mercredi 19 juin 2019

Une vie entière. Robert Seethaler.

Dans les montagnes autrichiennes la rude vie d’un homme pendant la première partie du XX° siècle.
«… il avait un toit sur la tête, il dormait dans son lit et, quand il s’asseyait sur son petit tabouret devant sa porte, il pouvait promener son regard sur un paysage si vaste que ses yeux finissaient par se fermer …» 
Un grand livre en 145 pages qui vont à l’essentiel, mais je ne saurais mieux dire que Philippe Chevilley dans le journal « Les Échos »: « Une vie entière semble écrit dans l'encre bleu foncé des torrents. Ce livre simple et juste enchante et nous élève. »
Garçon de ferme, estropié, travaillant à l’installation de téléphériques, prisonnier en Russie ; Andréas Egger surmonte toutes les épreuves. Sa force ne réside pas que dans ses bras, c’est un roc, comme ceux qu’il perce où qu’il extirpe d’une terre ingrate. La vie lui a fait au moins le cadeau d’une compagne, mais pas pour longtemps.
La fresque décrite sobrement est impitoyable sans tomber dans une complaisance qui aimerait le noir, mais notre frère humain est coriace, on dirait aujourd'hui résilient. Son histoire poignante est édifiante même si tant de frugalité est bien loin de nos habitudes. La mort est dans tous les coins, la misère, la violence, la solitude, alors les moments de lumière sont éblouissants.
 « L’aïeule est partie maintenant. Où, on peut pas savoir, mais c’est sûrement bien comme c’est. Là où meurt ce qu’est vieux, y a d’la place pour ce qu’est nouveau. C’est comme ça, ce sera toujours comme ça. Amen ! »   

mardi 18 juin 2019

Moi, assassin. Antonio Altarribea. Keko.

134 pages en rouge et noir, comme sorties du bois dont ont faisait les xylogravures. Quand le meurtre est une forme d’art, le récit a de quoi déranger et l’habile scénariste http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/12/lart-de-voler-antonio-altarriba-kim.html peut passer pour un pervers.
Un professeur qui lui ressemble, anime un groupe « Chair souffrante, la représentation du supplice dans la peinture occidentale ». Celui-ci vient de dépasser la trentaine de crimes. Nous sommes rendus complices des derniers, sophistiqués et spectaculaires quand le « body art » devient du « bloody art ». Le regard documenté porté sur les performances de l’art contemporain et le rappel d’une histoire de l’art souvent doloriste en Espagne sont particulièrement adaptés à la bande dessinée. Le texte fouillé dialogue avec une iconographie puissante. Une bande dessinée pas destinée à tout public.
Par contre Rencontre sur la transsaharienne de Verdier et Christin n’aurait pas dû apparaître au rayon adulte de la bibliothèque. Pour avoir apprécié le scénariste qui avait travaillé avec Bilal, j’ai été déçu. En effet la rencontre improbable de trois humanitaires lyonnais avec deux africains qui quittent le Congo et deux émiratis qui viennent chasser dans les sables, est surtout celle de leurs véhicules dessinés comme du temps de Michel Vaillant. Le dessin est aussi banal que le scénario, naïf comme les personnages, ensablé dans son bac, sans chaleur, sans surprise.

lundi 17 juin 2019

Meurs, monstre, Meurs. Alejandro Fadel.

