lundi 13 mai 2013

L’écume des jours. Michel Gondry.



Du livre de Vian me restait le souvenir d’une atmosphère baroque et je m’étais dit que Gondry le bricoleur magique était  tout désigné pour porter l’œuvre culte à l’écran.
Le cinéaste est fidèle à la gentille fantaisie de l’après guerre à Saint Germain,  quand la gravité a l'élégance de se cacher sous les blagues d' une adolescence qui n’en finirait jamais. De surcroit, après un coup d’œil à Wikipédia,   je pense qu’il respecte le roman à la lettre. En apportant sa fantaisie il redonne de l’actualité à ce livre mélancolique désormais patrimonial.
« Les gens ne changent pas. Ce sont les choses qui changent. »
Les personnages saugrenus auraient gagné peut être à être joués par des acteurs qui n’ont pas la notoriété de Duris, de Tautou, de Sy, alors que les apparitions de Chabat et Torreton nous ravissent.
La poésie est là avec un goût  jazzy, mais la légèreté est fugace, la mort est  tapie sous les fleurs, Partre Jean Sol meurt le cœur arraché.
L’inventivité à chaque plan nous réjouit sans être gratuite et par exemple les images du monde du travail évoquent Métropolis sans s’appesantir.
Pendant plus de deux heures nous sommes dans une fiction rétro, très actuelle en fait, et quand les artifices montrent leurs ficelles c’est encore plus fort :
le nuage des deux amoureux est suspendu par une grue au dessus de Paris.
Ce conte délicat habite le domaine du merveilleux avant que la vie rêvée ne soit fauchée à la fleur de l’âge.

dimanche 12 mai 2013

Mémory.Vincent Delerm.



Dans la famille Delerm, je demande tout le monde.
Contemporain du père et complice de ses sensations, j’aime suivre le fils dans tous ses retours sur images trépidantes, parce que nous pouvons éprouver dans une journée bien des âges : parfois vieux comme un pré, à d’autres moments benêt comme un ado ; couturé tout le temps quand même.
Le cinéma est  très présent dans son spectacle d’une heure et quart avec la voix de Woody Allen en ouverture et le blanc visage de Buster Keaton pour conclure ; le Super 8  sur un drap et le choix d’une séance qui décevra forcément les pauvres phantasmes adolescents. Pour la comédie, il a été briefé par Macha Makeïef, alors avec quelques chansons légères d’une voix moins nasillarde, le spectacle est total, sans prétention.
Nous passons un moment agréable et émouvant : il ne recule pas devant la citation inévitable d’ « Avec le temps », puisqu’il est question du temps, en italien par Léo, « cheval fourbu ». 
Le compère Nicolas Marthureau qui joue de plusieurs instruments ajoute à la fantaisie.
Au rappel, une reprise sur l’air de « C’est magnifique » de toutes ces petites notations qui font la saveur de la vie : une bougie d’anniversaire qui se rallume, le poignet en éponge pour essuyer la sueur, les rideaux à franges en plastique…  La mélancolie, la nostalgie passent si bien avec l’humour, la légèreté, même si de toute façon « tout le monde s’en fout » puisque ce n’était que de la mode. « Je vais mourir demain matin »  est drôle.
Les cruels rires enregistrés sont bien vus quand la province est évoquée, mais n’insistent pas.
Il y a eu aussi la Rue des Rosiers.
Il est nécessaire d’avoir tous les codes : ainsi il faut savoir qu’il avait chanté aux Bouffes du nord avec Lhasa une chanteuse américano-mexicaine qui vient de mourir pour tout saisir du duo avec la bande son.
« C’est nous qui l’avons changé
En quelques heures
A l’œil nu c’est compliqué
De voir les sept erreurs
Le reste n’a pas tremblé
Dans cette affaire
Rien ne sera recensé
Sur l’échelle de Richter
Pas le mur, le couloir de l’entrée
Les fissures, le papier peint déchiré
Pas le bruit, le parquet de cinquième étage
Pas la nuit, les pieds nus sur le carrelage »

samedi 11 mai 2013

Sur la route du papier. Erik Orsenna.



