vendredi 18 décembre 2020

Contes.

Les amplis vont chercher de préférence du côté des informations ronflantes et peuvent laisser croire que ceux qui ne voulaient pas sortir du confinement en juin sous prétexte que la santé était sacrifiée à l’économie sont les mêmes qui crient à « la dictature sanitaire » en décembre : ce n’est pas impossible. 
Quand la dette est passée de problème majeur à  no problem, nous n’en sommes plus à quelques zigzags près.
Par contre l’effondrement des performances des écoliers en maths et sciences suit une trajectoire continue vers le bas.
Ce sont bien les fils de leurs pères, confondant esprit critique et abandon de toute confiance en quiconque, fussent-ils des scientifiques agréés.
Maintenant que le bac est donné à tous, comme je l’ai moi même obtenu en 68, je conserve cependant une retenue à la mesure de mes doutes, plutôt que de crier au mensonge alors que je suis loin de maîtriser les bienfaits de l’ARN messager. Devant tant de publications délirantes, d’avis excessifs, je m’en remets de préférence aux médias meanstream plutôt qu’aux informations « alternatives » dépréciant ce terme jadis voué à ajouter à la complexité, alors qu’il a viré en son hystérique contraire.
Dans ce champ estampillé « sciences », au niveau du primaire, en ancien praticien des « leçons de choses », je sais le temps nécessaire aux mises en place préalables pour que chaque élève expérimente, se mouille, et ne soit pas seulement abreuvé de séquences filmées qui furent attractives quand elles n’étaient pas hégémoniques.
Voyages, films, intervenants extérieurs, jardins, appâtaient « l’apprenant », construisaient l’écolier. Désormais ensevelies sous les paperasses et les principes de précaution, ces activités sont devenues une fin en soi plébiscitée par les consommateurs. Et de convoquer la presse au premier haricot germant dans son coton. 
Pour avoir eu le souci de valoriser le travail des élèves, je regrette que la com’ ait envahi l’espace avec des excès qui ont déprécié le travail ordinaire, quotidien, fondamental, pas forcément « fun » ni « cool ».
Ces faiblesses structurelles de l’instruction, de la formation, qui s’aggravent, émeuvent moins que le destin de Xavier Dupont de Ligonnès, elles compromettent pourtant l’avenir qui voit plus de candidats à l’intermittence ou d'influenceurs Youtube que d’ingénieurs. 
Ces classements internationaux dont nous connaissons le fond sont étrangers à ce qu’est devenue la société française où il convient de rabaisser de préférence à élever. Un musicien se vantera qu’il n’a surtout pas suivi de cours de solfège et qu’il vaut mieux avoir été un élève désinvolte qu’appliqué. Les librairies n’ont jamais eu tant de prestige que lorsqu’elles étaient fermées.
Les solutions ne se résument pas à des augmentations de salaire revendiquées par des organisations qui fustigent par ailleurs une société dominée par l’argent ; elles impliqueraient plus de monde qu’un seul ministre. 
La place envahie par les complotistes irait jusqu’à nous faire douter de la nécessité de préserver la liberté d’expression. Au-delà de leurs divagations, leur rencontre avec les Contretout paralyse bien des analystes, rêveurs, penseurs.
Depuis la formule de Brasillach : « L'histoire est écrite par les vainqueurs», les communicants pensent qu’il suffit à leurs commanditaires de construire un récit pour gagner. Ce n’est pas gagné à l’heure des statues de héros déboulonnées où les victimes seulement peuvent accéder au statut de héros.
Les mots mis à toutes les sauces perdent de leur saveur, pourtant j’apprécie l’adage : 
« quand on et conteur on s’en laisse moins conter » 
qui nécessite à la fois prise de recul et engagement. Les récits submergent la réalité lorsque celle-ci dérange, alors il convient de ne pas se laisser embarquer.
« Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. » 
Maintenant qu’elle est moquée, je préfère citer Greta Thunberg, de préférence à l’époque où était  inconditionnellement glorifiée.

vendredi 11 décembre 2020

D’un siècle l’autre. Régis Debray.

