jeudi 1 février 2018

Le Bauhaus. Benoît Dusart.

Des étudiants de l’école d’architecture assistaient à la conférence des amis du musée de Grenoble, bien que cette discipline ne fût enseignée pour elle-même au Bauhaus que vers la fin du règne de la prestigieuse école (1919-1933). Là se concevaient des formes (design) entre les deux guerres. Tous les directeurs étaient architectes.
Si Le Corbusier ou Fernand Léger connaissaient ce qui s’enseignait à Weimar où tout a commencé, des imprimeurs, des typographes ont aussi été intéressés. Le seul français admis à suivre les enseignements, croyant bénéficier de leçons classiques, en est vite revenu.
Les beaux arts passaient alors aux arts appliqués.
A la fin de la première guerre, le contexte politique mouvant est favorable aux innovations. Walter Gropius crée l’école du Bauhaus (maison de la construction) issue de la fusion de l'école de l'artisanat et de l'académie des beaux-arts de Weimar. Le beau se joint à l’utile, l’esthétique au fonctionnel. L’emblème, le logo, est de Oskar Schlemmer.
La maison « Haus am Horn » fonctionnelle et confortable présentait alors toutes les innovations des différentes disciplines: poterie, travail du métal, du bois, des tissus… alliant recherche et production.
Après des cours préliminaires, la forme était enseignée par des artistes tels Paul Klee ou Kandinsky et la pratique par un maître artisan.
Alors que le travail est collectif, les querelles viendront plus tard avec le succès de cette lampe WG24 dont la forme suit la fonction de Wilhelm Wagenfeld .
La chaise en tubes d'acier modèle B3 sans ses quatre pieds, mieux dénommée « chaise Wassily », est fabriquée d’une façon industrielle dans les années 60.
Plongeant ses racines à l’époque médiévale, La cathédrale du futur de Feininger qui figurait sur le manifeste de l’institution, annonce un monde meilleur, socialiste. Mais l’environnement est incompatible avec les ambitions de l’école : en 1924, le Land de Thuringe désormais dirigé par l’extrême droite amène le déménagement de l’école à Dessau.
« Les maisons des maîtres » autour des bâtiments d’enseignement tout en vitres
ou la cité « Dessau-Törten »  sont devenues des références de la modernité.
Mille invités assistent à l’inauguration avec expositions, musique et théâtre.
En 1928 Gropius, marié à Alma Malher, démissionne pour laisser la place à
Hannes Meyer. Celui-ci radicalise la démarche allant vers des créations encore plus simples et accessibles à tous, mais il ne résiste pas aux conflits politiques qui traversent l’époque.
Avant de quitter Dessau pour Berlin Oskar Schlemmer peint l’escalier du Bauhaus où l’on retrouve le mouvement de ses ateliers de théâtre, ses ballets triadiques et ses fêtes mémorables.
Ludwig Mies Van der Rohe, « Mies » pour les intimes, auteur du pavillon allemand de Barcelone assure la dernière brève installation de l’école à Berlin où elle ferme en 1933, quand les nazis prennent le pouvoir.
Mais l’esprit du Bauhaus essaime de Tel Aviv à Mexico. Laszlo Moholo Nagy, un des enseignants de l'école, fonde à Chicago le « New Bauhaus » et Miers dessine dans les années 1950 le « Seagram Building » de New York.
Bien que « Il court il court le Bauhaus » de Tom Wolfe, qui est à prendre avec des pincettes pour Le Monde, excite la curiosité, pour compléter cet exposé à visée historique, j’emprunte en manière de conclusion à un site
« L'influence du Bauhaus  a été déterminante pour l’architecture : Il l’a introduite dans la modernité, quitte à l'amener parfois vers ce côté froid et inhumain qu'on lui a reproché ; il a imposé de nouveaux matériaux ; il a aussi développé l'idée qu'un objet pouvait être à la fois simple, esthétique, fonctionnel et accessible au plus grand nombre : c'est l'idée du design, aujourd'hui omniprésente. »

mercredi 31 janvier 2018

La mort lente de Torcello. Elisabeth Crouzet-Pavan.