Troisième « Petit précis de mondialisation » : après l’eau et le coton, l’académicien nous raconte l’histoire du papier, soupe primordiale, qui une fois séchée concerne tout lecteur, fut-il intéressé par les tablettes.
Dans son périple où il sait rendre hommage à ses sources, à ses guides et n’omet pas de signaler si elles sont mignonnes, nous passons de la Bretagne à la Chine, dans les forêts du Nord, à Grenoble :
« Chaque fois que le découragement vous prend, chaque fois que vous perdez confiance en votre vieux pays de France, rendez-vous à Grenoble. L’avenir vous y attend. »
Le « grouillot de Mitterrand » aborde pédagogiquement les aspects techniques enrichis de rencontres humaines : depuis les chiffons à la cellulose du bois jusqu’au recyclage qui atteint 60% de la production actuelle des papiers nobles en diminution, quand celle des emballages et papiers hygiéniques augmente.
Il est question bien sûr d’histoire avec la drave, le flottage des billots sur les fleuves canadiens « Ça commence au fond du lac brûlé,
Alentour du huit ou dix de mai.
La mort à longues manches,
Vêtue d’écume blanche,
Fait rouler le billot
Pour que tombe Silvio » Félix Leclerc
et de passions dans les Landes, au Japon, en Italie, de matières précieuses.
L’avenir se dessine : inquiétant en Indonésie, puissant et maitrisé en Finlande, en Suède,  au Brésil, recyclant en Inde, créatif au Portugal.
Cet ouvrage de « gai savoir » qui nous mène également à l’Office central pour la répression du faux monnayage pour un hommage aux artistes, est l’occasion de belles histoires comme ces enfants qui ont continué la collection d’une petite fille morte des suites de la bombe d’Hiroshima qui pensait qu’elle serait guérie si elle arrivait à plier mille grues en origami.

vendredi 10 mai 2013

« Les coupables de la crise : les pauvres et les immigrés… les 35 h »



Il est là derrière la porte qu’il secoue!  Plus impatient que jamais, il ne se rase plus,  Le Figaro sous le bras, une opinion sans  mémoire dans son sillage, flattée dans ses égoïsmes les plus rudimentaires, sa brutalité la plus primitive.
Le Cynique Barjot, de quoi est-il le nom ?
Diderot est si loin : 
« il n’y a qu’un devoir : c’est d’être heureux, il n’y a qu’une vertu : c’est la justice. »
Que les riches se gavent, ce n’est pas un problème, parfois même dans l’idée de gens modestes, et que notre société permette à tous de bénéficier de soins de santé avec la CMU défrise même de très chrétiens citoyens.
Pourtant que des personnes puissent vivre plus dignement ne leur enlève rien comme les homosexuels pouvant accéder à de nouveaux droits ne le font au détriment de personne…
Devant la persistance de certaines affirmations désormais banales remettant en cause le troisième terme de notre triade républicaine, je suis allé chercher chez ATD quart monde quelques chiffres en évitant les arguments moraux guère audibles en cette  période où Cahuzac rejoint Guérini  comme un boulet de plus dans notre sac à dos.
Les pauvres:
La fraude aux prestations sociales est évaluée à environ 3 Milliards €
et concernerait 1 % des particuliers, 90 % de ces 3 milliards sont récupérés.
C’est à comparer avec la fraude aux prélèvements sociaux par les entreprises,
évaluée à 14 Milliards € et qui concernerait 10 % des entreprises
et avec la fraude fiscale, évaluée en France à 50 Milliards €
par la Commission Européenne.
En 2013, le RSA est à 483 € pour une personne seule.
La moitié des personnes éligibles au RSA n’en fait pas la demande.
Les étrangers :
L’immigration coûte chaque année 48 milliard d’euros à la France en prestations sociales, mais elle rapporte 60 milliards d’euros en impôts et cotisations sociales.
Quant au couplet sur les français fainéants, dans Alternatives Economiques :
« Il ne faut pas confondre durée légale du travail et durée effective. Les Français sont parmi ceux qui travaillent le plus en Europe, et notamment plus que les Allemands ! A cet égard, comme l’avait bien souligné le député PS Pierre-Alain Muet, les 35 H n’ont représenté qu’un rattrapage vis-à-vis de l’Allemagne qui travaillait alors moins que nous. Mais, depuis, la durée du travail n’a cessé de diminuer en Allemagne tandis qu’elle augmentait chez nous » Le travail à temps partiel est très répandu chez Angela.
Pourtant ce n’est pas sûr que des arguments qui viseraient à un peu de discernement soient entendus dans ces débats où tant jouent aux cons.
De surcroit, venant de notre camp, les rodomontades de ceux qui sont parmi les plus fervents défenseurs des exclus, telles que «  nous on sait faire ! » s’avèrent bien improductives.
………..
Les temps sont sauvages : un enfant de quatre ans tue sa petite sœur avec le fusil qu’il a reçu pour son anniversaire.
…..
Dans le Canard de cette semaine :
« Hollande condamné à deux ans avec sursaut »
à propos du sursis de Bruxelles pour réduire les déficits.

jeudi 9 mai 2013

Desports. Numéro 1.