Passé parmi d’autres d’un siècle à l’autre, je prends mon temps pour déguster les histoires de l’oncle d’Amérique (latine), mon maître, dont je m’aperçois que je n’ai lu finalement qu’une petite partie de ses écrits. 
… 
et je suis loin d’être exhaustif car j’ai pu le citer par ailleurs à propos de l’école ou de Venise et même lorsqu’il apparait en BD.
Certains thèmes développés dans les quelques livres énumérés plus haut se retrouvent dans les 300 pages découpées en chapitres aux titres essentiels : 
« Unir », « Transmettre », « Croire » 
en des lieux primordiaux « L’Ecole », « La Prison », « Le Forum », 
scandés par des citations de Marx, Pascal, Valéry, Malraux, Flaubert …  Julien Gracq : 
« Tant de mains aujourd’hui pour bouleverser ce monde et si peu de regards pour le contempler ». 
Le témoin du passage du siècle américain au siècle asiatique est à la hauteur de ses prédécesseurs et j’ai du mal à faire un choix parmi ses formules chantantes : 
« Qui avait cru un jour aura chu le lendemain mais qui n’a pas cru un seul jour sera déchu pour toujours ». 
J’ai décroché quand il est question de logique, et je ne peux me situer dans les querelles philosophiques qu’il nous permet cependant d’entrevoir, par contre je me sens complètement   en phase avec ses évolutions politiques « passant du treillis au costume-cravate », vues d’un œil attendri et malicieux.
Il n’a pas attendu que ce siècle saigne pour des questions religieuses, il les situe au cœur et en amont du politique. 
« Nation c’est narration » et il débusque avec gourmandise les abus des euphémismes : 
« Ainsi un système d’inégalité et d’injustices peut-il devenir «  l’ordre international » fondé sur le droit et le respect d’autrui ; vassalité peut muer en « solidarité … un strapontin en « partenariat »» 
Attentif aux techniques, il sait que « le collier d’attelage a plus fait pour l’abolition du servage que les lettres de saint Paul » et s’il admet que la prochaine déesse ressemblera à Gaïa ( la terre dans la mythologie Grecque), « un retour salutaire au fétichisme après le stade positiviste, en particulier dans notre rapport à la terre », il n’abandonne pas « l’Histoire qui s’interpose entre la nature et nous ».
 La fresque où la réflexion se marie à l’action, haute en couleurs chaudes, poétique et drôle, n’est pas que rétrospective, elle est d’une vive actualité: 
« On localise de mieux en mieux, on périodise de moins en moins. « Où es-tu ? » notre première question sur le portable. « Dans quelle suite tu t’inscris, » serait insolite et déplacé. Le numérique désosse le temps et met Clio (Muse de l’Histoire) cul par-dessus tête. Des traces de tout mais pêle-mêle. Plus de chronologie. On cueille à la diable dans le répertoire et qu’importent les continuités pourvu qu’on ait la connexion ; qu’importent les lignées pourvu qu’on soit en ligne .»

vendredi 4 décembre 2020

Lumières éparses et trous noirs.