Le genre film d’horreur n’est décidément pas mon genre et si je poste cet avis incomplet c'est que ce  film présenté à Cannes l'an dernier est sorti en salle alors que d'autres bien plus intéressants, à mes yeux, n'ont pas eu cette possibilité. 
Je suis parti au bout d’une demi-heure, écœuré de tant  de sang, de fantastique à prétention théorisante, joué de façon outrée, dans des couleurs boueuses, sous des lumières fuligineuses. 
Le mot « érotisme » apparaissant dans certains commentaires m’a semblé vraiment tout son contraire : le ridicule confine alors à l’abject. Et en tant que mâle, je n’endosse pas non plus le costume du « monstre » qui serait en nous d’après « Le Monde ». Il s’agirait selon d’autres spectatrices ayant vu le film jusqu’à la fin, de l'assemblage d’un sexe féminin géant affublé d’une paire de couilles. Ce méchant poilu accumulant les têtes de femmes coupées n’oserait même pas figurer dans les bréviaires les plus rétrogrades qui honniraient le sexe à ce point. Avec ce type de Savonarolesque morale, les manifestants « contre tous » pourraient passer pour d’intempestifs progressistes.


dimanche 16 juin 2019

Léo Ferré.

77 textes concernant la chanson sur ce blog et aucun en hommage à celui que je tins au plus haut des cieux, noirs, bien entendu, hormis une anecdotique étiquette de chianti
M’essayant à la sagesse, je n’ai pendant des années pas trop cherché du côté des passions enfuies de ma jeunesse. Avec une Olivetti qui coinçait, nous recopions alors les paroles de « La solitude » fiévreusement .
« Le désespoir est une forme supérieure de la critique.
Pour le moment, nous l´appellerons "bonheur",
les mots que vous employez n´étant plus "les mots"
mais une sorte de conduit
à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience. »
Nous nous hissions au dessus du panier, péremptoires marmots.
Je récuse aujourd’hui ces déluges verbeux, prétentieux, que je ne peux plus écouter tranquillement, je les avais trop aimés.
Je m’en tiendrais au consensuel, un comble : « Avec le temps »
« Avec le temps va tout s'en va
L'autre qu'on adorait qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Entre les mots entre les lignes et sous le fard
D'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit »
Sublime.
Alors pour refroidir ces braises encore vives, Lavilliers, Léotard feront de bons passeurs." Thank you Satan".
« Pour le péché que tu fais naître
Au sein des plus raides vertus
Et pour l'ennui qui va paraître
Au coin des lits où tu n'es plus »
Lui qui nous amena vers quelques géants : Rimbaud, Aragon.
« Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille »
En sommes nous revenus de ces fulgurances qui nous emmenèrent si loin ?
Moins considérable que Villon, Apollinaire, Verlaine, son pote Caussimon nous éclaboussait :
« On voyait les chevaux d'la mer
Qui fonçaient, la tête la première
Et qui fracassaient leur crinière
Devant le casino désert... »
Et après ce pauvre Rutebeuf que dire de mieux :
«  Le vent me vient le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta »
Nous nous sommes soulevés d’avoir aperçu :
« … de drôles de types qui traversent la brume
Avec des pas d'oiseaux sous l'aile des chansons 
Leur âme est en carafe sous les ponts de la Seine
Leurs sous dans les bouquins qu'ils n'ont jamais vendus»

samedi 15 juin 2019

Eux sur la photo. Hélène Gestern.

Roman épistolaire entre une femme et un homme à la recherche de leur passé.
Des descriptions de photographies d’une délicatesse et d’une précision exquises sont insérées entre deux lettres échangées dont la courtoisie m’a d’abord séduit et l’évolution dans la forme et le fond, passionné.
«  La photographie a emprisonné dans sa chimie la trace de l’éclat trop vif de la lumière d’été qui tombe à la verticale et semble inonder toutes les surfaces claires qu’elle touche, robe, table, casquette du petit garçon. »  
Plus que le dévoilement de secrets de famille, les variations des correspondants passant du découragement à la passion, de l’indulgence à la colère sont si bien menées que trop de divulgations éventeraient la subtilité de ces 300 pages.
« Vous me demandez qui va se souvenir de nous. Je vous dirais volontiers que c’est d’abord à nous de nous en soucier. De recréer un présent qui nous appartiendra, et que ne nous disputeront pas les morts. »  
Les fantômes se révèlent bien vivants, mais les regards croisés permis par l’écriture, amènent à l’apaisement, à mieux vivre.
« Je me dis que ce matin ensoleillé, à Saint-Malo, la tendresse de notre premier café partagé, dans la lumière rase de février qui faisait onduler la mer comme cristal et feuille d'or, c'est à eux que nous le devons. Oui, c'étaient eux sur la photo, qui nous parlaient, nous appelaient...Je les contemple jusqu'au vertige et je crois les entendre nous dire qu'il faut vivre maintenant, saisir la chance qu'ils ont laissé échapper. »

vendredi 14 juin 2019

L’Europe fantôme. Régis Debray.