En voyage à Venise, la visite des îlots de Murano et Burano fait partie du pacquage touristique.
Et il est bien agréable de poursuivre vers Torcello afin de se distinguer des foules de la « Sérénissime », bien qu’il ne subsiste de la prospérité passée de cette surface au ras de l’eau qu’un campanile et une église aux mosaïques remarquables.
«  Cette horizontalité de la topographie a peut être favorisé ou accentué la dynamique de l’oubli. »
Dans ce livre recommandé cet été par « Le Monde », l’auteur en nous faisant part de ses recherches à propos de ce site aux archives lacunaires, fait preuve d’une opiniâtreté égale à celle des hommes qui se sont battus dans la lagune contre l’ensevelissement de leurs terres par les eaux.
Les 490 pages se situant en phase avec la tendance médiatique qui privilégie les approches allant à contre courant des connaissances communes, auraient pu être réduites de moitié tant, comme dans toute thèse, il y a des redites.
 «  Les faits sont là. Torcello mourut, étouffé par les marais, ravagé par les miasmes et les fièvres. Par son jeu, par ses décisions, la politique vénitienne ne sauva pas l’île. Faut-il alors penser que cette communauté fut sacrifiée parce que l’autorité vénitienne, prise par sa lutte séculaire d’aménagement et de défense d’un milieu rebelle, ne pouvait combattre sur tous les fronts lagunaires à la fois ? » 
Qui suis-je pour me permettre des remarques envers cette spécialiste de Venise quand ce paragraphe placé dans la conclusion vient nuancer un parti pris plus tranché développé tout au long de l’ouvrage, envers la trop parfaite Venise?
Le travail de l’historienne est impressionnant, intéressant, honnête, engagé, même si les notes apparaissent surabondantes aux yeux du touriste.
 «  J’ai donc pris le parti de tenter d’écrire la chronique de ce qui pourrait sembler être un évènement sans évènement, mais qui pourtant produit une césure historique, la fin d’une histoire qui advint quand aux maisons et aux églises furent substitués de rares ruines, quelques vergers, la boue, des herbes, le marais »
Avec des échos du « crieur », des renseignements fournis par les testaments, des pièces judiciaires, nous percevons la vie des tavernes, les querelles qui soudent les communautés, le labeur des pêcheurs, des transporteurs de bois.
Il y a  quelques années je n’aurai pas relevé l’importance de la religion et des reliques :
«  A mesure que l’Empire s’effondrait, que les vénitiens se retiraient devant l’avancée turque, ils disaient sauver face aux Infidèles l’essentiel ou presque : les précieux restes saints. Ils perdaient terres et comptoirs mais razziaient les corps saints. »

mardi 30 janvier 2018

Des molécules. Binet.

Tome 4 d’une série « Les impondérables » qui compte « Les déprimés » et « Les irresponsables » comme autres titres, par l’auteur des Bidochon qui eux ont dépassé la vingtaine d’albums.
Le regard est toujours aussi noir, les tics de langage comme : « Tout à fait » aggravent la bêtise  des personnages. Ainsi pour combattre l’IMC (indice de masse corporelle) hors norme de son fils rien de tel qu’un pâté de foie après les carottes râpées :
« Tu auras de frites après ! Tu manges d’abord ton régime ! »
La science d’un chimiste à table ne fait guère progresser l’humanité, les remotivateurs pour ceux qui sont en recherche d’emploi sont plutôt décourageants, et la cantine scolaire est touchée par une quantité importante de coliformes thermotolérants… une secte s’invite au conseil municipal, le chien du petit est mort et l’association de quartier se fait balader par les techniciens.
Les dialogues sont efficaces, les traits relâchés en accord avec le pessimisme du propos.
Les détresses ont beau avoir un gros nez, la maman une mèche à la mode, une larme sur le visage du petit gros qui a peur d’être moqué sera toujours une larme.   

lundi 29 janvier 2018

Jeannette l’enfance de Jeanne d’Arc. Bruno Dumont.

Il convenait de voir le Dumont de l’année, alors je me suis appliqué à décrypter sous la bizarrerie pas aussi flamboyante que certains critiques l’annonçaient, quelque regard neuf à propos d’une icône de notre histoire de France. Nous ne sommes pas loin de la « Reine des neiges » pour la partie chantée et des Monty Phyton affadis pour quelques bouffées de rires équivoques. Je suis resté imperméable à cette énième proposition autour de la bonne lorraine dans sa jeunesse précocement habitée par la foi.
Le réalisateur de « Ma loute » met dans la bouche d’une charmante petite actrice les mots absolus de la religion, et nous nous interrogeons sur la dimension exceptionnelle de ce destin, bien que le dispositif incline vers une ambiance plus moqueuse que fervente lorsque ce sont les bêlements des moutons qui scandent les prières. Le jeu des petites qui se succèdent pour interpréter le personnage mythique m’a gêné, au-delà de leurs performances de mémorisation, quand elles prononcent des mots qu’elles ne peuvent comprendre. Ce sont ceux de Péguy. Le rapport du chouchou des prescripteurs des parchemins, qui ont perdu leurs troupeaux, à ses acteurs de tous âges, me semble ambigu bien que celle qui doit partir à Orléans m’ait parue plus impliquée, voire habitée.

dimanche 28 janvier 2018

In spite of wishing and wanting. Wim Vandekeybus.