Il est habituel de critiquer les réseaux sociaux sur les réseaux sociaux. Les GAFA (
Google, Apple, Facebook et Amazon) ont modelé nos façons de nous exprimer, de penser, de vivre en répondant à des besoins qu’ils ont amplifiés, et nous nous plaignons d’une puissance qu’on leur a donnée. Depuis l’illusion égalitaire se joue entre économistes adoubés par eux-mêmes, sélectionneurs de toujours, et médecins de fraîche date, avec opposants aux caméras de surveillance regrettant que les policiers ne soient pas filmés ; caméras pour tous ! Et soyez dignes de l’uniforme d’homme que vous portez. 
Ce n’est pas une session de formation qui  pourvoira à la qualité des coutures qui tiennent notre société mais une éducation par les parents et l’école. La tâche est rude quand des enseignants pourtant rétifs à toute instruction venant du haut se disent pas assez formés pour défendre la laïcité : pourquoi ils font ce boulot ? Mon pépé maréchal-ferrant savait en causer dans d’autres temps qui n’étaient pas moins tendus (10 millions de signatures contre la loi Debré en 1960).
Ce XXI° siècle est certes religieux mais aussi individualiste. Polarisés autour de notre nombril, nous cherchons pourtant les agents de nos frustrations loin de nous, vers l’étranger ; quant aux causes de nos malheurs nous pointons le doigt vers le haut, vers Dieu, l’état.
Des réflexions venues d’ailleurs valant pour un sujet particulier peuvent servir dans d’autres domaines quand Alain Térieur s’enrichit des recherches d’Alex Térieur. 
Mohamed Cherkaoui, prof et diplomate, invite à ne pas voir dans le développement du salafisme que des causes exogènes (influence des réseaux sociaux et chaines satellitaires, bailleurs de fonds, misère confrontée au développement économique) mais aussi des causes endogènes :  
« la perception dépréciée que les musulmans ont d’eux-mêmes »
Alors que «  le mérite de la victoire contre les soviétiques en Afghanistan revient aux combattants de la foi […] une foi granitique et une résolution inébranlable à défendre ses principes suffisent à faire chanceler un pouvoir ». 
Ce matin, sur mon éphéméride, j’avais sous les yeux une phrase de George Sand : 
« Et tout en parlant de la République que nous rêvons et de celle que nous subissons, nous étions arrivés à l’endroit du chemin ombragé où le serpolet invite au repos. » 
Pour ce qui est de la République, Marcel Gauchet offre le recul historique qui mesure la résolution de quelques contradictions: 
« Le sursaut gaullien avait extirpé la France de l’entêtement colonial où la IV° république s’est perdue. Il a apporté, avec les institutions de la V°république, une issue pacificatrice au conflit qui opposait, depuis la révolution française, les partisans de la souveraineté parlementaire à ceux d’un pouvoir fort. » 
Tous les intellectuels ne sont pas des éclaireurs : quand des créateurs adossés à des structures anciennes se proclament «  déconstructeurs » ils usurpent leur titre qui évoque les bâtisseurs plutôt que les saboteurs. Le terme « déconstruire » date du french Derrida, mais appliqué au Macdo de Millau, il s’est avéré un cache-misère. La France est l’un des pays qui compte le plus de restaurants où Ronald est à l’enseigne (sans compter le nombre d’hamburgers proposés sur toutes les cartes françaises).
Les furieux du dézingage sont servis sur plateaux, pleinement en accord avec les allergiques aux règles communes qui ne s’interdisent pas dans la foulée à en appeler à plus d’intervention de l’état. Leurs emplois du temps saturés d’indignations ne leur ont pas permis par exemple de relever que des subventions versées à des organisations interdites (CCIF  Collectif Contre l'Islamophobie) pouvaient être problématiques. 
« Le carré blanc » qui interdisait aux enfants les films aux décolletés trop profonds dans les années 50 revient avec la «cancel culture» (boycott, effacement, humiliation) qui s’offense dès qu’une opinion est contraire à la leur. Les gazelles pudiques s’effarouchent et les hyènes dactylographes tapotent. 
Depuis nos îlots isolés les possibilités de dialogue diminuent, ne reste plus qu’à s’échauffer entre soi.
Le recours aux anciens devient un peu lassant mais que dire de plus quand la modernité est furieusement  archaïque? 
Kant revoit Horace :  
« Sapere aude! Ose savoir ! »« Aie le courage de te servir de ta propre intelligence ».


vendredi 27 novembre 2020

Cynthia Fleury.