Faut-il être en manque d’intellectuel?
Il n’est même plus de bon ton d'en regretter la disparition, Onfray faisant l’affaire pour certains. Quant à moi, mon maître c’est Debray, bien que cet essai concernant un sujet où je n’ai pas voté comme lui, risque de me poser quelques difficultés, ne sachant exprimer un désaccord à sa hauteur depuis ma position proche de ces « mobinautes multipasseports des centres-villes qui mangent bio et prennent l'avion carbonifère » qui  « continuent d'adhérer, c'est le sort des éponges.»
Il est bien vrai par exemple que l’influence d’un pays ne dépend pas seulement de sa taille mais de sa réactivité : Singapour, Israël ou la Suisse en apportent la preuve.
Je préfère ses formules concernant  l’Europe des comptables, sans « contours » et sans « conteurs », à la phrase trop facile qui fera l’affaire pour une accroche qui plaira à Médiapart :  
« On attendait Erasme, c’est M. Moscovici qui est arrivé. »
J’ai trouvé ses 44 pages éditées dans une collection appelée « Tract » chez Gallimard très bien tournées, comme d’habitude, et moins brutales que prévu.
«  ... l’Européen qu’il soit méditerranéen, rhénan ou balkanique, fut doublé par l’océan global. Le merveilleux industriel d’outre atlantique est venu occuper les quatre cinquièmes des écrans de cinéma, les deux tiers des émissions musicales à la radio et des BD, la quasi-totalité des galeries d’art contemporain, les facultés des sciences et de philosophie, les jouets, les papilles et les magazines. »
En dehors de l’importance coutumière qu’il accorde aux E.U.
le rappel du sens religieux de la bannière bleue aux douze étoiles, qui n’a jamais flotté sur un champ de bataille, n’est pas une condamnation mais affronte les difficultés à fonder une communauté morale.  
Il me semble injuste de faire porter aux instances européennes toutes les responsabilités du déclassement industriel et des effondrements culturels. Les compromis rabotent les meilleures intentions devant s’accommoder de la diversité, comme il le sait bien.
«  Un demi-siècle d’ouvrages inspirés, d’apostrophes intimidantes et de plans sur la comète a donné à l’Union européenne une certaine présence dans le discours et la conversation et il ne faudra pas demain lui dire, à la créature bruxelloise, dans son dédale de blocs de verre et de béton, comme le poète à sa fileuse, « Tu es morte naïve au bord du crépuscule » mais «  tu as conjuré, bavarde, la venue du crépuscule », telle l’héroïne des Mille et une nuits. »
......
 La photo est de Pelle Cass découvert dans "Courrier international"

