice serpente joliment dans les campagnes est documenté.
Par contre, une liaison de l’artiste avec la Contessina de Médicis est romancée pour éviter de révéler au public de 1965, l’homosexualité de celui qui peignait les femmes avec des corps d’hommes.
Rex Harrisson, l’anglais, n’a pas voulu porter la barbe comme le pape qu’il interprète
alors que Charlton Heston, le pur yankee, s’était fait greffer une lamelle d’acier dans le nez pour mieux ressembler à Michel Ange.
Pour l’anecdote, lors de son interprétation dans « Les dix commandements » il avait gardé sa montre au poignet au moment où il brandissait les tables de la Loi.
Les scènes d’intérieur pontificales, de taverne où l’on se « débarrasse du vin aigre » alternent avec des scènes de bataille menées par le pape.
Celui-ci devait asseoir son impérium contre les troupes françaises et pour s’affirmer face aux puissances locales : Bologne, Florence…Michel Ange a vécu 89 ans.
Génie ombrageux, il a effectivement quitté le chantier d’un pontife mauvais payeur, plusieurs fois.
Il est revenu réaliser trente ans plus tard « Le jugement dernier » après avoir peint 500 m2  et 350 personnages, « l’histoire de l’humanité » sur « Le ciel de la Sixtine », couché sur le dos, épuisé, en haut d’échafaudages inédits.
Le film traduit bien l’affrontement avec la matière d'un artiste avant tout sculpteur, entre l’architecte Bramante  reconstructeur de Saint Pierre et le doux Raphaël qui a travaillé avec lui.
En introduction, un documentaire présente l’œuvre sculptée du Florentin à « l’inachèvement délibéré ». 
Peints « a fresco », ses puissants personnages en mouvement influenceront le style baroque, les enchevêtrements des corps charmeront les maniéristes.
Juste avant un intermède musical alors tandis que l’artiste voit le soleil se lever, « la bouche d’ombre » d’Hugo peut être convoquée, comme « Le Voyageur contemplant une mer de nuages » de Caspar David Friedrich, icône du romantisme.
Le pragmatisme d’Hollywood n’hésite pas à parler d’argent, mais il est vrai que même dans les questions théologiques l’argent n’est pas absent avec le scandale des indulgences, une des causes de l’apparition du protestantisme. Elles ont financé des merveilles. Les débats entre anciens et modernes revêtent  toujours les mêmes oripeaux : l’homme nu à sa naissance est-il innocent ? Ceux qui ont connu le péché originel et les souffrances du crucifié ont-ils dépassé la pureté grecque ?
Pour compléter ce double voyage dans le temps où le kitch des années 60 convient aux flamboyances « Renaissance », nous voilà avec une recommandation nouvelle pour le film de  Kontchalowski de 2019 qui commence quand finit celui là : « Il peccato » « Le Péché ». 