Nageur ankylosé, encombré de métaphores,  je me tiens à quelques vénérables bouées pour éviter d’être englouti dans les ondes troublées par les dégouts sociaux en réseaux.
Si je n’hésite jamais à saisir des occasions de me vautrer dans le pessimisme, je ne m’étais pas senti particulièrement concerné par cet entretien de Cynthia Fleury dans Le Monde début novembre, et pourtant ! 
« Là encore, ce sentiment de ne plus comprendre le monde qui nous entoure n’est pas nouveau, il signe sans doute ce moment où chacun d’entre nous commence à faire connaissance avec un monde qui se passera de lui… » 
Et puis, de quelques paroles saisies au matin jusqu’à une récidive impromptue le même jour, je viens d’apprécier à nouveau la philosophe, entendue en d’autres temps, lors d’un forum à Lyon http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/02/cest-quoi-etre-de-gauche.html .
Son dernier livre que je n’ai pas encore lu : «  Ci-git l’amer » peut-il nous « guérir du ressentiment » comme il est précisé en sous titre ? Les entretiens qui présentent son ouvrage de plus de 300 pages sont appétissants lorsqu’ils posent la psychanalyste face au « délire victimaire ». Son vocabulaire, osant de mots précis sur les plateaux rigolards, ne se laisse pas aller aux facilités médiatiques et laisse prévoir que la lecture de son essai ne doit pas être aisée :
« Le ressentiment est binaire, c’est un phénomène de réductionnisme, de refus de la complexité et de manque de discernement. Il dévalue, dénigre les outils même de la régulation démocratique et fantasme la radicalisation, la violence comme pureté de l’action. » 
Cette exigence dans l’expression témoigne d’un positionnement tranchant avec les lâchetés ambiantes tout en se gardant  forcément de dénoncer « l’autre ». 
« Le fascisme, le complotisme, le conspirationnisme, le populisme, l’intégrisme religieux, l’islamisme, toutes ces idéologies sont différentes mais ont en partage de grands invariants, dont l’impossibilité d’accepter le réel de l’autre, et donc le réel tout court. Ces phénomènes sont structurés autour de la pulsion ressentimiste, consciente ou inconsciente, le délire de persécution, le fait de préférer la construction d’un « fétiche » en lieu et place de la réalité qui est refusée, car jugée insupportable, injuste – souvent à juste titre. Ce « fétiche » peut être tout à fait un dogme religieux, une conviction « antisystème », que sais-je.»
«Pour qualifier le fascisme, Wilhelm Reich (1897-1957) use de la notion de « peste émotionnelle », mais elle est parfaitement opérationnelle pour désigner le monde d’aujourd’hui, dans la mesure où, rappelle-t-il à raison, le « fascisme en moi » précède le fascisme. Autrement dit, ce sont les individus insécurisés psychiquement qui « basculent » dans le ressentiment et possiblement dans la haine contre autrui, qui choisissent un leader, n’importe lequel, du moment qu’il vient conforter cette pulsion ressentimiste.» 
Nous sommes loin des conversations entre beaufs, quand je m’offusquais à l’objection que la lutte pour plus d’égalité était une affaire d’envieux. Aujourd’hui je trouve qu’effectivement rancœur, animosité, violence, se banalisent et relativisent des aspirations légitimes à plus de reconnaissance, nous rendant sourds quand viennent de surcroit s’y accoler parfois d’autres récriminations abusives.
Bien sûr chaque individu est essentiel, mais si tous les métiers sont nécessaires lesquels sont indispensables ? A ne plus distinguer les bornes, à donner le bac à tous, quand tout se vaut, rien ne vaut, et le flou vient dans les bambous : gare au loup ! Le mot " gardien de la paix" devient inaudible quand pleuvent les coups dans une société où le bonheur est indexé sur le temps de présence au bar.
Il est temps de retourner en librairie pour éviter de déverser à mon tour, sans discernement, du fiel envers les hostiles et les peu amènes. Amen.

vendredi 20 novembre 2020

Que d’histoires !

