samedi 21 avril 2018

La succession. Jean Paul Dubois.


« Depuis que le monde était monde, il y avait toujours eu deux façons de le considérer. La première consistait à le voir comme un espace-temps de lumière rare, précieuse et bénie, rayonnant dans un univers enténébré, la seconde, à le tenir pour la porte d'entrée d'un bordel mal éclairé, un trou noir vertigineux qui depuis sa création avait avalé 108 milliards d'humains espérants et vaniteux au point de se croire pourvus d'une âme. »
Le narrateur est un harassé de la vie et pourtant il a aimé bondir au jaï - alaï, lieu où l’on joue à la pelote basque, qui signifie « jour de fête joyeux ».
« J’avais 44 ans, la vie sociale d’un guéridon, une vie amoureuse frappée du syndrome de Guillain-Barré et je pratiquais avec application et rigueur un métier estimable mais pour lequel je n’étais pas fait. »
Sa formation de médecin justifie une écriture précise qui nous fait sourire dans un premier temps avec ses diagnostics impitoyables jusqu’à ce que l’air de la tragédie  devienne dominant.
Désinvolture et humour entre Miami et Toulouse, gravité et profondeur.
« Cette femme obnubilait mes pensées. Auprès d’elle j’oubliais le caryotype de ma famille, les rouleaux de scotch, la dernière mort du quagga, le nom de mon recruteur, celui du boxeur, du fabricant de grand chistera, c’est à peine si je distinguais Khrouchtchev, Beria et Malenkov gigoter sur la photo en bas de page… »
Ce court extrait pour donner une idée du foisonnement des péripéties d’un parcours dépressif dans un style aussi lumineux qu’il peut être hanté par la mort.
« Elle me disait des choses que tous les enfants devraient entendre, des mots qui enlèvent la peur, bouchent les trous de solitude, éloignent la crainte des dieux et vous laissent au monde avec le désir, la force et l’envie d’y vivre. »
Léger et fort, excellent.
Au détour d’un avis concernant Annie Ernaux, je l’avais égratigné
et avais apprécié son efficacité dans un article sportif :
On peut changer.

vendredi 20 avril 2018

La loi.