Il parait que « desport » est un vieux mot français qui signifie: « divertissement, plaisir physique ou de l'esprit ».
Dans le genre « mook », nouveau mot  alliant books et magazines qui poussent à la suite de XXI comme champignons sur le terreau d’une presse en décomposition, ce livre de 290 pages est cartonné ainsi qu’un manuel de sciences naturelles des années 50.  
Le titre aurait pu être plus original  pour qui se met dans la roue de Blondin et d’Albert Londres, ravivé d’un zeste de « So Foot », alors que les têtes de chapitre : « à domicile », « balle au centre » « prolongations » sont prometteuses.
L’unanimité dans les éloges de Jean Jacques Bourdin à Médiapart me conduirait à « marquer à la culotte » celui qui se veut « le premier magazine de sport à lire avec un marque page ».
Les plumes sont prestigieuses : Maylis de Kerangal, Sépulveda, Pierre Louis Basse,
et les invités fameux : Pasolini, Moretti, Deleuze, Podalydès.
Le football, lieu de la nostalgie et de la politique, est privilégié, le cyclisme pas moins, dans un petit abécédaire belge excellent pour ceux qui savent que De Vlaminck n’est pas qu’un peintre ; il y aussi du saut de chameau au Yémen qui vaut son pesant de quat.
Si je n’ai pas accroché aux stratégies d’un entraineur de football américain, l’article sur l’importance  du hockey au Canada, est éclairant.
Des sujets tels que l'amitié entre Jesse Owens et son  blond rival allemand Luz Long ou le destin du premier boxeur noir champion du monde, Jack Johnson, rencontrant sur un ring Arthur Cravan, neveu d’Oscar Wilde sont intéressants. Le portrait de Jean-Marie Balestre qui régna sur le sport automobile et au-delà, nous renseigne sur de noirs réseaux qui furent influents dans  notre pays.

mercredi 8 mai 2013

Ron Mueck. Fondation Cartier.



L’originalité immédiatement familière de cet artiste australien installé à Londres a revigoré mon regard pour d’autres œuvres vues plus tard à Paris.
Quand je me suis arrêté devant les blessures du christ de Giotto, je me suis souvenu de la plaie que découvrait innocemment un jeune noir de 60 cm de haut présenté au 261 Boulevard Raspail.
Le traitement hyper réaliste d’une vieille dame sous son parasol de plage aurait pu être mis en scène dans l’exposition des arts premiers consacrée aux cheveux.
Nous avons tout le temps d’observer les sculptures en résine, elles ne sont que  neuf, pour nous accorder à la minutie du travail de l’artiste dont un film donne un aperçu.
C’est devenu si rare d’entrer d’emblée en empathie avec des productions contemporaines sans passer par des explications alambiquées  que les personnages traités en des tailles variées s’accrochent à notre mémoire.
La précision qui va jusqu’aux nuances de carnation nées d’une émotion pose la question de l’humain, de la création artistique, de la création de l’homme, du souffle de la vie.
L’artiste nous arrête devant des situations quotidiennes et rajoute du mystère à la banalité.
Deux adolescents sont côte à côte, dans leur dos, la main du garçon est impérieuse, un bébé recherche le regard de sa maman encombrée de sacs en plastique,
un touriste à lunettes noires se prélasse sur un matelas pneumatique posé à la verticale, comme un crucifié moderne.
Une femme porte du bois mort sur son dos, sa peau nue est marquée par les branches.
Un poulet déplumé a taille humaine, humain forcément humain, nous donne la chair de poule.
Un masque gigantesque dont la bouche s’affaisse sous l’effet du sommeil ressemble à l’artiste. Rêve-t-il ?
Un homme nu est assis dans une barque, seul, il n’y a pas de rame, ni de gouvernail.
L’exposition se tient jusqu’à fin septembre 2013.

mardi 7 mai 2013

Rides. Paco Roca.



Le quotidien dans une maison de retraite.
Je suis reconnaissant à l’auteur  bien documenté d’éviter les clichés qui associent les maisons de vieux à des lieux indignes. Des personnes y travaillent, et méritent pour beaucoup le plus grand respect.
Le récit  est limpide, agrémenté de douce poésie, les portraits sont typés sans être caricaturaux : pittoresque, pathétique, drôle, tragique.
Déambulateurs et télévision.
Une s'imagine dans l'Orient-express, une autre cherche sans cesse un téléphone, des couples s’épaulent, des solitudes s'alourdissent.
La ligne claire gomme les aspérités existantes comme la mémoire qui s’efface chez les personnes en bout de course qui s’arrangent avec un réel qu’il vaut mieux arranger, en se mettant à croire à leurs rêves.
Nous suivons le parcours d’Ernest placé là par ses enfants qui ne pouvaient plus assumer.
Un résident qui a toute sa tête va se montrer bienveillant avec lui, sans mièvrerie, faisant preuve de débrouillardise et d’un humour partagé par d’autres interlocuteurs.
Un sujet rare, appelé à se multiplier, surtout qu’avec Alzheimer, nous aurons l’impression de découvrir  un BD nouvelle à tous les coups.