François Busnel a pris un peu la lumière lors de son interview d’Obama et affolé ses collègues se poussant du col eux aussi pour faire croire que l’important était le journaliste. 
Il avait lancé peu de temps auparavant la pétition « faisons le choix de la culture » quand les librairies ont été exclues des commerces essentiels, alors que leur syndicat avait refusé d’ouvrir lors du premier confinement.
Pour dépenser plus que de raison dans ces lieux, je souris quand je vois tant d’indignés qui achètent au mieux un livre à tonton pour Noël, défendre « un des plus efficaces remparts contre l’ignorance et l’intolérance » tandis que galopent plus que jamais bêtise et fanatisme.
N’y aurait-il pas un vieux livre coincé à ressortir de derrière les écrans 85 pouces pour apaiser cette soif inédite de lecture?
La rumeur persiste laissant entendre qu’il est impossible de se procurer le moindre ouvrage au « pays-des-lumières-fille-ainée-de-l’église » comme le fit Sylvain Tesson nullement contredit par les habituels « détenteurs de la bienveillance ». Il est vrai qu’il était venu pour du plus sérieux : le sort des arméniens au Haut-Karabagh.
Piéton pénard en Grenoble confinée, aucun obstacle ne s’est dressé sur mon chemin menant à la librairie du Square pour acquérir le dernier Régis Debray commandé par téléphone 
ni pour récupérer deux BD de Riad Sattouf à la bibliothèque Barnave qui sait bien recevoir.
J’avais acheté le Lucky Luke à Carrefour, 
avant l’interdiction qui n’a même pas satisfait ceux qui la réclamaient ; toutefois je crains que les pétitions contre Amazon ne concernent guère ceux qui font son succès.
Quels signataires ne sont pas référencés chez le distributeur souriant bouc émissaire de la semaine ?
Il est de plus en plus difficile de s’extraire de cette confusion des mots avec « dictature »  ou « guerre » balancés à tous propos, même dans les zones se disant pourtant allergiques aux fake-news. Les lumineuses plumes de la culture grandiloquentes face aux obscurantistes adeptes du masque, sûres d’être vues de loin, se ternissent de près. 
Nonobstant, le débat entre les soucieux de la santé et les obsédés du PIB s’est nuancé et les positions deviennent fluctuantes quant aux précautions sanitaires à l’école.
Peut-on parler d’acteurs économiques avec ceux qui reprochent au gouvernement de ne pas anticiper, pris au dépourvu pour leur propre compte ? Les donneurs de leçons, prescripteurs de menus, mouches du coach, décroissants du petit matin, devraient se réjouir d’un rayon d’action ramené à 1 kilomètre et les sobres aimer les rideaux fermés, les huis clos, les salles vides, les nouveautés rares, les fêtes réduites, les alcoolos à l’eau,eh non ils râlent.
Pendant ce temps les abuseurs de l’arrêt maladie ont retardé l’attention aux alertes touchant à la santé mentale de certains de nos compatriotes. 
Si les fraudeurs au chômage partiels ont mis en évidence la générosité des dispositifs de l’état, la créativité des arnaqueurs ferait mieux  de s’employer dans des instituts de recherche plus altruistes.
Attali, en appelant à une sortie « positive » de la crise, pourra-t-il minimiser tous ces comportements égoïstes et nous élever au-dessus des pulsions dépréciatives ?  Ses remarques replaçant le « complotisme » dans la recherche éternelle des hommes d’une « cause unique » comme le firent les religions monothéistes sont fécondes.
Les mots trop grands ou trop petits, divulguent ou cachent; ils n’en sont pas moins trompeurs quand ils sont beaux comme ceux d’Anna de Noailles s’apprêtant à écouter Schumann : 
« Quand l'automne attristé, qui suspend dans les airs
Des cris d'oiseaux transis et des parfums amers,
Et penche un blanc visage aux branches décharnées,
Reviendra, mon amour, dans la prochaine année,
Quels seront tes souhaits, quels seront mes espoirs ? »
.......
Le dessin du début de l'article a paru dans "Le Canard Enchaîné". 

samedi 14 novembre 2020

Vrai/faux sociaux.