Ceux qui avaient cru entendre l’appel au djihad d’un Dieu sanguinaire préféreraient, après tout, les rigueurs d’un état républicain. Quitte par ailleurs à bafouer la laïcité au nom de la laïcité. 
C’est une des forces de notre démocratie de permettre ces contradictions, ce qui ne dispense pas de désapprouver les individus qui prennent Marianne pour une trop bonne fille.
Des avocats sont venus apporter des arguments légalistes aux occupants illégaux de Notre Dame des Landes auprès de laquelle quelques dévots se prosternent : universitaires en mal de cabanes dans les arbres, architectes des zones humides et chroniqueurs qui en une phrase regroupent kurdes et bloqueurs d’amphi masqués, voire des sélectionnés hurlant contre la sélection.
L’hiver a été long, mai approche, la fontaine de jouvence éclabousse !
Il semble que notre époque soit bien trop complexe pour quelques distingués ayant la chance de s’exprimer dans le journal  « Le Monde ». Ils osent mettre la démocratie française au niveau d’une quelconque dictature et ces maîtres de conférence sèment le doute sur leur capacité à transmettre le goût de la nuance.
Les squatteurs de l’Ouest, apprentis paysans, eux n’encombreront pas les travées universitaires… quoique !
Et leurs soutiens, amateurs d’interdits, défenseurs d’occupations arbitraires, cautionnent des pratiques dignes du libéralisme le plus sauvage.
Alors que satisfaction a été donnée aux opposants à l’aéroport, leurs violences sont mises sur le compte de Bernard Arnaud et de Macron, Emmanuel Macron !
Pourtant toutes ces belles âmes à la moralité variable apprécient sûrement les sermons qui, à longueur de journées, visent à nous dissuader de manger du pain (gluten), de boire du vin (lobby des viticulteurs) et même de l’eau (bouteilles en plastoc), balisant nos vies de panneaux d’interdictions et d’avertissements.
Ce sont les mêmes qui s’extasient sur l’audace de ne pas mettre une cravate et trouver que c’est le summum du journalisme de ne pas écouter les réponses aux questions que le grossier Jean-Jacques Bourdin, Jean-Jacques Bourdin( !), vient lui même de poser. Ces parangons de vertu cathodiques peuvent-ils concevoir qu’ils ont devoir d’exemplarité et qu’une once de politesse ne nuirait pas à la crédibilité de leurs diatribes ?  Ils propagent l’hystérie et l’intolérance qui nourrissent les réseaux sociaux et au delà. Le prêcheur médiapartitif ne serait-il que le produit d’un système médiatique dopé au buzz, à la punch line, aux petits mots ?
Ils n’aiment pas la verticalité quand ce ne sont pas eux qui énoncent ; ils interrompent sans ménagement tout interlocuteur.
Eh bien moi, qui me sens toujours désigné par le terme « enseignant », utilisé souvent négativement dans les conversations par d’autres distributeurs de leçons, je poursuis le job. Bien que notre magistère ait tellement régressé, il n’y a pas de raison que seuls les humoristes donnent le ton. Professeurs et défunts instituteurs, tuteurs instituants, sont plus légitimes que certains parents qui aimeraient faire la loi. Mais s’il faut le rappeler c’est qu’il est tard.
Alors qu’on prête un libre arbitre à des bébés à peine descendus de la matrice, je me sens habilité, depuis l’autre extrémité de la vie, d’avoir un avis qui échappe à quelques conformismes. Ainsi pour ce qui sera de la citation que j’ai coutume de placer à la fin de mes écrits du vendredi, après m’être demandé qui m’avait mis en tête que Pierre Loti était ringard, je recopie cette phrase subtile, délicate, chantournée, à la ponctuation pourtant bizarre:
« C’est avec une sorte de crainte que je touche à l’énigme de mes impressions du commencement de la vie, - incertain si bien réellement je les éprouvais moi-même ou si plutôt elles n’étaient pas des ressouvenirs mystérieusement transmis… J’ai comme une hésitation religieuse à sonder cet abîme…»
…………………….
Le dessin de « Courrier international » :

jeudi 19 avril 2018

Paul III, le dernier pape humaniste de la renaissance. Serge Legat.