mercredi 8 décembre 2021

Mulhouse #1

Il est temps d’aller récupérer les clés de notre Airb&b à Mulhouse. Elles nous attendent dans un boitier près du digicode d’un immeuble à quelques rues de l’appartement qui nous est destiné au bord du canal.
En l’absence de notre hôte, ce sont les voisins qui  nous dépannent pour identifier le studio sans nom et le mode d’emploi  des portes extérieures. Ils nous indiquent la direction du centre-ville, à 15 minutes environ à pied de la résidence, vraiment bien placée.
Bien sûr, nous visitons l’office du tourisme. Une jeune fille efficace nous fournit trois circuits possibles : sentier du vieux Mulhouse, sentier du 19° et le moins convaincant car assez pauvre en nombre de fresques référencées, le street art à Mulhouse.
Lorsque nous sortons, nous pourrions presque parler de street art devant les arbres habillés de toiles d’araignée et de fleurs tricotées par les mémés de la commune, visibles aussi à d’autres emplacements du centre.
Nous nous attablons à un bar sous d’immenses parasols rouges face au temple Saint Etienne  place de la Réunion, pas loin de la rue mercière et de l’hôtel de ville.
Puisque nous sommes au cœur de la ville historique, nous choisissons  le parcours « sentier du vieux Mulhouse ». Incontournable, nous admirons l’ancien hôtel de ville de style Renaissance rhénane décrit par Montaigne en son temps comme « un palais magnifique et  tout doré ». Le bâtiment affiche sur  un fond rouge des peintures et ornements de la couleur du soleil,  quant à la façade principale, elle offre un accès à l’intérieur grâce à deux escaliers  se rejoignant sur un petit perron surmontant une porte voutée. Aujourd’hui, le musée historique s’y est installé.
D’autres maisons sur la place attirent elles aussi  l’attention : la maison Mieg ou encore la maison des tailleurs reconnaissables à ses emblèmes et ciseaux en peinture murale sur  la façade.
Tout près, le nom de Guillaume Tell apparait pour désigner une rue, une place, son effigie sculptée  décore l’angle d’une maison.
Nous déambulons dans les vieilles rues surpris par les églises qui ressemblent à des temples et des temples comme Saint Etienne par exemple, dont la forme s’apparente aux églises…
Nous apprécions particulièrement  la rue des franciscains, son historique cour des Chaînes abritant l’université populaire ;
en face des fresques en trompe-l’œil célèbrent des personnages locaux  dominant la petite terrasse déserte d’un commerce.
Après consultation du routard pour notre repas de ce soir, nous nous acheminons vers la rue de la liberté mais trouvant porte close devant le restaurant recommandé « A la maison » nous nous installons « A la cant’in » juste à côté.
Un courtois serveur d'origine africaine nous souhaite la bienvenue en Alsace. Nous lui commandons  des assiettes italiennes servies dans des sortes de grandes boîtes de camembert proposées en taille L ou XL. La L aurait pu suffire pour deux.
Le retour de bonne heure à  pied au Air B & B ne nous prend pas plus de 10 minutes.

mardi 7 décembre 2021

California dreamin’. Penelope Bagieu.

La dessinatrice, au sourire de BD, fine féministe, excellente conteuse, 
je la prends à tous coups, sur les rayons de la bibliothèque, 
même si pour cet ouvrage elle abandonne ses couleurs pastels et ses formes rondes pour des crayons pour angles vifs.
Le titre vient d’un succès du groupe « The mamas and the papas» 
« Toutes les feuilles ont bruni et le ciel est gris
J'ai été me promener par cette journée d'hiver
Je serais bien au chaud si j'étais à L.A.
Le rêve californien par un tel jour d'hiver »
 
qu’on a envie d’écouter avec d’autres chansons proposées au bout des 180 pages 
tant la biographie d’Ellen Cohen, devenue chanteuse sous le nom de Cass Elliot est passionnante.
Nous suivons le destin de la petite née dans une famille juive de Baltimore où tout le monde  aime chanter, à travers les témoignages de ceux qui l’ont connue : sa sœur Leah et les autres membres du groupe Denny, Michelle et John… 
La petite fille qui ne mangeait pas est devenue grosse, elle a une voix exceptionnelle, un dynamisme sympathique. Drôle, généreuse, excessive, elle est allé au bout de ses rêves. Cet album remet sur nos platines les souvenirs patchoulis d’une époque aux musiques planantes.

lundi 6 décembre 2021

Olga. Elie Grappe.

Dans le flot d'informations une révision est utile pour se souvenir de ce que furent les manifestations de 2014 sur la place Maïdan en Ukraine à travers l’histoire d’une journaliste menacée par le pouvoir. Elle protège sa fille gymnaste en lui permettant de rejoindre la Suisse.
Le film est charpenté et tonique embelli d'images d’entrainement où la discipline crée à la fois la beauté et la souffrance.
La vie de groupe de jeunes athlètes est bien brossée mais le poids de l’histoire en train de se faire va pénétrer violemment ce milieu qui se croyait protégé. Les communications modernes ont beau être sophistiquées, elles n’abolissent pas les distances, voire elles accroissent les angoisses.