La photographie du programme de la saison à la MC 2  m’avait séduit, qui promettait des hommes volants. A l’issue du spectacle après une pluie de plumes sur la scène, si des flocons de neige nous avaient attendus dehors, nous aurions pu croire à la magie, à la poésie.
Mais comme il est dit par le maître des cérémonies :
«Dans la vie, je fais plein de choses. Mais dans mes rêves, rien, zéro. J’encule mes rêves. Bonne nuit.»
Les textes sont accablants, la musique et la danse époustouflants.
Traduction du titre : « Malgré le désir et la volonté »… puisqu’ils le disent. Mais alors par intermittence.
En ce qui concerne les textes déclamés en toutes langues, sans liens évidents, les happy fews doivent comprendre ; pas moi. Après tout, ne s’agit-il que de bruits destinés à napper une partition qui par ailleurs appelle la danse, absolument. 
Mais si, il y avait des messages antispécistes : c’est que les lapins sont tout doux et criminel qui les ingurgite.
A l’heure où les dompteurs dans les cirques s’apprêtent à pointer à pôle emploi, les hommes à crinières, beaux, garantis sans graisse animale, font éclater leur animalité : « houba houba » et galopades.
Je m’émerveille à chaque fois de la précision des chorégraphies, elle est encore plus étonnante quand elle semble émerger du chaos.  Après tant d’intensité et d’inventivité lors des parties dansées, des vidéos nous laissent respirer. Mais ces films loufoques où il est question d’un marchand de cris avec acteurs marchant à crapoton sont bien abscons. Si je m’étais fait à ces absurdes intermèdes théâtraux ou filmés attendus de la part de la troupe belge, mes voisins de fauteuils plus sévères ont modéré ma première approche enthousiaste pour ne retenir que de magnifiques gestes, des lumières séduisantes, des coordinations fascinantes et oublier les bavardages. 

samedi 27 janvier 2018

Le fils. Philipp Meyer.

Non ce Meyer ce n’est pas notre Philippe, so french, qui n’est plus à l’antenne de France Inter ni de Culture, maintenant  réduit « en peau de caste », mais un écrivain tellement américain qui à travers plusieurs générations de McCullough nous fait revivre l’histoire palpitante du Texas de 1836 à nos jours.
«  Pour revenir à l’assassinat de JFK, ça ne l’avait pas surprise. Il y avait alors des texans encore vivants qui avaient vus leurs parents se faire scalper par les indiens. »
Le pavé de 671 pages est saignant depuis les guerres contre les Comanches, les Mexicains, celle de sécession et celles plus lointaines qui ont frappé aussi les familles dans lesquelles le révolver va de soi quand il faut savoir tirer pour garder les troupeaux et que poussent les puits de pétrole.
« Je garde pour moi qu’il est peu probable que le Kaiser Guillaume envoie des troupes à McCullough Springs quand il perd dix mille hommes par jour en France. »
Des incendies ont beau ponctuer l’oubli, il reste toujours des conteurs magnifiques qui renouvellent la jubilation de lire quelques histoires de cow-boys et d’indiens.
« Elle se souvint du colonel frottant les bourgeons sur ses doigts, de la persistance de l’odeur toute la journée. » 
Une fresque immense parfumée, colorée, violente, vivante qui retrace la naissance d’un pays où la nature puissante est écorchée comme les hommes.
« Il lui revenait de rassembler les vaches laitières et de les traire. La douceur de leur souffle, le bruit du lait contre le métal aigu d’abord, plus rond à mesure que le seau se remplissait …»
Tout est bon dans le bison :
« On faisait bouillir les foetus dans leur placenta, et comme c’était un met plus tendre que la plus tendre des viandes de veau, on les donnait à manger aux bébés, aux personnes âgées et à ceux qui avaient de mauvaises dents »
Trois récits passionnants alternent sous des formes différentes : l’ancêtre magnifique et libre, son fils scrupuleux, son arrière petite fille, « executive woman ». Ces chapitres courts rendent impatients de lire la suite et leurs entrecroisements éclairent la complexité de chaque personnalité.  Riches histoires et Histoire pantelante : formidable.

vendredi 26 janvier 2018

Ronsard, harceleur.

... Le Bernin complice quand ce n'est pas du cochon c’est de l’art : Ronsard, chanté par Béart.
"Quand au temple nous serons,
Agenouillés, nous ferons
Les dévots, selon la guise
De ceux qui pour louer Dieu,
Humbles se courbent au lieu
Le plus secret de l'Eglise.

Mais quand au lit nous serons,
Entrelacés nous ferons
Les lascifs selon les guises
Des amants qui librement,
Pratiquent folâtrement
Dans les draps cent mignardises.

Pourquoi doncques quand je veux
Ou mordre tes beaux cheveux
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein
Contrefais-tu la nonnain
Dedans son temple enfermée ?

Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein délicieux,
Ton front ta lèvre jumelle ?
En veux-tu baiser Pluton,
Là-bas après que Caron
T'auras mis en sa nacelle ?

Après ton dernier trépas
Grêle tu n'auras là-bas
Qu'une bouchette blêmie,
Et quand mort je te verrai,
Aux ombres je n'avouerai
Que jadis tu fus ma mie.

Ton têt' n'aura plus de peau,
Ni ton visage si beau
N'aura veine ni artères.
Tu n'auras plus que tes dents
Telles qu'on les voit dedans
Les têtes des cimetières.

Doncques tandis que tu vis,
Change maîtresse d'avis,
Et ne m'épargne ta bouche.
Incontinent tu mourras,
Lors tu te repentiras
De m'avoir été farouche.

Ah ! je meurs, ah baise-moi,
Ah ! maîtresse, approche-toi.
Tu fuis comme faon qui tremble,
Au moins souffre que ma main
S'ébatte un peu dans ton sein,
Ou plus bas, si bon te semble."
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