L’évocation d’Alessandro Farnese (portrait de Raphaël) élu pape en 1534 sous le nom de Paul III clôt devant les amis du musée de Grenoble, le cycle de conférences consacrées aux « fastes et splendeurs de Rome sous les papes de la Renaissance ».
Né à Rome en 1458, il est issu d’une grande famille italienne aux armoiries ornées d’iris - à ne pas confondre avec les lys royaux français - alors que du côté maternel un pape avait déjà été donné à la chrétienté, Boniface VIII.
Il reçoit une solide éducation grecque, latine, italienne, à Rome et à Florence où il se lie avec les Médicis et le futur pape Léon X. Dès ses 25 ans, nommé par Alexandre VI, il revêt la pourpre cardinalice pour 40 ans.  
Il fut surnommé, « il cardinale della Gonnella (jupon)» pour cette consécration précoce due aux charmes de sa sœur, La dame à la licorne, maîtresse du pape régnant de la famille Borgia.
Il a attendu son heure pour être plébiscité par le Saint Collège, parvenant à s’allier avec les familles hostiles entre elles. Sa générosité permise par des revenus opulents lui vaut le respect des artistes et du peuple romain qui va fêter un des siens accédant au pouvoir.
Avec sa maîtresse Sylvia Ruffini, il eut quatre enfants, qu’il n’était même pas utile de désigner comme « neveux », imposant son aîné dans un duché créé à son intention à Parme et Plaisance où celui-ci sera assassiné. Paul III pose avec ses petits fils pour Titien.
Dans un autre portrait, le vénitien avait bien saisi l’acuité du regard de l’individu qui n’avait pas disparu derrière sa fonction.
Face aux protestants, la compagnie de Jésus (Jésuites) fondée par Saint Ignace de Loyola, approuvée et soutenue par Paul III, constituera un efficace bras armé.
Le concile, convoqué dès le début du pontificat en 1536 à Mantoue, puis à Vicence commencera en 1545 à Trente et se terminera près de 20 ans après ; il dictera ses recommandations pour quatre siècles. Sebastiano Ricci en donne une vision étrange.
Des médailles satiriques distribuées en Allemagne témoignent de la vigueur des affrontements entre réforme et contre réforme : le pape est le diable et un cardinal un bouffon.
C’est Pie IV qui clôturera les débats en 1563 confirmant la doctrine du péché originel, les sept sacrements, le culte des saints et de la vierge et l’importance des reliques. Paolo Farinati, La clôture du Concile de Trente.
Le tombeau de Paul III , mort en 1549 à 81 ans, comporte les statues de La prudence qui a les traits de sa mère et de La justice ceux de sa belle et scandaleuse sœur.
Il est à la place d’honneur dans la basilique dont il avait supervisé La construction.
Il avait inauguré Le jugement dernier de Michel Ange qui occupe sur 13 m X 16 m, le mur d’autel de la chapelle sixtine.
Les quatre cents personnages y figurant nus, ont scandalisé la Curie. Si Daniele da Voltera, « il braghettone » ( porteur de culotte), a dû apposer des repentirs de pudeur, l’œuvre a été conservée grâce à ce pape humaniste auquel succèdera l’inflexible Paul IV.
Il  a collectionné lui aussi des « antiques », cet Hercule est au musée archéologique de Naples alors que de nombreux tableaux de la collection Farnèse sont exposés au Musée de Capo di Monte toujours à Naples.
Le palais Farnèse dont le chantier a duré 75 ans, deviendra ambassade de France.
Le bureau de l’ambassadeur est installé dans la vaste « salle des fastes farnésiens », célébrant condottieres et pape.
Il a fait aménager la chapelle Paolina  Michel Ange a peint ses ultimes fresques de Saint Pierre
et Saint Paul, anciennement Saul persécuteur de chrétiens, dont la restauration révèle des couleurs maniéristes où le rouge hésite entre rose et violet.
La Villa Farnèse de Caprarola à côté de Viterbe dans le Latium a des allures de palais, vu de l’extérieur par  Caspar van Wittel  dont Canaletto s’est inspiré
ou de l’intérieur par Hubert Robert qui a peint L’escalier monumental.
Le cardinal paradoxal aimant le luxe, la chasse, les divertissements, d’un népotisme éhonté, fut un pape de conviction qui redonna vigueur à l’église catholique. Il avait condamné l’esclavage des indiens bien avant la controverse de Valladolid.
« Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! » Saint Paul : Épître aux Romains

mercredi 18 avril 2018

A contre courant. Antoine Choplin.


Pas tant que ça « à contre courant », bien que remontant l’Isère de son confluent avec le Rhône jusqu’à sa source. En ce moment les livres de marcheurs se multiplient, depuis Sylvain Tesson, mais aussi Axel Kahn dans une démarche politique, Jean-Paul Kauffmann  le long de la Marne ou en  plus spectaculaire :
Sa qualité de régional de l’étape l’avait amené sans doute en bonne place à la librairie grenobloise, car nous sommes loin des « Rêveries d’un promeneur solitaire » d’un illustre prédécesseur chambérien :
« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même »
Découpé en quatre saisons, le projet est intéressant quand il s’agit d’arpenter sous un autre angle des paysages qu’il  a bien connu lors de ses trajets automobiles ou dans ses souvenirs d’enfance.
Il est sincère :
«  La rivière, les arbres, les lieux que je traverse me deviennent indifférents.[…] Tout au plus l’esprit vagabonde, sans continuité, bondit sans consistance d’un objet ou d’une image à l’autre. »
Les rencontres sont rares, à part un motard qui, dit-il, aurait de la matière pour écrire un livre de 10 000 pages mais « ça lui casse les couilles ». Le seul personnage qui avait quelques couleurs était un ouvrier-paysan du côté de Moutiers qui peuplait sa solitude de milliers de statuettes pétries dans la glaise de la rivière... mais c’était de la fiction, nous avoue rapidement l’auteur.
Il a amené Ponge, Michaux dans son sac à dos et plein de référence à Beckett, Hölderlin pour sa recherche d’une transcription du réel :
« On parlerait de la marche comme d’un parcours de crête, entre soi et le monde »

mardi 17 avril 2018

Ma vie de réac 2. Morgan Navarro.