dimanche 5 décembre 2021

« Les uns contre les autres ». Michel Berger Luc Plamondon

Au hasard d’une oreille trainante m’est revenu l’air entêtant d’une des chansons les plus célèbres de « Starmania ». Le slow qui déchire, trop. La comédie musicale de 1979  avait connu une longue carrière, elle doit renaître bientôt. Fabienne Thibeault, Maurane l’avaient chantée. A lire le scénario de cet Opéra Rock dont j’ignorais la trame, je suis frappé par ses prophéties où les manipulations sont le moteur de la dramaturgie.
Le succès a été au rendez-vous de la lucidité, la légèreté a rencontré la profondeur.
La simplicité a traversé le temps et l’émotion même surjouée peut nous atteindre avec d’autant plus de virulence qu’elle avait été oubliée pendant des lustres.  
« On dort les uns contre les autres
On vit les uns avec les autres
On se caresse, on se cajole
On se comprend, on se console
Mais au bout du compte
On se rend compte
Qu'on est toujours tout seul au monde
On danse les uns avec les autres
On court les uns après les autres
On se déteste, on se déchire
On se détruit, on se désire
Mais au bout du compte
On se rend compte
Qu'on est toujours tout seul au monde »
 
« Le ténébreux, le veuf, l’inconsolé » va frissonner, se faire plaindre et fredonner.
Il y en avait d’autres fameuses chansons sous le même emballage qui cognent : « Quand on arrive en ville » ou «  Le blues du businessman »  avec Balavoine et Tapie en revenants. 
Mais « Les uns contre les autres » a beau dire la solitude, les volutes de la mélodie conduiront toujours à chercher quelqu’un pour accepter cette danse.

samedi 4 décembre 2021

La beauté dure toujours. Alexis Jenni.

Entreprise originale que de décrire l’amour d’un homme et d’une femme qui ne se lassent pas.  
« L’amour est une illusion ? Comme la musique, comme le cinéma, comme le roman. On n’en fait pas toute une histoire que ce soient des fictions. L’amour est une fiction vraie, qui se joue dans l’espace réel où évoluent nos corps. »
Et me voilà dans la position ridicule d’une lectrice admirative de l’écrivain : 
« Un roman consacré à l’amour, enfin ! dit-elle, déjà enflammée. Vous allez nous faire Belle du seigneur,
- Oh, pas du tout. Je vais même faire exactement le contraire. »
Suit une brillante analyse très critique du livre culte venant après des considérations fines et distanciées sur la position de l’écrivain. 
« Je suis le narrateur, c’est moi qui raconte l’histoire, la seule qui vaille, l’histoire d’amour. Lui, c’est Noé. Il est mon ami, je suis le sien, nous n’en avons pas tant, nous sommes l’ami l’un de l’autre et nous n’avons pas besoin de plus. Je raconte sa vie avec Felice, qui est son amie, son amante, sa femme. » 
La riche écriture convient mieux aux chapitres où le narrateur s’exprime en son nom plutôt que lorsqu’il laisse les mots au dessinateur et à l’avocate, parfois trop exaltés, à mon goût.  
« Tu es le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal » peut paraître excessif, mais ne recherche-t-on pas dans les livres à nous élever au-dessus de nos pâles perceptions, à pimenter nos connaissances ? La langue poétique de l’auteur ne s’exerce pas seulement entre des draps froissés à chercher trace d'excrétions corporelles. 
« J’aime pour ça la saveur atonale du chablis, ce goût qui manque toujours d’avoir lieu, qui promet, effleure, et disparaît, soleil pâle d’une belle journée d’octobre, ciel très bleu de porcelaine, feuilles métalliques prêtes à tomber, dernières grappes flétries laissées par les vendangeurs, vin tranchant et poliment en retrait qui laisse toute la place à la contemplation. »
Les 250 pages frémissantes se délectent d’une permanence toujours menacée, avec des protagonistes pas toujours exemplaires. Noé est enfermé dans ses dessins, occasion de belles pages sur cet art et il n’aime pas les plages ensoleillées. Des passages drôles reposent de l’idylle. L’évolution des personnages est intéressante et bien des points de vue sont abordés, l’éditeur fait valoir le sien : 
« L’amour qui dure, c’est celui sur lequel il n’y a rien à dire, tu le sais, non ? Un tunnel. Ce qui intéresse les gens c’est le début et la fin, là où ça bouge un peu, parce que sinon, entre, il y a quoi ? Des pantoufles ? Des poils dans la baignoire ? Un baba au rhum au dessert ? Rien de plus qu’une lente dégradation, et l’échec prévu depuis toujours. »

vendredi 3 décembre 2021

En cabane.