Si dans nos débats nous ne prenions en compte que le réel nous ne nous disputerions pas beaucoup et ce serait bien ennuyeux.
Je voulais réagir à propos du film « Hold up » qui « enflamme la toile », comme on dit pour se baigner dans l’épique. Sur cette affaire, je cueille de préférence les arguments du camp qu’il me plait d’appeler celui de la science, de la raison, contre billevesées et hurluberlus.
Mouton du « Monde » édition papier et des CheckNews de Libé, plutôt que de Raoult, il importe de savoir que la partie ne se règlera pas seulement entre fiction et vérité. 
J’essayerai de ne pas mettre dans le même sac ceux qui croient que la terre est plate, que Bill Gates a mis des puces dans les masques, avec ceux qui ont des doutes sur la philanthropie des labos pharmaceutiques, même si les procès d’intention deviennent lassants. 
Les thèses complotistes mises en ligne auprès de tous ceux qui confondent esprit critique et abolition de toute pensée complexe, font des dégâts jusqu’à l’intérieur de l’école. Celle-ci fut le lieu où le jugement se fondait sur des connaissances vérifiables, discutables et non sur le soupçon. Au fur et à mesure que le niveau scolaire s’affaiblit, les illuminés d’une vérité révélée depuis peu, s’élisent experts dans la minute et se copient /collent dans l’instant sur les vrai/faux sociaux. 
Quand l’expression « lâcher la bride » offusque quelques commentateurs, il est permis de juger que l’essentiel nous échappe. L’inquiétude sur notre sort de terrien monte mais notre intelligence du monde est au plus bas. Trump et ses épigones ont encore de beaux jours devant eux.
Les solitaires se multiplient et se tiennent à plusieurs sur les réchauds sociaux.
Pour avoir été méprisée, la religion revient sous des formes diverses, non dans les églises devenues des musées, mais comme expression du besoin de croire en quelque chose d’inconnu qui nous dépasse, alors que la finitude de notre monde s'éprouve chaque jour et qu’on a cru avoir lu tous les livres.
En ce moment les publicitaires n’ont guère voix au chapitre, pourtant ils continuent plus subrepticement à vendre du rêve indexé sur nos profils, ourdissant quelques  mythes consolateurs aux émoticônes sommaires.
Prof revenu de croyances en un monde meilleur est devenu Grincheux : je me suis montré désobligeant envers celles qui ont posté un cœur immense allumé par des « amoureux de la montagne » au dessus de Grenoble pour protester contre la règle du confinement : une heure, un kilomètre. Que n’avaient-ils dessiné une paire de poumons en hommage aux soignants ?
J’ai aimé bousculer ce qui était présenté comme un jeu mignon, savourant la contradiction, remettant en cause des unanimités faciles. 
Peut-on parler de débat quand les passions supplantent toute démonstration ? La règle d’or est de ne pas mépriser l'adversaire en le ménageant ni de le mésestimer surtout quand le faux a plus d’attraits que le vrai. Au tympan des cathédrales les scènes de l’enfer sont plus séduisantes que celles du paradis.
Un roman peut davantage renseigner qu’un documentaire et deux vers de Victor Hugo disent plus sur la retraite de Russie que des heures passés sur des documents statistiques. 
« Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête. »
 
Les pauvres bougres « collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre » sont morts pour des chimères. 
La méthode conspirationniste aime mettre en relation des faits éloignés ; m’aurait-elle gagné si je songe que nous sommes peut être redevables à ces soldats de notre confort présent, et de notre rang dans le monde, en amont des millions de poilus qui ont remis ça comme en 14 ?  

 

jeudi 12 novembre 2020

Ouf !