Sous titré « violences contemporaines » ce deuxième album du Grenoblois concerne quelques contrariétés que nous hystérisons avec délices.
Oui les adultes qui n’ont pas grandi sont agaçants et on aurait tendance à moins leur pardonner qu’à leurs ados alanguis. Mais la mère des enfants de l’auteur dont il n’est pas vraiment maître, doit faire preuve d’une grande patience avec lui toujours fuyant et en particulier les taches ménagères.
A propos de « la charge mentale », je ne le suis pas, même si ses piques contre le politiquement correct font mouche, contre l’écriture inclusive que ça en est « grammatique ».
Il explore de nouveaux lieux, Ehpad, ou églises, quand il  se sort de devant ses écrans dont il fustige par ailleurs les pseudos ; « toute ressemblance… »
Même si l’originalité du premier album s’est éventée,
le ton est toujours pertinent en prenant la mesure des évènements de l’année écoulée : ses enfants ont un portable, Macron est président, et les vélos à l’horizontale nous narguent toujours.
«  Rassurez- moi, nous sommes toujours Charlie, n’est ce pas ? »

lundi 16 avril 2018

Coby. Christian Sondereregger.

Comment dans le Middle West, Suzanna devint Jacob en passant par le prénom Coby.
Subissant des piqûres régulières de testostérone, il s’est fait enlever l’utérus.
La vie du nouveau mâle est consacrée toute entière à cette transformation.
Les interventions de l’adolescent sur You Tube, pendant sa transformation, sont d’une sincérité émouvante. Quelques unes sont reprises par le réalisateur qui se trouve être aussi son demi-frère. Les parents, sa jeune compagne lesbienne, ont la parole, ainsi que ses collègues secouristes.
Dans cette tentative prométhéenne allant jusqu’à sculpter dans la chair une identité nouvelle, la force des protagonistes est évidente.
Malgré l’évidente empathie autour de lui, les problèmes soulevés seront-ils résolus avec le temps ? Les termes en sont posés avec honnêteté, bien loin des jeux de mots tentants autour du sexe des anges.

dimanche 8 avril 2018

Les bords du monde. Ophélia théâtre.

La production mettant sur scène à "La Vence Scène" des artistes du Brésil, du Maroc, de Syrie, du Togo, d’Haïti avait des intentions louables, mais elle n’est pas parvenue à une représentation totalement cohérente, rappelant trop le genre productions internationale à quota quand les programmes ont des trous. 
Le projet de « dépasser les frontières physiques, sociales, intimes pour chanter…: quelle est belle la liberté ! » était ambitieux, pourtant frapper sur des parois de tôle en cadence laisse indifférents les maîtres fous de la planète. Ces musiques scandées, au service de grands et beaux mots, peuvent-elles nous sortir de l’accablement ?
Les danses pleines d’énergie étaient parfaitement réglées cependant les intermèdes déclamatoires : 
«  Je suis fier de ma couleur…. de mon corps de femme… de ma condition gay » 
évoquaient, pour le spectateur désenchanté, de laborieux « patronages ».
J’espère par ailleurs que les omniprésentes structures à roulettes qui sillonnent les plateaux cette saison resteront en coulisse l’an prochain.
Il vaut mieux être à la hauteur avec des ambitions telles qu'elles sont présentées aux spectateurs dans un questionnaire rédigé par des étudiants en première année des arts du spectacle :
«  Il est grand temps que le spectacle vivant s’intéresse aux cultures étrangères des « périphéries » !
Quand on se situe au dessus des autres propositions théâtrales, les premiers instants sont décisifs.
En tardant à enchaîner après les gagnants du tremplin jeunes talents  proposés par la MJC en première partie dans une tonalité proche : danse orientale revue par Bollywod et danse urbaine, il a été difficile de se distinguer. 
J'ai pensé user d'une liberté tant invoquée, en me montrant réticent à frapper des mains, quand la dynamique de du spectacle ne l’a pas appelée naturellement. 
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La semaine prochaine, les petits sont là, je m'éloigne des écrans jusqu'au lundi 16 avril.