La planète s’épuise et les murs se surélèvent. 
Les motifs d’accablement ne manquent pas et l’on pourrait être reconnaissants aux écologistes de nous distraire de tant de noirceur. 
Après sapin de Noël, Tour de France et foie gras, voilà piscine à proscrire et cabane pour gilets jaunes et ses bacs à fleurs, cadeau de M. Piolle. S’il faut dans un premier temps se retenir de rire, il me semble que cette affaire témoigne au-delà d’une démagogie habituelle, d’un positionnement problématique à l’égard de la démocratie. 
«Dans le rugby, y a pas que des cons, mais tous les cons y sont» Jean-Pierre Rives.
En ce qui concerne « les Gilets Jaunes » je souscris à la règle d’essayer de ne pas « essentialiser » et précise, comme on faisait dans le temps, d’où je parle.
Le regard critique que je porte sur leur mouvement 
est débarrassé de toute condescendance puisque je suis de ce pays des « gens de peu ». Je n’ai pas besoin de me documenter pour « aller au peuple », j’en viens, et je sais intimement le mépris pour l’avoir subi en tant que « pagu » (paysan). Je ne partageais pas, en leur temps, les sourires que suscitaient les Deschiens, ils ressemblaient tellement aux miens.
Les occupations de ronds points ont été un révélateur des fractures de notre pays.
Mais l’accumulation de leurs revendications portait trop de contradictions : « moins d’impôts et plus de services », et leurs méthodes violentes pouvaient susciter des désaccords profonds.
Qu’un élu de la République qui a prétendu la diriger le temps d’une tournée des plateaux, apporte une aide à ceux qui ont rêvé de mettre à bas « La gueuse » est atterrant. 
Ils n’ont cessé de remettre en cause la démocratie représentative dévorant dans la même effervescence leurs propres leaders. Ils criaient à la dictature alors qu’ils étaient enclins à se tourner vers des solutions autoritaires. Et au bout, ont connu de bien faibles scores lorsqu’ils se sont présentés devant le peuple.
Si le mouvement qui a émergé en s’opposant aux taxes sur le diésel et aux limitations de vitesse à 80 km/h se trouve conforté par les ennemis de l’automobile c’est qu’il y a d’autres convergences de fond qui ont permis de passer par-dessus de telles contradictions.
Et c’est bien la remise en cause de l’état de droit qui est posée dans ce défi à Paris.
Une étape est franchie, depuis que les communaux des villes dirigées par les communistes venaient grossir en autocars les rangs des manifs de la CGT, avec ce coup de main à un mouvement en perte de vitesse. Les rituels du jeu social ont été rendus obsolètes et sont validés les coups de force permanents débutés avec le refus de déclarer préalablement les manifestations. Les Black Blocks cherchaient les CRS et les ont trouvés.
Eau et électricité avaient déjà été alloués par la collectivité locale grenobloise à « Nuit debout » devant la MC 2 devenue un temps base activiste quelque peu éloignée du « flower power ». Comme sont reniés les libertaires sous les injonctions permanentes, les interdictions quotidiennes des nouveaux pères et mères fouettard.e.s.
Les salles de réunions ne manquent pas, la Bourse du travail est pimpante et les sièges des partis politiques ne demandent qu’à être garnis. Cette alternative folklorique sous pergola ravit les candides qui remercient les élus de leurs bonnes œuvres mais peuvent inquiéter sur la nature de ce pouvoir municipal minant les pouvoirs élus pour mieux asseoir le sien. 
« La démocratie, c'est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c'est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l'adversaire; c'est un code moral. » Pierre Mendès France