jeudi 13 juin 2019

Innocent X, Alexandre VII. Serge Legat.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a présenté la dernière séance de la série consacrée aux fastes de la papauté depuis la Renaissance jusqu’à l’époque baroque. http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/03/les-papes-medicis-serge-legat.html
Le portrait par Velasquez du pape Innocent X en 1650, une icône de la peinture a  été repris par Bacon en 1953. L’original est visible au musée Doria Pamphili.
Issu de deux familles patriciennes, Giovanni Battista Pamphili (1574-1655) fut élu sous le nom d'Innocent X pour onze ans comme successeur de Pierre le premier pape. Il a lutté contre le jansénisme dont les démarches divergentes ont agité le monde catholique. 
« Les Provinciales » de Pascal furent mises à l’index et le musée de Port Royal des champs est aujourd’hui installé dans les anciens bâtiments agricoles, l’abbaye ayant été rasée.
Il plaide parmi les premiers pour l’abolition du servage au pays du Tzar et les prisons qu’il crée connaissent des conditions carcérales d’une humanité inédite. Mais quand il meurt, l’influence de l’église sur le plan temporel s’est affaiblie ; le gallicanisme a gagné du terrain en France, fille ainée, peu docile, de l’église.
Innocent X règle ses comptes avec les neveux de son prédécesseur Urbain VIII dont son sculpteur et architecte favori, Bernin connaît une période de disgrâce. Son rival Algardi réalise le buste d' Olimpia Maidalchini Pamphilj  surnommée « la papesse », qui eut une influence jugée fâcheuse auprès du pape, calomniée dans les journaux français ou protestants. 
Elle rénova l’abbaye de San Martino al Cimino où elle est enterrée après avoir été bannie à la mort du pape. «  Olim-pia, nunc impia » (autrefois pieuse, maintenant impie).
Sur la place Navona, déformation du nom antique « in agones », lieu où se déroulaient les jeux, depuis que Domitien y avait construit un stade, la fontaine des quatre fleuves de Bernin soutenant un obélisque, 
se situe devant Saint Agnès en Agone de Borromini.
La façade concave avec ses courbes et contre courbes casse l’horizontalité du palais Pamphili  attenant.
Parmi les quatre fleuves représentés, le Nil a la face cachée car sa source était alors inconnue. La colombe et son rameau d’olivier symbole de la puissante famille est perchée au sommet du monument du paganisme vaincu.
 
Le symbole de la famille Chigi dont était issu le pape suivant Alexandre VII (1599- 1667) était une montagne à trois sommets. Celui-ci continua la lutte contre le jansénisme et contre le protestantisme. La conversion de la reine Christine de Suède aurait pu représenter une victoire mais sa liaison avec un cardinal alors qu’elle est logée au palais Borghèse va mettre à mal ses relations. Le pape accepte que Bernin travaille pour la France.
Son projet pour la façade du Louvre ne verra pas le jour, car trop baroque.
Le goût français va plutôt vers celui de Claude Perrault, le frère de Charles qui réalisera La colonnade du Louvre.
La statue équestre que l’italien effectua pour Louis XIV échappa aux destructions révolutionnaires, car  Girardon avait été transformé Louis en Marcus Curtius .
Revenu en grâce, Bernin réalise la chaire de Saint Pierre, autour de la relique du siège du premier pape, « la cathedra », au dessus des docteurs de l’église latine, Saint Ambroise et Saint Augustin et ceux de l’église grecque Saint Athanase et Saint Chrysostome, à côté du baldaquin de la basilique Saint Pierre.
 
La colonnade de la place Saint Pierre associe urbanisme et symbolique. Tenant compte de l’insertion de l’esplanade au pied de la résidence du pape et des bâtiments administratifs, les 284 colonnes en ellipse accueillent les fidèles d'une façon grandiose comme deux grands bras .
L’érection de l’obélisque fut spectaculaire, le dispositif était colossal, le monument vacillait quand le capitaine de marine Bresca bravant l’interdiction papale de parler, sous peine de mort,  cria « Acqua alle funi ! » « De l'eau aux cordes ! » pour les retendre et éviter ainsi la chute.
Bernin a redonné profondeur et majesté à la Scale regia qui relie le Vatican à Saint Pierre.

Il considérait Sant'Andrea al Quirinale comme son œuvre la plus accomplie.
L'église Sant'Ivo alla Sapienza de Borromini dans l’ancienne université est également un bijou de l’art baroque avec son mur écran ménageant la surprise de la coupole qui laisse entrer la lumière partenaire glorieux des stucs et du travertin.
 « Allons, Rome en dira ce qu’elle en voudra dire » Jean Racine.