Juste une brève expiration déjà entendue comme ponctuation après que Trump eut dû rabaisser son caquet. Il ne devenait même plus amusant de parler du président du pays le plus puissant de la planète, tant nous n’avions à partager que nos ahurissements, privés de matière pour discuter 
Pourtant l’interrogation qui valait pour Sarkozy dont Badiou se demandait de quoi était-il le nom, peut servir pour ce phénomène qui ne disparaîtra pas une fois éteinte sa mèche crépitante.
Sous leur nez rouge, sont toujours là, les bubons d’une société infectée par la haine, les rancœurs, le mépris de la vérité. Cette façon d’être dont les caractéristiques les plus frappantes sont proches des suprématistes blancs, ressemble finalement à celle de leurs ennemis : les fascistes islamistes, cultivant la même aversion envers les modérés, les femmes, les créateurs, les enseignants.
Ils aiment tous se poser en victimes, mais aiguisent leurs lames et graissent les guns, car tout de même bourreau ça fait davantage mâle ! Pôles opposés, mais complices se retrouvèrent aussi, en moins dangereux, sur les ronds points hexagonaux où les paradoxes aiment toujours jouer avec quelques sens interdits.
Mélenchon qui aimait tant le bruit et la fureur joue en ce moment les onctueux patelins sans hésiter à se poser en Lucifer (du latin signifiant « porteur de lumière »), lumière-au-bout-du-tunnel après avoir abandonné le camp laïque pour courir derrière le premier comité non mixte racisé.e., zigzaguant de nombril à l’air en tchétchène bashing. Il conjugue la rhétorique troisième république avec les fantasmes d’une sixième: rien de pire qu’un vieux de mon âge qui joue au djeun. Il est passé de l’expression « les gens » à « braves gens » qui reste à mes oreilles aussi méprisante et poussiéreuse que du temps où on disait dans la haute : « gens de maison », fut-elle accompagnée d’une qualité de bravitude qui devint péjorative pas loin d’être « un peu con. »
Alors que le COVID nous vide et que les lames s’effilent, ces péripéties politiciennes occupent nos heures; nous ferions mieux de nous réjouir d’un Biden pas seulement videur de bouffon, pour goûter un moment d’apaisement sur une planète se passant un bref instant d’échauffantes lumières.  
Les gestes sont barrières et les mots jouent : l’euphémisation est devenue une habitude pendant que la violence verbale est entrée dans les mœurs des réseaux sociaux. Les médias traditionnels s’en alarment, alors qu’ils laissent passer le pire sur leurs plates-formes et mettent en meilleure place ce qui claque. « Dix petits nègres » s’effacent mais pour éviter de passer pour un « grammar nazy », il vaut mieux s’abstenir de tweeter des remarques concernant des éructations à l’orthographe postillonnante.
Dans le milieu éducation nationale où les regards se détournant des problèmes sont systémiques depuis belle lurette, Samuel Paty avait invité les élèves, qu’il pensait pouvoir  choquer par ce qu’il allait leur montrer, à fermer les yeux. Ceux qui ne veulent pas voir les dessins de Charlie s’en nourrissent encore plus avidement que les lecteurs familiers de l’hebdomadaire.
Voilà encore un article occupé à la recension de paradoxes qu’une citation pourrait relativiser autour du mot « souffle »: 
« Certains pensent qu’il suffit d’avoir mauvais caractère pour avoir du caractère, comme s’il suffisait d’avoir mauvaise haleine pour avoir du souffle ! » Grégoire Lacroix
Elle peut convenir aux tricoteurs de mots dont je suis, comme on dit des tricoteuses qui attendaient en place de Grève que tombe la lame de la guillotine, les voraces du virtuel pourront y souscrire. Par contre les insuffisants respiratoires dans les lits de réanimation ne sauront pas combien étaient indécents ces sourires dans les cimetières.
Pfff !
Quand c’est Hugo qui s’interroge, cette ultime petite couche devient de l’art : 
«  Où Dieu trouve-t-il tout ce noir qu’il met 
 Dans les cœurs brisés et les nuits tombées ? »